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Synthèses

Recueil Alexandries

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octobre 2005

Charlotte Mouyeaud

Discours d’ONG sur les exilés africains en transit au Maroc

résumé

Nous allons dans cet article analyser le discours de sept ONG. Notre choix des ONG ne s’est pas effectué selon l’origine nationale ou sur une population particulière ; les migrants clandestins en transit au Maroc, et dont l’aspiration est de venir en Europe. Nous avons pu observer des différences entre ces discours qui s’expliquent par les vocations spécifiques de chacune des ONG. Cependant des similitudes importantes au sein de ces discours préexisteraient à ces différences de fonds.

à propos

Note réalisée en oct. 2005 en recherche par Internet sur "Les exilés africains en transit au Maroc - La crise politique et humanitaire de l’automne 2005" dans la formation Master2-pro "Crises : interventions d’urgence et actions de développement" (Paris 1, IEDES) / séminaire "Migrations forcées, réfugiés, asile" (J. Valluy). L’université n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ces documents.

citation

Charlotte Mouyeaud, "Discours d’ONG sur les exilés africains en transit au Maroc", Recueil Alexandries, Collections Synthèses, octobre 2005, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article444.html

90 ko

Nous allons dans cet article analyser le discours de sept ONG [1] sur une population particulière : les migrants clandestins en transit au Maroc, et dont l’aspiration est de venir en Europe. Nous avons pu observer des différences entre ces discours qui s’expliquent par les vocations spécifiques de chacune des ONG. Cependant des similitudes importantes au sein de ces discours préexisteraient à ces différences de fonds.

1 - A VOCATIONS DIFFERENTES, DISCOURS DIFFERENTS…

Les ONG de défense des droits de l’Homme [2] :

Ces ONG ne tiennent pas de discours sur les migrants. On retrouve très peu d’informations sur leur profil (sexe, age, nationalité, profession). Le peu de données que nous avons recueilli sont très éparpillées et peu détaillées. Les raisons de départ sont, elles, plus ou moins sous entendues. Leurs explications sont vues comme évidentes et acceptées comme tel. On n’a aucune information précise sur la vie de ces personnes dans leur pays d’origine.
Amnesty International (AI) nomme cette population, simplement « migrants », « personnes », « les réfugiés » (c’est le seul qualificatif qui donne éventuellement une information sur leur présence au Maroc). Dans d’autres articles nous avons pu glaner quelques rares informations supplémentaires :

- Sur leur origine territoriale : « …quelques dizaines de migrants d’Afrique sub-saharienne » [3]

- Sur leur statut et indirectement sur les raisons de départ : « …des centaines de migrants, parmi lesquels des demandeurs d’asile… » [4]

- Sur leur profil physiologique : « …cinq hommes originaires d’Afrique subsaharienne ont perdu la vie […] après la mort de deux hommes, dont un était mineur. » [5]
AI donne aussi un autre type d’information, qui fait appel à l’expérience du terrain par l’utilisation de témoignages. Les données sont censées être plus précises mais la représentativité est délicate. Ainsi, AI retranscrit dans un article du 26 oct 2005 le témoignage de jeunes migrants mais l’ONG insiste davantage sur les difficiles conditions de vie au Maroc, et leur parcours depuis le départ de leur pays d’origine.
Selon les témoignages, il apparaît qu’il s’agit d’hommes, environ de 20 à 30 ans, qui sont désignés par des initiales (pour la protection des témoins d’éventuelles représailles).

- « C.M, originaire du Mali… » ; « A.L, originaire du Mali… »

- « J.P n’a pas trente ans. Originaire du Cameroun, il a quitté son pays il y a plus d’un an, pour tenter d’échapper à la misère. »

- « X et Y font partie de quelque 500 migrants originaires de l’ouest de l’Afrique…  »

- « T.S, 23 ans, a quitté son pays natal, la Côte d’Ivoire, en 2003, après que son père et son frère eurent été tués chez eux par des hommes armés. Le statut de réfugié lui a été accordé en Juin 2004 au Mali. » [6]
A propos des motifs de départ, AI ne questionne pas sa réponse, les raisons des migrants sont évidentes :

- « Le délit ? Avoir voulu fuir la misère, les persécutions ou la guerre. La sentence ? La mort sans procès » [7]

