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La concession de l’asile en Espagne aux femmes subissant des persécutions liées à leur appartenance sexuelle

Maria Diaz Crego
Maria Diaz Grego est chercheuse à l’Université de Alcalá. Ses recherches portent sur le droit d’asile et de l’immigration en rapport avec les droits fondamentaux et l’intégration de l’ordre juridique communautaire dans l’ordre juridique des États membres. Elle travaille également sur la question de la protection des femmes persécutées en raison du sexe à (...)

citation

Maria Diaz Crego, "La concession de l’asile en Espagne aux femmes subissant des persécutions liées à leur appartenance sexuelle ", REVUE Asylon(s), N°1, octobre 2006

ISBN : 979-10-95908-05-0 9791095908050, Les persécutions spécifiques aux femmes. , url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article494.html

María Díaz Crego [1]

1.- La réinterprétation de la Convention de 1951 sous l’angle de l’appartenance sexuelle : Panorama général et première approche des défis de la législation espagnole.

La Convention de Genève de 1951, sur le statut des réfugiés, définit la notion de réfugié d’une manière apparemment neutre du point de vue du sexe. Le réfugié est défini comme toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinion politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays –art. 1A(2).
Nonobstant la neutralité de cette définition, la Convention de 1951 a été traditionnellement interprétée dans le contexte des expériences masculines et partant d’une notion masculine de l’asile [2]. À cause de cela, durant de nombreuses années, la définition de réfugié internationalement acceptée n’a pas su s’adapter aux besoins spécifiques des demandeuses d’asile lorsque celles-ci alléguaient des persécutions différentes de celles subies par les hommes.
À partir des années quatre-vingt, la protection des femmes a commencé à être étudiée par la doctrine et les opérateurs chargés de définir la notion de réfugié et d’octroyer l’asile. Ces études ont soulevé l’existence des nombreuses déficiences dans la protection des femmes à travers l’institution de l’asile. La plupart des auteurs qui analysent cette problématique remarquent que, certains des éléments de la définition de réfugié et certaines des pratiques procédurales appliquées par les administrations des pays hôtes empêchent les femmes subissant des persécutions spécifiquement féminines d’obtenir le statut de réfugié.
Les déficiences identifiées dans la protection des femmes à travers l’institution de l’asile ont provoqué, récemment, le développement d’une activité notable des autorités nationales et internationales destinée à combler ces insuffisances par une réinterprétation de la Convention de 1951 qui prête attention aux besoins spécifiques dérivés des formes et motifs de persécution subis par les femmes [3].
Au sein des Nations Unies, la première démarche dans ce sens a été menée en 1985 avec l’adoption d’une Conclusion sur les femmes réfugiées et la protection internationale par le Comité exécutif du Haut Commissariat des Nations Unies sur les Réfugiés [4]–HCNUR. Dans ce document, le Comité reconnaissait que les femmes réfugiées étaient confrontées à des problèmes spécifiques dans le domaine de la protection internationale et qu’il était nécessaire de prendre des mesures appropriées pour garantir aux femmes et aux filles réfugiées une protection efficace. À partir de cette première démarche, le Comité exécutif a développé une activité croissante sur ce thème [5]. En 1990, le Comité exécutif a mis en œuvre sa Politique concernant les femmes réfugiées [6]. Dans le cadre général de cette Politique, le HCNUR a publié les Lignes directrices pour la protection des femmes réfugiées en 1991 [7]. Ces lignes directrices définissent les problèmes de protection propres aux femmes réfugiées et proposent d’organiser les activités d’assistance et de protection des réfugiés en tenant compte de ceux-ci. En ce qui concerne la violence sexuelle et sexiste contre les réfugiées, les rapatriées et les personnes déplacées à l’intérieur, le HCNUR a publié en mai 2003, des Principes Directeurs pour la prévention et l’intervention [8]. Finalement, les Principes Directeurs concernant les persécutions fondées sur l’appartenance sexuelle, publiés le 7 mai 2002 par le HCNUR [9], constituent la démarche plus significative menée par les Nation Unies dans ce domaine depuis une perspective éminemment juridique. Ces Principes complètent le Guide des procédures et des critères à appliquer pour déterminer le statut du réfugié au regard de la Convention de 1951 et de son Protocole de 1967 relatifs au statut de réfugiés, réédité par le HCNUR pour la dernière fois à Genève en 1992, et mettent également l’accent sur l’interprétation de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 sous l’angle de l’appartenance sexuelle.
Au sein de l’Union Européenne, les Directives 2004/83/CE [10] et 2005/85/CE [11] ont commencé à tenir compte des besoins spécifiques des femmes dans la définition des conditions que doivent remplir les demandeurs pour prétendre au statut de réfugié et dans les normes concernant la procédure d’octroi du statut de réfugié. Dans cette logique, la Directive 2004/83/CE, impose aux États membres de l’Union l’obligation de tenir compte de la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son sexe, pour déterminer si les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave - art.4.3.c). Dans le même sens, les violences sexuelles ou les actes dirigés contre des personnes en raison de leur sexe sont spécifiquement considérés comme des formes de persécution tel que l’indique l’article 1A (2) de la Convention de 1951 –art.9.2. Les aspects liés à l’égalité entre les hommes et les femmes sont expressément cités parmi les motifs de persécution, soulignant que ces aspects peuvent être pris en considération sans pour autant constituer en soi une présomption d’applicabilité du présent article -art. 10.1.d). Les Directives citées n’ont pas encore été transposées en Espagne. Toutefois, elles doivent l’être au plus tard le 10 octobre 2006 et le 1er décembre 2007, respectivement. L’adoption de ces dispositions par la législation espagnole résoudra certains défis de celle-ci en ce qui concerne les demandes d’asile présentées par des femmes subissant une persécution spécifiquement féminine, notamment les défis identifiés dans les normes concernant la procédure d’octroi du statut de réfugié.
Enfin, il est nécessaire de souligner que certains États ont adoptées des mesures tendant à adapter la définition de réfugié et les procédures d’octroi du statut de réfugié aux besoins spécifiques des femmes réfugiées. En ce sens, il faut mettre l’accent sur l’adoption des principes directeurs, Guidelines, destinés aux opérateurs juridiques chargés d’étudier les demandes d’asile caractérisées par cette problématique [12].
Malgré l’activité croissante des autorités nationales et internationales tendant à incorporer les besoins spécifiques des femmes à la définition de réfugié internationalement reconnue, l’Espagne n’a encore mené aucune des activités développées sur le champ national ou international. Effectivement, la Loi 5/1984, du 26 mars, régulatrice du droit d’asile et de la condition de réfugié [13], modifiée par la Loi 9/1994, du 19 mai [14] - Loi d’asile-, et le Règlement d’asile [15] ne tiennent pas en compte les besoins spécifiques des femmes dans la définition de réfugié ou dans la procédure d’octroi du statut de réfugié. Les autorités espagnoles n’ont même pas publié des principes directeurs destinés aux opérateurs juridiques chargés d’octroyer l’asile. Cette situation est cependant nuancée par l’interprétation de la définition de réfugié que les tribunaux espagnols ont dernièrement commencée à élaborer et par la modification de la Loi d’asile espagnole envisagée. Pour l’instant, le texte provisoire de cette modification n’a pas été publié, mais la presse a fait référence à la possible inclusion des questions liées aux persécutions spécifiques aux femmes dans celle-ci [16]. Étant donné que le texte provisoire de cette loi n’a pas été publié, ce travail étudiera les défis substantifs et procéduraux de l’actuelle législation espagnole et analysera comment les tribunaux espagnols commencent à interpréter cette législation de forme adéquate aux besoins des femmes subissant des persécutions spécifiquement féminines.

