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Recueil Alexandries

< 13/79 >

juin 2010

Olivier Le Cour Grandmaison

De l’indigénat.

Anatomie d’un « monstre » juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français

Pages : 204 - Format : 205 x 140 mm - Prix : 16 €

La Découverte / Zones

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Introduction et conclusion

à propos

Introduction et conclusion publiés en ligne avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur. Copyright © 2010 La Découverte / Zones

présentation de l'éditeur

Internement administratif, responsabilité collective appliquée à des populations entières, séquestre des propriétés « indigènes » et transfert de celles-ci aux colons, code de l’indigénat enfin, adopté en 1875 puis régulièrement reconduit par les députés de la IIIe République : telles sont les principales dispositions répressives en vigueur dans l’Algérie coloniale, jusqu’en 1945.

Citant largement les textes - dont le fameux « code de l’Indigénat » est publié dans son intégralité - et les commentaires dont ils firent l’objet, Olivier Le Cour Grandmaison les analyse de façon précise, et met ainsi en évidence l’existence d’un racisme d’État longtemps théorisé et pratiqué par la République. Qualifiées de « monstres » juridiques par plusieurs spécialistes de l’époque, ces différentes mesures furent exportées dans les autres territoires de l’Empire au cours de l’expansion coloniale de la France entre 1871 et 1913.

L’exception politique et juridique est ainsi devenue la règle pour les « indigènes ». A cela s’ajoutent le travail forcé et l’esclavage domestique, lequel a continué de prospérer au vu et au su des autorités françaises. Hier essentielle à la pérennité de la République impériale, cette législation coloniale est aujourd’hui trop souvent ignorée. Exhumer ses principes, étudier ses mécanismes et leurs conséquences pour les autochtones privés des droits et libertés démocratiques élémentaires, tels sont les objets de ce livre. Sommes-nous complètement affranchis de ce passé ? Hélas non. L’internement des étrangers sans-papiers et le « délit de solidarité » le prouvent. L’un et l’autre ont des origines coloniales.

Olivier Le Cour Grandmaison enseigne à l’université d’Evry-Val-d’Essonne les sciences politiques et la philosophie politique. Il est notamment l’auteur de Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial, Fayard, 2005, La République impériale. Politique et racisme d’Etat, Fayard, 2009, Douce France. Rafles. Rétentions. Expulsions, dir. Seuil/Resf, 2009.

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TABLE DES MATIÈRES

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Introduction

1. Une « monstruosité juridique »

2. Des lois métropolitaines dans les colonies : l’exception e(s)t la règle

3. « Régime des décrets » et nature de l’Etat colonial

4. Le droit colonial : un continent trop souvent ignoré

I. Droits de l’homme, régime du « bon tyran » et colonies

1. Les « droits des Français » contre les « droits de l’homme »

2. Défense de l’universalisme

3. Du régime du « bon tyran » à l’Etat impérial-républicain

II. Les « indigènes » : des « sujets français », pas des citoyens

1. Les « indigènes » algériens

2. L’infériorité des « sujets français »

III. Justice coloniale : justice d’exception

1. Principes et généralités

2. Des peines « toutes spéciales »

3. L’organisation judiciaire de l’Afrique-Occidentale française

IV. Code(s) de l’indigénat : « code(s) matraque(s) »

1. Le Code de l’indigénat algérien

2. Sur quelques infractions du Code de l’indigénat de l’A-OF

V. Internement administratif, amende collective et séquestre

1. L’internement administratif

  • a) Défense de l’internement
  • b) Critique de l’internement
  • c) Extension et banalisation de l’internement

2. Amende et responsabilité collectives

  • a) L’amende collective : « une mesure de guerre »
  • b) La responsabilité collective : mutations et usages contemporains

3. Le séquestre

VI. Les libertés publiques dans les colonies

1. Presse, films et prises de vues

  • a) « La presse aux colonies » : « l’auxiliaire du gouvernement »
  • b) Films et prises de vues
  • c) Critiques des contemporains

2. Réunions et associations

  • a) Droit de réunion
  • b) Droit d’association

VII. Travail forcé et esclavage de case dans les colonies françaises sous la Troisième République

1. Du travail forcé

2. Esclavage de case : pas d’abolition immédiate

Pour conclure : « œuvre » coloniale et mythologie nationale

1. La scolarisation

2. Médecine coloniale et situation alimentaire des populations « indigènes »

Annexe. Arrêté général sur les infractions de l’indigénat
Index des noms de personnes
Index des noms de lieux
Index thématique

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CHAPITRE CHOISI

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Introduction

(p.7-35)

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«  Cette teneur [utopique], ce sont les droits de l’homme, et, si elle a un goût de revenez-y, c’est qu’il n’y a rien eu jusqu’ici dans l’histoire qui fût aussi limité et entravé, par sa base, et aussi humainement anticipateur par ses postulats. Liberté, Egalité, Fraternité – l’orthopédie, telle qu’on l’a tentée, de la marche debout, de la fierté humaine – renvoie bien au-delà de l’horizon bourgeois. » E. Bloch. (1961).

Une « monstruosité juridique »

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« Pour apprécier sainement » le « régime disciplinaire » imposé aux autochtones d’Algérie, « il ne faut pas se placer au point de vue d’un Français du XIXe siècle, habitué à toutes les garanties constitutionnelles issues des principes de 1789 : il paraîtrait monstrueux. » Publiées en 1895, ces lignes, qui s’achèvent sur cette caractérisation a priori singulière qu’il serait tentant de tenir pour excessive et insignifiante, n’ont pas été écrites par un farouche adversaire de la colonisation dont le jugement serait altéré, voire discrédité, par ses engagements politiques. Il ne s’agit pas plus d’une appréciation rétrospective portée longtemps après les faits par un homme ou une femme qu’indigneraient la découverte de certaines dispositions du droit colonial en vigueur dans ce territoire, et le statut des « Arabes ». Nulle sensibilité ou passion anachronique, aveugle à la différence des temps, des mœurs et des pratiques, n’est à l’origine de cette citation. Nulle critique, non plus d’ailleurs puisque la suite est un plaidoyer en faveur de mesures extraordinaires mais nécessaires pour assurer la pérennité de la domination française. « Les indigènes auxquels [les] notions [de 1789] sont absolument étrangères » trouvent ce régime « naturel puisque nous sommes les plus forts. Il fournit un moyen de répression souple, commode, rapide, qui évite de recourir à d’autres procédés plus rigoureux, précise l’auteur. C’est, en d’autres termes, l’arbitraire administratif ; mais ses inconvénients sont moins sensibles qu’en Europe et ses avantages sont beaucoup plus grands. [1] »

Quand bien même il déroge aux lois fondamentales de la République, le « régime disciplinaire » précité – sont visés le Code de l’indigénat, l’internement, le séquestre et la responsabilité collective – doit être apprécié à l’aune exclusive de son efficacité. En ces matières, la fin poursuivie – la défense de la « présence française » comme on l’écrit alors - justifie tous les moyens fut-ce au prix de l’instauration d’un ordre juridique « monstrueux » qui se signale par des pouvoirs exorbitants et « arbitraires » conférés au gouverneur général chargé de prononcer les peines propres aux « indigènes. » Et pour bien juger de cette situation, il faut s’affranchir des principes hérités de la Révolution dont on découvre qu’ils font l’objet d’une application fort restrictive puisqu’ils ne valent ni pour tous les lieux, ni pour tous les hommes. Ruine de l’universalisme, triomphe remarquable et durable du relativisme juridique, politique et moral qui fonde et légitime des institutions coloniales inégalitaires, discriminatoires et illibérales comme le reconnait l’auteur. Plus encore, il fut aussi l’un des théoriciens majeurs du « régime du bon tyran » qui, selon lui, est « le gouvernement idéal » dans les territoires dominés par la métropole. L’une des conséquences pratiques de cette proposition générale est formulée en des termes forts clairs : « le pouvoir suprême » en outre-mer doit être confié à un « personnage » - le gouverneur – capable de « briser toutes les résistances qui viendraient à se produire. »

En 1892, lui aussi favorable au renforcement des pouvoirs publics en Algérie, Jules Ferry vantait déjà les mérites de « la vice-royauté, à la fois civile et militaire », établie à partir du mois de décembre 1840 par le « maréchal Bugeaud » qui en fut « la personnification la plus originale, la plus populaire et la plus féconde [2]. » Ou comment l’une des figures les plus importantes de la Troisième République loue, dans les colonies, ce qu’il abhorre en métropole en se faisant l’avocat d’une sorte de monarchie absolue. Exercée par un homme jouissant de prérogatives immenses, cette monarchie sui generis est jugée nécessaire pour s’imposer face à « une race » autochtone qui continue de se livrer à la piraterie, aux pillages et aux vols, selon lui. Quant à Bugeaud lui-même, il est promptement intégré au Panthéon impérial républicain en étant élevé au rang de héros de la colonisation dont l’action doit continuer d’inspirer ceux qui, soucieux comme Ferry de la grandeur de la France dans le monde, sont engagés dans la construction puis la défense de l’empire [3].

Exposées et défendues dans des milieux divers, les conceptions précitées seront longtemps soutenues par des hommes politiques, des juristes et des spécialistes des sciences coloniales. Convaincus que les « indigènes », en raison de leurs particularités raciales, culturelles et cultuelles, doivent être soumis à un ordre autoritaire constitutif d’un état d’exception permanent, la majorité d’entre eux défendent une législation coloniale qu’ils savent être « en désaccord avec [les] principes républicains [4] » note, après beaucoup d’autres, l’ancien délégué des colonies Daniel Penant en 1905. Simple constat qu’aucune critique n’altère : les dispositions particulières des possessions ultra-marines étant considérées comme adéquates aux mœurs arriérées des populations qui y vivent.

Qui a donc rédigé les passages précités et élaboré cette doctrine inédite, laquelle ruine l’assimilation jugée à tort caractéristique de la colonisation française alors qu’elle fut officiellement abandonnée au cours de l’été 1900 au profit d’une nouvelle politique dite « d’association [5] » ? Arthur Girault, célèbre professeur à la faculté de Poitiers. Tenu pour l’un des meilleurs spécialistes du droit colonial par ses contemporains français et étrangers, il fut aussi membre de l’Institut colonial international, du Conseil supérieur des Colonies puis de l’Académie des sciences coloniales fondées en 1922. Son maître livre, Principes de colonisation et de législation coloniale devenu « le manuel obligé des étudiants » et des « gens d’étude », fut réédité sept fois entre 1895 et 1938 [6]. Belle carrière et remarquable influence puisque ses travaux ont inspiré jusqu’aux juristes de l’Italie fasciste de Mussolini lorsqu’ils ont élaboré le statut des « indigènes » présents dans les territoires dominés ou conquis par le Duce. Trop souvent méconnu, ce rayonnement du droit colonial français et de certaines de ses grandes figures mérite d’être souligné [7].

Plus généralement, une ligne de conduite se dégage ; pour beaucoup elle est conçue comme une vérité établie par l’histoire, l’ethnologie, l’anthropologie et la psychologie des peuples : les races inférieures et les races supérieures doivent être soumises à des régimes politiques et juridiques que tout oppose. Aux peuples avancés d’Europe et d’Amérique du Nord, conviennent les bienfaits de la démocratie, de l’Etat de droit et des longues procédures destinées à garantir les prérogatives civiles et civiques de leurs membres. Aux peuples « arriérés » ou « mal » civilisés d’Afrique, d’Asie et d’Océanie, il faut imposer d’autres institutions et une justice qui, débarrassée des subtilités découlant de « la séparation des autorités administratives et judiciaires », pourra sanctionner promptement les « indigènes » en leur rappelant que les « Européens sont (…) les maîtres » soutient Girault en 1900 à la tribune du Congrès international de sociologie coloniale. Hostile à l’assimilation des colonisés, il précise qu’il faut « châtier immédiatement et infailliblement ceux qui tuent et qui volent. C’est là une nécessité politique devant laquelle les scrupules juridiques et les considérations sentimentales doivent s’effacer. [8] »

Ils s’effaceront, en effet, dans un contexte marqué, depuis 1871, par l’extraordinaire expansion géographique et démographique de l’empire qui, au début du XXe siècle, fait de la France la seconde puissance impériale du monde, devant les Pays-Bas, juste derrière la Grande-Bretagne. Pour la plus grande fierté des républicains, notamment, qui ont joué un rôle majeur dans la conduite de « cette aventure coloniale » sans précédent, les territoires d’outre-mer sont ainsi passés de moins d’un million de kilomètres carrés au lendemain de la Commune de Paris à treize millions en 1913 cependant que les populations « indigènes » progressaient de sept à plus de quarante-huit millions. Admirable bilan, s’il en est, qui a posé de nombreux problèmes matériels, humains, militaires et politiques inédits qu’il a fallu résoudre au plus vite pour assurer la stabilité de la domination française en Afrique, en Asie et en Océanie. De là, aussi, le développement spectaculaire du droit colonial engendré par un prurit législatif et réglementaire incessant dont les causes sont la raison d’Etat, le régime des décrets et les particularités de l’ordre public imposé dans les possessions ultra-marines.

« Monstruosité juridique » écrivent, en 1923, Emile Larcher et Georges Rectenwald du Code de l’indigénat en vigueur dans les départements français d’Algérie. Qu’est-ce qui motive cette appréciation sans doute inspirée par l’ouvrage de Girault ? La nature des sanctions prévues par ce texte d’abord, les modalités de leur application ensuite, puisqu’elles ne sont pas prononcées par « un tribunal » mais « par un agent administratif, le gouverneur général », pour « réprimer des faits qui ne sont point nettement définis », et leur extension à des tiers innocents enfin car « elles frappent non seulement les individus », mais aussi des groupes entiers – tribus ou douars - dans le cadre de la responsabilité collective jugée contraire au principe de « l’individualité des peines. » « Bref », concluent ces deux juristes renommés, de telles dispositions sont « absolument en marge de notre droit pénal [9]. » En marge, certes mais indispensables néanmoins dans les possessions d’outre-mer où il faut « avant tout (…) affermir notre domination par un système autoritaire » et une « politique d’assujettissement » qui est « la seule possible quand il s’agit de colonies d’exploitation vastes » et « peuplées de millions d’indigènes réfractaires à notre civilisation [10] » précisent les mêmes. Preuve, s’il en était encore besoin, de l’influence durable des thèses défendues par Ferry et Girault ; il se confirme qu’elles sont bien au fondement des nouvelles orientations de la République impériale. Si le monstrueux peut être défini comme une violation manifeste, par excès ou par défaut, des lois communes, qu’elles soient des lois de la nature ou des lois humaines, force est de conclure que l’adjectif employé par ces juristes, pour qualifier la législation coloniale puis le Code de l’indigénat qu’ils ne condamnent pas, est parfaitement adéquat. Adéquat aussi, précisons-le d’emblée pour tenter de désamorcer par avance des lectures hâtives, les faux procès et les mauvaises polémiques qu’elles favorisent, le sous-titre du présent ouvrage qui reprend une dénomination commune utilisée par les meilleurs spécialistes du droit en vigueur dans les possessions d’outre-mer.

Des lois métropolitaines dans les colonies : l’exception e(s)t la règle

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Les conséquences de cette partition, entre une métropole républicaine et les territoires de l’empire soumis à un régime d’exception permanent, sont immenses sur le plan politique et juridique puisque les lois votées à la Chambre des députés n’y sont pas directement applicables. A l’origine de cette situation : une coutume héritée « de l’ancien régime [11] » estiment, en 1940, les professeurs de droit Louis Rolland et Pierre Lampué. Perpétuée après 1789, cette coutume permet, entre autres, de comprendre la rédaction singulière de l’article 109 de la Loi fondamentale de la Seconde République qui, tout en faisant du « territoire de l’Algérie et des colonies » un territoire « français », précise aussitôt qu’ils seront régis par « des lois particulières jusqu’à ce qu’une loi spéciale les place sous le régime de la présente Constitution. » On sait ce qu’il advint ; le régime transitoire prévu par cette disposition devint définitif et cette dernière fut interprétée comme étant rien moins que « l’expression d’un principe » auquel des générations de juristes et de responsables politiques se sont soumis pendant près d’un siècle [12]. Si important en raison de la nature constitutionnelle et républicaine de la norme qui le soutient, et de ses conséquences pour les populations « indigènes », ce « principe », dit « de spécialité » est défini de façon précise par l’avocat honoraire au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation, Pierre Dareste. « Les lois métropolitaines ne [s’étendent] pas de plein droit aux colonies qui [sont] régies par une législation propre » écrit-il dans son Traité de droit colonial publié en 1931. Et pour souligner plus encore la permanence trop souvent ignorée de cette tradition perpétuée par l’écrasante majorité des régimes politiques établis en métropole, il ajoute : « sauf la courte période  » de la «  constitution de l’an III, les lois » votées en France « n’ont jamais été applicables de plein droit [13] » dans les possessions ultra-marines.