- « …des délégués d’AI […] ont recueillis les témoignages de personnes cherchant à échapper à la misère et à la répression, originaires pour la plupart, du centre et de l’ouest de l’Afrique… » [8]
Les informations sont limitées aussi dans le rapport de l’APDHA [9]. Le profil des migrants est soit ignoré, l’APDHA parle uniquement de « migrants irréguliers », soit donné pèle mêle :
« …des milliers de migrants, demandeurs d’asile, étudiants, blessés, femmes enceintes et enfants. » ; ou bien encore assez vague : « Campus Universitaire d’Oujda : Il y avait près de 400 subsahariens toutes nationalités confondues avec une majorité nigériane… ».
En ce qui concerne les motivations du départ, on retrouve la même réponse qu’AI, mais plus organisée et catégorisée :
« La plupart des migrants “économiques” (Mali, Sénégal, Cameroun, Guinée, Gambie, Nigeria) ont déjà été rapatriés […] De fait, ne restaient plus que les ressortissants des pays en guerre (Sierra Léone, Congo, Côte d’Ivoire, Libéria), c’est-à-dire demandeurs d’asile… ».
On peut expliquer le peu d’information relative aux migrants et le flou identitaire qui les entoure dans le discours de APDHA et AI car il s’agit d’ONG de défense des droits de l’Homme. Leur principale préoccupation est de constater et dénoncer toutes les atteintes aux droits humains fondamentaux. Ainsi, leurs rapports et articles se basent tous sur la description des violations de ces droits et leurs dénonciations. « A travers tous nos communiqués, nationaux et internationaux, l’APDHA a exigé le respect des droits humains et l’instauration de critères de solidarités dans les politiques migratoires » [10].
Ce qui permet aussi de comprendre le peu d’information sur le profil des migrants, c’est que peu importe qui sont les migrants pour ces ONG, ce qui compte pour elles, c’est le respect des droits de cette population.
AI se définie comme « un mouvements mondial composé de bénévoles qui oeuvrent pour le respect des droits de l’être humain » [11], et « sa seule et unique préoccupation est de contribuer impartialement à la protection des droits humains » [12]. Il en va de même pour l’APDHA, leurs actions ne nécessitent pas de faire ce genre d’étude car ils ne font pas de distinction entre les différentes populations, ils agissent au nom d’une seule caractéristique : l’être humain.

Les ONG de « soutien physique et matériel » [13] :