2.- Le problème substantif : L’octroi de l’asile en Espagne aux personnes considérées réfugiées sur la base de la définition contenue dans la Convention de 1951.
Avant que la Loi d’asile espagnole fût modifiée par la Loi 9/1994, les autorités espagnoles pouvaient octroyer l’asile non seulement sur la base de la définition de réfugié contenue dan la Convention de 1951, mais aussi sur la base de certains critères établis par la Loi d’asile, parmi lesquels les questions humanitaires. Après la modification de la Loi d’asile, l’article 3 de celle-ci prévoit la possibilité d’obtenir le droit d’asile uniquement pour les étrangers qui remplissent les conditions prévues dans les Instruments Internationaux ratifiés par l’Espagne et, notamment, dans la Convention de Genève de 1951 et dans le Protocole de New York de 1967.
Le renvoi à la Convention de 1951 et au Protocole de New York accompli par la législation espagnole a eu pour conséquence que les défis qui ont caractérisé l’interprétation traditionnelle de ces instruments sous l’angle de l’appartenance sexuelle, ont été transférés à la pratique espagnole dans certains cas. Dans d’autres cas, la pratique espagnole est allée plus loin en incorporant les questions d’appartenance sexuelle à l’interprétation des instruments internationaux cités précédemment.
La législation et la jurisprudence des tribunaux espagnols seront analysées dans ce travail sous l’angle des problématiques spécifiques auxquelles doivent faire face les demandes d’asile liées à l’appartenance sexuelle en tenant compte de la définition de celle-ci qu’offrent les Principes Directeurs du HCNUR concernant les persécutions fondées sur l’appartenance sexuelle. Ces Principes définissent les persécutions fondées sur l’appartenance sexuelle comme celles dans lesquelles l’appartenance sexuelle est une considération pertinente pour la détermination du statut de réfugié, en considérant que l’appartenance sexuelle fait référence aux relations entre les hommes et les femmes basées sur des identités définies ou construites socialement ou culturellement, sur des fonctions, des rôles et des responsabilités qui sont attribués aux hommes et aux femmes.
Bien que cette définition permettrait d’étudier les demandes liées à l’appartenance sexuelle présentées par des hommes ou des femmes, ce travail examinera uniquement les problèmes que doivent affronter les femmes qui présentent des demandes d’asile dans lesquelles l’appartenance sexuelle est une considération pertinente pour l’octroi du statut de réfugié. En ce sens, on étudiera dans quelle mesure la jurisprudence espagnole a su incorporer les questions d’appartenance sexuelle à l’interprétation des éléments de la définition de réfugié qui ont été plus critiqués du point de vue de leur adaptation aux besoins spécifiques des femmes subissant ce type de persécutions, c’est-à-dire, la notion de persécution, des agents de persécution non-étatiques, du lien causal avec un des motifs de la Convention, des motifs de la Convention de 1951 et de la possibilité de fuite ou de réinstallation interne.