C’est clair, précis et concis : deux ordres politico-juridiques radicalement différents ont presque toujours été établis et ils peuvent continuer de s’épanouir en toute légalité sous les auspices de la Loi fondamentale du 4 novembre 1848. De même aux temps réputés glorieux de la Troisième République puisque ses dirigeants ont persévéré dans cette voie. Pour cerner au plus près la procédure qui vient d’être exposée, ajoutons que la règle est : pas d’application des lois et des règlements de la métropole aux colonies sauf cas exceptionnels décidés par le pouvoir réglementaire ou législatif compétent [14]. L’inapplicabilité de la législation métropolitaine aux territoires de l’empire permet d’atteindre aux fondements du droit colonial et de découvrir ceci d’essentiel : ce dernier n’est pas dérogatoire aux principes républicains et aux dispositions nationales de façon marginale et superficielle, ou en vertu d’une conjoncture exceptionnelle aux effets limités dans l’espace et le temps, et pour les individus concernés. Dérogatoire et discriminatoire, le droit colonial l’est au contraire par essence puisqu’il est systématiquement soustrait au principe de la Déclaration du 26 août 1789 relatif à la généralité de la loi sans laquelle il n’est plus d’égalité. En France, la loi, réputée être l’expression de la volonté générale, « doit être la même pour tous soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse [15] » selon la formule consacrée. Ainsi en ont décidé les Constituants soucieux d’inscrire, en plusieurs articles de ce texte fondateur, l’abolition des privilèges prononcée quelques semaines plus tôt, et de sanctionner une égalité naturelle dont les membres du corps social ne sauraient être privés. C’est pour quoi dans cette société nouvelle, qui ne connaît plus que des individus libres et égaux, le droit positif doit être soumis à ce principe majeur. Ajoutons que cette égalité devant la loi exige, pour être garantie sur l’ensemble du territoire national, une égale application de cette dernière.

Brièvement rappelées, pour mieux souligner ce qui est anéanti en Algérie, puis dans les autres colonies, ces conceptions et ces dispositions disparaissent donc au profit d’une situation où coexistent, dans une même contrée, non seulement deux législations différentes mais aussi deux régimes conçus pour des populations distinctes. La règle maintenant en vigueur peut être résumée par cette formule, essentielle pour saisir les spécificités du droit appliqué dans les territoires d’outre-mer : « la loi ne doit pas être la même pour tous. » De même, et ceci est une conséquence de cela, elle ne saurait être mise en œuvre de façon uniforme au sein de l’espace colonial. Il n’est donc pas surprenant qu’en lieu et place de l’égalité et de l’égale liberté proclamées en métropole, triomphent dans les colonies des inégalités et des discriminations raciales diverses, nombreuses et juridiquement sanctionnées.

En effet, les dispositions en vigueur dans l’empire sont soumises à deux restrictions, l’une est territoriale, l’autre est liée à la qualité des personnes ; la conjonction de leurs effets étant à l’origine de la situation singulière des possessions ultra-marines et des populations qui s’y trouvent. Considérées comme françaises, dès qu’il s’agit d’affirmer la puissance souveraine du pays qui les a conquises, les colonies sont néanmoins privées du bénéfice de l’extension horizontale des lois. Cette territorialité particulière n’est cependant pas absolue puisque les colons, où qu’ils résident en outre-mer, jouissent des droits et libertés garantis dans la mère patrie. Tel n’est pas le cas des « indigènes » dont les juristes soulignent – c’est pour eux une évidence, presque une trivialité - qu’ils ne sont que « des sujets, protégés ou administrés français, et non des citoyens français [16] » constate le professeur de droit Henry Solus en 1927. Ainsi comprise, la personnalité des lois permet de contourner, au bénéfice exclusif des individus venus de métropole, les effets restrictifs de la territorialité et d’établir deux statuts opposés : celui des « indigènes », qui ne sont que des assujettis, et celui des Français qui disposent seuls de la plénitude des droits civils et politiques. Les différences qui séparent ces deux conditions ne sont pas marginales ; au contraire, il s’agit de différences de nature qui organisent deux mondes régis par des dispositions destinées à asservir les autochtones, à garantir les prérogatives des colons et, en dernière analyse, à assurer la domination sans faille des seconds sur les premiers comme l’exige la sécurité publique indispensable à la stabilité et à la prospérité de l’empire. Quant au « concept générique » et moderne « de personne [17] », il est ruiné par cette législation coloniale qui institue un ordre au sein duquel existent, non pas une personnalité juridique, conformément aux principes déclarés en 1789 pour abolir les privilèges, mais plusieurs dotées d’attributs fort différents.

Plus généralement, la tradition étudiée, l’interprétation qui fut faite de l’article 109 de la Constitution de la Seconde République et l’examen de ses conséquences principales sur la condition des colons et des « indigènes », permettent de comprendre comment l’exception est devenue la règle dans les possessions françaises en raison de sa permanence proclamée d’une part, et de son inscription dans un ordre juridique particulier d’autre part. Ordre juridique qui autorise cette exception devenue ainsi légale, et pour beaucoup légitime, en même temps qu’il est engendré par elle puisqu’elle favorise le surgissement d’un droit colonial dont les contemporains savent le caractère exorbitant. Ces quelques éléments nous renseignent sur une caractéristique majeure de ce droit dont on découvre qu’il est « nettement particulariste [18] » constate, en 1912, Jules Vernier de Byans dans un rapport officiel rédigé pour le ministre des colonies. L’auteur ne conçoit pas cette caractéristique comme un vice rédhibitoire mais comme une qualité indispensable pour gouverner efficacement des populations autochtones très variées. Précision essentielle qui confirme que l’horizon de cette législation n’est pas l’universel, l’homme ou l’individu abstraits auxquels il faudrait accorder des prérogatives garanties en tout temps et en tout lieu. A rebours de ces principes, de la permanence de la Loi et de la relative stabilité des lois, la législation coloniale ne connaît que des « indigènes » concrets, des situations personnelles particulières et des conjonctures singulières auxquelles elle est étroitement soumise ce pour quoi elle est aussi d’une remarquables « souplesse » et d’une constante variabilité. Beaucoup de contemporains louent en effet ses capacités d’adaptation et la rapidité avec laquelle les autorités métropolitaines ou gubernatoriales peuvent la modifier pour faire face à des nécessités imprévues auxquelles il faut pouvoir répondre sans délai.

Du droit colonial, on peut écrire, in fine, qu’il est un droit sans Principe à condition d’ajouter aussitôt qu’il obéit néanmoins à un principe souterrain et constant dont les effets sont partout visibles : être au service d’une politique où le « premier devoir » du conquérant est « de maintenir sa domination et d’en assurer la durée : tout ce qui peut avoir pour effet de la consolider et de la garantir est bon, tout ce qui peut l’affaiblir et la compromettre est mauvais. Tel est l’aphorisme fondamental qui doit guider toute la conduite du dominateur et en régler les limites [19] » affirme l’ancien diplomate Jules Harmand dans un ouvrage majeur publié en 1910. Telles sont aussi les fonctions des institutions et de la législation coloniales ; nul ne l’ignore alors. Parce ce qu’il est un droit sans Principe, le droit colonial est aussi un droit « instrumentalisé » et « dégradé [20] » car il est ravalé au rang de pur moyen mis au service d’une fin précise : assurer la domination de la République impériale sur les populations d’outre-mer. A cause de cela aussi, il est un droit anti-démocratique dont la fonction n’est pas de libérer et de rendre égaux ceux qu’il vise, conformément aux principes du jus naturalis subjectif et moderne, mais d’assujettir et de discriminer les autochtones en les plaçant au plus bas de la hiérarchie politique, sociale et juridique érigée dans l’empire.

Professeur de législation coloniale à la faculté de Paris, René Maunier constate qu’en 1938 il « n’y a pas, aux colonies, égalité des citoyens et des sujets » mais « distinction » et « subordination puisque les sujets (…) sont bien des Français, mais des Français qui ne sont pas citoyens. » Farouche partisan de cette situation, qu’il a toujours défendue parce qu’il la juge conforme aux caractéristiques des peuples « primitifs » ou « attardés » des possessions ultra-marines, et nécessaire pour garantir la suprématie des colons et l’autorité de la métropole, il ajoute : les « indigènes » « ont moins de droits », « ils sont inférieurs et non pas égaux. Voilà pourquoi le mot “sujet” (…) définit bien » leur « condition. [21] » On ne saurait mieux dire. De même en Algérie où, en dépit du décret du 24 octobre 1870 proclamant l’unité du territoire, son assimilation à la métropole et la création de départements, les « musulmans » demeurent des « sujets français. » Cette « règle fondamentale » est « caractéristique de leur condition juridique » écrivent Larcher et Rectenwald qui font observer qu’aucune « disposition de la loi positive ne permettait de créer ainsi parmi les Français » de telle « distinctions. [22] » Précisons que seule la légalité douteuse de ces dernières, qu’ils ne parviennent pas à rattacher à des mesures antérieures, inquiètent ces deux auteurs ; leur légitimité, par contre, ne fait pour eux aucun doute puisque le maintien de la France en Afrique du Nord est à ce prix.

Ainsi, dans toutes les colonies, et au-delà de particularités liées au statut spécifique mais minoritaire de certains « indigènes », s’élèvent une « double législation », un « double gouvernement », une double administration » et une double justice où « chacun » à « ses juges », où « chacun » à « ses lois. [23] » Comme l’expose sans ambages le professeur Maunier dans le cours de droit qu’il a élaboré en 1938 pour les étudiants de la faculté de Paris, tel est donc le principe de ségrégation qui préside à l’organisation des institutions coloniales, qu’elles soient politiques, administratives ou judiciaires. Toutes reposent sur des discriminations raciales juridiquement sanctionnées et publiquement revendiquées qui structurent deux ordres distincts : celui des Européens et celui des autochtones ; le premier dominant bien sûr le second. Sorte d’apartheid colonial à la française ? Assurément et tous ceux qui s’intéressent à l’empire savent son existence, son fonctionnement et ses conséquences pour les populations « indigènes ».

Monstrueuse, la législation coloniale l’est enfin parce qu’elle est « un véritable chaos de décrets éphémères, se répétant ou s’abrogeant les uns les autres, se succédant parfois avec une telle rapidité qu’on a peine à les suivre » observe Girault.

« Régime des décrets » et nature de l’Etat colonial

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La cause structurelle de cette situation ancienne, contre laquelle se sont élevées les critiques parfois vives de certains députés qui constataient, impuissants et amers, que « les règlements » applicables en outre-mer étaient pris à leur « insu » et qu’ils les découvraient a posteriori en lisant le Journal officiel [24] » ? « Le régime des décrets » qui autorise, précise Girault, le « pouvoir exécutif [25] » de la métropole, et celui des colonies détenu par le gouverneur général, à légiférer grâce à ce type de textes. Au fondement de ces prérogatives, sanctionnées par la jurisprudence, reconduites par les dirigeants de la Troisième République et qui ont perduré jusqu’en 1945, se trouvent deux dispositions essentielles héritées de la Monarchie de Juillet et du Second empire. Arrêtée au lendemain de la prise d’Alger, le 22 juillet 1834, l’une établit que les « possessions françaises dans le nord de l’Afrique seront régies par (…) ordonnances [26] » jusqu’à ce qu’il en soit autrement décidé. Tout d’abord motivée par l’urgence d’une conjoncture politique et militaire instable liée aux difficultés rencontrées par la France pour pacifier les nouveaux territoires conquis, cette mesure a été détachée de ce contexte particulier. La guerre et les résistances des « Arabes » avaient justifié le recours aux ordonnances, la pratique les a pérennisées, et c’est ainsi qu’elles sont devenues des moyens communs, efficaces et rapides pour gouverner les populations « indigènes. » Vingt ans plus tard, une autre disposition reconduit cette situation et l’exception devient ainsi la règle qui s’étend désormais dans l’espace et le temps. En vertu de l’article 18 du sénatus-consulte du 3 mai 1854, Napoléon III peut régir les nouvelles colonies par décrets ; seules la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion ne sont pas concernées. Conséquences majeures de cette tradition, bien connue des contemporains : le règne des « décrets simples [27] » grâce auxquels le président de la Troisième République gouverne les territoires de l’empire en des matières qui ressortissent, en France métropolitaine, au domaine de la loi, et l’existence « d’un régime intérieur » des colonies caractérisé par « la suppression du droit commun » et « l’établissement d’un droit d’exception (…) distribué méthodiquement par articles dans les décrets d’indigénat [28] » affirme Paul Viollet en 1905.

Une telle situation témoigne de l’abaissement remarquable du parlement, et de l’élévation corrélative de l’exécutif qui tend à se soustraire au contrôle des députés. Relativement à la conduite précise des affaires coloniales, on découvre que le premier est comme privé de ses prérogatives législatives au profit du second incarné par le chef de l’Etat, de facto et de jure tout puissant, et des représentants de la France dans les possessions ultra-marines puisqu’eux aussi disposent de pouvoirs très étendus. Jouissants de plus de droits que les ministres qui, en principe, sont privés de pouvoir réglementaire, les gouverneurs ont la possibilité de légiférer par décrets d’autant plus librement que les « domaines respectifs du règlement présidentiel et du règlement gubernatorial ne sont déterminés par aucun texte. C’est donc la pratique administrative qui règle cette question » pourtant essentielle constatent encore Rolland et Lampué en 1940. Ainsi, au gré des circonstances, des rapports de force et sur « une matière déterminée [29] », le chef de l’Etat peut accroître les attributions déjà immenses des gouverneurs en leur transférant une partie de ses compétences. Pour rendre compte de la position extraordinaire de ces hommes, Girault les compare à des « vice-rois » qui, dans leur colonie respective, règnent sans « contre poids » et pourraient devenir ainsi « singulièrement dangereux dans l’avenir [30]. » Cet avertissement dit bien l’inquiétude de certains face aux autorités d’outre-mer où l’adage selon lequel « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser [31] » se vérifie une fois encore.

Vaine mise en garde observe le professeur de droit Alexandre Mérighnac en 1925. En dépit de critiques nombreuses formulées depuis longtemps par des personnalités influentes, rien n’a changé. Avant de poursuivre, ajoutons que ce juriste de renom est un partisan résolu de la colonisation qu’il conçoit, à l’instar de la majorité de ses pairs et conformément à la doxa de saison, comme un vecteur essentiel de la civilisation du monde par « les peuples les plus avancés. » « Le régime des décrets », et les prérogatives exorbitantes des autorités précitées, prospèrent sur « l’empiètement illégal » de l’exécutif sur le législatif soutient donc Mérighnac cependant qu’à cause de cela « l’examen attentif » des affaires de l’empire échappe aux « représentants de la nation. » Ruine de la loi dans les colonies et atteintes graves portées aux mécanismes démocratiques en métropole où les questions relatives à la « Plus Grande France » sont tranchées avec « peu d’informations et de discussions » ; telle est encore la situation. Conscient que la réforme de ce système se heurte à des intérêts majeurs, consolidés par l’écoulement même du temps et les habitudes prises par le chef de l’Etat et les gouverneurs qui en bénéficient, Mérighnac rappelle néanmoins que sa « suppression est réclamée par tout le monde. [32] » Pas plus que ces prédécesseurs, il ne sera écouté. Sur ce point précis mais capital, les dirigeants de la Troisième République sont restés sourds à toutes remarques : la défense de l’empire l’exigeait, selon eux.

