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Les violences contre les femmes dans les pays en développement

Arlette Gautier

citation

Arlette Gautier, "Les violences contre les femmes dans les pays en développement ", REVUE Asylon(s), N°1, octobre 2006

ISBN : 979-10-95908-05-0 9791095908050, Les persécutions spécifiques aux femmes. , url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article536.html

à propos

Présentation des recherches en cours sur les violences contre les femmes et les filles à l’intérieur de la famille et en dehors de la famille : dans la communauté, dans les situations de conflits et par les programmes de planification familiale permettra de montrer l’inégal avancement des travaux. Réédition du rapport pour la 33e commission de la population des nations unies "genre population et développement", initialement publié dans : BOZON Michel et LOCOH Thérèse (dir.), Rapports de genre et questions de population, Dossiers et recherches de l’INED, Volume II, 85 : 117-128.

Les violences contre les femmes, qui déchirent bien des vies, ont été longtemps absentes tant du débat public que des sciences sociales. Elles ont été dénoncées par la seconde vague du mouvement féministe dans les années 1970 comme liées, non à la méchanceté de quelques hommes, mais au statut subordonné des femmes. Dans les années 1990, le nombre croissant des chercheuses comme le lobbying et le networking féministes ont permis la prise en compte des violences faites aux femmes aussi bien au niveau national qu’international. Des lois ont donc été adoptées contre certaines formes de violence, des résolutions internationales ont été ratifiées par les gouvernements. Ainsi, les conventions issues des conférences sur les droits humains à Vienne en 1993, sur la population et le développement au Caire en 1994 et sur les femmes à Pékin en 1995 ont réaffirmé leur détermination à « prévenir et éliminer toutes les formes de violence contre les femmes et les filles » (article 29), définies ainsi par les articles 113 à 115 : « La violence physique, sexuelle et psychologique

  1. dans le cadre de la famille : les coups, l’abus sexuel des filles, la violence liée à la dot, le viol marital, les mutilations génitales féminines et les autres pratiques traditionnelles néfastes pour les femmes.
  2. à l’intérieur de la communauté : le viol, l’abus sexuel, le harcèlement sexuel et l’intimidation au travail et dans les institutions éducatives et ailleurs ; le trafic des femmes et des filles et la prostitution forcée.
  3. perpétrée ou acceptée par l’Etat.
  4. la violation des droits humains des femmes dans les situations de conflit armé, en particulier le meurtre, le viol systématique, l’esclavage sexuel et la grossesse forcée.
  5. la stérilisation forcée et l’avortement forcé, l’utilisation forcée de la contraception, l’infanticide féminin et la sélection prénatale du sexe. »

Cette violence est « fondée sur le genre » parce qu’elle provient en partie du statut subordonné des femmes dans la société. Beaucoup de cultures ont des systèmes de valeurs et des institutions qui légitiment et donc perpétuent la violence contre les femmes. Des actes qui seraient condamnés s’ils étaient commis envers un voisin ou une connaissance sont admis quand ils sont dirigés contre une femme, notamment dans la famille.

La plate-forme de Pékin prévoit de collecter des données sur le sujet et de développer des recherches sur la nature, les causes et les conséquences des violences faites aux femmes. Les premières données provenaient en effet des statistiques policières et judiciaires, ce qui sous-estimaient gravement le phénomène car un nombre très important de ces faits ne sont jamais révélés, parce que les femmes naviguent entre la honte, le dégoût de soi, la crainte (trop réelle dans certains contextes) d’être ostracisées et exclues de leur milieu. Des enquêtes ont été menées, qui ont permis de mieux saisir l’ampleur du phénomène : un tiers des femmes auraient été battues ou violées ou abusées à un moment quelconque de leur vie, le plus souvent par un membre de la famille [1]. Le fait que cette violence varie néanmoins fortement et que certaines petites sociétés soient exemptes de toute violence domestique [2] rappelle néanmoins qu’elle n’a rien d’inéluctable et qu’elle peut donc être contrecarrée par de nouveaux arrangements entre les sexes.