2.1.- Le concept de persécution.
Divers auteurs ont souligné que bien que les hommes et les femmes soient harcelés pour les mêmes raisons et avec le même acharnement, dans certains cas la forme adoptée par la persécution diffère pour les deux sexes [17]. Les femmes font fréquemment l’objet de viols, de l’esclavage sexuel, de mutilations génitales féminines, de violences domestiques sans recours, et un long etcetera des formes de persécutions qui sont spécifiques à leur sexe. Cependant, la notion de persécution adoptée par la législation espagnole prend en compte, dans la majorité des cas, des formes de persécution spécifiquement féminines.
La notion de persécution contenue dans la Position commune du 4 mars 1996, du Conseil de l’Union Européenne, constitue le point de départ de la notion espagnole de persécution [18]. La persécution qui détermine la concession de l’asile est définie en Espagne par la gravité, la nature et la répétition des actes subis, de façon qu’on parle de persécution dans le sens de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et de la Loi espagnole d’asile quand les faits subis ou redoutés sont suffisamment graves, par leur nature ou par leur répétition : ou bien qu’ils constituent une atteinte essentielle aux droits de l’homme, par exemple la vie, la liberté ou l’intégrité physique, ou bien qu’au vu de tous les éléments du dossier ils ne permettent manifestement pas la poursuite de la vie de la personne qui les a subis dans son pays d’origine [19].
En adoptant cette notion de persécution, les tribunaux espagnols ont considéré que les viols réitérés subis par une femme somalienne pendant la guerre civile qui ravagea la Somalie doivent être considérés comme une forme de persécution dans le sens de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et donc de la Loi espagnole d’asile [20]. Dans la même logique, l’enlèvement et le postérieur esclavage sexuel d’une femme colombienne par les FARC [21], le viol d’une femme russe devant son mari et sa fille par des militaires de Tchétchénie [22], ou la mutilation génitale féminine [23], sont aussi considérés comme des formes de persécution dans le sens de la Convention de 1951.
Au contraire, les cas de violences domestiques et de privations de libertés et droits humains des femmes par les lois, pratiques ou mœurs du pays d’origine ne sont pas toujours considérés comme une forme de persécution dans le sens de la Convention de 1951. Les cas de violences domestiques ont été considérés par les tribunaux espagnols dans la notion de persécution contenue dans la Convention de 1951 et donc de la Loi espagnole d’asile seulement dans les cas où ils avaient lieu dans les couples de race ou nationalité diverses dans lesquelles les actes de violence avaient pour origine justement ces divergences [24]. Dans les cas où la violence domestique pourrait être motivée par l’appartenance de la femme à un certain groupe social, les tribunaux espagnols n’approfondissent pas dans l’attitude de l’État et nient la possibilité de considérer la violence familiale comme une forme de persécution dans le sens de la Convention de 1951 [25]. Ainsi, il faut critiquer l’attitude des tribunaux espagnols qui devraient prendre en compte les suggestions des Principes Directeurs du HCNUR concernant les persécutions fondées sur l’appartenance sexuelle en ce qui concerne ce point concret. Les principes cités estiment que les violences domestiques doivent être considérées comme une forme de persécution dans le sens de la Convention de 1951 dans les cas ou l’État d’origine n’accorde pas de protection en réponse à des abus menant à un préjudice grave, infligé en toute impunité, c’est-à-dire, dans les cas où l’État d’origine discrimine dans l’octroi de protection et le manque de protection cause un préjudice grave. L’attitude des autorités publiques serait donc le facteur déterminant qui permettrait de distinguer les violences domestiques qui seraient susceptibles d’être protégées à travers l’institution de l’asile et celles qui ne le seraient pas [26].
En ce qui concerne les privations de libertés et droits humains des femmes par les lois, pratiques ou mœurs du pays d’origine, les tribunaux espagnols ont étudié des cas de vente des femmes [27], de mariages forcés [28] et de polygamie [29]. Les tribunaux espagnols n’ont jamais considéré positivement les demandes des femmes victimes de ces abus. Néanmoins, le raisonnement des tribunaux ne se centre pas sur la notion de persécution mais sur le motif de celle-ci.
L’arrêt du Tribunal Suprême espagnol –TS- du 7 juillet 2005 [30] semble introduire une nouvelle perspective dans ce scénario. Dans cet arrêt, le TS affronte une situation de polygamie, dans laquelle une citoyenne du Cameroun raconte comment, après nombreuses années de mariage, son mari a décidé de se marier avec une autre. Puisqu’ elle n’acceptait pas la nouvelle situation de polygamie, son mari l’a abandonnée et postérieurement a commencé à la harceler. En tant que femme divorcée, elle ne pouvait pas trouver de travail au Cameroun. C’est pour ces deux raisons qu’elle décida de quitter son pays.
Dans l’analyse du cas, le TS met l’accent sur la notion de persécution adoptée par les tribunaux espagnols et, surtout, sur l’exigence de gravité contenue dans cette définition. En ce sens, le TS affirme que bien que le seul fait d’être femme ne peut pas être suffisant pour l’octroi de l’asile, pas même dans les pays où les femmes ne se voient pas accorder les mêmes droits que les hommes, dans les cas où le fait d’être femme est associé à une situation d‘absence de protection et de marginalisation sociale, politique ou juridique dans le pays d’origine, caractérisée par une privation grave des droits humains ou l’impossibilité de continuer la vie dans ce pays, il existerait une persécution qui permettrait d’octroyer l’asile.
La décision du TS dans cet arrêt constitue une notable évolution de la jurisprudence espagnole en ce qui concerne l’interprétation des motifs de persécution reconnus par la Convention de 1951, c’est ainsi qu’on analysera plus tard, et en ce qui concerne l’interprétation de la notion de persécution dans le sens de la Convention. Par rapport à cette dernière, le TS semble reconnaître que les privations des libertés et droits humains des femmes par les lois, pratiques ou mœurs du pays d’origine peuvent être considérées comme des formes de persécution dans le sens de la Convention de 1951 dans le cas où la privation des droits soit suffisamment grave ou dans le cas où cette privation empêche la personne de mener normalement sa vie dans son pays d’origine.

2.2.- Les agents de persécution non-étatiques.
La Convention de 1951 a été critiquée par des auteurs divers [31] en raison de la notion d’agent de persécution qu’elle incorpore et des conséquences que l’application de cette notion peut avoir pour l’octroi du statut de réfugié aux femmes subissant une persécution liée à leur appartenance sexuelle. En effet, la Convention considère que les principaux agents de persécution sont les autorités publiques. Néanmoins, les femmes sont souvent poursuivies par la population locale ou par des sujets privés.
En ce sens, le Guide du HCNUR sur les procédures et les critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et de son Protocole de 1967 et la Position commune du 4 mars 1996 interprètent la Convention de 1951 amplement en ce qui concerne la notion des agents de persécution. La Position commune estime que les persécutions commises par des tiers peuvent être comprises dans le champ d’application de la Convention de 1951 quand elles sont encouragées ou autorisées par les pouvoirs publics. Lorsque les pouvoirs publics restent inactifs, la persécution pourrait être considérée dans le champ d’application de la Convention de 1951 par les tribunaux nationaux.
La jurisprudence des tribunaux espagnols est allée plus loin que les prévisions de la Position commune puisqu’elle affirme que les actes de persécution menés par des tiers sont compris dans le champ d’application de la Convention de 1951 et donc de la Loi espagnole d’asile lorsqu’ils sont encouragés ou autorisés par les pouvoirs publics du pays d’origine ou lorsque les autorités publiques du pays d’origine restent inactives face à des persécutions effectuées par des tiers [32]. Dans certaines circonstances, les tribunaux espagnols ont même protégé les demandeurs d’asile qui affirmaient être l’objet de persécutions menées par des agents non-étatiques dans les cas où les autorités de leur pays d’origine étaient incapables d’offrir une protection efficace [33].
L’interprétation espagnole de la notion d’agent de persécution semble protéger de manière adéquate les intérêts des femmes qui subissent des persécutions liées à leur appartenance sexuelle. Même si l’administration publique espagnole dénie ou n’admet pas des demandes d’asile présentées par des femmes que sont l’objet de persécutions développées par des sujets privés, en justifiant sa décision dans le caractère privé de l’agent de persécution, les tribunaux espagnols rejettent ce motif dans les cas où les victimes ont demandé secours aux autorités publiques de leur pays d’origine et celles-ci ont encouragé, autorisé, sont restées inactives ou ont été incapables de les protéger [34].
Toutefois, beaucoup de demandes d’asile sont rejetées par les tribunaux espagnols parce que le demandeur d’asile n’a pas appelé au secours les autorités du pays d’origine. Parmi ces requêtes, la majorité sont présentées par des femmes subissant des persécutions liées à leur appartenance sexuelle. C’est le cas de nombreuses nigériennes que sont l’objet de persécution pour avoir refusé les mariages arrangés par leurs parents. Selon les renseignements fournis aux tribunaux espagnols, les autorités nigériennes luttent contre ces pratiques qui ne peuvent pas être ainsi considérées des persécutions dans le sens de la Convention de 1951 [35].
Un cas semblable est celui des nigériennes, toujours, qui demandent l’asile en affirmant être l’objet de persécutions en raison de leur négative à subir une mutilation génitale féminine. Les tribunaux espagnols rejettent habituellement les prétentions de ces femmes en tenant en compte que cette pratique est interdite en Nigeria et par conséquent, qu’on ne peut pas affirmer que les autorités nigériennes encouragent ou autorisent cette pratique. Néanmoins, le raisonnement des tribunaux espagnols semble être trop superficiel puisqu’ils ne tiennent pas en compte que même si la mutilation a été formellement interdite en Nigeria, il est bien possible qu’elle continue à être pratiquée et qu’elle soit sciemment tolérée par les autorités du pays [36].