Un an plus tard, en 1926, l’ancien gouverneur des colonies, Robert Doucet, dénonce lui aussi la puissance de l’administration établie dans les possessions françaises, et « l’anarchie législative » engendrée par l’existence, en outre-mer, d’un « monarque absolu », « anonyme » et « irresponsable. » Son nom ? La « bureaucratie [33] » coloniale qui, en raison de ses attributions, se substitue au législateur et viole constamment des principes fondateurs de l’Etat de droit car elle ruine l’équilibre ou la distribution des pouvoirs, et la hiérarchie des fonctions et des normes au profit d’agents administratifs – les gouverneurs – qui concentrent sur leur personne des prérogatives immenses et fluctuantes. Un monstre politique et juridique donc, sorti des flancs de la République impériale avec la bénédiction de ses dirigeants qui l’ont conçu parce qu’ils l’estiment expédient pour gouverner les populations « indigènes » en usant de décrets présidentiels et gubernatoriaux adaptés au « retard des sociétés coloniales » écrit, en 1929, le publiciste A. Bienvenu dans la prestigieuse Revue du droit public et de la science politique. Aussi, en lieu et place du « régime législatif métropolitain » et de la « procédure parlementaire nécessairement assez lente », et condamnée par cela même, préfère-t-il la célérité d’un « régime plus expéditif » où « le chef » de « l’exécutif » dispose « de la compétence législative pour les territoires coloniaux. [34] »

Ainsi se révèlent à la fois les ressorts justifiant le transfert au chef de l’Etat de prérogatives normalement dévolues à la Chambre des députés, et la nature des autorités publiques qui administrent la « Plus Grande France. » Concentration remarquable et permanente des pouvoirs, unité de décision et rapidité d’exécution liées, entre autres, au primat du décret sur la loi dont Arendt notait, avec justesse, qu’elle était méprisée par les « gouvernements bureaucratiques [35] » établis en outre-mer par les puissances impériales européennes. Là-bas, selon la belle formule de l’historien américain William. B. Cohen, règnent des « empereurs sans sceptre » mais non sans puissance puisque leurs fonctions sont à la fois militaires, politiques et judiciaires, et qu’ils s’affirment ainsi comme les « vrais chefs de l’empire [36] » aux dires mêmes de ceux qui ont exercé ces responsabilités alors prestigieuses.

Au-delà des mécanismes juridiques précis – ils ne sont techniques qu’en apparence - sur lesquels le « régime des décrets » fut établi puis renforcé, ceux qui étudient l’organisation et le fonctionnement de l’Etat colonial, sont parfaitement conscients des conséquences de cette situation. Plus encore, ce sont elles qui les conduisent à prendre acte des changements importants qui ont contribué à façonner ce dernier et à le qualifier de façon précise. « Bon tyran », « monarque absolu », « dictature » affirment les uns, « régime autoritaire » reposant sur « l’inégalité des races » écrivent en 1931 Joseph Barthélemy et Paul Duez qui, célèbres professeurs de droit constitutionnel, concluent par cette observation de portée générale relative aux institutions métropolitaines : « la France n’est ni un Etat unitaire, ni un Etat fédéral » mais, « à l’exemple de l’Angleterre, un Etat impérial. [37] » Fondée sur une comparaison originale avec le Royaume-Uni, une telle analyse aide à saisir les transformations majeures qui ont affecté la Troisième République après qu’elle ait bâti le second empire colonial du monde là où la plupart de nos contemporains oublient, ignorent ou occultent à dessein la nature du régime établi en outre-mer et les effets de cette situation sur les structures politiques de l’Hexagone. Ces qualifications distinctes ne sauraient cependant occulter le fait que beaucoup s’accordent pour considérer que les principes des droits de l’homme et le régime républicain sont inadaptés aux sociétés « indigènes. [38] » Personne n’en fait mystère et les termes employés par les uns et les autres, pour rendre compte de cette situation, sont empruntés au vocabulaire rigoureux des sciences politiques et juridiques de leur temps. Nul besoin d’euphémiser le langage et les réalités de la domination imposée par la France à cette époque glorieuse de l’empire triomphant ; tous ceux qui viennent d’être cités sont fiers de l’œuvre accomplie par la République en Afrique, en Indochine et en Asie même s’ils la critiquent parfois.

Toute puissance entretenue là-bas par un chaos juridique qui sévit également en métropole affirmait Girault à la fin du XIXeme siècle. En 1931, rien n’a changé révèle le procureur général de la Cour de cassation, P. Matter, dans la préface qu’il rédige pour un ouvrage collectif publié sous la direction de Pierre Dareste. Une sommité, donc, particulièrement qualifiée pour bien juger des dispositions appliquées dans les territoires de la « Plus Grande France. » Après avoir constaté que l’institution suprême dont il a la charge peine à « s’y reconnaître dans la multitude des textes coloniaux qui s’enchevêtrent, s’abrogent ou se modifient les uns les autres » et « parfois se contredisent », le premier ajoute, pour exhumer les causes de cette situation et les difficultés qu’elle engendre : « il n’est pas une branche du droit qui, transplantée aux colonies, ne subisse des transformations plus ou moins profondes. » Ainsi s’est développée une législation « spécial[e] » dont les particularités se font toujours plus nombreuses et plus saillantes » cependant que « le juriste » ne sait jamais a priori « si le texte dont il fait état » est toujours en vigueur dans la possession « en cause [39]. » Aveu remarquable qui dit bien les obstacles auxquels se heurtent les meilleurs professionnels du droit lorsqu’ils sont confrontés aux mesures prises pour l’outre-mer. Témoignage précieux aussi qui confirme l’extrême variabilité des dispositions coloniales dans l’espace, puisqu’elles diffèrent d’un territoire à l’autre, et dans le temps, soumises qu’elles sont à un prurit réglementaire engendré par les pouvoirs conférés au chef de l’Etat et aux gouverneurs.

Anarchie juridique toujours, sous la plume d’un haut fonctionnaire des colonies cette fois, Maurice Delafosse, grâce à qui se découvrent les effets de cette situation sur le terrain. Aux analyses élaborées d’en haut et depuis la métropole, d’autres succèdent en même temps qu’elles éclairent d’une lumière nouvelle le fonctionnement du « monstre » bureaucratique et juridique qui nous occupe. « Les arrêtés annulant les arrêtés antérieurs, les circulaires modifiant l’application des arrêtés et les innombrables décrets venus de Paris à l’improviste et chambardant à la fois arrêtés et circulaires, tous ces textes se contredisant les uns les autres » forment « une avalanche tellement impétueuse que je n’ai même pas fini de passer mon buvard sur une correction qu’il me faut (…) la remplacer par une modification nouvelle » écrit Delafosse en 1923 dans un ouvrage conçu comme une fiction réaliste où dialoguent un « vieux colonial » et un jeune homme qui s’apprête à servir en Afrique. Mêmes causes, mêmes effets engendrés par des services locaux et parisiens qui ne cessent de produire des dispositions diverses en soumettant leurs propres agents à une sorte de mouvement brownien qu’ils ne peuvent maîtriser. De là une conséquence majeure, inaperçue jusqu’à présent : face à cette « inéluctable fatalité », ce fonctionnaire entasse « mélancoliquement les numéros de plus en plus volumineux de l’Officiel » en laissant « aux termites et aux cancrelats le soin de procéder à un classement rationnel parmi cet indigeste fatras de documents inutiles et d’actes contradictoires. [40] »

Peu importe ici la part d’exagération liée à la nature particulière de ce livre. Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’il est plein des expériences acquises par son auteur au cours des années où il a occupé des fonctions importantes dans les territoires de l’empire. Si Broussard retient notre attention, ce n’est pas pour ses qualités littéraires mais parce que grâce à lui on pénètre au cœur de l’administration coloniale en découvrant les conséquences concrètes du « régime des décrets. » Là se dévoile une micro-physique des pouvoirs où la primauté accordée aux dispositions réglementaires et leur multiplication n’anéantissent pas seulement la Loi et les lois mais tout droit en raison de l’instabilité chronique des textes édictés lesquels deviennent inapplicables par ceux qui sont supposés être les garants de leur mise en œuvre. Ce n’est pas le défaut de normes, quelles qu’elles soient, qui est ici à l’origine de cette situation mais l’excès au contraire puisque l’ordre juridique de l’empire semble miné par le désordre de décrets multipliés. A moins, et sans doute est-ce plus juste de le penser ainsi, que cet ordre singulier s’élève sur ce désordre même. En effet, le premier ne serait pas ce qu’il est s’il était soumis durablement à une législation pérenne destinée à garantir les droits fondamentaux des « indigènes » et à établir de façon stricte les compétences des gouverneurs et de leurs subalternes. L’anarchie si souvent dénoncée par les contemporains aurait donc des causes structurelles attachées à la nature du régime établi en outre-mer. Loin de définir a priori les attributions des agents de l’Etat colonial et d’encadrer avec efficacité leurs actions, les décrets favorisent au contraire l’expansion incontrôlée de leurs prérogatives dans un contexte où ces dernières ne sont limitées ni horizontalement, en raison de l’absence d’une véritable distribution des pouvoirs, ni verticalement puisque les droits de l’homme sont inapplicables dans les possessions françaises.

Affirmation excessive, partielle et partiale favorisée par une analyse rétrospective ; ce péché mortel si souvent dénoncé par certains historiens qui pensent ainsi s’affirmer comme des parangons d’objectivité scientifique ? Lisons donc un autochtone qui, ayant exercé des responsabilités dans l’administration du Soudan français – le Mali aujourd’hui-, a bien connu son fonctionnement et les pratiques des responsables venus de métropole. Les Blancs, affirme Amadou Hampâté Bâ, sont les « maîtres absolus du pays » et « ce n’est pas pour rien » qu’ils sont appelés « les "dieux de la brousse" » car ils ont sur « nous » « tous les droits [41]. » Les termes et la métaphore, employés à dessein par cet écrivain qui sait parfaitement ce que ces mots veulent dire, confirment, du point de vue des « indigènes » assujettis cette fois, les analyses de Delafosse. La toute puissance des Européens, qui exercent des responsabilités officielles, est sans borne ce pour quoi ils peuvent disposer, si tel est leur bon plaisir, des choses, des hommes et même des femmes. « Emblème de noblesse », le casque colonial « donnait droit au gîte, aux pots-de-vin et, si le cœur en disait, aux jouvencelles aux formes proportionnées pour les plaisirs de la nuit » constate Hampâté Bâ lorsqu’il relate le comportement des « blancs » en tournée dans les territoires placés sous leur autorité. « Tous les droits » donc ; cette formule doit être prise au pied de la lettre puisque cela inclut aussi le "droit" de cuissage revu et corrigé par certains fonctionnaires coloniaux qui, confrontés à des populations qu’ils jugent inférieures, se comportent comme des despotes en pays conquis [42].

Nous savions le régime des colonies autoritaire ou dictatorial, on le découvre arbitraire et cette seconde caractéristique est liée, non à l’absence de législation, comme la tradition de la philosophique politique classique et moderne nous l’apprend, mais à sa prolifération sous la forme particulière des règlements. Ainsi surgissent des conditions propices au développement d’un pouvoir exercé de façon solitaire par des agents confrontés à des injonctions contradictoires : faire preuve d’initiative pour répondre au plus vite aux nécessités imposées par la conjoncture conformément aux missions qui sont les leurs d’une part, mettre en œuvre les décrets élaborés en métropole ou dans la colonie d’autre part, et pour surmonter cette situation, les premiers s’affranchissent des textes existants et agissent à leur guise. Ce triomphe du « monstrueux » politico-juridique et de « l’arbitraire administratif », comme l’écrivait Girault avec justesse, a partie lié avec le développement d’une bureaucratie spécialisée dans la gestion quotidienne des affaires impériales sur lesquelles elle détient un quasi monopole, de fait et de droit, favorisé par le « régime des décrets. » Tels sont les mécanismes ici en cause et ils ont peu à voir avec les passions d’un tyran ou d’un despote "oriental" avide de puissance qui, pour les satisfaire, réduit à néant toutes dispositions susceptibles d’entraver si peu que ce soit son pouvoir.

Nous ne sommes pas ici en ces contrées brûlantes décrites par Montesquieu dans L’esprit des Lois [43], ou sous les cieux plus tempérés d’une monarchie dégénérée à cause des vices du roi et de sa Cour. Dans les territoires de l’empire, nonobstant le climat, le « monstre » est plutôt froid, impersonnel aussi car ceux qui le font vivre n’agissent ni pour eux-mêmes, ni pour un homme qu’ils serviraient par ambition et intérêt, mais pour défendre l’Ordre colonial dont ils sont les garants tout puissants. Et cet Ordre, réputé être l’expression d’une civilisation supérieure, se repaît de textes nouveaux élaborés par des autorités diverses qui produisent dans l’urgence décrets, arrêtés et circulaires appelés par les circonstances, motivés par elles et comme elles éphémères. Ajoutons, pour tenter de saisir au plus près les spécificités de cet arbitraire qui se dérobe aux analyses et aux catégories classiques, qu’il repose sur la combinaison inédite de prérogatives immenses et sur la possibilité, toujours maintenue, de convoquer telle ou telle disposition pour fonder la légalité et la légitimité des décisions prises par les gouverneurs généraux et leurs subordonnés. En un mot, c’est l’arbitraire établi par le droit et au nom même du droit.

Le droit colonial : un continent trop souvent ignoré

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Relativement à la législation de l’empire, singulière est notre situation puisqu’elle est aussi peu connue aujourd’hui qu’elle a suscité, sous la Troisième et la Quatrième Républiques, d’innombrables débats, ouvrages, thèses, manuels et articles. Plus encore, et ceci est en partie lié à cela, en vertu d’un décret du 1er août 1905, cette discipline nouvelle et complexe est introduite dans les facultés de droit pour permettre aux étudiants de s’y initier et, pour ceux qui le souhaitent, de préparer au mieux le concours d’entrée à l’Ecole coloniale fondée en novembre 1889. Sorte d’immense continent englouti, oublié ou occulté, peu importe les termes et, ici, les causes diverses du phénomène, cette législation a été emportée par la disparition des possessions françaises alors que les contemporains de cette période « faste », où le pays était la seconde puissance impériale du monde, lui accordaient beaucoup d’attention parce qu’ils en savaient l’extrême importance. Si le passé de la « Plus Grande France » fait l’objet d’études toujours plus nombreuses conduites par des chercheur(e)s issus de disciplines variées, la législation d’outre-mer demeure, comparativement, trop souvent négligée.

La majorité des juristes et des historiens du droit ignorent jusqu’à son existence ; leurs traités comme leurs manuels en témoignent [44]. Fort savants et prolixes sur les dispositions en vigueur sous la monarchie absolue, sur les nombreuses constitutions qui, depuis la Révolution, se sont succédées à un rythme soutenu et sur le Code civil, ce « livre-symbole [45] » qui, depuis si longtemps, fait honneur à la France, ceux dont le métier est d’étudier la chose juridique, passée ou présente, sont en général peu diserts sur le droit colonial qu’ils méconnaissent gravement. A quelques notables exceptions près [46], les philosophes de la Faculté, comme on disait autrefois, n’ont que faire de ce champ spécifique qu’ils jugent sans doute indigne de leurs philosophiques et altières préoccupations. Ils enseignent pourtant les théories du droit naturel classique et moderne, les origines et les principes de la Déclaration du 26 août 1789 mais leur curiosité ne s’étend pas à ces objets "secondaires" que sont le « régime du bon tyran », les Codes de l’indigénat, l’internement administratif, la responsabilité collective, le séquestre, la corvée, le travail « obligatoire » imposés à des dizaines de millions « d’indigènes » jusqu’en 1945 auxquels s’ajoute l’esclavage domestique qui, sous la Troisième République, a perduré en Afrique noire française avec la complicité intéressée des autorités coloniales et de la métropole. Trivial, forcément trivial.

