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De Paris à Dakar, discours croisés et enjeux autour de la mémoire de l’expérience migratoire

Kelly Poulet
Kelly Poulet est doctorante en sociologie sous la direction du sociologue Alain Maillard et de l’anthropologue Vanina Boute. Elle s’intéresse à partir des "projets migratoires" de jeunes dakarois(e)s aux logiques d’émancipation des rapports de dominations dans lesquels cette jeunesse urbaine est imbriquée. Sa thèse s’intitule « Habiter en contexte (...)

citation

Kelly Poulet, "De Paris à Dakar, discours croisés et enjeux autour de la mémoire de l’expérience migratoire ", REVUE Asylon(s), N°12, Juillet 2014

ISBN : 979-10-95908-16-6 9791095908166, Expériences migratoires et transmissions mémorielles, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1320.html

résumé

L’article propose d’étudier les enjeux autour de la mémoire à travers la transmission de l’expérience migratoire entre deux fractions d’une même génération de jeunes Dakarois. Comment les récits de ceux qui ont fait l’expérience de la migration en Europe sont-ils transmis au Sénégal ? Comment ces discours sont-ils transformés par ceux qui les reçoivent, candidats au départ ? Le croisement des discours enseigne tant sur les représentations sociales que sur les transformations du projet migratoire propres à chacune des parties.

Comprendre les logiques de départ dans la migration, c’est à la fois s’attacher à ceux qui partent, mais également à ceux qui sont restés, à ceux dont le projet et/ou le désir de partir « là-bas [1] » pour « mieux revenir » est bien là, présent mais en suspens. Les jeunes Dakarois « pensent le Nord » quotidiennement [2]. Et ceux qui ont « réussi » à concrétiser le départ, dont « l’aventure [3] » a permis de confronter leurs représentations à la réalité de leurs expériences migratoires, ont l’esprit tourné vers le Sénégal. Nombreux sont-ils à exprimer des regrets d’être partis : « je ne savais pas », « Les vieux eux savaient, ils nous ont leurré », « on doit dire la vérité » pour « changer ce que les autres jeunes s’imaginent d’ici ». Ces jeunes migrants désillusionnés veulent mettre en cause les récits de leurs prédécesseurs, qu’ils considèrent comme porteurs d’une « fausse » mémoire de l’expérience migratoire, auprès des jeunes restés au pays avec qui ils ont, quelques années plus tôt, nourri leur hypothèse migratoire. Ces derniers, candidats potentiels au départ, façonnent en effet un projet de migration fondé sur des attentes et aspirations particulières, résultats de représentations individuelles et collectives [4]. Celles-ci, associées à une mémoire dans l’expérience et de l’expérience, sont, comme le souligne Halbwachs [5], opératoires dans la mesure où elles inscrivent l’individu et les groupes sociaux dans un rapport pratique au monde, les y insérant « activement ».

À travers l’analyse des processus de transmission [6] de l’expérience migratoire, il s’agit de questionner la manière dont les individus et groupes sociaux façonnent leur passé et leur futur en fonction des enjeux présents, et ceci en tenant compte des motivations à transmettre et à recevoir. Autrement dit, nous nous demanderons en quoi la transmission de la mémoire de l’expérience migratoire entre deux fractions de génération – celle qui a pu confronter ses représentations à l’expérience migratoire et celle qui n’a pu le faire – peut transformer les cadres sociaux de la mémoire [7] s’y rapportant et ainsi modifier l’imaginaire [8] associé à la mobilité.

Cette contribution s’appuie sur une enquête de terrain en cours, conduite à partir de données recueillies à Dakar en 2011 et qui font l’objet d’un traitement qualitatif, dans le cadre de ma thèse de sociologie portant sur les logiques migratoires des jeunes Dakarois. Dans le cadre de celle-ci j’ai pu suivre plusieurs personnes de leur départ à leur arrivée puis lors de retours temporaires dans leur pays d’origine.

Dans cet article, il s’agira de centrer notre regard sur un parcours, celui de Boubacar, dont le profil, présenté dans une première partie, est représentatif de ce que l’on peut appeler la « nouvelle vague » des migrations sénégalaises. Cette focale nous permettra d’appréhender la transmission en-train-de-se-faire dans un second temps, et de comprendre les enjeux propres à la mémoire. De plus, le capital mémoriel transmis par les générations précédentes n’est jamais figé [9] : ici, il fait l’objet de transformations par Boubacar, de retour au quartier d’origine et, comme tout phénomène mémoriel, nous pourrons voir en dernier lieu que les informations transmises par ce dernier sont remaniées par ceux qui les reçoivent.

1. Désillusion et mise en cause de la « mémoire » de l’expérience migratoire transmise par les anciens

La migration de Boubacar, dont il est ici question, doit avant tout être contextualisée. Après avoir présenté notre principal interlocuteur, nous verrons, à partir de son récit mémoriel, que le retour des migrants dans leur quartier est pensé comme un élément ayant orienté le processus d’émigration des jeunes. Aujourd’hui, face à leurs désillusions devant la réalité de leur vécu migratoire, ces jeunes migrants, comme Boubacar, accusent les « anciens » d’avoir propagé des mensonges sur leurs expériences.

1.1 La « nouvelle » vague des migrations sénégalaises

Les migrations des jeunes urbains de Dakar, majoritairement des hommes âgés de 18 à 30 ans, représentent la « nouvelle vague » des migrations sénégalaises. Le terme « nouvelle » est employé ici pour marquer le tournant dans le processus migratoire du pays à partir des années 1980 [10]. En effet, avec aujourd’hui 26% des migrants sénégalais provenant de la région dakaroise, la capitale est devenue le principal espace d’émigration du Sénégal et sa jeunesse en est l’actrice première [11]. Les changements observés ne sont pas sans lien avec la dégradation sociale et économique que connaît le Sénégal depuis une trentaine d’années : un taux de chômage sans précédent touche aujourd’hui l’ensemble des Sénégalais, mais en particulier les moins de 25 ans, qui représentent 64% de la population du pays [12].