Nous avons choisi de regrouper ces ONG ensemble et sous cette appellation car elles sont sur le terrain et apportent directement un soutien aux migrants.
Nous avons observé qu’il n’existe qu’un seul rapport émanant de la CIMADE, en partenariat avec l’AFVIC, qui tente de faire un profil socio-économique des migrants subsahariens. Il s’agit d’un rapport sur la situation des migrants dans les camps informels de Gourougou, Bel Younes et Oujda [14], qui date de 2004. La CIMADE a écrit d’autres articles et rapports à ce sujet sur son site [15], cependant ce premier rapport est le plus détaillé sur l’identité des migrants. L’ONG elle-même se base sur ce rapport en ce qui concerne la définition des migrants.
Les informations de ce rapport sont cependant à prendre avec précaution étant donné que les enquêteurs de la CIMADE ont recueilli en priorité les témoignages de personnes demandeuses d’asile. Leur échantillon de population et donc leurs statistiques finaux ne sont pas représentatifs de la réalité, ce qui a été bien stipulé par l’ONG au cours de la rédaction de ce rapport.
Selon ce rapport, la population est majoritairement d’origine nigérienne. Viennent ensuite les Maliens, les Camerounais et les Sénégalais. Les enquêteurs ont aussi entendu parlé de la présence de quelques indiens et pakistanais, mais ils n’ont pas pu vérifier leurs sources d’informations. Ils indiquent aussi que la majorité des migrants dans les forêts sont des hommes jeunes : la moyenne d’age est de 28 ans. La raison de ce jeune age serait dû, selon la CIMADE, d’une part à la difficulté du parcours mais aussi à la volonté de commencer une « vie nouvelle » pour soi et sa famille. Le niveau d’instruction des migrants est en moyenne assez élevé. 38% d’entre eux avaient au moins le bac et 24% avaient suivi des études supérieures, tandis que seulement 10% n’avaient pas du tout été scolarisés. Les ressortissants congolais, camerounais et nigérians avaient en majorité suivi au minimum un enseignement secondaire ou technique et étaient souvent titulaires du bac. Au contraire, les ivoiriens et les maliens, généralement issus d’un monde rural, avaient rarement dépassé l’école primaire.
Les femmes sont très minoritaires dans ces camps informels et les enquêteurs n’ont pas pu avoir accès à elles, du fait du silence des autres migrants à ce sujet et de l’impossibilité physique de rencontrer ces femmes (« protégées » par des hommes du camp). Ils ne s’expliquent pas leur présence, ce qui leur fait craindre leur exploitation par certains hommes. Ils précisent la présence de bébés nés durant le voyage et de femmes enceintes, mais indiquent qu’il n’y a pas d’enfants dans les camps. Ils soupçonnent cependant la présence de mineurs de plus de 15 ans. De plus 46 % des migrants sont des pères de famille et la grande majorité exerçait une activité professionnelle. Ce qui amène aux raisons qui ont motivé le départ : 55% ont fui à cause de persécutions politique et des guerres ; et 40% pour des raisons économiques. Il nous faut préciser à nouveau que ces chiffres ne peuvent être interprétés comme représentatifs de la réalité étant donné que les enquêteurs ont privilégié la recherche de migrants susceptibles de demander l’asile politique. Ils ajoutent, dans l’explication des migrations économiques que « au-delà d’un travail qui permettra la survie de la famille, l’Europe offre des perspectives de réalisation, d’accomplissement et de reconnaissance qu’il est impossible de trouver dans leur pays d’origine. » [16]
MSF a aussi écrit un rapport en septembre 2005 sur la violence infligée aux migrants, qui donne quelques informations supplémentaires [17]. Ce rapport est principalement tourné sur la description des violences physiques et morales subies par les migrants ; cependant les informations données sont complémentaires de celles de la CIMADE et de l’AFVIC, mais restent bien plus restreintes.
MSF indique que les migrants sont formés aussi de femmes, de femmes enceintes et d’enfants. Dans la région de Tanger par exemple, MSF a porté secours à 1500 – 2000 personnes qui se répartissaient en quatre catégories : 81 à 88% d’hommes, 9 à 15 % de femmes, 1,2 à 2 % de femmes enceintes et 3 à 4 % d’enfants. Selon MSF, la majorité était d’origine subsaharienne, mais l’ONG ne donne pas d’informations plus précises sur les nationalités.
Contrairement à la CIMADE, le rapport de MSF donne une explication de la présence des femmes au sein des migrants. Selon eux il s’agirait souvent de femmes nigériennes qui se convertissent en prostitués en échange de protection et de passage vers l’Espagne. Elles sont regroupées en groupe de 30, et sont installées davantage en milieu urbain qu’en milieu rural ou dans les camps informels. Certaines femmes utiliseraient la grossesse comme « sauf-conduit » durant le voyage jusqu’en Europe, selon MSF. Par contre MSF n’aborde pas la question des raisons du départ.
Cette caractéristique, d’être sur le terrain, d’avoir des missions permanente, permet à ces ONG d’être au contact avec les migrants, et donc d’avoir une idée plus précise de qui ils sont. On comprend mieux alors pourquoi ce sont ces ONG qui ont écrits les rapports et les articles les plus riches en informations.
Par exemple la CIMADE explique dans la présentation de sa structure en France et à l’étranger que leur « volonté n’est pas de proférer de belles paroles consolatrices aux personnes en difficultés, mais de les aider efficacement et concrètement. Ceci nécessite une étude au cas par cas…  » [18]. Mais aussi par «  son histoire, sa présence quotidienne sur le terrain, elle tire une expérience qu’elle rend publique lors de nombreuses campagnes d’information et de sensibilisation » [19].