Les politistes n’échappent pas vraiment à la règle commune alors que l’un des pères fondateurs de leur discipline, le célèbre et toujours honoré André Siegfried, fut le défenseur enthousiaste des empires coloniaux. Dans un ouvrage paru en 1932, il estime en effet qu’ils sont indispensables au maintien de « l’hégémonie blanche » afin de la préserver de « la marée montante des peuples de couleur » dans un contexte où, « pour la première fois depuis la Renaissance » selon lui, cette hégémonie « est contestée, matériellement et moralement. [47] » Plus encore, grâce à l’action persévérante de son premier directeur, Emile Boutmy, et de ses successeurs qui ont poursuivi dans la voie qu’il avait tracée en organisant des enseignements ad hoc débouchant sur l’obtention d’un « certificat d’études coloniales », l’Ecole libre des sciences politiques a contribué, dans la première moitié du vingtième siècle, aux côtés de l’Ecole coloniale et de Polytechnique à la formation des cadres indispensables à la direction de « la Plus Grande France » [48]. Peu nombreux enfin sont les historiens qui font de la législation des colonies un objet majeur de leurs investigations. Les analyses de ce droit si particulier, de ses origines souvent obscures, de ses transformations multiples et de ses effets pour les « indigènes » restent donc dispersées [49]. Quant aux textes - lois, décrets, arrêtés et circulaires – ils sont inaccessibles au plus grand nombre faute de recueils récents et facilement consultables. De même les ouvrages des juristes de l’époque alors qu’ils sont une source indispensable et précieuse pour comprendre les premiers.

Sans prétendre à l’exhaustivité – il y faudrait une encyclopédie -, ce livre a pour objectif d’offrir au(x) lecteur(s) de longs et significatifs extraits de la législation coloniale commentés par des contemporains venus d’horizons académiques, professionnels et politiques divers, et/ou par nous-mêmes, afin de le(s) guider dans la découverte du « monstre » érigé dans les territoires de l’empire. Et « parce qu’on ne saurait mieux connaître une chose, qu’en bien considérant celles qui la composent [50] », ce qui exige de les mettre à part sans oublier qu’elles demeurent liées les unes aux autres puisqu’elles forment système, la voie choisie est celle de l’anatomie. Grâce à elle, les structures, les différents organes et le fonctionnement précis de la « Bête » apparaîtront de façon aussi claire et distincte que possible. Nous commencerons donc par les conceptions étroitement nationales des droits fondamentaux défendues par des figures majeures de la Troisième République qui, de Jules Ferry à Albert Sarraut dans le champ politique, affirment qu’ils sont inapplicables dans les colonies. Triomphe singulier, parfois âprement critiqué, du « droits des Français » contre les droits de l’homme que soutiennent encore des personnalités publiques et académiques au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En outre-mer, le régime du « bon tyran » s’est donc épanoui de façon légale et légitime avec la bénédiction des meilleurs spécialistes des possessions françaises, qu’ils soient juristes, politistes ou sociologues. De là des conséquences majeures sur la condition des colonisés ravalés, de 1875 à 1945, au rang de « sujets », privés des droits et libertés démocratiques élémentaires, et soumis, qui plus est, à des dispositions répressives et discriminatoires.

Racisme du droit positif que soutient un racisme d’Etat ; tous deux sont théorisés et défendus par de nombreux experts et professeurs au sein d’institutions prestigieuses comme les universités, l’Ecole libre des sciences politiques et l’Académie des « sciences coloniales. » En témoignent les différents Codes de l’indigénat en vigueur dans la plupart des possessions françaises – le premier, celui des départements français d’Algérie élaboré en 1875, fut surnommé « Code matraque » par les « Arabes » notamment - , une justice « indigène » expéditive mais jugée nécessaire pour « obtenir une répression énergique, surtout rapide, au besoin sommaire [51] », l’internement administratif, la responsabilité collective, pourtant contraire au principe de l’individualité des peines propre au droit pénal moderne, et le séquestre qui permit aux autorités coloniales de priver des centaines de milliers d’autochtones de leurs terres ainsi transférées aux colons et à des sociétés françaises. Tels sont les principaux "monuments" de la législation appliquée aux « sauvages » et aux « barbares » de l’empire qui furent assujettis, opprimés, discriminés et effroyablement exploités jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

S’y ajoutent, en effet, d’autres dispositions juridiques et pratiques bien connues des contemporains comme le travail forcé imposé aux populations « indigènes » tout au long de la Troisième république, sous le régime de Vichy et dans certains territoires d’Afrique et d’Asie contrôlés par la France libre. Libre, elle le fut fort peu pour les colonisés qui continuèrent d’être traités comme ils l’avaient été auparavant. A preuve, les hauts fonctionnaires d’outre-mer et les hommes politiques, réunis sous l’autorité du général de Gaulle à la Conférence de Brazzaville du 30 janvier au 7 février 1944 pour déterminer les orientations coloniales du Comité français de libération nationale et, de facto, du Gouvernement provisoire de la République établi le 2 juin de la même année, n’entendaient pas supprimer immédiatement cette forme particulière de labeur jugée indispensable pour la réalisation des grands travaux et l’entretien des infrastructures. Entre la fidélité aux principes d’égalité, de liberté et de fraternité, et les "nécessités" économiques de l’empire, les premiers avaient choisi, de même l’homme de l’Appel du 18 juin 1940. Lenteurs et atermoiements de la Libération en dépit des protestations de certains administrateurs des colonies qui, dès 1942, s’étaient élevés contre le travail forcé comme le rapporte le député Gabriel d’Arboussier, lequel dénonce, en 1946, « un servage » insupportable « cent cinquante après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et cent ans après l’abolition de l’esclavage. [52] » Il a donc fallu attendre la loi du 11 avril 1946, présentée par Félix Houphouët-Boigny, pour que la suppression de ce labeur particulier soit enfin votée par l’Assemblée nationale.

Quant à l’esclavage domestique, pratiqué par certaines sociétés traditionnelles de l’Afrique noire française, il a continué de prospérer aux vues et au su des autorités coloniales et métropolitaines peu soucieuses d’y mettre un terme, pour des raisons économiques, sociales et politiques. Avec la froide "objectivité" qui sied à son statut de professeur des universités, Henry Solus écrit dans son Traité de la condition des indigènes en droit privé publié en 1927 : « l’ordre public colonial ne semble point troublé par de telles pratiques (…). En soi d’ailleurs, et si elles ne sont pas accompagnées de circonstances aggravantes, elles ne tombent pas davantage sous le coup de la loi pénale. » Lumineux. Les dispositions des territoires de l’empire ne condamnent pas cette « sorte de servage domestique [53] » et coutumier ce qui explique sa permanence remarquable, et la position de ce juriste célèbre. Comme nous le verrons, sur ce point précis mais capital, les contemporains qui s’intéressent aux questions d’outre-mer, connaissent parfaitement la situation, et la majorité d’entre eux l’approuve. Misère et aveuglement du positivisme juridique capable de plaider toutes les causes, même les pires.

Indispensable, la démarche anatomique qui vient d’être brièvement exposée demeure insuffisante, cependant. A s’en tenir là, grand est le risque de créditer le droit des possessions françaises de spécificités indues bien faites pour entretenir sans fin le mythe d’une « aventure » coloniale généreuse et libérale, et pour cela supérieure à celle des autres puissances impériales européennes en raison des convictions républicaines de ses partisans les plus célèbres et de la nature, républicaine également, des institutions métropolitaines. Si on laisse de côté les idéologues qui, aujourd’hui encore, soutiennent envers et contre tout le "bilan positif" de la colonisation, et se livrent à une écholalie grossière alimentée par les poncifs les plus éculés du discours impérial-républicain, ces fadaises sont, entre autres, favorisées par des études trop souvent circonscrites aux frontières de l’empire, voire même à celles d’un seul territoire d’outre-mer. Travers ancien contre lequel s’insurgeait déjà, en 1897, Paul Leroy-Beaulieu, professeur au Collège de France, lorsqu’il critiquait « des monographies trop morcelées » où se glissaient des « notions vagues » et « une grande part de préjugés » favorisées par la méconnaissance des « procédés » employés par les « Anglais », les « Hollandais » et les « Espagnols. [54] » Pour l’essentiel, hélas, ce constat demeure d’actualité et l’absence d’intérêt véritable pour les législations coloniales des autres pays d’Europe favorise ceux qui continuent d’écrire le grand roman historique de la France en faisant de cette dernière une nation d’exception, fille aînée de l’universel, de la Révolution et de l’émancipation des peuples.

Anatomie donc, mais anatomie comparée, autant que faire se peut, dés lors que les éléments en notre possession autorisent une telle démarche. De là des références nombreuses aux dispositions établies par les différents Etats impériaux du Vieux Continent dont on découvre qu’elles sont proches, sur bien des points, de celles en vigueur dans les possessions « exotiques » de la Troisième République. Double comparaison en fait. A chaque fois que cela peut éclairer l’histoire des règlements et leur extension à d’autres « indigènes », un travail identique a été entrepris à l’intérieur même de l’empire où des dispositions majeures ont circulé de colonies en colonies. Bien qu’il ne soit pas le seul, le Code de l’indigénat algérien (1875) témoigne exemplairement de ces mouvements puisqu’il a servi de matrice à partir de laquelle d’autres Codes du même type furent élaborés puis appliqués en Nouvelle-Calédonie, en Indochine, en Afrique occidentale et équatoriale françaises. Parfois, en vertu d’un processus d’extension-banalisation et au prix de modifications diverses, des mesures furent importées en métropole et mobilisées contre des allochtones puis des nationaux.

Pour suivre ces cheminements souvent complexes, inattendus et parfois longs, il faut s’affranchir aussi des chronologies limitées qui les oblitèrent alors qu’ils prouvent que la législation d’outre-mer a été un laboratoire particulièrement fécond de l’exception politique et juridique. Sous des formes singulières et variables au gré des circonstances, des gouvernements et des régimes, tels sont les cas remarquables, mais trop peu remarqués, de l’internement administratif, de la responsabilité collective et de « l’asile donné (…) aux étrangers sans papiers. » Il ne s’agit pas là d’une citation de l’article L. 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile mais d’un extrait de l’article 19 du Code de l’indigénat algérien du 9 février 1875. Toutes ces mesures ont des origines coloniales, et toutes sont encore présentes dans la législation de ce pays. Le « monstre juridique » de la « Plus Grande France » n’est plus, mais certains de ses descendants sévissent encore.


Conclusion

(p.163-180)

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Pour conclure : « œuvre » coloniale et mythologie nationale

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En dépit du retrait de l’article 4 [55] de la loi du 23 février 2005, suite aux protestations nombreuses d’universitaires et d’historiens, tardivement rejoints par les députés de l’opposition longtemps silencieux, ce texte législatif, qui sanctionne une interprétation officielle et mensongère du passé colonial, est toujours en vigueur [56]. Pour les amateurs d’exception française, en voilà une remarquable mais sinistre au regard des principes libéraux supposés limiter les pouvoirs de la puissance publique : à ce jour, ce pays est le seul Etat démocratique et la seule ancienne puissance impériale européenne, où des dispositions législatives qualifient de façon positive cette période de l’histoire.

En effet, l’article 1er de cette loi est ainsi rédigé : « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. Elle reconnait les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d’indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu’à leurs familles, solennellement hommage. »

Epilogue d’un combat politique désormais dépassé ? Prologue bien plutôt comme le prouve un discours prononcé par Nicolas Sarkozy en tant que ministre candidat lors d’un meeting tenu à Toulon le 7 février 2007, au cours de la campagne des présidentielles. Eu égard à la personnalité de l’orateur et aux responsabilités qui sont aujourd’hui les siennes, de telles déclarations sont sans précédent depuis la fin du conflit algérien, en 1962. Jamais le représentant de la principale formation politique de la droite parlementaire n’avait entrepris de restaurer ce passé en de semblables termes. Nul besoin d’être grand clerc ou d’être un politiste avisé et féru de cartographie électorale pour comprendre les raisons qui ont poussé Sarkozy-Guaino à choisir cette ville et cette région pour s’exprimer sur ce sujet ; le second étant l’auteur de ce texte que le premier a sagement lu. « Aller chercher les électeurs du Front national un par un », selon la formule du futur président de la République, tel était l’objectif poursuivi puisque tel était le prix à payer pour conquérir le pouvoir et parvenir à l’Elysée. Dans ce contexte, réhabiliter l’histoire coloniale du pays en général et celle de l’Algérie française en particulier était essentiel ; en bon conseiller Henri Guaino s’est acquitté de cette tâche avec succès [57].

« Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint-Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation » déclarent donc Sarkozy-Guaino qui puisent ainsi dans le discours impérial-républicain des arguments que l’on croirait sortis des manuels destinés à l’école primaire au temps réputé glorieux de la Troisième République. « Faire une politique de civilisation comme le voulaient les philosophes des Lumières, comme essayaient de le faire les Républicains du temps de Jules Ferry. Faire une politique de civilisation, voilà ce à quoi nous incite la Méditerranée où tout fut toujours grand, les passions aussi bien que les crimes, où rien ne fut jamais médiocre, où même les Républiques marchandes brillèrent dans le ciel de l’art et de la pensée, où le génie humain s’éleva si haut qu’il est impossible de se résigner à croire que la source en est définitivement tarie. La source n’est pas tarie. Il suffit d’unir nos forces et tout recommencera » poursuivent les mêmes avant de s’en prendre aux partisans de la repentance, ces adversaires imaginaires forgés pour mieux légitimer leur combat idéologique, et électoraliste.

« Cessons de noircir le passé. L’Occident longtemps pécha par arrogance et par ignorance. Beaucoup de crimes et d’injustices furent commis. Mais la plupart de ceux qui partirent vers le Sud n’étaient ni des monstres ni des exploiteurs » ajoutent-ils avant de dérouler un argumentaire éculé qui repose sur l’énumération des bienfaits supposés de la colonisation. « Beaucoup mirent leur énergie à construire des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux. Beaucoup s’épuisèrent à cultiver un bout de terre ingrat que nul avant n’avait cultivé. Beaucoup ne partirent que pour soigner, pour enseigner. On peut désapprouver la colonisation avec les valeurs qui sont les nôtres aujourd’hui. Mais on doit respecter les hommes et les femmes de bonne volonté qui ont pensé de bonne foi œuvrer utilement pour un idéal de civilisation auquel ils croyaient. Il faut respecter ces milliers d’hommes et de femmes qui toute leur vie se sont donné du mal pour gagner par eux-mêmes de quoi élever leurs enfants sans jamais exploiter personne et qui ont tout perdu parce qu’on les a chassés d’une terre où ils avaient acquis par leur travail le droit de vivre en paix, une terre qu’ils aimaient, parmi une population à laquelle les unissait un lien fraternel. » Et pour conclure, Sarkozy désigne à nouveau ceux dont il entend récuser les thèses : « Je veux dire à tous les adeptes de la repentance qui refont l’histoire et qui jugent les hommes d’hier sans se soucier des conditions dans lesquelles ils vivaient, ni de ce qu’ils éprouvaient. Je veux leur dire : de quel droit les juges-vous ? [58] »

Porté par le souci apparent d’éviter des appréciations rétrospectives, ce discours prospère d’autant plus que les constats établis et les critiques adressés par les contemporains eux-mêmes, sous la Troisième et la Quatrième Républiques, sont méconnus ou ignorés de ceux qui ont recours à ce type d’arguments. Il y a donc urgence à rappeler les uns et les autres.