2.3.- Le lien causal avec les motifs de la Convention de 1951.
Un autre des problèmes que pose l’application de la définition de réfugié aux demandes d’asile présentées par des femmes subissant des persécutions liées à leur appartenance sexuelle est, justement, le fait que la crainte fondée de persécution doit avoir un lien avec les motifs de la Convention de 1951, c’est-à-dire, que la crainte de persécution doit être du fait des motifs cités par la Convention. Ce lien peut être difficile à identifier dans les demandes d’asile présentées par des femmes puisqu’elles se voient imputées, bien souvent, les opinions politiques ou religieuses des membres masculins de leurs familles.
La protection accordée par la législation espagnole est sensible à cette problématique dans la mesure où elle n’exige pas que les opinions ou les motifs par lesquels une personne est l’objet de persécutions soient réelles et ainsi elle considère suffisant que l’agent de persécution attribue ces idées ou ces caractéristiques à la victime. Dans cette logique, les tribunaux espagnols estiment que dans les cas où la femme est l’objet de persécutions en raison des opinions de ses parents masculins, l’agent de persécution lui impute ces opinions et la harcèle en raison de celles-ci. Dans le cas où, la persécution subie par les parents masculins se produise par des motifs de la Convention de 1951, les tribunaux espagnols accordent l’asile à la femme [37].
Malheureusement, il y a des exceptions à cette règle générale. Une exception particulièrement touchante est celle analysée dans l’arrêt de 5 octobre 2005 de l’Audiencia Nacional espagnole [38] –AN. Dans cet arrêt, l’AN a étudié le cas d‘une femme russe, sœur d’un militaire russe qui avait participé à la guerre de Tchétchénie, qui avait été violée par des soldats tchétchènes à la recherche de son frère. La femme demandait l’asile en alléguant une persécution motivée par des opinions politiques. Toutefois, l’AN a rejeté ses arguments parce qu’elle estimait que la persécution subie par cette femme n’était pas fondée sur les motifs de la Convention de 1951. La femme, continuait l’AN, avait été une victime fortuite du conflit puisque les soldats tchétchènes cherchaient son frère et ils se sont retournés contre elle seulement parce qu’ils avaient étés incapables de le trouver. Selon l’AN, la persécution de cette femme n’était pas fondée sur les motifs de la Convention de 1951, mais sur un pur esprit de vengeance.