Les ONG de « discours » [20] :

Nous avons choisi de regrouper ces ONG sous cette appellation car elles n’ont pas de discours sur les migrants eux-mêmes, mais plutôt un « discours » sur le discours et les actions des autorités marocaines, espagnoles, européennes et onusiennes à ce sujet.
Il y a très peu d’informations sur le profil des migrants ; et une analyse teinté de militantisme sur les causes et conséquences de cette situation est largement produite.
Le réseau Migreurop [21] (qui centralise les informations sur le sujet, venant d’une dizaine d’ONG membres) parle des « migrants, pour la plupart subsahariens » [22], ou « africains de diverses nationalités » [23]. Ce sont les seules informations que nous avons pu recueillir.
Par contre, on trouve davantage de données dans la critique envers les autorités citées ci-dessus. Il n’y a pas seulement une dénonciation et une simple critique de faits, le réseau met en place une analyse plus approfondie de la situation et va plus loin justement qu’une simple dénonciation de faits. Au travers de cette analyse critique, on peut trouver un certains discours sur les migrants :

- « Pratiquant une ouverture sélective, réservée à l’immigration “choisie” dont leur économie a besoin, les Etats membres de l’UE, pour éviter d’avoir à accueillir ceux qu’ils nomment “immigration subie” (les réfugiés, et plus généralement tous ceux qui fuient la misère, les catastrophes environnementales et les conflits), sont prêts à tous les reniements. » [24] Cette phrase entre parenthèse permet au réseau de mettre en relief le manque de précision de l’UE dans sa définition des migrants, de montrer que les représentations subjectives prennent le dessus sur la réalité objective et surtout de nous montrer à nous qui sont les migrants pour le réseau.

- « Pour tenter d’endiguer “l’invasion” de ceux qui sont désignés que comme des “clandestins”, des murs de plus en plus haut sont érigés, des dispositifs de plus en plus sophistiqués sont mis en place pour protéger de l’ennemi subsahariens ces îlots d’Europe en terre africaine. » [25]

- « C’est désormais ouvertement que les migrants sont associés à la menace “terroriste”. » [26]
Cette critique des discours officiels remettent en cause un certain type de modèle de pensée et d’action, et nous informe indirectement de la position (en opposition) du réseau.
Il en va de même pour l’ATMF. Il y a peu d’informations objectives relatives au profil des migrants, la plupart sont teintées de militantisme et d’orientation idéologique.
On apprend uniquement par le fait d’une grève de la faim initié par des migrants détenus sur la base marocaine de Berden que « participent à cette grève des congolais (RDC), ivoiriens, libériens, ghanéens, sierra léonais, camerounais, soudanais, pakistanais et indiens. » [27] On apprend furtivement aussi qu’il y aurait « une dizaine de femmes ainsi que trois enfants (deux bébés et une fillette de 8 ans) seraient détenus sur la base » [28].
Aussi, l’ONG a recueilli une série de témoignages de survivants maliens, mais à titre de dénonciations de violations subies [29]
Le discours militant s’exprime principalement dans l’évocation des causes du départ des migrants de leur pays :

- « Les victimes de la répression de Ceuta et Melilla ont d’abord souffert de la violation de leurs droits économiques et politiques dans leurs propres pays et pas seulement du fait de la corruption de leurs dirigeants. Les causes de leur exil qui sont internes et externes ne sauraient être réduites à la pauvreté et à l’extrême pauvreté dont l’issue serait la “bonne gouvernance”. Le fait est que l’Europe, qui ne veut pas subir l’émigration, fait subir aux peuples d’Afrique les conséquences de ses chois économiques, exacerbe les inégalités et les injustices internes, criminalise et humilie les composantes les plus vulnérables du néolibéralisme sur le continent. » [30].

- « Les victimes africaines du capital prédateur voulaient tout simplement se libérer de la prison dans laquelle le FMI, le G8 et l’Europe les enferment » [31].