Ainsi, si les relations intrafamiliales au Sénégal, et plus généralement en Afrique de l’Ouest, sont connues pour être marquées d’une circulation d’argent quotidienne [13], ce contrat intergénérationnel structuré par le principe d’aînesse est contrarié par la précarité économique. Les solidarités familiales et intergénérationnelles se reconfigurent à mesure que les rôles sociaux se recomposent sous le poids non négligeable de la crise et du chômage, mais également de l’urbanisation et de ses corolaires : l’individualisation, la démocratisation scolaire et la mondialisation [14].

En effet, dans un contexte où le chômage va grandissant et où la « débrouillardise » devient l’un des palliatifs à la précarité sociale, faire ses preuves et acquérir le statut d’aîné social [15] semble être un objectif plus que compromis pour les jeunes Dakarois. Pour les jeunes citadins – notamment les hommes [16] –, la seule vraie reconnaissance passe par l’emploi rémunérateur car, même si le travail est le levier de la domination, il est également celui de l’émancipation de sa propre condition. Or, force est de constater que si les hommes et les femmes, qui constituent l’ensemble de la catégorie sociale des jeunes, scolarisée ou non, qualifiée ou non, ont gagné en autonomie, ils restent toutefois cantonnés à une situation de jeunesse prolongée [17]. Ceux-ci peinent de plus en plus à répondre à l’injonction d’entraide inhérente à l’ethos communautaire sénégalais – le principe de la dette – qui tient pourtant une place fondamentale dans la régulation sociale propre à ce pays [18]. On assiste à une inversion inédite des flux d’entraide et de soutien entre les générations et de manière concomitante, les contradictions et tensions intergénérationnelles sont perceptibles, voire assumées. L’ensemble des cadets (femmes et hommes) subit le versant négatif de cette solidarité mise à mal qui devient une lourde contrainte, se manifestant dans les pressions sociales de la part des aînés qui se voient cantonnés dans leur rôle de pourvoyeur d’assistance. La recherche d’argent résonne comme un leitmotiv quotidien pour accéder au statut d’adulte sans solliciter davantage l’appui financier de la famille. Les sollicitations financières sont persistantes au sein du foyer familial et les critiques nombreuses à l’encontre des dépourvus d’argent, pris encore en charge par leurs aînés et perçus comme « une bouche à nourrir perpétuellement ».

Moins que des cadets sociaux, ces jeunes en attente du statut d’adulte ne sont tout simplement pas considérés, suscitant alors le sentiment chez certains de « ne pas être » [19]. En ce sens, l’hypothèse migratoire devient un horizon d’émancipation possible. Les propos de Boubacar éclairent de manière concrète ce propos.

1.2 Le départ de Boubacar : de l’horizon des possibles…

Boubacar, 27 ans, a grandi au sein de sa famille soninké [20], dans l’un des quartiers de la capitale, Grand-Dakar, situé dans le centre-sud de la périphérie de la ville, considéré comme un quartier d’habitat mixte avec une importante composante populaire [21]. Les principaux responsables de la densification du bâti de ce quartier relativement peu étendu sont, par leurs investissements et transferts d’argent, les migrants majoritairement soninké et toucouleur, partis avant 1974 vers la France. Au moment du départ de Boubacar il y a cinq ans, sa famille compte au rang des familles modestes, sans pour autant faire partie des plus pauvres. Il arrête ses études après le lycée et « vivote » en travaillant dans le secteur informel [22]. Ses parents lui assurent le gîte, le couvert, il ne manque de rien si ce n’est de « reconnaissance ». Il précise :

« “Va t’acheter du thé !”, ta maman te balance l’argent parce que normalement c’est toi qui doit lui donner. Il faut être social ! Les vieux ne comprennent pas : je ne suis pas fainéant, je ne trouve rien. Du coup tu n’es rien. Tu passes dans la maison on ne te regarde pas de peur que tu demandes un peu d’argent, parce que toi aussi tu as tes besoins dé ! Et quand j’ai un peu d’argent qu’est-ce que je fais ? Je vais acheter un sac de riz pour la maman et qu’est-ce qu’il me reste ? Dara [rien en wolof] parce que le travail là c’est du travailleur chômeur, alors que si je pars ! Quand je vais revenir là tout le monde te respecte, les vieux du quartier diront c’est un grand. Les filles vont te parler. Tu es quelqu’un quand tu réussis. […] En fait, il y a donner à tes proches et puis faire ta propre vie, avoir ta maison, ta famille à toi, tes parents sont contents !, tu ne dépends plus de personne […] à ce moment, tu es autonome et les gens ne te disent plus rien parce que tu es indépendant financièrement ! Après tu peux faire tout ce que tu veux toi. »

Face à ce sentiment d’insignifiance qui resurgit dans le quotidien et dans chaque entretien avec Boubacar ainsi qu’avec les jeunes urbains en situation de précarité financière, le départ est envisagé comme une volonté de s’affranchir de la position de cadet et se soustraire aux contraintes ressenties dont cet extrait d’entretien témoigne. Il est devenu un moyen d’accéder à l’aînesse sociale qui, au pays, semble une perspective très lointaine car si elle est toujours le signe de l’autorité, l’aînesse sociale ne fait plus lien avec l’aînesse civile. Elle est en effet de plus en plus détachée de l’antériorité de l’âge ou de génération, même si ces critères de hiérarchisation sociale sont toujours manipulés et constitutifs des rapports de domination [23]. Le départ représente alors aussi bien une quête de prestige social et d’émancipation de sa condition de jeune que de ressources financières, l’ensemble étant devenu étroitement lié. À la migration d’être pensée comme une période transitoire, qui correspond au passage du statut de jeune à celui d’adulte, une position ne pouvant s’octroyer que par la reconnaissance des membres du groupe.

Mais si la position d’aîné social repose en effet sur ce que le groupe attend d’eux – l’obligation d’entraide – « être quelqu’un », passe par donner mais également par avoir. Avoir pour distribuer, avoir pour soi. C’est dans cette tension qu’il faut comprendre la réussite selon les jeunes [24]. Le départ ouvre le champ des possibles : « faire sa propre vie », devenir autonome. Un horizon d’émancipation attendu se dessine. Par horizon d’émancipation j’entends ici la possibilité, pour ces jeunes, de se soustraire au système de contraintes qui pèse sur eux, ce qu’ils formulent individuellement tout en rendant compte des rapports de domination dont ils aspirent à se libérer. Aussi, il ne s’agit pas ici de soutenir que seule la migration pourrait permettre l’émancipation [25], mais de l’envisager comme l’une des possibilités que ces jeunes considèrent comme étant la meilleure. C’est pourquoi, cet horizon d’émancipation par le départ, ne peut être analysé qu’à travers les logiques d’extraversion du Sénégal [26]. Aujourd’hui encore, le Nord est dépositaire des attributs du développement et du prestige. Il est perçu et pensé comme une source de capitaux économiques mais également symboliques que l’ici ne permet pas dans le maintenant. Ceux qui en reviennent, touristes comme migrants, sont alors eux aussi porteurs de ce prestige.