2.4.- Les motifs de la Convention de 1951 : référence particulière à l’appartenance à un certain groupe social.
La Convention de 1951 a été critiquée à plusieurs reprises parce que les motifs de persécution qu’elle envisage ne s’adaptent pas aux problèmes spécifiques des femmes subissant des persécutions liées à leur appartenance sexuelle. Beaucoup d’auteurs ont attiré l’attention sur le fait que les femmes sont parfois poursuivies pour des raisons liées à leur appartenance sexuelle, c’est-à-dire, pour le simple fait d’être femmes dans une société ou une culture qui leur attribue certaines obligations, rôles, etcetera. Partant de cette insuffisance, certains auteurs ont défendu la nécessité de modifier la Convention de 1951 afin d’inclure un nouveau motif de persécution, le sexe ou le genre [39]. D’autres ont défendu, particulièrement ces derniers temps, qu’il n’est pas nécessaire de modifier la Convention de 1951 afin d’inclure un nouveau motif de persécution, mais qu’une protection efficace des femmes subissant ce type des persécutions pourrait être obtenue en réinterprétant la Convention sous l’angle de l’appartenance sexuelle [40]. Cette dernière option a été adoptée par les Principes Directeurs du HCNUR concernant les persécutions fondées sur l’appartenance sexuelle dans la mesure où ceux-ci affirment expressément qu’il n’est pas nécessaire d’introduire un motif supplémentaire dans la Convention de 1951 puisque la définition du réfugié contenue dans celle-ci, interprétée convenablement, englobe les demandes fondées sur l’appartenance sexuelle.
Malgré ce nouvel esprit, les tribunaux espagnols n’ont pas habituellement appliqué une interprétation large des motifs de la Convention de 1951 lorsqu’ils devaient résoudre des demandes d’asile fondées sur une persécution liée à l’appartenance sexuelle. La jurisprudence plus récente du TS semble commencer à changer cette façon d’agir en envisageant la possibilité d’englober le sexe ou le genre dans les motifs de persécution énoncés par la Convention.
Effectivement, les Principes Directeurs du HCNUR concernant les persécutions fondées sur l’appartenance sexuelle proposent l’interprétation large des motifs de persécution prévus dans la Convention de 1951 afin de protéger de façon adéquate les femmes subissant des persécutions liées à l’appartenance sexuelle. Dans cet esprit les Principes Directeurs réinterprètent les cinq motifs énoncés dans la Convention, c’est-à-dire, la race, la nationalité, la religion, les opinions politiques et l’appartenance à un certain groupe social, en mettant l’accent sur les trois derniers motifs. Ceux-ci -la religion, les opinions politiques et l’appartenance à un certain groupe social- sont perçus comme les motifs les plus adaptés aux nécessités des femmes subissant des persécutions liées à leur appartenance sexuelle.
Nonobstant ces prévisions, les tribunaux espagnols n’ont jamais utilisé la religion ou les opinions politiques dans cet esprit. Par conséquent, les demandes d’asile des nombreuses femmes africaines qui alléguaient être l’objet de persécutions pour ne pas accepter les pratiques, lois ou mœurs de leurs sociétés ou cultures, attentant contre leurs droits humains ou leur liberté n’ont pas été analysées par les tribunaux espagnols comme des demandes d’asile fondées sur la religion ou les opinions politiques. Selon les tribunaux espagnols, le refus d’accepter la vente des femmes, les mariages forcés ou l’ablation du clitoris, ne peut pas être considéré comme une manifestation des idées politiques ou religieuses, comme une critique de la société ou de la culture dans lesquelles ces femmes ont grandi. Au contraire, les tribunaux espagnols considèrent, habituellement, que ces persécutions sont fondées sur des motifs culturels, sociaux ou domestiques. Dans cette logique, les demandes d’asile présentées par des femmes subissant ce type des persécutions ont été rejetées parce qu’elles n’étaient pas fondées sur un des motifs de la Convention de 1951.
Néanmoins, les premiers mois de l’année 2005 ont vu naître une jurisprudence innovatrice des tribunaux espagnols. Cette jurisprudence permettrait d’accorder l’asile aux femmes subissant des persécutions liées à leur appartenance sexuelle en se fondant pour cela sur leur appartenance à un certain groupe social.
Effectivement, le Comité exécutif du HCNUR a suggéré dès 1985 que les femmes subissant des persécutions à cause de leur refus à accepter les mœurs de la société dans laquelle elles ont grandi pouvaient être considérées comme un certain groupe social dans le sens de l’article 1A(2) de la Convention de 1951. Ces suggestions se sont récemment concrétisées dans les Principes Directeurs du HCNUR concernant les persécutions fondées sur l’appartenance sexuelle et dans les Principes directeurs du HCNUR concernant l’appartenance à un certain groupe social [41]. Dans les deux documents, le HCNUR définit la notion de ce certain groupe social et affirme la possibilité d’englober le sexe dans la catégorie de groupe social, puisque les femmes constituent un exemple manifeste d’ensemble social défini par des caractéristiques innées et immuables et qui sont fréquemment traitées différemment des hommes.
Dans la logique exprimée par les Principes directeurs du HCNUR, la jurisprudence récente des tribunaux espagnols et, surtout, deux arrêts récents du TS, reconnaît que les femmes peuvent être l’objet de persécutions à cause de leur condition de femmes et que, ce type de persécutions est, dans certains cas, suffisant pour octroyer l’asile.
Le premier arrêt espagnol qui a accepté cette possibilité est un arrêt de l’AN de janvier 2005 [42]. Dans cet arrêt, l’AN a étudié le cas d’une citoyenne nigérienne qui était poursuivie à cause de son refus à subir la mutilation génitale féminine. L’AN affirme expressément que la mutilation génitale féminine est une persécution d’une gravité suffisante pour permettre la concession de l’asile. Cette persécution, continue le tribunal, est une manifestation de violence sexuelle spécifiquement dirigée contre les femmes ou le sexe féminin et même si ce motif n’a pas été expressément prévu par la Convention de 1951, il peut être englobé dans l’appartenance à un certain groupe social [43].
Le premier arrêt du TS [44] dans la même direction date de quelques mois plus tard. À cette occasion, la décision du tribunal s’est produite dans le cas d’une citoyenne somalienne qui alléguait avoir été l’objet de viols réitérés dans son pays, au Kenya et en Tanzanie, pendant la guerre civile qui a ravagé la Somalie. Face à cette situation, le TS impose à l’administration espagnole l’obligation d’étudier d’une façon approfondie la demande d’asile présentée [45]. Selon le TS, la demandeuse alléguait une persécution qui permettrait l’octroi de l’asile lorsqu’elle décrivait une situation suffisamment grave et continue de persécution fondée sur le sexe. Le TS ajoute, afin d’être encore plus clair, que la persécution fondée sur le sexe pouvait figurer dans les persécutions sociales – par appartenance à un certain groupe social.
L’arrêt du 7 juillet 2005 du TS approfondit dans la possibilité indiquée antérieurement. Cet arrêt, déjà étudié dans le chapitre consacré à la notion de persécution, analyse la situation d’une citoyenne du Cameroun qui expliquait comment son mari l’avait abandonnée après qu’elle a refusé sa polygamie. Dans cette décision, le TS affirme que les femmes, par le simple fait d’être femmes, peuvent être poursuivies et que cette persécution peut donner lieu à l’octroi de l’asile dans certaines circonstances. Selon le TS, le fait d’être femme peut donner lieu à l’octroi de l’asile quand ce fait est associé à une situation d‘absence de protection et de marginalisation sociale, politique ou juridique dans le pays d’origine, caractérisée par une privation grave des droits humains ou l’impossibilité de continuer sa vie dans ce pays.
Les arrêts les plus récents des tribunaux espagnols permettent d’affirmer que le sexe ou le genre permettent de considérer les femmes comme un certain groupe social dans le sens de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et dans cette logique de leur octroyer l’asile quand la persécution qu’elles subissent pour le simple fait d’être femmes atteint une gravité suffisante.