- « Comme l’attestent leurs témoignages, la majorité des refoulés maliens sont des jeunes ruraux, qui savent à peine lire et écrire  » [32]. Cette description des candidats maliens à l’immigration clandestine est faite en comparaison aux maliens diplômés à qui l’Europe ouvre ses frontières. Il s’agit là d’une critique envers l’Europe qui prendrait à l’Afrique ses « cerveaux » : « Aussi l’immigration “choisie” consiste-t-elle à entrebâiller les portes de l’Europe afin qu’y entrent les médecins, les infirmiers, les informaticiens …dont elle a besoin en laissant aux Etats africains le soin de gérer la grogne sociale » [33].
Un autre texte, à l’initiative de l’APDHA, qui reprend ces problématiques a été signé par plusieurs ONG et est en ligne sur le site du réseau Migreurop, c’est la « Déclaration Larache » [34] : « L’Europe ne peut pas oublier ses responsabilités dans le désespoir des Africains qui tentent d’arriver jusqu’à elle. […] L’Europe doit assumer sa responsabilité historique et actuelle dans la situation de tout un continent qui compte aujourd’hui plus de 100 millions de personnes d’une extrême pauvreté. L’Afrique et les Africains ont été spoliés, dépouillés et condamnés à la dislocation et à la misère, notamment par les entreprises multinationales. Et quand, fruit de leur situation désespérée, ils tentent d’émigrer, l’Europe les empêche de le faire légalement et ne leur laisse pas d’autre alternative que de tenter la terrible traversée de l’émigration irrégulière. » [35]
La vision du discours de ces ONG montre que les raisons du départ seraient la politique économique européenne et des grandes puissances, qui pille l’Afrique de ses biens et ressources matériels et immatériels, pour leurs propres profits. L’impérialisme des grandes puissances (notamment les pays européens) et la colonisation seraient toujours en pratique derrière la Mondialisation et son capitalisme effréné. La cause des départs des migrants clandestins serait donc principalement économique ici.
On peut comprendre pourquoi ces ONG axent leurs actions sur la dénonciation et les appels à changements de comportements, par le fait qu’elles ne sont pas sur le terrain et offrent plutôt une vision plus globale et élargie de la situation. Elles reprennent les informations de celles qui sont sur place et analysent les composantes générales du contexte avec ces données.
Par exemple l’ATMF inscrit son identité dans la dénonciation des puissances capitalistes dominantes, par ses luttes syndicales et ses luttes contre la répression : l’ATMF se définit comme « un réseau d’ingénierie associative basé sur le militantisme […] Elle plonge ses racines dans les grandes luttes qui ont marqué l’histoire de l’immigration : Soutien aux mouvements de libération des pays du Maghreb, luttes syndicales pour la dignité des travailleurs immigrés, mobilisation contre le racisme et la xénophobie, luttes contre la double peine. L’ATMF n’a cessé de lutter pour l’égalité des droits et la citoyenneté de résidence. » [36]
Il en va de même pour Migreurop, la différence venant du fait qu’il s’agit d’un réseau d’ONG. Le réseau prend finalement la « couleur » du discours et de l’identité de ces membres.

2 - UNE FONDATION DU DISCOURS SUR DES BASES SIMILAIRES

L’analyse du discours des ONG a révélé qu’il n’y avait finalement pas ou peu de discours sur les migrants. Cependant leur discours n’en est pas moins vide comme nous venons de le voir. Les différences que nous avons constatées sont de l’ordre de la structure de fond, maintenant nous allons voir les similitudes qui préexistent à ces différences, et qui sont relatives à la forme du discours.

Les sources :

Tout d’abord un discours se construit sur des sources d’informations. Ici, il y a deux types de sources :

- Les missions permanentes (MSF, CIMADE etc.) ou ponctuelles (ONG de défense de droits de l’Homme), qui font apparaître dans le discours des informations plus détaillées et approfondies sur les migrants et leur situation.

- La reprise d’informations émanent de rapports et d’articles produits par d’autres organismes (presse, gouvernements, ONG, OI, etc.). Il s’agit ici principalement des ONG dites de « discours ». Les informations reprisent sont utilisés pour alimenter un certain type d’analyse critique.
On remarque aisément que le discours n’est pas le même en fonction des sources, car celles-ci l’orientent, alors même qu’il est, lui-même, à la base, orienté par la vocation initiale de l’ONG.
Finalement il y a une circulation générale des informations entre les ONG, qu’elles aient des missions ponctuelles, permanentes ou bien qu’elles ne soient pas sur le terrain. Il y a une certaine complémentarité entre les unes qui apportent les informations « techniques », et les autres qui apportent leur analyse générale. Elles se citent les unes les autres, mettent en ligne les rapports et articles des autres dans le but d’apporter aux lecteurs une information la plus complète possible. Ainsi, Migreurop met en ligne sur son site le rapport de MSF, de la Cimade, de l’APDHA etc. L’ATMF a construit son site avec une majorité d’articles de presse (AP, AFP, Reuters) et d’ONG (AI, AFVIC, APDHA etc.). MSF cite dans son rapport des informations venant de l’APDHA, d’agence de presse, des gouvernements marocain et espagnol etc.
Tout le monde utilise les mêmes sources parce qu’en fin de compte il y a peu d’informations qui soient accessibles. Il y a un problème d’obtention des informations qui amène au final, par la pauvreté des données, à avoir une image floue sur les migrants.
Il y a une grande difficulté d’accès à la connaissance du terrain et de la situation principalement par le fait d’interdictions et de blocages émanant des forces de l’ordre marocaines. De plus, il s’agit d’une population fluctuante et pas définition impossible à recenser. Les informations obtenues sur le terrain ont été le fruit d’investigations faites de témoignages. Mais la fiabilité de la représentativité qui en découle nous parait alors douteuse. Ce fut la méthode employé par la Cimade/AFVIC (bien consciente des risques méthodologiques), MSF, mais aussi AI et APDHA.
Finalement, le discours des ONG est construit sur des sources d’informations limitées et à prendre avec précaution, ce qui ne facilite pas une vision claire générale des migrants.

