« La France se replie sur elle-même. Elle a peur pour son standing, sa tranquillité et même la couleur de sa peau. (…)L’ennemi (…) : c’est le jeune immigré, et plus précisément le jeune Maghrébin et le jeune noir. (…) à y regarder de plus près, il y a dans ce pays deux politiques de l’immigration : l’une d’intégration (…) pour les bons, c’est-à-dire pour ceux qui ont le type européen ; l’autre de ségrégation et de rejet, dans la plus pure tradition du racisme colonial, pour les mauvais, c’est-à-dire pour ceux qui viennent principalement du continent africain. Comme il y a deux politiques de la jeunesse : l’une élitiste et l’autre de précarisation et de contrôle social pour le plus grand nombre, en particulier tous ceux qui sont parqués dans les banlieues-dépotoirs. Les jeunes « immigrés » du sud de la Méditerranée sont, au bout du compte, pris deux fois dans le collimateur. » Ainsi s’exprimait Félix Guattari en 1981 dans un appel intitulé : « Non à la France de l’Apartheid (ou le nouveau manifeste des 121. » Le même dénonçait les conséquences désastreuses de ces orientations : savoir les expulsions qui s’élevaient à cinq mille en 1980.
Cette citation est doublement exemplaire en ce qu’elle témoigne de l’ancienneté des politiques anti-immigrés et anti-jeunes fondées sur la stigmatisation, la relégation géographique, sociale et professionnelle, et sur des discriminations multiples tout d’abord, et de la spectaculaire radicalisation de ces politiques ensuite. En trente ans, l’arsenal juridique et répressif, mobilisé contre cette catégorie particulière d’étrangers et contre les mal nommés « jeunes issus de l’immigration », a été constamment renforcée, et le nombre des expulsions multiplié par six pour atteindre près de 30 000 par an depuis que Nicolas Sarkozy est devenu président de la République. Cette involution remarquable mais sinistre a pour cause récente la politique conduite par les différents gouvernements Fillon depuis 2007 qui, en ces matières, s’appuie sur deux « principes » : « le charter » pour les uns, le « Karcher » pour les autres. Ces orientations distinctes, certes, mais liées entre elles, prospèrent sur une xénophobie élitaire toujours plus décomplexée, et sur une hantise des classes pauvres jugées dangereuses par les défenseurs d’une France des « terroirs », « blanche », « chrétienne » et réputée travailleuse. Ceux-là se croient modernes, réalistes et à l’écoute de « leurs concitoyens », selon la formule consacrée, ils sont de vrais réactionnaires en fait dont les discours empruntent à une rhétorique passéiste qui réhabilite un pays depuis longtemps disparu. Ils prétendent préparer la France de demain ; leurs propos trahissent le désir nostalgique de rétablir un ordre ancien et mythique.
Plus grave, force est de constater que sur ce terrain, notamment, le chef de l’Etat et la majorité qui le soutient ont volé de victoires en victoires puisqu’ils sont parvenus à imposer sans grande difficulté leur politique. Ces victoires se lisent dans le prurit législatif et réglementaire qui affecte depuis des années le droit des étrangers et le champ particulier de la sécurité publique ; tous deux soumis à des réformes incessantes et à chaque fois plus attentatoires aux prérogatives des personnes visées, quelles soient allochtones ou françaises. A preuve, aussi, les récentes déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, qui estime que la traque des immigrés en situation irrégulière ne suffit plus. Désormais, il compte s’attaquer à l’immigration légale, au regroupement familial et aux demandeurs d’asile, notamment. Pareille offensive conduite par le parti au pouvoir est sans précédent sous la Cinquième République.
Enfin, et ceci explique pour partie cela, ces victoires ont été possibles parce qu’elles s’appuient sur d’autres remportées elles sur le terrain idéologique comme le prouve le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme pour l’année 2010. 56% des personnes interrogées estiment en effet qu’il y a « trop d’immigrés en France » - plus 9 points par rapport à 2009 -, 67 % soutiennent que « les immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale » et 50% jugent que l’on ne « se sent plus chez soi (…) en France » - plus 9 points également. Très sombre tableau qui révèle ceci : la « bataille de l’opinion », comme disent les spécialistes, a été gagnée par celles et ceux qui, du Front national à l’UMP, tiennent depuis des années des discours xénophobes en faisant des immigrés et de certains nationaux d’origine étrangère la cause de maux multiples qu’il faut combattre au plus vite.
Dans cette conjoncture, où le parti majoritaire recycle sans fin les thèses de l’extrême droite en les lestant ainsi d’une légitimité nouvelle et sans précédent dont témoignent les chiffres précités, les protestations des dirigeants des gauches parlementaires et radicales sont nécessaires mais insuffisantes. De même les résistances locales aussi courageuses et obstinées soient-elles. Un tel constat vaut pour les associations comme pour les syndicats engagés aux côtés des « sans-papiers. » Neuf mois après l’accord passé, le 18 juin 2010, entre la CGT et le gouvernement, par exemple, seuls 200 travailleurs ont été régularisés sur les 3900 dossiers déposés en préfecture, et les déclarations réitérées de Claude Guéant laissent présager le pire en ce domaine comme en beaucoup d’autres. Quant aux rassemblements, justement organisés par des cartels d’organisation pour protester contre le projet de loi Besson, ils réunissent fort peu de manifestants. Depuis trop longtemps, Nicolas Sarkozy et ses gouvernements successifs sont forts des faiblesses d’une opposition partisane, syndicale et associative qui, en dépit de déclarations unitaires, s’en tient à des modalités d’action sectorielles et limitées où la pusillanimité de certains le dispute aux dérisoires querelles de clochers de quelques autres.
« Résistance » scandaient de nombreux participants aux manifestations contre la réforme des retraites. Relativement à la politique d’immigration de ce gouvernement, il ne suffit pas de le répéter, il faut désormais l’organiser, ici, maintenant et pour les mois à venir car désormais aucun doute n’est permis : l’offensive xénophobe et sécuritaire, dont l’actuel ministre de l’Intérieur est le héraut sinistre et dangereux, va se poursuivre sans relâche et elle sera au cœur de la campagne des présidentielles. Nul besoin d’être grand clerc, en effet ; la majorité a choisi : pour tenter de faire réélire son très impopulaire champion, elle est prête à tout. Dans ce contexte, construire un vaste mouvement national et unitaire contre le racisme, la politique d’immigration du gouvernement et pour la régularisation des sans-papiers est une nécessité impérieuse. Tel est le sens de l’Appel, signé par des dizaines d’organisations politiques, de très nombreux syndicats, associations et élus locaux, députés et parlementaires européens -http://dailleursnoussommesdici.org/ - , à manifester partout en France le 28 mai 2011. Avec Nicolas Sarkozy et l’UMP, tout est possible, surtout le pire. Assez !
O. Le Cour Grandmaison - Pour Terra 22.04.2011