1.3 … à la désillusion : rompre avec la fausse « mémoire » transmise par les anciens

Selon Boubacar, l’expérience migratoire des autres – ceux qu’il nomme les « anciens », ceux partis avant lui – a été déterminante pour inciter l’ensemble des jeunes de sa génération au départ. La projection de soi dans le départ inspirée de ce qu’il considère être la parole des « anciens », est manifeste dans les souvenirs qu’il rapporte. Souvenirs sélectionnés constituant sa mémoire personnelle et réadaptés en fonction d’enjeux présents : il se rappelle ce qui l’a conduit à envisager de partir.

« Quand j’étais petit je les voyais tous revenir pendant les vacances, on les attendait même. Il y avait toujours des fêtes dans leurs maisons. On leur posait des questions, la tour Eiffel et tout ! Ils disaient que c’était beau, que là-bas il y avait plein de gens du quartier que le travail était dur mais que c’était mieux qu’ici ! Et puis ils ne me refusaient jamais rien ! Oh ils en avaient de l’argent ! Certains disaient même que l’éducation là-bas était mieux pour les enfants. Ils racontaient la verdure des paysages, j’avais l’impression de sentir la liberté ! ».

Au delà des seuls migrants de retour, les anciens, l’échelle du quartier peut entraîner une dynamique particulière d’émigration [27]. Ainsi, le pays de référence sur lequel s’appuyaient les représentations globales du « là-bas » de Boubacar se restreignait finalement à la France [28], le pays de destination principal et privilégié des Soninké jusqu’aux années 1980. En effet, le processus de migration modifie les conditions économiques et sociales du lieu d’origine [29] qui peut alors favoriser la diffusion du comportement migratoire, ou plus précisément d’une « culture de la migration [30] ».

Aussi, ce qu’il considère dans ce discours être la parole des anciens est le fruit des souvenirs sélectionnés, qu’il a réactivés après avoir fait l’expérience dans la migration du décalage entre ses représentations et la réalité des conditions des migrants dans le pays d’accueil. D’autant plus que ce récit mémoriel arrive au moment où il fait face à la désillusion.

Les récits de son arrivée, comme tant d’autres, sont marqués par un sentiment de « trahison » de la part des anciennes générations, qui auraient transmis, à lui et ses amis du quartier avec qui il a nourri le projet de partir, une « fausse mémoire » de ce qu’est l’expérience migratoire.

Boubacar s’est retrouvé « sans-papiers », expression qu’il ne connaissait pas avant d’arriver en foyer en France. Il a par la suite trouvé un CDI dans une entreprise de nettoyage, après nombres d’emplois en CDD sous-payés voire jamais rémunérés. Ses conditions économiques ne lui permettent pas de « vivre sa vie » : aucune économie pour ses propres projets ou besoins autres que primaires ne peut être faite. Il change de numéro de téléphone régulièrement pour ne le donner qu’à sa famille « proche », c’est-à-dire nucléaire, afin de ne pas avoir à refuser systématiquement les demandes d’aide quasi quotidiennes pour lesquelles il est sollicité depuis son quartier d’origine à Dakar. Confronté au racisme institutionnel et ordinaire, c’est toute une projection de soi qui est remise en question et, face à la perte du sens même du projet, les anciens deviennent coupables de cette désillusion. Leur parole tant idéalisée est blâmée, ils sont accusés d’avoir sélectionné les informations, d’avoir menti. Ces distorsions dans les récits des émigrés algériens de retour au pays d’origine avaient déjà été soulignées par Abdelmalek Sayad à travers le récit de vie de Mohand A [31].

De cette désillusion découle une volonté de mettre en cause, auprès des jeunes de sa génération restés au pays, les récits de leurs prédécesseurs.

« Je me suis dit les jeunes faut arrêter de nous leurrer, j’allais leur dire moi que ce qu’on nous transmet c’est du mensonge ! Pourtant c’est dans la tête de tous les gens là-bas, il faut changer ces images qu’on a tous eues, qu’ils ont encore ! »

Lors de nombreuses conversations à son domicile, où il vit avec quatre autres Dakarois depuis qu’il a quitté le foyer, chacun racontait comment il tentait de lever le voile sur ces « mensonges » qui imprègnent la mémoire collective et individuelle :

« Au téléphone j’explique les conditions ici. J’ai même dit que j’étais sans-papiers quand je n’avais pas encore ma régularisation. Qu’avec la police tu n’es pas tranquille. J’ai raconté les prix ici parce qu’ils pensent qu’avec ton salaire tu vis bien ils ne pensent pas à ce que tu dois dépenser ici. Ils ne s’imaginent même pas que tu te prépares à manger seul, que tu vis à neuf dans des conditions lamentables et qu’ici aussi tu retrouves des cafards mais à cause de l’insalubrité des locaux dans lesquels on nous parque ! Ça ils ne le savent pas, que des gens dorment dans la rue et n’ont pas à manger parce qu’il n’y a pas de travail. Franchement je leur dis que les vieux ont eu tort, l’argent on ne le voit pas nous… »

Ce discours met en évidence le résultat du décalage entre les composants du réel et ce qu’il imaginait ou bien ce à quoi il ne pensait pas. Toutefois, il semble important de mentionner que le contexte politique, social et économique s’est aggravé en France : la crise économique, les restrictions dans l’attribution de « papiers », l’augmentation du coût de la traversée des frontières sont autant d’éléments participant à accroître une forme de décalage entre générations.

Ce récit nous permet aussi d’appréhender les éléments de discours supposés freiner les départs, que l’on peut dès lors confronter à ce qui est vraiment dit au sein du quartier, et ainsi aux représentations de ceux qui sont restés.