La dénonciation de la situation :

Tous les articles et rapports que nous avons visité sont des dénonciations de la situation et des conditions de vie des migrants subsahariens au Maroc. Soit il s’agit d’un texte d’appel à rassemblement pour manifester contre cette situation, soit d’un texte à signer pour soutenir cette dénonciation, soit d’un rapport descriptif utilisé en vue de dénoncer. La dénonciation est le thème fondateur commun à toutes ces ONG dans les textes qu’elles mettent en ligne. Nous parlons des dénonciations de la violence en générale, de la violation des droits de l’Homme, de l’externalisation de l’asile par l’Europe, de l’impérialisme européen et de la complicité du Maroc. Mais aussi de la dénonciation des conditions des rapatriements et refoulements. Ces dénonciations exposées longuement, précèdent généralement en conclusion finale des « appels » au changement envers les autorités espagnoles, marocaines et européennes, et des appels à la mobilisation de la société civile.

- « En vertu de tout ce qui précède, et après notre mission sur le terrain, nous avons pu vérifier que tout le territoire marocain est une zone de non droit […] en conséquence l’APDHA a exigé le respect des droits humains et l’instauration de critères de solidarité dans les politiques migratoires. En ce sens, unis à d’autres organismes, nous exigeons : 1- Au gouvernement espagnol, et par extension à la Commission Européenne […] 2 – Au gouvernement marocain […] 3- Au HCR à Genève […] 4- A la société civile […]. » [37]

- « L’ATMF appelle l’ensemble des forces démocratiques au Maghreb et en Europe à s’opposer à cette politique de type colonial qui remet en cause les liens fraternels et séculaires entre le Nord et le Sud de l’Afrique. L’ATMF, tout en dénonçant les expulsions, exige du HCR la protection des 79 demandeurs d’asile. » [38]

- « L’ensemble des faits en présence relevés dans ce rapport préliminaire ainsi que dans celui du 12 octobre, montre, outre la responsabilité du Maroc dans les évènements de ces deux dernières semaines : celle de l’Europe […] en particulier celle de l’Espagne […] tout comme celle de l’Algérie […]. » [39]
Cet aspect fondamentalement militant est à la base de la construction identitaire des ONG. Il est donc évident de le retrouver comme base similaire à la construction du discours sur les migrants subsahariens au Maroc.
Conclusion :