2.5.- La possibilité de fuite ou de réinstallation interne : the Internal Flight alternative.
Le dernier élément de la définition internationale de réfugié qui doit être interprété sous l’angle de l’appartenance sexuelle est la possibilité de fuite ou de réinstallation interne. La Convention de 1951 impose aux États contractants l’obligation de protéger les réfugiés qui ne peuvent ou ne veulent pas trouver protection dans leur pays d’origine. Cet élément de la définition de réfugié a été interprété de telle façon que s’il y a une région dans le pays d’origine où il n’existe pas de risque ou de crainte fondée de persécution contre le demandeur d’asile et on peut raisonnablement attendre que le demandeur s’y installe, la protection internationale ne serait considérée nécessaire et donc il ne serait pas nécessaire non plus de protéger le demandeur à travers l’asile.
En appliquant la Convention et c’est prévu par la Position commune du 4 mars 1996, les tribunaux espagnols examinent si les demandeurs d’asile peuvent trouver une protection efficace dans une autre zone de son propre pays et rejettent l’asile dans le cas où les persécutions sont limitées à une portion déterminée du territoire du pays d’origine et le demandeur peut donc trouver une protection efficace dans une autre région de celui-ci [46].
Cependant, l’application stricte de ce critère sans tenir compte de la situation spéciale des femmes dans certaines cultures ou sociétés peut provoquer une protection inadéquate de celles-ci. En ce sens, le professeur Pablo Santolaya remarquait qu’il était nécessaire de prendre en compte la situation personnelle du demandeur d’asile, y compris le sexe de celui-ci, ainsi que les conditions dans les pays d’origine afin d’évaluer le caractère raisonnable de la possibilité de réinstallation interne [47].
Nonobstant ces observations, les décisions des tribunaux espagnols semblent refuser l’application du test du caractère raisonnable de la possibilité de réinstallation interne. Les tribunaux espagnols se limitent habituellement à souligner que la persécution pourrait avoir été évitée par la réinstallation dans une autre région du pays d’origine, sans analyser cette possibilité du point de vue des caractéristiques spécifiques du pays et du demandeur d’asile. Les conséquences que cette réinstallation pourrait causer à des femmes nées dans des pays où la situation du sexe féminin condamna à la misère ou à tous types d’abus des femmes éloignées de la protection de leurs parents masculins [48], sont ainsi oubliées.
Cette situation devrait changer, cependant, avec la transposition en Espagne de la Directive 2004/83/CE. L’article 8 de cette Directive permet aux États membres de rejeter une demande d’asile dans le cas où il y a une possibilité de réinstallation interne, mais exige qu’ils tiennent compte, au moment où ils statuent sur la demande d’asile, des conditions générales dans cette partie du pays et de la situation personnelle du demandeur.

3.- Le problème procédurale : L’inexistence en Espagne des normes ou des principes directeurs prenant en compte les questions d’appartenance sexuelle.
La protection efficace des femmes subissant des persécutions liées à leur appartenance sexuelle n’exige pas seulement la réinterprétation de la Convention de 1951, mais aussi l’introduction de garanties procédurales adaptées aux questions d’appartenance sexuelle dans les États hôtes [49]. Effectivement, les demandeuses d’asile qui allèguent des persécutions liées à leur appartenance sexuelle doivent être traitées de façon appropriée dans la procédure de détermination du statut de réfugié afin d’éviter que leur culture, le traumatisme vécu, la présence des membres masculins de leurs familles pendant leur entretien ou des autres questions procédurales, empêchent la possibilité de leur octroyer l’asile.
Partant des difficultés que peuvent éprouver les femmes qui ont subi certaines violences à raconter leur persécution, les Principes Directeurs du HCNUR concernant les persécutions fondées sur l’appartenance sexuelle, suggèrent que, pendant la procédure de détermination du statut de réfugié, certaines mesures doivent être prises en compte :
1.- Les femmes en quête d’asile doivent être entendues séparément, sans la présence de leurs parents masculins et doivent être informées qu’elles sont habilitées à présenter une demande valide de son plein droit.
2.- Les femmes doivent être informées sur la procédure de détermination du statut de réfugié et de tous leurs droits, dans lesquels devrait figurer la possibilité d’être entendues par des interviewers et des interprètes de sexe féminin. Ceux–ci devraient être attentifs aux sensibilités culturelles, religieuses ou d’autre type des interviewées.
3.- Les interviewers doivent rester neutres et compatissants pendant l’entretien. Les entretiens doivent intégrer des questions ouvertes et des questions précises favorisant l’évocation des aspects de la persécution liés à l’appartenance sexuelle. Des entretiens supplémentaires peuvent s’avérer nécessaires pour les victimes de violences sexuelles ou de divers autres traumatismes et, dans ce cas, l’entretien doit cesser si la victime présente des signes de perturbation émotionnelle.
4.- Il est convenable de recueillir des informations sur la situation des femmes dans le pays d’origine de la demandeuse d’asile.
5.- L’accès des demandeuses d’asile à une aide psychosociale ou à d’autres services de soutien doit être disponible.
Malgré les suggestions réalisées au niveau international, la législation espagnole ne fait aucune différence dans le traitement des demandes d’asile présentées par des femmes ayant subi une persécution liée à leur appartenance sexuelle et celles présentées par d’autres demandeurs.
La pratique administrative tient compte quelquefois des besoins spécifiques de ces femmes. Pablo Santolaya [50] a affirmé, en se fondant sur des renseignements de l’Office d’Asile espagnol, que la majorité des demandeuses d’asile qui dénoncent avoir subi une persécution liée à leur appartenance sexuelle sont interrogées par des femmes et, dans la mesure du possible, l’interprète qu’on leur assigne est aussi une femme. Néanmoins, cet auteur et le rapport de la Commission Espagnole d’Aide aux Réfugiés de l’année 2005 [51], attirent l’attention sur une pratique regrettable. En Espagne, il n’est pas habituel d’ouvrir des dossiers séparés pour les deux époux. Au contraire, les demandes d’asile sont traitées de façon familiale et sans informer de manière adéquate la femme de la possibilité de présenter une demande d’asile de son plein droit. Le rapport de la Commission Espagnole d’Aide aux Réfugiés informe, également, que les femmes demandeuses d’asile qui font partie d’un groupe familial ne sont presque jamais interviewées et, dans le cas où elles le sont, c’est devant les membres masculins de leurs familles.
Les défis procéduraux de la législation espagnole devront être partiellement éliminés par effet de la transposition de la Directive 2005/85/CE du Conseil de l’Union Européenne. Cette Directive adopte des normes minimales concernant la procédure d’octroi du statut de réfugié et envisage certains éléments d’importance pour le traitement des demandes présentées par des femmes. En premier lieu, la Directive prévoit que toute personne majeure doit avoir le droit de déposer une demande d’asile en son nom et que, dans le cas où une demande soit déposée par un demandeur pour le compte des personnes à sa charge, l’État doit vérifier que les personnes majeures qui sont à la charge du demandeur consentent à ce que la demande soit déposée en leur nom –art. 6. En second lieu, les personnes majeures qui sont à la charge d’un demandeur d’asile et n’ont pas présenté une demande de son plein droit peuvent se voir offrir la possibilité d’un entretien personnel –art. 12. En dernier lieu, l’entretien cité précédemment doit normalement avoir lieu sans la présence des membres de la famille et dans des conditions garantissant dûment la confidentialité, et doit être effectué par une personne qui soit suffisamment compétente pour tenir compte de la situation personnelle ou générale dans laquelle s’inscrit la demande et avec l’aide d’un interprète capable d’assurer une communication appropriée entre le demandeur et la personne qui mène l’entretien –art. 13.
Les prévisions de la Directive sont importantes dans toutes les demandes d’asile, mais deviennent un facteur déterminant dans les demandes d’asile liées à l’appartenance sexuelle, puisque l’attitude de l’interviewer, le fait de mener l’entretien en présence des membres de la famille de la demandeuse ou la possibilité que ceux-ci connaissent la gravité des violences subies, peuvent pousser des femmes ayant subi certains types de persécutions à ne pas exposer l’ensemble des motifs de leur demande. Cette réalité devrait inciter le législateur espagnol à aller plus loin que ce qui a été prévu par l’Union Européenne en reconnaissant, au moins, le droit de toute demandeuse d’asile qui dénonce une persécution liée à son appartenance sexuelle, à être interviewée par une femme et à être assistée par un interprète de sexe féminin.
En guise de conclusion, on peut affirmer que bien que la protection octroyée en Espagne aux femmes subissant des persécutions liées à leur appartenance sexuelle s’avère insuffisante dans beaucoup d’aspects, la jurisprudence plus récente des tribunaux espagnols et l’obligation de transposer les Directives de l’Union Européenne sur le droit d’asile et la condition de réfugié ouvrent la porte à une compréhension du droit d’asile plus en accord avec les besoins spécifiques des femmes.