2. Les porteurs de récits de retour dans leur quartier d’origine. L’exemple de Boubacar

Les périodes estivales sont propices aux retours temporaires des migrants dans leurs quartiers d’origine, lorsque leur situation administrative et/ou financière le permet. J’assiste tous les ans aux retours de certains d’entre eux dans les trois quartiers où j’effectue mes recherches et j’ai pu, dans ce cadre, observer le premier retour de Boubacar à Grand-Dakar où il est revenu se marier [32]. De retour, il veut endosser le rôle de récit « véridique » quant à son expérience vécue, auprès de ceux restés au quartier.

2.1 Mise en récits des mensonges mémoriels

Le retour de Boubacar est l’occasion pour nombre de voisins, de membres de la famille et d’amis de boire le thé ou de manger dans la demeure familiale. Assis quotidiennement devant la porte d’entrée de la maisonnée de sa mère, il discute dans la rue avec d’autres jeunes de sa génération. Installés sur des chaises face au matériel pour faire le thé qu’un voisin, à peine majeur, prépare régulièrement, ils conversent toute l’après-midi, parfois tardivement dans la nuit, s’interrompant à peine pour dîner autour d’un plat confectionné par « la bonne ». Du fait de sa présence, les principaux sujets de conversation se concentrent sur la France, le mode de vie « là-bas » et la pratique de la migration. Le « procès » envers les « anciens » commence par la déconstruction des discours tenus « auparavant » qu’il a lui-même entendus, idéalisés et sélectionnés puisque c’est le principe même du souvenir que d’être distingué.

« Vous savez ce n’est pas ce que l’on nous a toujours raconté. Oh que non on ne se baisse pas pour ramasser l’argent on doit le gagner à la sueur de notre front ! Je vous jure, les anciens c’est eux qui nous ont mis dans la merde ! […] On les a tous vus ici quand on était petit, ils nous montraient qu’une face de la migration… Je suis venu, j’ai vu le climat, il fait trop froid, il pleut. On ne peut pas être dans la rue comme ça, à boire le thé. Tout est diamétralement opposé, eux et nous c’est différent dé... Ils sont tous seuls chez eux. Et puis il ne te reste pas grand-chose quand tu as tout payé ! Nous on économise pour donner un peu ici, c’est dur. Là-bas, ce n’est pas la même vie qu’ici ni la même culture et les gens sont tous pressés, personne ne t’aide, tu dois être fort tout le temps, assumer tes besoins et ceux d’ici. »

Boubacar projette ses propres désillusions et les souvenirs de ce qu’il imaginait avant de partir, comme si l’imaginaire de la mémoire était figé, statique.

2.2 Quels éléments sélectionnés pour quels enjeux mémoriels ?

Arrêtons-nous sur les éléments que Boubacar sélectionne. Tout d’abord, il introduit les questions financières afin de déconstruire le mythe de l’enrichissement facile, mais reste vague sur les précisions quant à ses dépenses, son quotidien, son mode de vie, car entre dire la difficulté et la persévérance dont les migrants font preuve et raconter en détail ce qu’ils vivent, le fossé est grand.

« On ne peut pas tout dire, on a notre fierté aussi. Eux, ils ne demandent pas de détails, il faut juste dire que la vie est excessivement chère là-bas par rapport à ici que ce n’est pas l’Eldorado, on se saigne pour envoyer de l’argent quand ils appellent sans cesse pour demander. »

En effet, sa femme me dira quelques temps plus tard qu’elle ne connaissait pas l’emploi de son mari en France ni même le secteur professionnel dans lequel il travaillait. Un des jeunes me dira quant à lui : « Ça me fait mal de demander des précisions… ». Comme si l’imaginaire se suffisait à lui-même et ne pouvait être nourri que par les éléments ne mettant pas à mal le sens donné à leur désir de partir. Ici, la démarche de Boubacar amène à penser que l’expérience migratoire est racontée en fonction d’enjeux du présent : mettre en accusation le discours des « anciens » n’est pas un objectif en soi. Boubacar tente par ce biais de contourner l’obligation du don en déconstruisant les représentations quant à l’accès à l’argent, sans pour autant « perdre la face » [33] devant ses amis. La mémoire devient un enjeu important, elle se doit d’être reformulée à la lumière de nouvelles représentations.

D’autres éléments sont invoqués concernant les différences de mode de vie, sous forme d’opposition à ce qui est vécu au pays. La solitude est l’aspect sur lequel Boubacar revient constamment, ainsi que le rythme de vie accéléré et la froideur du climat associée à celle des habitants, qui freineraient les moments de sociabilité tels que ceux partagés depuis son retour au Sénégal. Dire la vérité passerait donc par mettre en avant ce qui est étranger. Mais l’inconnu est-il le meilleur moyen de dissuader ces jeunes ? En mettant en avant la persévérance dont il fait preuve dans ses récits et dans la mise en cause de la mémoire transmise par les aînés, Boubacar tente de mettre en ordre et de rendre cohérent le projet de départ : celui d’accéder à la reconnaissance des siens. Entre tenter de dissuader les jeunes de partir et agir en cohérence avec les propos tenus, c’est tout un paradoxe qui s’installe.

Tous ceux qui prévoient leur retour au pays durant leurs congés payés le préparent aussi économiquement afin d’anticiper les réclamations des proches. Là réside l’ambivalence. D’une part, leur discours remet en cause les représentations du migrant comme individu qui a réussi économiquement. Cette démarche de déconstruction n’est d’ailleurs pas sans rappeler les discours très médiatisés des politiques européennes de codéveloppement [34] qui visent à informer sur les risques de l’émigration clandestine et « l’illusion de l’eldorado » [35].

Mais d’autre part, le temps du retour, les émigrés remplissent le rôle qui leur est attribué, celui que le principe de la dette impose à quiconque veut être reconnu par les siens. Le tiraillement entre le système de normes sociales dans lequel est pris l’émigré à Dakar et la volonté d’émancipation à laquelle il aspire est manifeste. Pour être reconnu socialement par ses pairs, l’émigré endosse le rôle économique que lui enjoint de tenir la société.