Finalement, il n’y a pas d’informations réellement valables et représentatives concernant le profil socio-économico-géographique des migrants subsahariens, et il en est de même dans l’explication de leur présence au Maroc, de leurs motivations à la migration. L’explication économique est souvent sous-entendue ou même explicite, et parfois nuancée par la violence-répression subit dans le pays d’origine. En fait, il faut bien comprendre que les ONG ne s’attachent pas à la résolution de problèmes géopolitiques internationaux, c’est le rôle des Etats. Le rôle des ONG est de « soigner » les conséquences d’une crise.
L’action de dénonciation est une des principales possibilités d’agir et influencer sur une crise pour les ONG. Ce domaine leur permet d’agir en amont et en aval du problème : l’action en amont concerne la recherche des causes et l’analyse globale socio-économico-politique de la situation (Migreurop, ATMF etc.). L’action en aval concerne là, la dénonciation d’une situation donnée par la constatation et la description des problèmes. Un minimum d’objectivité est requis pour ce genre d’action sous peine de perdre toute légitimité (ONG de défense des droits de l’Homme, MSF, CIMADE etc.).
Mais en réalité, il n’y pas ou peu d’informations réellement objectives sur les migrants subsahariens (sur qui ils sont), mais plutôt un discours « idéologisé ».
Les ONG sont militantes par nature, c’est pour cette raison que le principal de leur discours analysé plus haut, se situe dans la description des atteintes à la citoyenneté et à l’intégrité humaine, et donc à la dénonciation de ces faits observés. Ce qui explique qu’une vision du monde très manichéenne ressort de ce discours.
La nature originaire des ONG se situe pour beaucoup dans le militantisme, et pour la plupart dans la volonté d’agir là où l’Etat ne le pouvait pas ou ne le voulait pas. Car une des caractéristiques fondamentales des ONG se situe dans la dénonciation des défaillances de l’Etat, des Etats, de la société etc.
Rappelons quelques éléments caractérisants les ONG [40] :

- regroupement de personnes privées pour défendre un idéal ou une conviction, et assurer la réalisation d’un dessein commun

- volonté de s’inscrire dans un espace autonome, séparé de la puissance publique, étatique et internationale (permet de garder liberté d’opinion)

- référence à des valeurs où démocratie, droits de l’homme, participation et société civile s’y articule.

- Aspiration à une Humanité unique, transcendant les frontières nationales et les distinctions entre les hommes, vivant sur une même planète.
En fait, il n’y a pas de discours sur les migrants car le discours des ONG se construit à travers eux ; ce qu’ils représentent, cristallisent autour d’eux et à travers la problématique qu’ils soulèvent. Ainsi, en analysant le discours des ONG sur les migrants subsahariens, on en apprend davantage sur la construction identitaire des ONG, que sur les migrants eux-mêmes.

 



NOTES :

[1] . Notre choix des ONG ne s’est pas effectué selon l’origine nationale des ONG, mais plutôt par la présence sur leurs sites Internet d’articles et de rapports relatifs à notre sujet d’étude. Notre base de matériaux d’analyse s’est ainsi limitée aux sites Internet des ONG citées ci-après.
- ATMF (Association des Travailleurs Maghrébins de France) : www.atmf.org
- CIMADE (Service Oecuménique d’Entraide) : http://www.cimade.org
- AFVIC (Association des amis et Familles des Victimes de l’Immigration Clandestine) : http://www.afvic.fr.st (site Internet inaccessible)
- MSF (Médecins Sans Frontières) : http://www.msf.org
- Amnesty International : www.amnesty.asso.fr
- Le réseau d’associations MIGREUROP : http://www.migreurop.org
- APDHA (Asociaciòn Pro Derechos Humanos de Andalucìa) : www.apdha.org

[2] Nous prendrons pour exemple ici l’APDHA et Amnesty International.

[3] Article A l’oued, rien de nouveau, mis en ligne le 01 nov 2005 : http://www.amnestyinternational.be/...

[4] Article ESPAGNE/MAROC - Les pressions exercées au sein de l’Union européenne pour « ne laisser entrer personne » engendrent de graves violations des droits des migrants, mis en ligne le 26 oct 2005 : http://www.amnestyinternational.be/...

[5] Article ESPAGNE/MAROC - Les droits des migrants pris entre deux feux, mis en ligne le 03 oct 2005 : http://www.amnestyinternational.be/...

[6] Ces citations sont tirées de l’article Espagne - Maroc : Les autorités doivent être tenues responsables des violations des droits fondamentaux des migrants, mis en ligne le 26 oct 2005 : http://www.amnestyinternational.be/...

[7] Article L’Europe n’a pas de leçons à donner, mis en ligne le 02 dec 2005 : http://www.amnestyinternational.be/...

[8] Article n° 6094, mis en ligne le 26 oct 2005, op. cit.

[9] L’analyse du discours de l’APDHA est basée sur l’étude d’un rapport en français datant d’octobre 2005, mis en ligne par le réseau Migreurop, Rapport sur les violations des droits de l’Homme des personnes migrantes d’origine subsaharienne en transit au Maroc. Etant donné que je ne parle pas l’espagnol, il m’a été impossible d’approfondir cet examen par l’étude de leur site internet. Toutes les citations qui vont suivre sont tirée de ce rapport : http://www.migreurop.org/IMG/pdf/AP...