Rédigés à des époques diverses par des hommes et des femmes qui connaissaient bien l’empire, les textes qui suivent permettent d’apprécier à leur juste valeur les grandioses "réalisations" scolaires et médicales de la République impériale tant vantées par le chef de l’Etat, la majorité qui le soutient, et quelques intellectuels, historiens et académiciens ralliés à cette noble cause destinée à défendre l’honneur du pays et la fierté de ses habitants. Plus encore, il s’agit de militer pour « la survie de la France » en empêchant sa « destruction », son « émiettement en communautés rivales, et, au bout, » sa « "balkanisation" » soutient l’Immortel Max Gallo engagé depuis longtemps dans cette bataille titanesque. Heureusement, après avoir évoqué ces terribles perspectives, ce graphomane impénitent, qui confond argumentation et recours aux hyperboles les plus improbables, affirme avoir trouvé la solution ; elle réside dans la préservation de « l’identité française » ce « qui suppose qu’on soit fier » de « l’histoire [59] » de cette nation. Relativement au passé colonial, les éléments déjà rassemblés et ceux qui suivent sont peu propices à l’épanouissement de ce dernier sentiment, sauf à les minorer ou à nier leur existence.

1. La scolarisation

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a) L’Indochine

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« L’enseignement primaire en Cochinchine est incapable d’assurer l’instruction des 600 000 enfants en âge de fréquenter les écoles, sur une population de 3 millions d’habitants » soutient Challaye dans un ouvrage bien documenté publié en 1935. En « 1924, seul un dixième des enfants annamites recevait dans les écoles françaises quelque instruction » rappelle-t-il. Quant à la réforme de « juillet 1927 », qui a rendu l’enseignement primaire obligatoire en Cochinchine, ce qui signifie qu’il ne l’était pas jusqu’à cette date, elle demeure très inégalement appliquée puisque « l’enseignement à tous les degrés reste encore (…) tristement insuffisant [60]. » En 1926, après avoir dénoncé l’absence des libertés démocratiques élémentaires en Indochine, le dirigeant du Parti constitutionnaliste indochinois à Paris, Bui Quang Chieu, soulignait déjà que « les neuf dixième de nos enfants ne peuvent fréquenter l’école faute de place. [61] » Ailleurs, la situation n’est guère différente comme le prouvent les éléments chiffrés et circonstanciés rassemblés par d’excellents spécialistes de l’empire après la Seconde Guerre mondiale.

b) L’Afrique noire française

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A la tribune de l’Assemblée nationale constituante, le 21 mars 1946, L. S. Senghor décrit ainsi la situation de l’A-OF : « nous constatons que 108 911 élèves seulement fréquentent les établissements du premier et du second degré, enseignement privé compris, sur 2. 700 000 garçons et filles d’âge scolaire ; c’est-à-dire qu’un seul enfant sur 24 peut trouver place à l’école. Dans les trois lycées d’A-OF, on ne compte que 172 Africains sur 723 élèves des classes secondaires. » « Le principe qui dirige cette politique est d’une lumineuse clarté, même pour les primitifs que nous sommes. On fait de l’inégalité un principe de gouvernement en s’opposant par tous les moyens possibles à ce que les autochtones aient des diplômes d’Etat et puissent, en conséquence, occuper d’autres fonctions que subalternes. C’est le cas de répéter la phrase fameuse : "Votre ignorance faisait leur grandeur" » ajoute-t-il en exhumant ainsi les ressorts politiques de cette sous-scolarisation massive, chronique et ancienne. Elle affecte aussi les lycées largement fermés « à la jeunesse indigène » victime de discriminations qui prennent la forme, aux examens notamment, d’exigences spécifiques auxquelles les élèvent métropolitains « échappent » en France.

Echec de la scolarisation des autochtones comme on peut encore le lire ici et là ? Volonté délibérée de les maintenir à l’écart ou dans les marges des structures d’enseignement bien plus tôt car pendant longtemps « les lois sur l’instruction publique » ne furent « pas (…) applicables aux colonies. » « Seules les lois sur l’instruction primaire » sont entrées en vigueur « aux Antilles et à la Réunion » en vertu de l’article 68 de la loi du 30 octobre 1886 [62] » précise Senghor qui identifie ainsi la cause juridique structurelle de cette situation. Ailleurs, conformément aux pouvoirs exorbitants du gouverneur, celui-ci « a conservé (…) les droits en vertu desquels aucune école ne peut être ouverte sans son autorisation. [63] »

En 1952, le gouverneur honoraire des Colonies, Henri Labouret rappelle que « le principe d’égalité » n’a été « proclamé » qu’à la Conférence de Brazzaville ce pour quoi il n’était plus possible « de se borner (…) à éduquer pour les services administratifs et le secteur privé un certain nombre de collaborateurs autochtones, choisis parmi les meilleurs élèves des écoles primaires. » Conséquence de cette politique depuis longtemps mise en œuvre : des taux de scolarisation très faibles comme le prouvent les statistiques qu’il cite. 4,6% en A-OF ; 5, 8 en A-EF ; 19, 8 au Cameroun ; 18 au Togo ; 8, 4 en Somalie ; 23, 4 à Madagascar ; 7, 3 aux Comores [64]. Contrairement à la légende dorée forgée sous la Troisième République, les « chiffres font ressortir nettement la déficience de notre scolarité coloniale  » note aussi le spécialiste Francis Dupuy qui, après s’être livré à une comparaison avec le Congo belge, ajoute : « le Français n’a pas pour habitude de juger ses qualités ou ses défauts par rapport à l’étranger, mais par rapport à lui-même. Cette politique de l’autruche a fait ses preuves dans tous les domaines ! (…). Il faut donc, de toute urgence, au moins tripler nos effectifs et à cette échelle l’effort est gigantesque [65]. » La date de ce texte rédigé par un chaud partisan de l’empire ? 1942. Certes mais c’est l’Afrique noire à laquelle s’ajoutent deux autres possessions de l’Océan indien. Qu’en est-il de la « perle » du Maghreb souvent présentée comme un modèle de colonisation réussie ?

c) L’Algérie

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« Tout le monde est d’accord pour reconnaître que le fellah est demeuré ignorant, malgré la civilisation française, et que sa misère s’est faite particulièrement dramatique ces derniers temps » constate Mohammed Kessous en 1935 alors que cent dix ans se sont déjà écoulés depuis la prise d’Alger. « A part quelques milliers de propriétaires aisés, les ruraux vivent dans un état de déficience physiologique indiscutable. (…) A l’heure actuelle, la situation est la suivante : 950 000 enfants en âge d’aller à l’école pour 1300 classes, recevant 65 000 élèves : près de 900 000 êtres voués à être, toute leur vie, des illettrés. [66] » Dans la préface qu’il a rédigée, le Dr. Bendjellou, qui occupait alors d’importantes fonctions électives, écrit : « Nous voyons bien que l’Algérie a pris un essor prodigieux depuis le jour où les trois couleurs ont flotté sur la blanche Alger, mais n’est-il pas vrai que cet essor a profité principalement aux colonisateurs, et que dans l’ensemble la masse paysanne est resté à peu de chose près, en l’état où elle se trouvait lors de la conquête. » « Je voudrais insister sur l’épouvantable misère dont souffre le paysan algérien. [67] »

A la Libération, nombreux sont les débats consacrés au sort des possessions françaises. On y découvre des interventions diverses, riches et précises qui éclairent utilement les réalités de l’empire, et les pratiques de l’administration coloniale dans un contexte de réformes majeures de l’ordre impérial hérité de la Troisième République. En 1944, l’ancien vice-président de l’Assemblée consultative provisoire et député de Paris, André Mercier, dénonce lui aussi les discriminations qui existent en Algérie. « Il est bien pénible d’entendre des jeunes musulmans vous dire : « j’ai postulé à tel concours, (…) j’ai obtenu tant de points sur telle question, tant sur l’autre ; mon camarade européen en a obtenu moins que moi, parfois, il est sorti en pleurant aux résultats, et il a été admis alors qu’on m’a refusé. » Demandant « l’abolition de toutes restrictions d’ordre raciale », il critique la politique des quotas » toujours en vigueur et destinée à « restreindre le nombre de fonctionnaires musulmans. » Et pour illustrer son propos, il cite le « nombre » des « candidats [indigènes] à l’Ecole normale » qui « est limité à 10% sur l’effectif total. [68] » Voilà qui confirme les analyses développées par Senghor à propos de l’A-OF, laquelle n’est pas un cas isolé comme le prouve la situation des départements français d’Algérie.

« Depuis cent ans, bien que nous représentions plus des trois cinquièmes de la population, nous sommes traités en inférieurs » constate aussi le député Mohamed Bentaïeb en 1947. « Pourquoi avoir réservé la construction des routes goudronnées et d’écoles aux seuls centres de colonisation et n’avoir rien fait pour les tribus, dans les douars où nos populations sont totalement dépourvues d’instruction et ne connaissent pas cette belle langue français ? » Conséquences de cette politique : « 90% des enfants musulmans n’ont jamais mangé de viande, vont nus, sans chaussures, n’ont jamais dormi sur un matelas. L’Assemblée doit connaître toutes ces choses ; il faut la mettre en face de la réalité » ajoute-t-il avant de livrer ces chiffres accablants : « trois millions d’enfants âgés de sept à huit ans (…) privés de toute instruction française » auxquels s’ajoute « un million d’enfants âgés de huit à douze ans » qui « n’ont pas bénéficié de scolarité. C’est une honte… [69] »

Soit diront certains mais l’héritage du passé et le contexte de l’immédiat après-guerre expliquent sans doute ces "retards" qui furent plus tard comblés par la Quatrième République. Il n’en est rien. En 1955, Germaine Tillion note encore que « 1 683 000 enfants algériens » n’ont toujours pas trouvé de « place dans les écoles primaires de la République française. » « Dans la ville d’Alger, (mieux pourvue que le reste du pays), 2 enfants musulmans sur 3 » vont en « classe ; dans la banlieue, il n’y en [a] plus que 14 sur 29 (donc pas tout à fait un sur deux) tandis que dans l’ensemble des petites villes du département, le pourcentage » chute plus encore puisque « 14384 enfants » seulement sont scolarisés « sur un peu plus de 40 000. » Comme elle le constate avec ironie : dans certaines régions, « la "présence française" » brille « par son absence : aucun colon, une école sans instituteur, une route vide, ni médecin, ni infirmier, ni aucune sorte d’émissaire de la "civilisation". Quelques intentions, tout au plus, mais non suivies d’effet. [70] »

Qu’en est-il enfin de la médecine coloniale souvent présentée par les apologues pressés d’hier et d’aujourd’hui comme une grande réussite qui ferait honneur à la France et à ses généreux docteurs, infirmiers et infirmières partis soigner courageusement les populations « indigènes » de l’empire [71] ?

2. Médecine coloniale et situation alimentaire des populations « indigènes »

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a) Médecine coloniale

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Contrairement à la mythologie impériale-républicaine, la “couverture médicale” des colonies est toujours demeurée très faible. Dans un rapport officiel de la « Commission des finances » de la Chambre des députés « chargée d’examiner le projet de loi » relatif au « budget général de l’exercice 1933 », l’élu de la Drôme, Léon Archimbaud, livre les chiffres suivants : 419 médecins en Indochine pour 20 millions d’habitants, 299 en A-OF pour 13 451 603 d’habitants, 154 en A-E F pour 3 196 979 d’habitants, 14 au Togo pour 750 065 d’habitants [72]. Pour être à même de comparer, rappelons qu’à la même époque, il y avait 28 000 médecins pour 40 millions d’habitants en métropole.

« Malheureusement, l’insuffisance des médecins est manifeste » écrit en 1934, le correspondant du Muséum national d’histoire naturelle, Jean Thomas, de retour d’une mission d’évaluation effectuée dans les colonies françaises du continent noir, comme on le dit à l’époque. « Pour notre Afrique équatoriale, vaste comme cinq fois la France, pour les trois ou quatre millions d’habitants qui la peuplent, ils sont une trentaine, c’est-à-dire même pas un pour cent mille indigènes. Et pour les seconder, quelle pénurie de personnel ! [73] » La situation est identique en A-OF note Pierre Herbart cinq ans plus tard. « C’est une colonie pauvre. Son équipement est encore rudimentaire : pas de routes, peu de ports et, dans le domaine social, une population très misérable, insuffisamment nourrie, ravagée par la fièvre jaune, le paludisme. Malgré sa bonne volonté, l’Administration ne se trouve pas en mesure de lutter sérieusement contre ces deux fléaux : la disette et la maladie. (…) Enfin le service de santé est (…) d’une insuffisance lamentable. [74] » Même constat, même termes employés, même bilan désastreux.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le député Raymond Vergès brosse de la Réunion le tableau suivant : « au point de vue social, pas d’hôpitaux en nombre suffisant et suffisamment outillés, pas de protection de l’enfance ou de la vieillesse, pas de secours du chômage ou de maladie, pas d’œuvres d’assistance, pas d’écoles pour instruire même la moitié des enfants, pas d’œuvres postscolaires, pas de bibliothèques scolaires. Zéro ou presque zéro partout. [75] »

En ce qui concerne l’alimentation des populations coloniales, là encore, les contemporains nous font découvrir des réalités fort éloignées des images d’Epinal hier en vogue, et aujourd’hui réhabilitées par certains.

b) « L’indigène » est « sous-alimenté »

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Dans son ouvrage L’Algérie vivra-t-elle ? , publié en 1932, Viollette cite longuement un rapport officiel du 30 janvier 1925 rédigé par un inspecteur général de l’hygiène qui écrit : « L’indigène est atteint de tares multiples ; il est sous-alimenté, tandis que la plus grande partie des valides se dirige vers la métropole, à la recherche de hautes paies, les ouvriers qui restent en petit nombre ne donnent qu’un rendement insuffisant, dont se plaignent tous les colons. » De plus, on apprend que la mortalité infantile était de 44,66 pour 1000 en 1919 chez les enfants européens et 138,7 chez les enfants « indigènes. » Pour compléter ce tableau édifiant, Viollette ajoute : « La question de l’habitation indigène n’est pas moins importante que la question de l’artisanat. Si l’entassement de la population indigène dans les villes est effroyable, il est désolant de voir à quel point est sommaire l’habitation indigènes dans les douars. [76] »

« Nous sommes encore loin, très loin de l’idéal alimentaire » notent aussi Georges Hardy et Charles Richet fils dans une étude précise parue en 1933. « Les grandes famines n’existent plus. Soit, mais il y a encore 30% des indigènes qui s’alimentent insuffisamment dans nos territoires d’outre-mer. En Afrique équatoriale française (…) des populations entières ne mangent pas à leur faim. Dans certaines parties de l’Afrique occidentale française, la situation est moins tragique, mais elle n’est pas satisfaisante. En Indochine, l’homme du peuple est encore sous-alimenté. [77] » Vaste panorama où se dévoile la situation générale de l’empire, et très glorieux bilan.