NOTES

[1] Boursière du Programme Nationale de Formation des Professeurs Universitaires, adscrite à l’Université de Alcalá.

[2] KNEEBONE, Susan, Women Within the Refugee Construct : Exclusionary Inclusion in Policy an Practice – the Australian Experience. IJRL, 2005, pp. 9 y ss. ; JOHNSSON, Anders B., The International Protection of Women Refugees. IJRL, vol. 1, nº 2, 1989, pp. 221 y ss ; GREATBATCH, Jacqueline, The Gender Difference : Feminist Critiques of Refugee Discourse. IJRL, vol. 1, nº 4, 1989, pp. 518 y ss.

[3] Cette préoccupation devient absolument nécessaire si on tient en compte que la Note sur la protection internationale du Comité exécutif de l’ Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés de l’année 2005 - A/AC.96/1008, 4 juillet 2005-, estime que au début de l’année 2005, 50 % des réfugiés étaient des femmes et 47% des réfugiés étaient des enfants âgées moins de 18 ans.

[4] Comité exécutif de l’ HCNUR, Conclusion No. 39 (XXXVI), Les femmes réfugiées et la protection internationale, 1985.

[5] Comité exécutif de l’ HCNUR, Conclusion No. 54 (XXXIX), Femmes réfugiées, 1988 ; Conclusion No. 60 (XL), Femmes réfugiées, 1989 ; Conclusion No. 64 (XLI), Les femmes réfugiées et la protection internationale, 1990 ; Conclusión No. 65 (XLII), Conclusions générales, 1991 ; Conclusion No. 68 (XLIII), Conclusions générales, 1992 ; Conclusion No. 73 (XLIV), La protection des réfugiés et la violence sexuelle, 1993 ; Conclusion No. 77(g), Conclusion générale, 1995 ; Conclusión No. 79(o), Conclusion générale sur la protection internationale, 1996 ; Conclusión No. 81 (t), Conclusion générale sur la protection internationale, 1997 ; Conclusión No. 87(n), Conclusion générale sur la protection internationale, 1999.

[6] Comité exécutif de l’HCNUR, Conclusion No. 64 (XLI), Les femmes réfugiées et la protection internationale, 1990.

[7] Lignes directrices pour la protection des femmes, HCNUR, 22 juillet 1991, Code : EC/SCP/67.

[8] Principes Directeurs pour la prévention et l’intervention. Violence sexuelle et sexiste contre les réfugiées, les rapatriées et les personnes déplacées à l’intérieur. HCNUR, mai 2003.

[9] Principes directeurs sur la protection internationale : "Les persécutions fondées sur l’appartenance sexuelle dans le cadre de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés. HCNUR, HCR/GIP/02/01, 7 de mayo de 2002. Ces Principes remplacent la Position de l’HCNUR concernant les persécutions liées à l’appartenance sexuelle. Genève, janvier, 2000.

[10] Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts. Journal officiel n° L 304 du 30/09/2004 p. 12–23.

[11] Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres. Journal officiel n° L 326 du 13/12/2005 p. 13-34.

[12] Parmi les États qui ont adopté Guidelines on trouve : Gender-Based Persecution : Guidelines for Investigation and Evaluation of the Needs of Women for Protection, Swedish Migration Board, 28 mars 2001 ; Asylum Gender Guidelines, Immigration Appellate Authority (UK), 1 novembre 2000 ; Guideline 4 - Women Refugee Claimants Fearing Gender-Related Persecution, Guidelines Issued by the Chairperson Pursuant to Section 65(4) of the Immigration Act, Canada, 13 novembre 1996 ; Refugee and Humanitarian Visa Applicants : Guidelines on Gender Issues for Decision Makers, Department of Inmigration and Multicultural Affairs (Australia), juillet 1996 ; Considerations for Asylum Officers Adjudicating Asylum Claims from Women, INS Gender Guidelines, USA, 26 mai 1995.

[13] BOE num. 74, 27 mars.

[14] BOE num. 122, 23 mai.

[15] Real Decreto 203/1995, du 10 février, par lequel on adopte le Règlement d’application de la Loi 5/1984, modifiée par la Loi 9/1994, BOE num. 52, du 2 mars, modifié pour la dernière fois le 30 décembre 2005, BOE num. 6, du 7 janvier 2005.

[16] El Pais, España, du 2 janvier 2006.

[17] KNEEBONE, Susan, op. cit.. p. 24 y ss. ; ANKENBRAND, Birthe, Refugee Women Under German Asylum Law. IJRL, vol. 14, nº 1, 2002, pp. 46 y ss. ; KELLEY, Ninette, The Convention Refugee Definition and Gender- Based Persecution : A Decade’s Progress.IJRL, vol. 13, nº 4, 2001, pp. 562 y ss. ; SANTOLAYA, Pablo, Derecho de asilo y persecución relacionada con el sexo, en Mujer y Constitución en España. Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, Madrid, p. 582 y ss.

[18] 96/196/JAI : Position commune, du 4 mars 1996, définie par le Conseil sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, concernant l’application harmonisée de la définition du terme « réfugié » au sens de l’article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés -Journal officiel n° L 063 du 13/03/1996 p. 2 – 7.

[19] Point 4 de la Position commune du 4 mars 1996, continûment cité par les tribunaux espagnols.