[10] Rapport de l’APDHA, mis en ligne sur le site de Migreurop, op. cit

[11] Site AI : http://www.amnestyinternational.be rubrique A propos d’AI.

[12] Site AI : http://www.amnestyinternational.be rubrique A propos d’AI.

[13] Nous prendrons pour exemple ici MSF, l’AFVIC et la CIMADE.

[14] Rapport réalisé par Anne-Sophie Wender de la CIMADE (en collaboration avec AFVIC-Plateforme Migrants), Gourougou, Bel Younes, Oujda : La situation alarmante des migrants subsahariens en transit au Maroc et les conséquences des politiques de l’Union Européenne, Octobre 2004 : http://www.cimade.org/downloads/rap...

[15] Voir Les récits et observations : du 25 au 30 octobre 2005, du 8 au 12 octobre 2005 et du 13 au 19 octobre 2005 : http://www.cimade.org/actus/comm99.html

[16] Rapport de la CIMADE, oct. 2004, op. cit.

[17] Rapport MSF – Espagne, septembre 2005, Violence et immigration : Rapport sur l’immigration d’origine subsaharienne en situation irrégulière au Maroc : http://www.msf.fr/documents/base/20...

[18] http://www.cimade.org/que/migrants.html

[19] http://www.cimade.org/que/que.html

[20] Nous prendrons pour exemple ici le réseau Migreurop et l’ATMF.

[21] ONG membres du réseau Migreurop : Anafé, AMDH, ARCI, APDHA, ATMF, CIMADE, GISTI, IPAM, LDH Belge.

[22] Article publié le 25 oct 2005, Espagne-Maroc : Guerre aux migrants : http://www.migreurop.org/article857

[23] Article n°857 de Migreurop, op. cit.

[24] Article publié le 12 octobre 2005, Ceuta-Melilla : L’UE déclare la guerre aux migrants et aux réfugiés : http://www.migreurop.org/article887.html

[25] Article n° 887 de Migreurop, op.cit. Les mots soulignés le sont par notre initiative.

[26] Article publié le 15 octobre 2005, Dérive humanitaire de l’UE : http://www.migreurop.org/article660.html

[27] Article du 31 octobre 2005, Migrants et demandeurs d’asile en grève de la faim : http://www.atmf.ras.eu.org/article....

[28] Article du 31 octobre 2005, op. cit.

[29] La force des vaincus : des refoulés maliens de Ceuta et de Melilla témoignent : http://www.atmf.ras.eu.org/IMG/pdf/...

[30] Article d’ATMF mis en ligne le 23 oct 2005, Des refoulés maliens de Ceuta et de Melilla témoignent : http://www.atmf.ras.eu.org/article....

[31] Article du 23 oct 2005, op.cit.

[32] Article du 23 oct 2005, op. cit.

[33] Article du 23 oct 2005, op. cit.

[34] Parmi les premiers signataires de cette déclaration se trouve l’APDHA, Andalucia Acoge, Pateras de la Vida, le réseau Chabaka d’Associations Solidaires du Nord du Maroc, l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH), etc...

[35] Article de l’APDHA du 06 oct 2005, mis en ligne sur le réseau Migreurop : http://www.migreurop.org/article863.html

[36] Site de l’ATMF, rubrique : L’ATMF en quelques points, mis en ligne le 3 janvier 2004 : http://www.atmf.ras.eu.org/article....

[37] Rapport de l’APDHA d’octobre 2005, en ligne sur Migreurop, op. cit.

[38] Communiqué de presse de l’ATMF, mis en ligne le 07 décembre 2005, sur le site de TERRA, Maghreb : Banlieue de l’Europe, Etat d’urgence pour les subsahariens : adresse.

[39] Article de la CIMADE, du 19 octobre 2005, Des milliers de migrants dans la tourmente : enfermement des étrangers et renvois collectifs, la protection des réfugiés et des demandeurs d’asile en danger : http://www.cimade.org/actus/comm99html

[40] Philippe RYFMAN, La question humanitaire : Histoire, problématique, acteurs et enjeux de l’aide humanitaire internationale, Ellipses, Paris, 1999, pp. 25.