Après avoir fait état des famines qui sévissent dans les colonies françaises et britanniques, le gouverneur honoraire des Colonies, Henri Labouret écrit cinq plus tard : « Le gouvernement anglais vient (…) de prescrire une enquête pour l’éclairer sur les moyens de nourritures des indigènes de ses possessions, tandis que notre ministre des Colonies ordonnait presque en même temps des investigations pareilles dans nos établissements d’outre-mer. Ces recherches confirmeront en tous points celles réalisées dans le passé ; elles montreront, une fois de plus, que dans l’ensemble des colonies tropicales d’Afrique la nourriture est insuffisante, irrégulière et mal équilibrée. » C’est clair. Les conséquences de cet état de fait ancien et dûment constaté sont les suivantes : une « pauci-natalité, une mortalité infantile plus considérable, la fréquence plus grande des épidémies, une gravité plus considérable de toutes les affections. » « La situation qui vient d’être exposée a inquiété à diverses reprises les administrations locales, qui ont tenté d’y remédier. Beaucoup l’ont fait sans grande conviction persuadées que leurs efforts demeureraient vains devant la carence d’un indigène stupide, paresseux, imprévoyant et fermement résolu à repousser sans examen les innovations qu’on lui propose et toutes les entreprises capables de lui imposer un travail supplémentaire. [78] » C’était avant guerre. Certes mais en 1955, Germaine Tillion livre ce témoignage édifiant sur la situation de certaines régions d’Algérie : « le médecin militaire que j’ai vu à Tadjemout (…) commandait chaque semaine à un épicier de Biskra des caisses de lait en poudre afin de remettre sur pied les nombreux enfants malades que les parents lui apportaient. "Malades" ? me disait-il, "ils ne sont malades que de la faim." [79] »

Lesté de faits circonstanciés, de statistiques et de chiffres précis puisés à des époques diverses, nous pouvons revenir maintenant à nos vaillants contemporains qui font l’éloge de la colonisation française. Le 18 novembre 2005, Alain Finkielkraut déclarait au journal israélien Haaretz : « Actuellement on enseigne l’histoire coloniale comme une histoire uniquement négative. On n’enseigne plus que l’entreprise coloniale avait aussi pour but d’éduquer, d’apporter la civilisation aux sauvages. On n’en parle que comme une tentative d’exploitation, de domination, de pillage. [80] » Sur ce point particulier, ces propos discréditent leur auteur comme philosophe. Demeure un idéologue qui mobilise des représentations éculées et congédie, pour les besoins de sa cause, les réalités susceptibles de ruiner ses affirmations péremptoires et sans fondement. Le 24 juin 2008, au cours de son audition par les membres de la Mission d’information sur les questions mémorielles, il récidive en mettant de nouveau en scène la lutte glorieuse de la Civilisation contre la Barbarie puisqu’on apprend qu’en 1830 « les Européens ont été également à Alger pour mettre fin à l’esclavage. [81] »

Nul doute, cette découverte extraordinaire va bouleverser la science historique, comme on disait autrefois. Triomphe de l’approximation et de l’ignorance qui confondent discours de légitimation de la prise d’Alger avec les ressorts véritables de cette expédition. Stupéfiante involution et remarquable défaite de la pensée qui conduisent ce philosophe à parler comme Ferry en 1885 lorsque, soucieux de justifier la construction de l’empire colonial, il affirmait que les Français s’étaient emparés de cette ville « pour détruire la piraterie et assurer la liberté du commerce dans la Méditerranée. [82] » Rappelons donc à Finkielkraut, et aux apologues présents de la « Plus Grande France » ce que certains contemporains disaient des conquêtes impériales de ce beau pays. « Ne rusons pas. Ne trichons pas. A quoi bon farder la vérité ? La colonisation, au début, n’a pas été un acte de civilisation, une volonté de civilisation. Elle est un acte de force, de force intéressée. (…) La colonisation à ses origines, n’est qu’une entreprise d’intérêt personnel, unilatéral, égoïste, accomplie par le plus fort sur le plus faible. Telle est la réalité de l’histoire. [83] » Qui est l’auteur de ces lignes ? Un anti-impérialiste primaire aveuglé par ses passions politiques ? Non. Albert Sarraut, ministre des Colonies, dans son très officiel discours prononcé le 5 novembre 1923 à l’ouverture des cours de l’Ecole coloniale.

Pascal Bruckner, quant à lui, conclut ce qu’on appelle aujourd’hui un essai en écrivant : « Quitte à engager une recherche en filiation, cherchons-nous des pères honorables plutôt que des misérables. Il faut donc célébrer les héros au lieu des salauds, les justes et non les traîtres, entretenir une fidélité au meilleur de soi. Au devoir de mémoire, opposer le devoir de nos gloires. [84] » Vaste programme qui, s’il était appliqué, nous ramènerait aux conceptions singulières de l’histoire officielle chère à la plupart des dirigeants de la Troisième République et longtemps mise en œuvre par le ministère de l’Instruction publique avec le soutien actif d’historiens prestigieux. Audacieuse proposition ? Echolalie régressive et grossière, digne des leçons dispensées à des générations d’élèves par Ernest Lavisse, Albert Malet et Jules Isaac.

Dans son Histoire de France destinée au cours élémentaire, le premier écrivait en 1914 : « Partout », dans les colonies, « la France enseigne le travail. Elle crée des écoles, des routes des chemins de fer, des lignes télégraphiques. » Après cet exposé supposé rigoureux des faits, où des affirmations dogmatiques font office de démonstration, celui qui fut directeur de l’Ecole normale supérieure et membre de l’Académie française, conclut sous la forme d’une leçon de morale facile à retenir : « La France a le droit d’être fière de ces conquêtes [85]. » Traduisons : "petits écoliers, soyez fiers d’appartenir à cette nation qui a tant fait pour le développement de ses possessions ultra-marines et le bien-être des populations autochtones."

« Si contestables que ses méthodes soient souvent apparues et si critiquables que certaines de ses conséquences puissent être jugées, soutiennent les seconds en 1961 - en pleine guerre d’Algérie donc -, il serait injuste d’oublier que l’impérialisme colonial a aussi apporté des bienfaits aux peuples assujettis : mise en valeur de régions sous-développées, suppression de coutumes barbares, diminution de la mortalité, lente vulgarisation de l’instruction. [86] » Subtile pondération qui permet à Mallet et Isaac de laisser entendre qu’ils se conforment à l’une des règles cardinales de leur discipline : l’objectivité, bien sûr, cependant que les méfaits de la colonisation sont immédiatement compensés par des réussites jugées incontestables. Puissance de l’histoire édifiante bien faite pour soutenir la thèse de l’exception française dont les effets furent partout visibles, y compris dans les territoires de l’empire. Soit. Mais ce sont là des manuels anciens destinés aux élèves du primaire et du secondaire. Ailleurs, dans l’enseignement supérieur, comme on dit, l’histoire-science triomphe bien sûr car elle est écrite par des professeurs rigoureux qui savent distinguer les faits des valeurs et des opinions ; leurs titres, leurs fonctions et leurs nombreux écrits en témoignent.

Ouvrons donc un ouvrage rédigé par des universitaires et des personnalités réputés à l’attention de lecteurs soucieux d’acquérir un volume de référence dont la rigueur scientifique est garantie par le sérieux des premiers auquel s’ajoutent le nom même de la maison d’édition et la notoriété de la collection qui a accueilli leurs travaux. En matière de capital intellectuel et symbolique prestigieux, nous le verrons, il est difficile d’être plus richement doté. « A travers révolutions et républiques, la France s’est voulue (…) protectrice des chrétiens d’Orient : inébranlable tradition des Franci libérateurs, de la croisade du XIe siècle. Pour son empire, l’élection s’élargit comme de soi. Prolongement naturel, cette France africaine ou Lavigerie appelle, dès 1871, Alsaciens et Lorrains refusant l’occupation allemande ; ou bien dans la parole froidement ardente de Jules Ferry, cet étonnant complexe de la "mission coloniale" où se marient le refus de la défaite, l’exaltation de la République par la pratique d’une politique mondiale, la conscience des nécessités de l’expansion industrielle, le devoir de civilisation. » Le même feint de s’interroger alors : « Sommes-nous si loin de l’élection charismatique qui désignait le roi capétien comme le porte-glaive triomphant de la croisade occidentale ? Dans ce règne d’univers, l’accomplissement de la France, et à ceux qui en servent le combat, tel Ernest Psichari, le Centurion du désert, cette stèle d’immortalité que cisèle d’une taille consacrante Charles Péguy : "Pacificateur, Edificateur, Organisateur, Codificateur, Justificateur." » Cette fresque magnifique appelle une conclusion à la hauteur de ce passé remarquable et des héros qui ont légué au pays de si brillantes traditions. Mieux, le moment est venu de saisir l’essence de cette nation à nulle autre pareille et d’offrir au lecteur une forte synthèse où la cause ultime de cette histoire toujours glorieuse lui sera enfin dévoilée. « Ainsi l’histoire du "faire national" français est geste d’élection d’universel, responsable de cette emprise prestigieuse autant que spirituelle par quoi la France (…) devient l’agent naturel du règne. Autre chose qu’impérialisme, ou même que nationalisme, mais la bonne conscience d’accomplir tout à la fois l’ordre de l’histoire et celui de l’éternel. [87] »

Grandiose supplément d’âme qui distingue cette entreprise coloniale de celles conduites par la Grande-Bretagne, l’Espagne, les Pays-Bas et le Portugal lesquels n’étaient mus que par leurs intérêts particuliers de grande ou de petite puissance impériale. Triomphe de l’exception française, encore et toujours. L’auteur de cette logorrhée boursoufflée où les poncifs et la « moraline » - le mot est de Nietzsche - tiennent lieu de style et d’arguments ? L’historien Alphonse Dupront, spécialiste de la religion et des Croisades qui fut président et fondateur de l’Université Paris IV Sorbonne puis directeur à l’Ecole pratiques des Hautes études. Une sommité scientifique et académique donc. Le coordonnateur de ce volume collectif aux prétentions encyclopédiques ? M. François de l’Institut, cette vénérable institution qui, de la Troisième République à nos jours, n’a jamais failli dans le soutien apporté aux écrits apologétiques de l’histoire coloniale, notamment. L’éditeur ? La maison Gallimard. La collection ? La Pléiade, celle-là même qui n’accueille que les plus grands. La date de publication ? 1972.

Certes mais depuis la façon d’analyser cette période a beaucoup évolué. Assurément. Pourtant, dans un ouvrage de synthèse et de référence, entre autres destiné aux lycéens et aux étudiants des universités et des grandes écoles, on découvre ceci : « La France n’a pas méconnu les exigences d’une certaine évolution, à tout le moins d’un certain réformisme. Pour ne rien dire d’une œuvre considérable accomplie dans les domaines sanitaire ou éducatif, dont témoigne une somme injustement oubliée de dévouements obscurs [88] » écrivent, en 1986, Bernard Droz, agrégé d’histoire, professeur de khâgne au lycée Louis-Le-Grand et maître de conférences à l’Institut d’études politique de Paris, et Anthony Rowley, enseignant dans la même institution. Dans un numéro de la revue Historia d’octobre 2009, enfin, Daniel Lefeuvre, professeur à l’université de Paris VIII et spécialiste de l’Algérie coloniale, élargit le propos en soutenant que « le développement des infrastructures – routières, ferroviaires, portuaires, puis aéroportuaires – mis en œuvre par les puissances coloniales, certes dans leur propre intérêt, tout comme l’introduction de cultures nouvelles et l’amorce d’industrialisation ont constitué de réels apports à l’essor économique de ces territoires, bien au-delà de la période coloniale. » Le titre de l’article qui accueille cette analyse aussi puissante que nouvelle : « Une mission civilisatrice. [89] » On reste confondu par tant d’originalité.

Vive la France dont « la passion pour l’universel » ne s’est jamais démentie affirme encore le philosophe Pierre Bouretz qui, pour illustrer cette proposition générale, ajoute : « Du roi-Soleil à sa Révolution vécue comme une aurore, et à la République, drapeau hissé face à quiconque viendrait d’ailleurs suggérer d’autres formes de démocratie, elle s’est offerte à l’Europe des souverains et des peuples comme le modèle d’une politique marquée du sceau universel de la raison. [90] » Nul doute, les descendants des peuples colonisés d’Afrique, d’Asie et d’Océanie seront émus aux larmes par tant de prévention, et par de si anciennes ambitions eux dont les ancêtres furent soumis au Code noir, au Code de l’indigénat et au travail forcé, notamment. Quant aux historiens cités, ils ont bien mérité de la patrie reconnaissante qui disposera bientôt d’un Musée d’histoire de France, conformément aux désirs du chef de l’Etat. Face aux périls divers supposés menacer le pays, cette nouvelle institution « contribuera à faire vivre notre identité nationale auprès du grand public » écrivent Nicolas Sarkozy et le Premier ministre, François Fillon, dans la lettre de mission qu’ils ont adressée le 31 mars 2009 au nouveau ministre de l’Immigration, Eric Besson [91]. Estimant de son côté que « la conscience de la nation est aujourd’hui bousculée » par une « histoire éclatée », Pierre Nora soutient cette initiative pourvu qu’elle prenne la forme d’un « lieu de mémoire [92] » destiné, on l’imagine, à stimuler l’amour des citoyens pour ce beau pays et à rétablir ainsi une unité réputée compromise. Oh les beaux jours de la mythologie nationale.

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ANNEXE. ARRÊTÉ GÉNÉRAL SUR LES INFRACTIONS DE L’INDIGÉNAT

(Préfecture d’Alger, 9 février 1875)

Art. 1. – Sont considérés comme infractions spéciales à l’indigénat et, comme telles, passibles des peines édictées par les articles 465 et 466 du code pénal, les faits et actes ci-après déterminés, savoir :

1) Omission ou retard de plus de huit jours, dans les déclarations de naissance et de décès, dans les circonscriptions territoriales où cette mesure est prescrite par l’autorité administrative, en attendant que les dispositions des chapitres ii et iv du livre premier du code civil soient rendus applicables aux indigènes.

2) Négligence par les agents indigènes de toute catégorie (adjoints, gardes, cheikhs, oukaffs, kebirs de douars) à prévenir des crimes ou délits commis dans leur circonscription, le juge de paix de leur canton ou le procureur de la République lorsque le siège du tribunal est au chef-lieu du canton.

3) Négligence à fournir des renseignements sur un crime ou un délit dont les auteurs soupçonnés ne sont point de ceux à l’égard desquels la déposition du témoin n’est pas reçue en justice, et qui sont énumérés dans les cinq premiers paragraphes de l’article 322 du code d’instruction criminelle.

4) Négligence à comparaître sur simple invitation, même verbale, devant le juge de paix procédant à une information.

5) Négligence à se présenter devant l’administrateur ou le maire de la commune, après convocation remise par un agent de l’autorité administrative.

6) Acte irrespectueux ou propos offensants vis-à-vis d’un représentant ou agent de l’autorité, même en dehors de ses fonctions, et alors même que cet acte ou ce propos ne réunirait pas les caractères voulus pour constituer un délit ou la contravention d’injure.

7) Propos tenus en public dans le but d’affaiblir le respect dû à l’autorité.

8) Refus ou inexécution des services de garde, patrouille et poste-vigie, placés en vertu d’un ordre de l’autorité, abandon d’un poste ou négligence dans les mêmes services.

9) Refus à l’égard des prestations de transport et des gardes de camp autorisées pour les commissaires-enquêteurs chargés de l’application de la loi du 26 juillet 1873.

10) Refus de fournir, contre remboursement, aux prix du tarif établi par arrêté du préfet, les vivres, les moyens de transport ou les agents auxiliaires (gardiens de nuit, jalonneurs, guides) aux fonctionnaires ou agents dûment autorisés.

11) Refus ou manque d’obtempérer aux convocations des commissaires-enquêteurs, pour assister comme témoins ou comme parties intéressées aux opérations relatives à l’application de ladite loi.

12) Refus de fournir les renseignements statistiques, topographiques ou autres, demandés par des agents de l’autorité française en mission, ou mensonge dans les renseignements donnés.

13) Négligence habituelle dans le payement des impôts et dans l’exécution des prestations en nature, manque d’obtempérer aux convocations des receveurs lorsqu’ils se rendent sur les marchés pour percevoir les contributions.

14) Dissimulation et connivence dans les dissimulations en matière de recensement des animaux et objets imposables.

15) Infractions aux instructions portant règlement sur l’immatriculation des armes.

16) Habitation isolée sans autorisation en dehors de la mechta ou du douar, campement sur des lieux prohibés.

17) Départ du territoire de la commune sans avoir, au préalable, acquitté les impôts et sans être munis d’un permis de voyage.

18) Infractions aux instructions portant réglementation sur le mode d’émigration des nomades.

19) Asile donné, sans en prévenir le chef de douar, à des vagabonds, gens sans aveu ou étrangers sans papiers.

20) Réunions sans autorisation pour zerda, ziara ou autres fêtes religieuses ; coups de feu sans autorisation dans des fêtes.

21) Labour partiel ou total des chemins non classés, mais consacrés par l’usage.

22) Infractions aux règlements d’eaux et aux usages locaux pour l’affectation des fontaines.

23) Détention, pendant plus de vingt-quatre heures, d’animaux égarés, sans avis donné à l’autorité.

24) Abattage de bétail et dépôt d’immondices hors des lieux destinés à cet effet, abattage de vaches ou de brebis pleines ; non-enfouissement des animaux (domestiques ou sauvages morts ou tués) au moins à 500 mètres d’un chemin ou d’une habitation.