[20] STS du 31 mai 2005, requête n. 1836/2002.

[21] STS du 21 juin 2005, requête n. 1490/2002.

[22] SAN du 5 octobre 2005, requête n. 298/2004. Dans ce cas, l’administration espagnole a affirmé que les faits prouvés par la demandeuse d’asile ne pouvaient pas être considérés persécution dans le sens de l’article 1A(2) de la Convention de 1951. L’AN semble affirmer que les faits racontés peuvent être considérés persécution mais ne peuvent pas être considérés liés à une des motifs de la Convention de 1951.

[23] SANS du 8 juin 2005, requête n. 21/05 ; du 23 mars 2005, requête n. 10/2005 ; du 12 janvier 2005, requête n. 540/2003 ; du 25 avril 2006, requête n. 429/2004.

[24] SSTS du12 avril 2005, requête n. 5799/2001et du 29 avril 2005, requête n. 749/2002. Dans les deux cas, les demandeuses font objet des violences domestiques motivées par sa nationalité –russe- ou sa religion- chrétienne. Les deux maris sont tatars et les deux couples habitent à Krimea.

[25] STS du 25 mai 2004, requête n. 3020/2000.

[26] STS du 25 mai 2004, requête n. 3020/2000.

[27] STS du 29 avril 2005, requête n. 830/2002.

[28] SANS du 23 juillet 2004, requête n. 418/2003 ; du 31 mars 2005, requête n. 1217/2003 ; STSS du 30 novembre 2004, requête n. 5121/2001 ; du 6 avril 2005, requête n. 6266/2001.

[29] STS du 7 juillet 2005, requête n. 2107/2002.

[30] Requête n. 2107/2002.

[31] KNEEBONE, Susan, op. cit.. p. 24 y ss. ; KELLEY, Ninette, op. cit., p. 565 y ss. ; SANTOLAYA, Pablo, op. cit., p. 583 y ss. ; ANKENBRAND, Birthe, op. cit., pp. 46 y ss. ;

[32] Par exemple : STS du 4 avril 2005, requête n. 7154/2001.

[33] STSS du 29 avril 2005, requête n. 749/2002 ; du 21 juin 2005, requête n. 1490/2002.

[34] Par exemple : STS du 29 avril 2005, requête n. 749/2002 ; SAN du 16 février 2005, requête n. 36/2003.

[35] SANS du 23 juillet 2004, requête n. 418/2003 ; du 15 mars, requête n. 1381/2002 ; du 16 mars 2005, requête n. 752/2003 ; du 31 mars 2005, requête n. 1217/2003.

[36] Les tribunaux espagnols ne tiennent pas en compte souvent cet aspect. À cause de cela, il faut souligner, l’arrêt de l’AN du 12 janvier 2005, requête n. 540/2003, dans laquelle l’AN utilise les rapports de l’HCNUR et de l’Escola de Cultura de Pau afin de conclure que bien que l’ablation de clitoris est formellement interdite en Nigeria, les rapports précédemment cités indiquent que l’État n’est pas capable de protéger efficacement aux femmes subissant ce type de pratiques.

[37] SANS du 8 octobre 2003, requête n. 265/2001 ; du 21 avril 2004, requête n. 365/2003. Au contraire, les demandes d’asile effectuées par les femmes sont rejetées quand la persécution subie par le mari n’est pas fondée sur une des motifs de la Convention de 1951 : SAN du 12 mai 2004, requête n. 152/2003.

[38] STS du 5 octobre 2005, requête n. 298/2004.

[39] Sur les auteurs qui proposent la modification de la Convention, voir : GREATBATCH, Jacqueline, The Gender Difference : Feminist Critiques of Refugee Discourse. IJRL, vol. 1, nº 4, 1989, pp. 518 y ss.

[40] KNEEBONE, Susan, op. cit. ; ANKENBRAND, Birthe, op. cit., ; KELLEY, Ninette, op. cit., pp. 563 y ss. ; SANTOLAYA, Pablo, op. cit. ; SPIKERBOER, T., Women and Refugee Status : Beyond The Public/Private Distinction. Emancipation Council, La Haya, 1994.

[41] Principes directeurs sur la protection internationale no. 2 : "Appartenance à un certain groupe social" dans le cadre de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés. HCR/GIP/02/02, de 7 de mayo de 2002.

[42] SAN du 12 janvier 2005, requête n. 540/2003.

[43] Dans le même sens, le vote dissident exprimé par le juge Isabel Perelló Domenech dans l’arrêt de l’AN du 23 mars 2006, requête n. 429/2004, affirme que la mutilation génitale féminine doit être considérée comme une persécution motivée par le genre et donc une persécution dans le sens de l’article 1A(2) de la Convention de 1951.

[44] STS du 31 mai 2005, requête n. 1836/2002.

[45] La Loi espagnole d’asile permet aux autorités espagnoles de rejeter une demande d’asile sans l’étudier sur le fond dans certains cas, dont notamment, les cas où le demandeur d’asile n’allége pas une persécution s’encadrant dans l’article 1A(2) de la Convention de 1951 ou le cas dans lesquels les faits racontés par le demandeur d’asile soient manifestement faux, incroyables ou ne pas référés à une persécution actuelle –art. 5.6.b) et d).

[46] STSS du 19 juillet, requête n. 4123/2000 ; du 23 juillet, requête n. 169/2003, du 27 décembre, requête n. 6731/2000 ; SANS du 24 septembre, requête n. 229/2002 ; SAN du 29 mars et du 28 avril, requêtes 285/2003 et 311/2003.

[47] SANTOLAYA, Pablo, op. cit., p. 587 y ss. Dans le même sens : KELLEY, Ninette, op. cit., p. 566 y ss.

[48] Quelques exemples nous montrent que la situation spécifique des femmes habitant en Nigeria n’est pas prise en compte par nos tribunaux afin d’étudier le caractère raisonnable de la possibilité de réinstallation interne : SANS du 30 septembre 2005, requête n. 358/2004 ; du 8 juillet 2005, requête n. 673/2003.

[49] KELLEY, Ninette, op. cit., p. 567 y ss. ; SANTOLAYA, Pablo, op. cit., p. 588 y ss.

[50] SANTOLAYA, Pablo, op. cit., p. 593.

[51] Commission Espagnole d’Aide aux Réfugiés (CEAR), La situación de los refugiados en España. Informe 2005. Catarata, Madrid, 2005, pp. 259 y ss.