Cette assignation sociale se manifeste particulièrement lors des échanges entre les migrants de retour et les récepteurs de leurs récits, qui nous en apprennent beaucoup sur le rôle joué par les migrants quand ils rentrent au pays de manière temporaire.

3. Les récepteurs : acteurs du processus de transmission

Mettre en cause la mémoire transmise par les « anciens » en réintroduisant de nouveaux récits mémoriels issus d’une expérience vécue pour, enfin, changer l’imaginaire associé à la migration, est un projet ambitieux qui ne prend pas en compte un élément pourtant central. La transmission qui s’opère ne peut être unilatérale, elle est un processus qui engendre une interprétation active de la part de ceux qui reçoivent les informations. Or, c’est à travers ce que traduisent les récepteurs que l’impact social est perceptible. Faisons l’hypothèse qu’ils ont connaissance des difficultés rencontrées en Europe et que l’affichage ostentatoire tant reproché aux migrants de retour il y a quelques années se fait de plus en plus rare. Compte tenu de cela, il devient pertinent de se demander ce que pensent les jeunes, récipiendaires des discours de migrants comme Boubacar. La mémoire est constituée de représentations basées sur le souvenir, comprenant les récits de ceux qui ont vécu l’expérience migratoire ainsi que les actions visibles de ceux-ci. Le discours de Baboke (ami d’enfance et voisin de Boubacar) sur les propos de Boubacar nous incite à appréhender toute la capacité de transformation symbolique des jeunes restés au pays, c’est-à-dire comment l’imaginaire se nourrit des récits vécus et les réinterprète en fonction d’actions visibles, pour justifier et donner sens à l’hypothèse migratoire.

D’abord, les conditions de vie difficiles sont traduites comme autant d’étapes qui mettent la masculinité à l’épreuve [36] en ce sens où elles feront advenir un homme adulte. Des valeurs sont alors mobilisées. Le courage est une qualité qu’un homme doit prouver, il ne doit pas se résigner à la facilité. La pusillanimité qui est reprochée à nombre de jeunes Dakarois ne concerne donc pas Boubacar qui s’est « sacrifié », y compris parce qu’il a dû quitter ses proches et son pays pour chercher quelque chose de mieux. Il a ainsi affronté la vie et pris en main son destin, « avec l’aide de Dieu ». Par ailleurs, le départ devient une aspiration à un accomplissement de soi : acquérir une place gratifiante dans la société sénégalaise par soi-même et pour soi-même, à laquelle on ne pourrait prétendre sans embuche.

« Un homme devient en partie un homme quand il prouve ça, moi je suis un homme mais je ne peux pas prouver ça ici, alors faut faire quelque chose comme Boubacar. ».

Plus les récits de migrants de retour vont être émaillés de difficultés traversées, plus le parcours semblera, en quelque sorte, héroïque, mais toujours aux yeux des autres, aux yeux de la famille, des vieux du quartier, des aînés, c’est-à-dire vis-à-vis de ceux à qui il convient de prouver que « nous aussi on vaut quelque chose ! ». Ainsi, les conditions difficiles racontées font partie d’une étape initiatique, gage de qualités masculines importantes pour accéder au statut d’homme adulte. Néanmoins, l’accès à ce statut n’est permis qu’à condition d’avoir ses propres ressources financières et de pouvoir participer à des logiques de redistributions des gains, nonobstant des stratégies de contournement adoptées par la suite :

« Ce qui te permet après de devenir vraiment quelqu’un c’est l’argent. C’est dur mais au moins il y a du travail et tu es payé mieux qu’ici, là vraiment tu deviens un grand parce que tu te débrouilles par toi-même, pour toi et pour ici aussi, tu peux faire plaisir à ta mère ! ».

La figure du self made man est convoquée, associée au parcours de Boubacar et plus généralement à l’accès au Nord. Les conditions difficiles sont donc ensuite minorées parce qu’il y a toujours plus de possibilités de se débrouiller seul là-bas qu’ici [37] :

« Il arrive à économiser puisqu’il envoie de l’argent, puisqu’il s’est marié ! ».

Boubacar organise en effet son mariage le temps de son retour sans la participation financière des familles. Lui ne « veut pas s’occuper des détails » dit-il. La cérémonie est représentative des mariages sénégalais [38]. L’affichage ostentatoire, symbole de réussite et de prestige social lié à la monétarisation des rapports sociaux est d’usage courant dans les cérémonies au Sénégal, notamment celles qui célèbrent les alliances [39]. Déjà, pendant la période de la colonisation, les autorités avaient tenté de réglementer les pratiques matrimoniales, dénonçant les énormes dépenses concernant les unions comme nous le décrit Awa Yade [40]. Le problème de l’accès au mariage des jeunes hommes était déjà manifeste – et l’est d’autant plus aujourd’hui dans la capitale sénégalaise. Mais Boubacar a pu se marier à 27 ans contrairement à ses amis du même âge qui ne peuvent à l’heure actuelle prétendre à célébrer cette cérémonie comme la majorité des jeunes Dakarois, puisque l’âge moyen de l’entrée au mariage est d’environ 33 ans [41], conséquence des difficultés matérielles auxquelles sont confrontés les hommes dans de nombreuses grandes villes africaines [42]. D’autre part, la cérémonie a été entièrement financée par Boubacar, sans l’aide des parents ni endettement, puisque le jeune homme a économisé pour cela depuis son arrivée en France. C’est ce qui le distingue en partie des autres jeunes du quartier qui se marient à un âge plus avancé et souvent en s’endettant.

Ce mariage, Baboke le qualifie d’important, mais pas plus important que ceux des autres. Pas de sabar [43], pas de millions dépensés mais une cérémonie qu’il a payée seul, sans aucune aide financière extérieure : cela lui apporte le respect en tant qu’individu. Ce respect, notion souvent convoquée, passe avant tout pour Baboke par l’indépendance financière.

« Il ne doit rien à personne, ne s’est pas endetté, il n’aurait jamais pu le faire avant car personne ne peut faire ça ici, sans rien avoir à devoir à personne après. Le respect c’est quand tu es indépendant. Avec l’argent que tu gagnes là-bas, c’est le tien, tu ne demandes rien à personne, tu peux donner si tu veux, et tu peux faire ta propre vie à toi. Tu es un grand là, tu es quelqu’un c’est ça, parce que là tu ne vas dépendre de personne, tu peux réaliser beaucoup de choses sans les autres, personne ne dira rien, tu fais ce que tu veux. »

Baboke se projette dans la vie de Boubacar, à partir des éléments de son récit, d’actions visibles, et justifie par rapport à cela son désir de partir. Les conditions difficiles là-bas sont minorées devant ce qui adviendra : l’indépendance, l’aînesse sociale et la reconnaissance de son individualité.