25) Inhumation hors du lieu consacré ou à une profondeur inférieure à celle déterminée par l’autorité locale.

26) Mendicité hors du douar, même pour les infirmes et les invalides, sauf cas d’autorisation.

27) Plainte ou réclamation sciemment inexacte ou réclamation renouvelée après solution régulière.

NOTES

[1] . A. Girault (1865-1931). Principes de colonisation et de législation coloniale, Paris, Larose, 1895, p. 305.

[2] . J. Ferry. Le Gouvernement de l’Algérie, Paris, Armand Colin, 1892, p. 11.Sur les positions de Ferry relatives aux droits de l’homme dans les colonies, cf. p. de cet ouvrage.

[3] . Ceci est confirmé par l’abondante littérature apologétique consacrée au maréchal Bugeaud sous la Troisième République et après. Cf. en particulier, parmi de nombreux ouvrages, P. Azan. Bugeaud et l’Algérie, coll. « Nos gloires coloniales », Paris, Le Petit Parisien, 1930 et Paluel-Marmont. Bugeaud. Premier français d’Algérie publié chez Mame en 1944. Destinée à un vaste public, cette biographie synthétique est publiée dans la collection « Découvertes-Exploits héroïques » où elle rejoint celles consacrées à Marchand l’Africain, à Dupleix et l’empire des Indes et à Lavigerie et les pères blancs.

[4] . Congrès colonial français de 1905, Paris, 1905, p. 85. Penant fut aussi directeur du Recueil général de jurisprudence et de législation coloniales.

[5] . Cette nouvelle doctrine de la République impériale fut consacrée lors du Congrès colonial international et du Congrès international de sociologie coloniale, organisés à Paris pendant l’été 1900 avec le soutien des pouvoirs publics français.

[6] . P. Masson. « Introduction » à Les colonies françaises, au début du XXe siècle. Cinq ans de progrès (1900-1905), Marseille, Barlatier, 1906, p. 23.

[7] . « L’œuvre [du professeur Girault] est de beaucoup la plus populaire » dans la Péninsule écrit le spécialiste italien M. Rosetti. Institut colonial international, session de Paris, 5, 6 et 7 mai 1931, p. 109. (Souligné par nous.)

[8] . A. Girault. « Condition des indigènes au point de vue de la législation civile et criminelle et de la distribution de la justice. » in Congrès international de sociologie coloniale, Paris, 1900, p. 71 et 253.

[9] . E. Larcher et G. Rectenwald. Traité élémentaire de législation algérienne, Paris, Rousseau&Cie Editeurs, 1923, tome 2, p. 477. Larcher est professeur à la faculté de droit d’Alger et avocat à la cour d’appel. Rectenwald est docteur en droit, conseiller de Cour d’appel et vice-président du tribunal mixte immobilier de Tunisie. Ce Traité est une référence majeure que l’on a coutume d’appeler le « Larcher. » Ferhat Abbas, notamment, tient son auteur pour la « plus haute autorité en […] matière » de droit colonial algérien. « Rapport au maréchal Pétain » (avril 1941) in De la colonie vers la province, Paris, Garnier, 1981, p. 179. Hannah Arendt cite l’ouvrage de Larcher lorsqu’elle analyse les spécificités de la domination coloniale et le « régime des décrets. » L’impérialisme in Les Origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, 2002, p. 530.

[10] . E. Larcher et G. Rectenwald. Traité élémentaire de législation algérienne, op. cit. , tome 1, p. 15-16.

[11] . L. Rolland et P. Lampué. Précis de législation coloniale, Paris, Dalloz, 1940, § 201, p. 151. Le premier est professeur de droit à la Faculté de Paris, le second à Caen. Tous deux ont publié plusieurs manuels de droit colonial avant et après la Seconde Guerre mondiale.

[12] . En Algérie, cette situation et le régime des décrets n’ont été abolis que par l’ordonnance du 7 mars 1944 confirmée par la loi du 20 septembre 1947.

[13] . P. Dareste. Traité de droit colonial, Paris, 1931, p. 233 et 243. (Souligné par nous.) Dareste fut aussi directeur du Recueil de législation, de doctrine et de jurisprudence coloniales.

[14] . B. Sol et D. Haranger. Recueil général et méthodique de la législation et de la réglementation des Colonies françaises, Paris, Sociétés d’éditions géographiques, 1930, t. 1, p. V. Les auteurs sont tous deux inspecteurs des colonies.

[15] . Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

[16] . H. Solus. Traité de la condition des indigènes en droit privé, préface d’A. Girault, Paris, Recueil Sirey, 1927, p. 15. Professeur à l’université de Poitiers, Solus fut membre de l’Académie des sciences coloniales. (Souligné par nous.) De son côté, G. Klein, avocat à la Cour d’appel, note : cette « condition de “sujet” jure (…) avec les notions modernes du Droit public. » De la condition juridique des indigènes d’Algérie sous la domination française, Paris, Brière, 1906, p. 25. Cela jurait, certes, mais cela fut maintenu puis étendu à l’ensemble des colonies sous la Troisième République.

[17] . A. Supiot. Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit, Paris, Seuil, 2005, p. 60.

[18] . J. Vernier de Byans. Rapport au ministre des colonies, Paris, Imprimerie nationale, 1912, p. 8. « La stabilité inhérente aux actes de l’Assemblée nationale, ajoute-t-il, s’harmoniserait mal avec le caractère nettement évolutif de la législation coloniale. (….) il faudra longtemps encore à son service un appareil plus souple et plus facilement mis en action que le pouvoir constituant. » Idem, p. 10. Docteur en droit, l’auteur est aussi « officier d’administration de 2e classe du Commissariat des troupes coloniales. »

[19] . J. Harmand (1845-1921). Domination et colonisation, Paris, Flammarion, 1910, p. 170. Egalement médecin et explorateur de l’Indochine, Harmand fut l’ami de G. Le Bon qui l’a encouragé à rédiger cet ouvrage important salué par le grand historien belge de la colonisation, Charles de Lannoy. Cf. La Colonistique. Définition et méthode, Bruxelles, Hayez, 1913, p. 23. Lannoy était professeur à l’université de Gand. Pour Hubert Deschamps, « le livre » d’Harmand est « le plus aigu qui ait été écrit en France sur le problème colonial. » L’Union française. Evolution politique et juridique, Paris, Les Cours de droit, 1948-1949, p. 394. Historien et administrateur colonial, Deschamps (1900-1979) fut aussi directeur du département des sciences humaines à l’Office de recherches scientifiques d’outre-mer.

[20] . J. Habermas. Droit et démocratie. Entre faits et normes, trad. de R. Rochlitz et Ch. Bouchindhomme, Paris, Gallimard, 1997, p. 457.

[21] . R. Maunier. Répétitions écrites de législation coloniale, (troisième année d’études), Paris, Les Cours du Droit, 1938- 1939, p. 320-321. Membre de l’Académie des sciences coloniales et auteur prolixe, Maunier (1887-1951) est considéré comme le fondateur de la sociologie coloniale à laquelle il a consacré une somme dont la publication s’étend sur dix ans. Cf. Sociologie coloniale, Paris, Domat-Montchrestien, 1932 et 1942.

[22] . E. Larcher et G. Rectenwald. Traité élémentaire de législation algérienne, op. cit. , t. 2, p. 408 et 409.

[23] . R. Maunier. Répétitions écrites de législation coloniale, op. cit. , p. 14 et 206. Parfaitement conscient de l’importance de cette caractéristique du droit colonial, Maunier ajoute « tel est [son] principe. »

[24] . Gasconi. Débats parlementaires, Chambre des députés, 9 février 1888, session ordinaire, p. 334. En 1885, Clemenceau dénonçait déjà le fait que de nombreuses expéditions militaires conduites en outre-mer l’avaient été à l’insu du « pays » et de la représentation nationale, tous deux placés devant des « faits accomplis » par un exécutif pressé et envahissant qui prenait beaucoup de liberté avec l’article 9 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 obligeant le « président de la République » à obtenir « l’assentiment préalable des deux Chambres » pour « déclarer la guerre. » Clemenceau. Chambre des députés. 30 juillet 1885, in 1885 : le tournant colonial de la République, introduction de G. Manceron, Paris, La Découverte, 2007, p. 71-72. Radical-socialiste, Clemenceau est alors élu de Montmartre.

[25] . A. Girault. Principes de colonisation et de législation coloniale, op. cit. , p. 3. « Un régime de décret, écrit Arendt, offre des avantages indéniables pour la domination des territoires lointains aux populations hétérogènes et une politique d’oppression. » L’impérialisme in Les Origines du totalitarisme, op. cit. , p. 530.

[26] . Citée par E. Larcher et G. Rectenwald. Traité élémentaire de législation algérienne, op. cit. p. 186.

[27] . L. Rolland et P. Lampué. Précis de législation coloniale, op. cit. , § 203, p. 152.

[28] . Les illégalités et les crimes du Congo, Paris, 1905, p. 15. Cet ouvrage réunis les discours prononcés par différents orateurs lors d’une réunion organisée par le Comité de protection et de défense des indigènes que préside Viollet. Parmi les intervenants se trouvait notamment Frédéric Passy (1822-1912) qui, député républicain de Paris, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, fut le principal artisan de la création de la Ligue internationale et permanente de la paix en 1867, de la Société d’arbitrage entre les nations et de l’Union internationale pour la paix. Avec le fondateur de la Croix-Rouge, Henri Dunant, il reçoit le premier prix Nobel de la paix en 1901.

[29] . L. Rolland et P. Lampué. Précis de législation coloniale, op. cit. , § 209, p. 158. Les décrets des gouverneurs, ajoutent-ils, sont placés « à un degré moins élevé que ceux du Chef de l’Etat dans la hiérarchie des textes juridiques. » Idem, p. 157.

[30] . A. Girault. « Préface » in Les lois organiques des colonies. Documents officiels, Bruxelles, Institut colonial international, 1906, tome 2, p. 18. Cette situation est connue de tous ceux qui s’intéressent aux colonies quand bien même ils n’en sont pas des spécialistes. Céline note qu’en Afrique noire française, les gouverneurs sont de véritables « tyran[s] » locaux devant lesquels les « militaires » et les « fonctionnaires » osent « à peine respirer. » Voyage au bout de la nuit, Paris, Gallimard, 1994, p. 113 et 165. De ces gouverneurs, Maunier affirme aussi, sur le mode de l’approbation cette fois : « Ils font tous les métiers, ils ont toutes les fonctions, ils sont dictateur, à plus d’un égard. » Répétitions écrites de législation coloniale, op. cit. , p. 281.

[31] . Montesquieu. De l’esprit des lois, Paris, GF-Flammarion, Livre XI, chap. VI, p. 293.

[32] . A. Mérignhac (1857-1927). Traité de législation et d’économie coloniales, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1925, 2e édition, p. 161, 277 et 859. Professeur à la faculté de droit de Toulouse, membre de l’Institut de droit international public, Mérignhac est l’auteur d’un important Traité de droit public international publié en 1905.

[33] . R. Doucet. Commentaires sur la colonisation, Paris, Larose, 1926, p. 64 et 65. L’auteur est alors rédacteur en chef du journal Monde économique. Ces critiques ne remettent pas en cause la nécessité de l’empire. Conformément au credo de saison, Doucet précise : « la colonisation a été un bienfait pour les peuples » conquis auxquels « elle a donné la sécurité, la richesse et aussi des libertés bien plus larges que celles dont ils pouvaient bénéficier sous la tutelle d’autocrates de leur race. » Idem, p. 14.

[34] . A. Bienvenu. « Le législateur colonial. » Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, avril-mai-juin 1929, tome XLVI, n°2, p. 225.

[35] . H. Arendt. L’impérialisme in Les Origines du totalitarisme, op. cit. , p.529 et 530.

[36] . W. B. Cohen. Empereurs sans sceptre. Histoire des administrateurs de la France d’outre-mer et de l’Ecole coloniale, trad. de L. de Lesseps et de C. Garnier, Paris, Berger-Levrault, 1973, p. 94.

[37] . J. Barthélemy et P. Duez. Traité de droit constitutionnel, (1933), Paris, Economica, 1985, p. 289 et 283. (Souligné par nous.) Aujourd’hui encore, cet ouvrage demeure une référence pour de nombreux publicistes et politistes. Barthélemy (1874-1945) fut professeur à la faculté de droit de Paris et à l’Ecole libre des sciences politiques, membre de l’Institut et président de l’Académie des sciences morales et politiques. Parallèlement à cette carrière universitaire, il fut aussi, à partir de 1911, député puis vice-président du groupe parlementaire dirigé par P.-E. Flandin, administrateur du journal Le Temps et garde des Sceaux sous le régime de Vichy, du 26 janvier 1941 au 27 mars 1943. Sur cette période la vie de Barthélemy, cf. St. Rials. « A Vichy. De l’aveuglement » in Oppressions et résistances, Paris, PUF, 2008, pp. 283-362. Duez (1888-1947) était professeur à la faculté de droit de l’université de Lille, conseiller juridique de la ville et membre de l’Institut international de droit public.

[38] . Après avoir noté que les « colonies » furent, jusqu’en 1945, soustraites « à l’universalité de la loi », Robert Delavignette ajoute : « Si les mots ont un sens, reconnaissons donc que la Troisième République a agi juridiquement en outre-mer en Etat bureaucratique mais non en métropole républicaine. » Service africain, Paris, Gallimard, 1946, p. 259-260. Ancien élève de l’Ecole coloniale, administrateur des colonies et directeur de l’Ecole nationale d’outre-mer (1934-1946), Delavignette (1897-1976) est alors fort connu ; son livre est un classique cité, entre autres, par G. Balandier dans Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Paris, PUF, 1955.

[39] . P. Matter. « Préface » au Traité de droit colonial (1931) de P. Dareste, op. cit. , p. V.

[40] . M. Delafosse (1870-1926). Broussard ou les états d’âme d’un colonial, Paris, Larose, 1923, p. 136 et 140. Delafosse fut également professeur à l’Ecole coloniale et à l’Ecole nationale des langues orientales, et membre du Conseil supérieur des colonies. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages considérés alors comme des classiques.

[41] . A. Hampâté Bâ (1900-1991). Oui mon commandant ! , Le Méjan, Actes Sud, 1996, p. 192. (Souligné par nous.) Ecrivain célèbre, qui a obtenu de nombreux prix littéraires, Hampâté Bâ fut par la suite membre du conseil exécutif de l’Unesco.

[42] . A. Hampâté Bâ. L’étrange Destin de Wangrin, Paris, 10/18, 2001, p. 25.

[43] . Montesquieu. De l’esprit des lois, op. cit. , Livre V, chap. XV, p. 190.

[44] . Hormis P. Legendre. Trésor historique de l’Etat en France. L’administration classique, Paris, Fayard, 1992. La situation évolue positivement cependant. Cf. sous la dir. de S. Kodjo-Grandvaux et G. Koubi. Droit & Colonisation, Bruxelles, Bruylant, 2005, le dossier « Les colonies, la loi, les juristes » in Droits, n°43-1, 2006, pp. 123-219 et sous la dir. de A. Stora-Lamarre, J-L. Halperin, et F. Audren. La République et son droit (1870-1930), Besançon, Annales littéraires de Franche Comté, 2010.

[45] . J. Carbonnier. « Le Code civil », in Les Lieux de mémoire, sous la dir. de P. Nora, Paris, Gallimard, « Quarto », 1997, t. 1, p. 1341.

[46] . Cf. en particulier. L. Sala-Molins. Le Code noir ou le calvaire de Canaan, (1987), Paris, PUF, 2002 et du même L’Afrique aux Amériques. Le Code noir espagnol, Paris, PUF, 1992.