En dernier lieu, Baboke met lui même le doigt sur un aspect qui met en accusation les discours de Boubacar.

« Il a oublié que le but ce n’était pas de faire l’immigration comme les anciens. Le but ce n’était pas ça c’était d’aller et revenir souvent, c’était faire la circulation, la navette. Ce qu’il dit sur les vieux au final il y a sans doute du vrai mais ça ne nous concerne pas vraiment. On veut partir revenir, moi je veux découvrir là-bas, voir ces différences dont Boubacar parle par mes propres yeux, avoir de l’argent là-bas, prendre ce qu’il y a à prendre et revenir parce que c’est ici que tu es quelqu’un, tu viens d’ici, là-bas c’est avoir de l’expérience, les voyages c’est important pour ça pour grandir par soi-même. Les vieux ils ont peut être menti mais Boubacar a oublié. »

Le jeune candidat au départ se remémore également les souvenirs qui l’ont incité à se projeter dans la migration, avant le départ de Boubacar. Il explique le comportement de ce nouveau migrant par ses propres oublis. Les propos du migrant de retour deviennent anodins parce qu’ils ne correspondent pas au type de départ envisagé. Est introduite l’opposition récurrente entre « faire l’immigration » et « circuler », un type de mobilité davantage prisé à l’heure où l’Europe a érigé ses barricades jusqu’à les externaliser. Baboke et ses amis sont conscients de la quasi impossibilité matérielle de partir et d’obtenir des papiers en règles. Mais cette nouvelle mobilité est jugée comme l’ultime manière de parvenir au rang d’adulte, par la constitution de ressources économiques et symboliques qui en permettront l’accès. Dès lors, les représentations de cette mobilité dynamique évoquée par Baboke doivent être nécessairement plus innovantes, plus créatrices et plus fictionnelles. En ce sens, il conviendrait également de s’interroger sur les programmes des institutions européennes finançant largement les actions de « communication » visant à conscientiser les candidats au départ sur les « illusions de l’eldorado ». L’hypothèse de départ géographique résonne en effet comme une sorte de défi individuel qui n’adviendra sans doute jamais mais donne sens aux actions et/ou aux attentes, tournées vers un futur que l’on pense proche. La mise à distance des propos de Boubacar donne alors cohérence au projet de départ des candidats.

Conclusion

Les migrants de retour que je rencontre, dont Boubacar est un exemple, appliquent le principe de la dette qui fonde l’ethos communautaire propre au Sénégal. La reconnaissance sociale passe par le « donner ». Avec le retour, ils accèdent au statut auquel ils aspiraient avant le départ : l’adulte individualisé et reconnu par les siens, ceux-là même dont ils se sont distancés. Cette « réussite » affichée tend à décrédibiliser le discours qu’ils tiennent par ailleurs sur les difficultés, notamment financières, des jeunes hommes dans le pays d’accueil. S’ils tentent de désillusionner ceux restés au pays par le récit de leurs expériences propres, leurs actions, quant à elles visibles, entrent en contradiction avec leur volonté première. Cette ambivalence révèle la contradiction à laquelle est confronté l’émigré : mener sa propre vie et être reconnu, avoir enfin une place qui lui soit accordée dans la structure sociale sénégalaise, une place qu’il aimerait se choisir, contournant par là même les rapports sociaux multiples dans lesquels les jeunes Dakarois sont imbriqués.

Loin d’être passifs, les récepteurs sont toujours des interprètes actifs de ce qui leur est transmis en fonction des enjeux du présent, d’un horizon social et d’un horizon d’attente spécifiques. Une attention particulière sur le croisement des discours autour de la migration rend compte des enjeux autour de la mémoire dans chacune des deux fractions de génération. Les jeunes restés au quartier d’origine des migrants, remettent en cause les discours de ceux qu’ils pensent être des figures de réussite. Mais leur imaginaire se nourrit des actions visibles qui confortent leurs représentations, qui fondent le sens même de leur projet migratoire. Ainsi, le comportement des émigrés de retour fixe les limites de leur critique des anciens et contribue à la prolongation du processus de reproduction car il anime ce que Sayad appelait le « mensonge collectif » [44], désavoué pourtant par les jeunes émigrés de Dakar. Néanmoins, l’énonciation du discours enseigne sur les enjeux du présent : tenter de se dédouaner de la dette envers le groupe d’appartenance au sein du quartier. Dire les conditions dans lesquelles se trouve le migrant en énonçant l’expérience vécue montre que l’acte de donner devient le résultat d’un sacrifice.

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Titre : De Paris à Dakar, Discours croisés et enjeux autour de la mémoire de l’expérience migratoire

Résumé : L’article propose d’étudier les enjeux autour de la mémoire à travers la transmission de l’expérience migratoire entre deux fractions d’une même génération de jeunes Dakarois. Comment les récits de ceux qui ont fait l’expérience de la migration en Europe sont-ils transmis au Sénégal ? Comment ces discours sont-ils transformés par ceux qui les reçoivent, candidats au départ ? Le croisement des discours enseigne tant sur les représentations sociales que sur les transformations du projet migratoire propres à chacune des parties.

Mots-clés (auteur) : Transmission - Mémoire - Expérience migratoire - Projet migratoire - Dakar

Title : From Paris to Dakar. Cross speeches and stakes around the memory of the migratory experience

Abstract : This article aims at studying stakes about the memory through the transmission of migratory experience between two parts of a same generation of Young Dakar-born individuals. How migrants pass on their stories to Dakar ? How these speeches are transformed by those who get them, ready to go themselves ? The interplay and the cross-reference of speeches teach as much about social representations as about transformations of one’s migratory projects.

Keywords (author) : Transmission - Memory - Migratory experience - Migratory project - Dakar

NOTES

[1] « Là-bas » ou le « Nord » est employé par les jeunes pour qualifier les pays du Nord de la méditerranée, spécifiquement les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest, lorsqu’ils formulent le désir de partir, restant vague sur la destination précise.

[2] Fouquet Thomas, 2007, « Imaginaires migratoires et expériences multiples de l’altérité : une dialectique actuelle du proche et du lointain », Autrepart n° thématique « on dirait le Sud », Paris (IRD), 41, pp.83-97. De longues observations m’ont permis de travailler sur les départs symboliques de ces jeunes qu’ils manifestent également à travers une (re)construction des pratiques occidentales.

[3] Bredeloup Sylvie, 2008, « L’aventurier, une figure de la migration africaine », Cahiers internationaux de sociologie, n°125, pp. 281-306.

[4] Sur d’autres représentations individuelles et collectives de migrants voir Boyer Florence, 2005, « Le projet migratoire des migrants touaregs de la zone de Bankilaré : la pauvreté désavouée. », Stichproben. Special Issue on African Migrations, Historical Perspectives and Contemporary Dynamics, p. 53.

[5] Halbwachs Maurice, 1994, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, et Halbwachs Maurice, 1997, La mémoire collective, Paris, Albin Michel.

[6] Par « transmettre » nous entendons la définition qu’en donne Berliner David, 2010, « Anthropologie et transmission », Terrain, 55, Transmettre, pp. 4-19, se référant à Olick et Robbins, à savoir « le processus consistant à « faire passer quelque chose à quelqu’un » et qui contribue à la persistance, souvent transformée de représentations, de pratiques, d’émotions et d’institutions dans le présent » ; À cela nous complétons cette définition en intégrant dans notre analyse la réappropriation des discours par les récepteurs.

[7] Concept forgé par Maurice Halbwachs.

[8] L’imaginaire, au sens anthropologique du terme, est une question éminemment sociale et collective mais également individuelle. Comme le souligne Bourdieu Pierre, 1987, Choses dites, Paris, Editions de Minuit, il est empreint de représentations qui, en tant que manières de penser, de s’approprier et d’interpréter notre réalité quotidienne et notre rapport au monde engendrent « l’orientation des comportements collectifs et la transformation du monde social » selon les propos de Marc Augé, 1997, La guerre des rêves. Exercices d’ethno-fiction, Paris, Le seuil, p. 134.

[9] Tebbakh Sonia, 2007, « Une transmission discrète et fragmentaire. De l’histoire migratoire dans les familles maghrébines », Temporalités [En ligne], 6/7, mis en ligne le 08 juillet 2009, URL : http://temporalites.revues.org/200, consulté le 4 octobre 2012.

[10] Tall Sérigne Mansour, 2002, « L’émigration internationale Sénégalaise d’hier à demain », La société sénégalaise entre le local et le global, Paris Karthala.

[11] Rapport de synthèse de la deuxième enquête sénégalaise auprès des ménages (ESAM II), direction de la prévision et de la statistique, 2004. « Migration et Sénégal », Asylon(s), n°3, mars 2008.

[12] Agence nationale de la statistique et du développement (ANSD).

[13] Attané Anne, 2003, Cérémonies familiales et mutations des rapports sociaux de sexe, d’âge et de génération. Ouahigouya et sa région. Burkina Faso. Thèse de doctorat, EHESS-Marseille, 510 p.

[14] Calvès Anne-Emmanuèle et Marcoux Richard, 2007, « Présentation : les processus d’individualisation "à l’africaine" », Sociologie et sociétés, vol. 39, n° 2, p. 5-18.

[15] Meillassoux Claude, 1994, « La conquête de l’aînesse », Vieillir en Afrique, Paris, PUF, il y définit l’aînesse come « l’institution qui associe l’âge à l’autorité ». Mais dès 1960, il montre que l’aînesse sociale est l’institution qui associe l’autorité à l’âge mais également à la possession de biens matériels.

[16] Pour les jeunes femmes – qui cumulent à la fois le statut de « jeune » et celui de « femme » -, dont on ne parlera pas spécifiquement dans l’article, la position est davantage négociée. Si la position de célibataire (qui se prolonge également pour elles) les contraint à l’insignifiance, elles peuvent toutefois jouir de considérations par l’accès à l’emploi rémunérateur malgré une forte inégalité dans l’accès à l’emploi. Par le salaire qu’elles peuvent apporter au sein du foyer familial, elles peuvent ainsi échapper en partie à un rôle social centré uniquement sur l’accomplissement de leurs fonctions reproductrices.

[17] Antoine Philippe, Razafindrakoto Mireille, Roubaud François, 2001, « Contraints de rester jeunes ? Evolution de l’insertion urbaine dans trois capitales africaines : Dakar, Yaoundé, Antananarivo », in Les jeunes, hantise de l’espace public dans les sociétés du Sud, Autrepart 18, IRD-Editions/Editions de l’Aube.

[18] Le principe de la dette qui soumet le cadet à des logiques redistributives envers les aînés et sa communauté d’origine, permettant à celui qui donne d’avoir une place reconnue au sein du groupe et de la famille, est mis en cause. Voir Marie Alain (dir.), 1997, L’Afrique des individus, Paris, Karthala.

[19] Timéra Mahamet, 2001, « Les migrations des jeunes sahéliens : affirmation de soi et émancipation », Autrepart, pp. 37-49.

[20] Le Soninké est l’une des 17 langues nationales reconnues au Sénégal.

[21] Il regroupe néanmoins l’ensemble des classes sociales (aisées, intermédiaires, pauvres) avec une très faible proportion de personnes aisées. Si l’on se réfère au rapport d’étape de Antoine Philippe Fall Abdou Salam, (ss dir.), 2002, Crise, passage à l’âge adulte et devenir de la famille dans les classes moyennes et pauvres à Dakar, rapport d’étape, IRD/IFAN, il abrite « 8.33% d’aisés, 58.33% d’intermédiaires et 33.33% de pauvres ».

[22] Le secteur informel est qualifié également de secteur « non-structuré ». Voir à ce sujet : « Le secteur informel dans l’agglomération de Dakar : performances, insertion et perspectives », Résultats de la phase 2 de l’enquête 1-2-3 de 2003, DPS.