[47] . A. Siefried (1875-1959). L’Occident et la direction spirituelle du monde, Paris, 1932, p. 5 et 8. Professeur à l’Ecole libre des sciences politiques, membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1932, Siegfried entre au Collège de France deux ans plus tard. Elu à l’Académie française en 1944, il devient président de la Fondation nationale des sciences politiques en 1945, de l’Association française de science politique en 1949 et du comité de rédaction de la Revue française de science politique en 1951. A cela s’ajoutent d’autres fonctions importantes puisqu’il a siégé au Conseil d’administration de l’ENA, au Comité constitutionnel en 1955 et à la Cour permanente d’arbitrage de la Haye en 1957. Siegfried est toujours honoré par l’Institut d’études politiques de Paris où la bibliothèque porte son nom. De même à l’IEP de Bordeaux ; là, il s’agit d’un amphithéâtre.

[48] . Cf. O. Le Cour Grandmaison. La République impériale. Politique et racisme d’Etat, Paris, Fayard, 2009, pp. 70-72. Et plus généralement, D. Colas. Citoyenneté et nationalité, Paris, Gallimard, folio histoire, 2004.

[49] . Cf. notamment les travaux de C. Collot. Les institutions de l’Algérie pendant la période coloniale (1830-1962), Paris, Ed. du CNRS, 1987, I. Merle. Expériences coloniales. La Nouvelle-Calédonie (1853-1920), Paris, Belin, 1995, S. Thénault. Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 2001 et E. Saada. Les Enfants de la colonie. Les métis de l’empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris, La Découverte, 2007.

[50] . Th. Hobbes. Le Citoyen ou les fondements de la politique, trad. de S. Sorbière, Paris, Garnier-Flammarion, 1982, p. 71.

[51] . A. Billiard. « Etude sur la condition politique et juridique à assigner aux indigènes des colonies. » in Congrès international de sociologie coloniale, (1900), op. cit. , t. 2, p. 47. (Souligné par nous.) Billiard était administrateur de commune mixte en Algérie et inspecteur du service départementale des affaires indigènes à Constantine.

[52] . Intervention du député Gabriel d’Arboussier à l’Assemblée nationale constituante. Séance du 23 mars 1946. Citée in F. Challaye. Un livre noir du colonialisme. "Souvenirs sur la colonisation", Paris, Les nuits rouges, 2003, p. 182. G. d’Arboussier (1908-1976) fut l’un des fondateurs du Rassemblement démocratique africain (RDA). A l’indépendance, il est ministre de la Justice du Sénégal (1960-1962) puis directeur adjoint de l’Unesco (1963-1964).

[53] . H. Solus. Traité de la condition des indigènes en droit privé, op. cit. , 315.

[54] . P. Leroy-Beaulieu. L’Algérie et la Tunisie (1887), Paris, Guillaumin, 1897, 2e édition, p. XI. Professeur à l’Ecole libre des sciences politiques, membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1878, Leroy-Beaulieu (1843-1916) entre au Collège de France deux ans plus tard. L’ouvrage qui l’a fait connaître est : De la colonisation chez les peuples modernes paru en 1874.

[55] . Il était ainsi libellé : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. » Sur la loi du 23 février 2005, Cf. sous la dir. de G. Manceron et Cl. Liauzu. La Colonisation, la loi et l’histoire, Paris, Syllepse, 2006 et O. Le Cour Grandmaison. « Sur la réhabilitation du passé colonial de la France. » in La Fracture coloniale, sous la dir. de P. Blanchard, N. Bancel et S. Lemaire, Paris, La Découverte, 2005, pp. 121-128.

[56] . Les députés socialistes et communistes ont attendu le 10 novembre 2005 pour déposer deux propositions de loi fort limitées puisqu’elles ne tendaient qu’à l’abrogation de l’article 4 précité. Lenteur d’autant plus singulière que ces parlementaires connaissaient parfaitement le contenu de ce texte jugé « incompatible avec ce qu’est, en démocratie, la démarche de l’historien » affirmait Robert Badinter. Le Monde, 19 novembre 2008. Des membres de la direction nationale du PS ont admis avoir réagi « tardivement » et « manqué de vigilance. » Le Monde, 30 novembre 2005. Assurément.

[57] . Rappelons qu’Henri Guaino est aussi l’auteur du sinistrement célèbre « discours de Dakar » prononcé par son mentor à l’université Cheikh Anta Diop le 26 juillet 2007. Cf à ce sujet, sous la dir. de A. Ba Konaré. Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, Paris, La Découverte, 2009.

[58] . Pour une analyse plus précise de ce discours, cf. la remarque terminale – « Passé colonial et identité nationale : sur la rhétorique de Nicolas Sarkozy. » - in O. Le Cour Grandmaison. La République impériale : politique et racisme d’Etat, Paris, Fayard, 2009, pp. 362-376.

[59] . M. Gallo. FIER d’être français, Paris, Fayard, 2006, p. 26 et 27. Ne reculant devant aucun procédé rhétorique, même le plus improbable et le plus grossier, Gallo ajoute doctement : « le pire est toujours possible. Demandez aux Cambodgiens s’ils auraient naguère imaginé la politique des Khmers rouges, leur volonté d’effacer l’histoire en exterminant les habitants pour détruire du même coup les mémoires ? » Idem, p. 28. Par ailleurs, le lecteur attentif aura noté l’extraordinaire subtilité typographique du titre.

[60] . F. Challaye. Un livre noir du colonialisme. Souvenirs sur la colonisation, (1935), op. cit. , p. 95.

[61] . Cité par G. Garros. Forceries humaines, op. cit. , p. 169.

[62] . L. S. Senghor. Assemblée nationale constituante, 2e séance du 21 mars 1946, pp. 948-949. (Souligné par nous.)

[63] . P. Dislère. Traité de législation coloniale, (1886), Paris, Librairie administrative P. Dupont, 1914, 4e édition, p. 297. Polytechnicien, Dislère (1840-1928) fut maître des requêtes au Conseil d’Etat (1881), secrétaire d’Etat aux colonies (1882) et président du conseil d’administration de l’Ecole coloniale.

[64] . H. Labouret. Colonisation, colonialisme, décolonisation, (1952), op. cit. , p. 103.

[65] . F. Dupuy. Essai sur quelques méthodes nouvelles de notre politique coloniale, Paris, Leconte, 1942, p. 135. (Souligné par nous.)

[66] . M. Kessous. La vérité sur le malaise algérien, (1935), op. cit. , p. 12 et 14. « Le nombre d’hommes [indigènes] instruits est infime comparativement à la population totale, observe aussi R. Zenati en 1938. Aujourd’hui, la proportion d’enfants musulmans admis à l’école française est de 7% de la population scolaire. » Le problème algérien vu par un indigène, Paris, Publications du Comité de l’Afrique française, 1938, p. 62. Enseignant puis directeur d’école primaire, Zenati fut le fondateur à Constantine de la Voix indigène. Journal d’Union franco-musulmane. De plus, on apprend que comme tous les « fonctionnaires et employés indigènes », « les instituteurs » ne « touchent pas les mêmes indemnités que leurs collègues français. » Emir Khaled. La situation des musulmans d’Algérie, (1924), op. cit. , p. 15.

[67] . Dr. M. Bendjelloul. Préface à La vérité sur le malaise algérien, op. cit. , p. VII et VIII.

[68] . A. Mercier. Contribution à l’étude des réformes politiques, sociales et économiques en faveur des musulmans français d’Algérie, Alger, Imprimerie officielle, 1944, 12 et 21.

[69] . M. Bentaïeb. Assemblée nationale. 1er séance du 19 août 1947, p. 4408. Bentaïeb (1901-1982) fut député d’Alger (1946-1951) puis élu à l’Assemblée algérienne (1953-1956). « En Algérie, constate par ailleurs Etemad Bouda, le revenu moyen de l’agriculteur européen est, en 1954, 35 fois plus élevé que celui de l’agriculteur musulman. » De l’utilité des empires. Colonisation et prospérité de l’Europe, Paris, A. Colin, 2005, p. 206.

[70] . G. Tillion. L’Afrique bascule vers l’avenir, Paris, Tirésias, 1999, p. 48, 49 et 77. Il s’agit de la réédition complétée de L’Algérie en 1957 publiée aux Editions de Minuit. En 1954, R. Aron observe que 94% des hommes et 98% des femmes étaient illettrés en français. Seulement 1 enfant sur 5 allait en classe pour les garçons, 1 sur 16 pour les filles. A l’université d’Alger, les 4/5 des étudiants sont d’origine européenne. R. Aron. L’Algérie et la République, Paris, Plon, 1958, p. 18. L’historien G. Pervillé estime qu’en 1955, « malgré le plan de scolarisation accéléré adopté par le CFLN en 1944, » 15% seulement des enfants d’âge scolaire étaient effectivement scolarisés. Pour une histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Picard, 2002, p. 89. Il n’en écrit pas moins : « La France a cru pérenniser et légitimer sa présence en accomplissant en Algérie une œuvre considérable (sic), dont les vestiges matériels (…) continuent de susciter l’admiration. » Idem, p. 317. L’admiration de qui et pour quelles magnifiques réalisations ? Mystère.

[71] . Pour une brève histoire, apologétique et édifiante, de la médecine coloniale, de 1639 aux « célèbres French doctors » des années 80, réputés avoir prolongé cette glorieuse tradition, cf. L. Monnais. « Les toubibs font merveille » in Historia, n°754, octobre 2009, pp. 28-33. Article agrémenté de photos et d’un dessin de 1901 extrait du Petit Français illustré où l’on découvre, travaillant sous l’auguste drapeau tricolore, un médecin blanc en train d’ausculter et de vacciner des Noirs, hommes de troupes et villageois. Inutile de chercher des éléments factuels susceptibles d’éclairer le lecteur sur les origines de cette illustration, le contexte dans lequel elle fut élaborée puis utilisée à l’époque de sa première publication. Les règles méthodologiques élémentaires, dont le respect est exigé de tout élève de Terminale appelé à commenter un document historique, sont ainsi vaporisées. Admirable.

[72] . Annuaire de documentation coloniale comparée, op. cit. , 1932, vol. 2, p. 27. Quelques années plus tôt, le Dr. Lasnet, médecin inspecteur général, soutenait qu’il y avait environ 1 médecin pour 1700 habitants en métropole et 1 pour 60 000 dans les colonies. Quant aux objectifs de la médecine coloniale, il précisait : « il ne s’agit pas de soigner tous les malades » mais il faut des médecins en « nombre suffisant pour traiter les malades européens ainsi que les cas graves, et surtout pour encadrer la masse d’exécution représentée par les indigènes. » « La situation sanitaire aux Colonies. » Rapport présenté à l’Académie des sciences coloniales. Compte-rendu des séances, Paris, Société d’édition, t. XIV, 1929-1930, p. 494.

[73] . J. Thomas. A travers l’Afrique équatoriale sauvage, Paris, Larose, 1934, p. 27.

[74] . P. Herbart. Le chancre du Niger, préface d’A. Gide, Paris, Gallimard, 1939, p. 80-81.

[75] . R. Vergès. Assemblée nationale. Séance du 26 mars 1946, p. 1052. Aimé Césaire décrit la situation des « vieilles colonies » en ces termes : « Pas de d’indemnité pour la femme en couches. Pas d’indemnité pour le malade. Pas de pension pour le vieillard. Pas d’allocation pour le chômeur. (…) Mesdames, messieurs, c’est là un fait sur lequel il convient d’insister : dans ces territoires où la nature s’est montrée magnifiquement généreuse règne la misère la plus injustifiable. » « Pour nous résumer, nous n’hésitons pas à affirmer que (…) près d’un million de citoyens français, natifs des Antilles, de la Guyane et de la Réunion, sont livrés sans défense à l’avidité d’un capitalisme sans conscience et d’une administration sans contrôle. » Idem, séance du 12 mars 1946, p. 661-662.

[76] . M. Viollette. L’Algérie vivra-t-elle ?, op. cit. , p. 143. « L’Arabe, surtout celui des champs, (…) ne mange pas à sa faim » écrivent de leur côté trois médecins en 1932. « Les statistiques du bureau d’hygiène montrent que l’on meurt deux fois plus à la Casbah, et que l’indigène est six fois plus tuberculeux que l’Européen d’Alger. La mortalité par tuberculose est trois fois plus forte chez les indigènes que chez les Européens, dans l’ensemble de la ville. » Drs. P. Picard. L. Raynaud et H. Soulié. Hygiène et pathologie nord-africaines. Assistance médicale, Paris, Masson, 1932, p. 338. Raynaud est inspecteur général des Services d’hygiène et de la santé publique en Algérie, membre de l’Office international d’Hygiène et du Comité d’hygiène de la Société des nations. (Souligné par nous.)

[77] . G. Hardy et Ch. Richet (fils). L’alimentation indigène dans les colonies françaises, (1933), op. cit. , p. 9 et 10.

[78] . H. Labouret. Famines et disettes aux colonies, Paris, 1938, p. 426 et 432.

[79] . G. Tillion. L’Afrique bascule vers l’avenir, op. cit. , p. 31.

[80] . Souligné par nous.

[81] . Rapport d’information n°1262. Assemblée nationale, p. 282.

[82] . J. Ferry, 28 juillet 1885, 1885 : le tournant colonial de la République, op. cit. , p. 62.

[83] . A. Sarraut. Discours à l’ouverture des Cours de l’Ecole coloniale, 5 novembre 1923, Paris, Editions du journal « La presse coloniale », 1923, p. 8.

[84] . P. Bruckner. La tyrannie de la pénitence, Paris, Grasset, 2006, p. 248. En 1986, le visionnaire Bruckner dispensait déjà ses conseils avisés en livrant cette forte pensée destinée à renforcer les liens entre le Nord et le Sud. « Le meilleur vecteur de l’amitié entre les peuples, écrivait-il alors, c’est encore et toujours le charter » Le sanglot de l’homme blanc, Paris, Seuil, 1983, p. 302. 23 ans plus tard, chacun peut apprécier à sa juste valeur la clairvoyance de cette proposition audacieuse.

[85] . E. Lavisse (1842-1922). Histoire de France. Cours élémentaire, A. Colin, 1914, p. 170. (Souligné dans l’original.)

[86] . A. Malet et J. Isaac. Histoire 4. La naissance du monde moderne 1848-1914, Paris, Hachette, 2003, p. 237. Ce livre fut réédité sans le moindre appareil critique. Les auteurs anonymes de l’avertissement se contentant d’écrire que « ce classique de la vie culturelle française demeure (…) un irremplaçable ouvrage de référence » et une « véritable institution. » Idem, p. 5 et 6. L’hagiographie est mauvaise conseillère.

[87] . A. Dupront (1905-1990). « Du sentiment national » in La France et les Français, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1972, p. 1469 et 1470.

[88] . B. Droz et A. Rowley. Histoire générale du XXe siècle, tome 2, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 1986, p. 68. (Souligné par nous.)

[89] . Historia, octobre 2009, n°754, p. 16-17. Lefeuvre soutient que l’un des rôles de l’histoire est de faire aimer la France aux « Français d’origine maghrébine », qui sont donc soupçonnés de ne pas éprouver pour cette dernière des sentiments suffisamment forts. Aussi condamne-t-il tous ceux qui disent que « la France s’est mal conduite. » Réforme, n°3194, 12-18 octobre 2006. Voilà qui devrait attirer l’attention de l’Académie des sciences d’outre-mer qui, fidèle à sa tradition, attribue encore le Prix Durand-Réville (4000€) pour « récompenser un ouvrage traitant des aspects positifs de la colonisation » http://www.academiedoutremer.fr/prix.php. Le nouvel académicien de la présidence de la République, Max Gallo, vient de découvrir comment rétablir la bonne santé du pays. « Le remède aux maux de la nation, c’est l’amour de la nation, c’est la fierté rendue au mot France » écrit-il donc. FIER d’être français, op. cit. , p. 41. Lumineux et d’une efficacité redoutable, à n’en pas douter.

[90] . P. Bouretz. La République et l’universel, Paris, Gallimard, 2000, p. 11.

[91] . Lettre de mission, p. 6.

[92] . Le Figaro, vendredi 19 juin 2009, p. 29. Propos tenus lors du Colloque « Lieux de mémoire, musée(s) d’histoire(s) » organisé par l’Institut national du patrimoine. Seuls les mauvais esprits verront dans cette proposition audacieuse un plaidoyer pro domo.