[23] Meillassoux Claude, 1975, Femmes, greniers et capitaux, Paris, Ed. Maspero. L’anthropologue explique que la possession des biens témoigne de la position d’aîné dès la période précoloniale. Celle-ci devenant avec la période coloniale et la monétarisation progressive des sociétés, l’attribut essentiel de l’aînesse sociale.

[24] Ndongo Dime Mamadou « Remise en cause, reconfiguration ou recomposition ? Des solidarités familiales à l’épreuve de la précarité à Dakar », Sociologie et sociétés, vol. 39, n° 2, 2007, p. 151-171.

[25] Cela nierait l’ensemble des processus d’individualisations perceptibles qui fait l’objet d’un chapitre de ma thèse.

[26] Bayart Jean-François, 1989, L’Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard (2ème édition augmentée, Fayard, 2006).

[27] Ndione Babacar, Lalou Richard, 2004, « Tendances récentes des migrations internationales dans le Sénégal urbain : existe-t-il une dynamique de quartier ? Les exemples de Dakar, Touba et Kaolack », Les migrations internationales : observation, analyse et perspective (acte du colloque de Budapest 2004), p. 240.

[28] La France n’est plus le principal pays de destination hors continent africain des Sénégalais. L’Espagne, l’Italie et les Etats-Unis sont les nouvelles destinations de cette « nouvelle vague » bien que les migrations sud/sud restent les plus importantes.

[29] Massey Douglas, 1988, « International Migration and Economic Development in Comparative perspective », Population and Development Review, 14/3, pp. 383-414.

[30] Concept théorisé par Douglas Massey pour la migration Mexique/Etats-Unis.

[31] Sayad Abdelmalek, 1999, La double absence : Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, p. 40.

[32] Après quelques années passées en France dans une précarité administrative qui ne lui permettait pas de rentrer, Boubacar a obtenu une régularisation et acheté deux jours après un billet aller-retour pour Dakar. C’est lors de son séjour qu’il a été mis en lien, par sa famille, avec une jeune Dakaroise qu’il décida d’épouser. Son premier retour en est devenu l’occasion.

[33] Goffman Erving, 1974, Les rites d’interaction, Paris, Les éditions de minuit.

[34] Naïr Sami, Rapport de bilan et d’orientation sur la politique de codéveloppement liée aux flux migratoires, remis à Lionel Jospin en décembre 1997. Il fut par ce rapport l’instigateur de cette notion de codéveloppement et par là-même son lien avec la politique de gestion des flux migratoires.

[35] Le cadre discursif dominant depuis une dizaine d’année associe le codéveloppement à la lutte contre l’émigration. Sur ce sujet on peut citer Gustave Massiah, « Le codéveloppement, otage de la ‘maîtrise des flux’ », Claire Rodier et Emmanuel Terray (dir.), 2008, Immigration : fantasmes et réalités. Pour une alternative à la fermeture des frontières, Paris, La Découverte, p. 90.

Une multitude d’acteurs ont été contraints de s’ajuster à ce discours, devenant eux-mêmes des « visages locaux du courtage international de cette cause » pour reprendre les propos d’Emmanuelle Bouilly dans « Les enjeux féminins de la migration masculine », Politique africaine 1/2008 (109), p. 29. Anaïk Pian rend compte de ce processus « d’ajustement » dans : « Le cadre discursif du développement. Des discours et actions politiques concrètes, aux répertoires d’action des associations de refoulés », Working paper, Colloque Mitrans, 8 mars 2010. J’ai pu moins même évaluer ce discours européen et les logiques sociales propres à ces jeunes dakarois à travers différentes actions menées par une association de jeunes rapatriés des Îles Canaries et celle d’une Organisation non gouvernementale implantée à Dakar dont les actions, contraintes de s’ajuster au cadre dominant des politiques européennes se confrontaient au décalage criant avec les logiques sociales des populations ciblées par les programmes de codéveloppement.

[36] Monsutti Alessandro, 2005, « La migration comme rite de passage : la construction de la masculinité parmi les jeunes afghans en Iran », in C. Verschuur et F. Reysoo (dir.), Genre, nouvelle division internationale du travail et migrations, Genève, IUED/efi.

[37] L’Occident n’est-il pas le modèle à suivre pour qu’enfin l’Afrique se développe ? Cette opposition binaire est toujours présente dans l’imaginaire collectif et continue d’être entretenue, au Nord comme au Sud.

[38] Brossier Marie, 2010, « Pratiques du mariage au Sénégal : évolutions des formes d’unions matrimoniales », Quand la mobilisation produit de l’institution. Pratiques de la famille et organisation religieuses au Sénégal, thèse de doctorat en sciences politiques, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, pp. 199-225.

[39] Cette monétarisation des rapports sociaux, elle est soulignée par Banegas Richard et Warnier Jean-Pierre, 2001, « Nouvelles figures de la réussite et du pouvoir », Politique africaine, n°82, pp. 5-21 et Moya Ismaël, 2004, « le brouet cérémoniel : jeu financier ou institution sociale ? Thiaroye sur mer (Dakar Sénégal) », Exclusion et liens financiers, Paris, Economica.

[40] Yade Awa, 2007, « Stratégies matrimoniales au Sénégal sous la colonisation : l’apport des archives juridiques », Cahiers d’Etudes africaines, XLVII (3-4) 187-188, pp. 623-642.

[41] Antoine Philippe, 2006, « Analyse biographique de la transformation des modèles matrimoniaux dans quatre capitales africaines : Antananarivo, Dakar, Lomé et Yaoundé », Cahiers québécois de démographie, vol – 35 n°2, p.7. À Dakar l’entrée au mariage est passée de 29 ans pour la génération ancienne (née entre 1942-1956) à 33 ans pour la plus jeune génération (née entre 67-76) au moment de l’enquête en 2001.

[42] Ibid., p.7.

[43] Le sabar est un événement festif organisé par les femmes, où est associé musique instrumentale (tambours) et danse. Lorsque l’événement a lieu en journée il s’appelle sabar ; le soir tànnëbeer. Voir à ce sujet : Penna-Diaw Luciana, 2005, « la danse sabar, une expression de l’identité féminine chez les wolof du Sénégal », Cahiers d’ethnomusicologie, n°18, Entre femme, pp. 201-205.

[44] Op., Cit. Sayad Abdelmalek.