La brève présentation des recherches en cours sur les violences contre les femmes et les filles à l’intérieur de la famille et en dehors de la famille : dans la communauté, dans les situations de conflits et par les programmes de planification familiale permettra de montrer l’inégal avancement des travaux.

les violences dans la famille

Contrairement au mythe de l’agresseur inconnu tapi au fond d’une ruelle obscure, la majorité des violences subies par les individus de sexe féminin le sont au sein de la famille, pourtant présentée comme un refuge et un havre de paix. On peut différencier ces violences selon qu’elles sont exercées sur les filles ou sur les épouses.

Les violences contre les filles

Certaines violences sont bien documentées, même si c’est depuis peu, parce qu’elles conduisent à la mort ou parce qu’elles sont très localisées géographiquement, comme l’excision, d’autres, comme les mariages arrangés, ont été peu étudiées comme telles.

Mauvais traitements et déficit en filles

Amyarta Sen [3], prix Nobel d’économie, a mis en évidence un déficit de plus de 100 millions de femmes dans le monde, liés à des rapports de masculinité à la naissance aberrants, notamment en Chine et en Inde, ainsi qu’à la surmortalité des filles de moins de cinq ans dans certains pays asiatiques fortement peuplés. 57 enquêtes démographiques et de santé portant sur 44 pays de 1986 à 1995 ont confirmé cette analyse en mettant en évidence l’existence d’une « ceinture patriarcale », de l’Afrique du Nord à l’Asie du Sud, où existe une forte préférence pour les garçons [4]. En Chine et en Inde ainsi qu’au Sri Lanka les rapports de masculinité la naissance sont ainsi de l’ordre de 112-114, alors qu’ils sont normalement de 105. En Chine, le rapport de masculinité augmente fortement avec le rang de naissance, passant à 129 pour le quatrième enfant. Ces taux s’expliquent par des avortements sélectifs selon le sexe, des infanticides et pour la moitié des filles manquantes par des mises en adoption [5]. Au Bangladesh, en Inde, au Pakistan et en Egypte, cette préférence pour les garçons est liée à une forte surmortalité des petites filles, liée au fait que les garçons sont plus souvent vaccinés et plus longtemps allaités au sein, dans un contexte où l’allaitement artificiel est peu sûr. De plus, en Inde les filles sont systématiquement discriminées pour le traitement des maladies et elles reçoivent, de même qu’au Bangladesh, moins souvent des sels de réhydratation orale. Un traitement défavorable aux petites filles commence à apparaître en Afrique, notamment dans certains milieux urbains et instruits [6].

Les mutilations de l’appareil génital féminin [7]

On appelle ainsi toute intervention comportant l’excision partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme, qui a été pratiquée sur plus de 100 millions de femmes dans le monde. Deux millions de nouvelles interventions sont pratiquées chaque année, parfois sur des bébés mais le plus souvent sur des fillettes de 4 à 10 ans. Ces pratiques sont encore répandues dans 28 pays africains, dans certains pays de la péninsule arabique et dans quelques ethnies minoritaires en Asie. La prévalence varie beaucoup d’un pays à l’autre : ainsi, parmi les femmes de 15 à 49 ans, 90% des Maliennes, Egyptiennes et Erythréennes sont excisées pour 43% des Centrafricaines et Ivoiriennes. Il n’y a pas de lien systématique entre présence de l’Islam et pratique de l’excision, dont l’existence est d’ailleurs antérieure à cette religion. Environ 80% des femmes mutilées ont subi l’excision du clitoris et des petites lèvres. L’infibulation (excision du clitoris et des lèvres et incision des grandes lèvres qui sont scellées de manière à recouvrir l’urètre et la majeure partie de l’ouverture vaginale) est très répandue en Somalie et à Djibouti, où elle représente de 80 à 90% des mutilations, alors qu’elle en représente 34% en Somalie. Au Nord Soudan, où 90% des femmes sont excisées, 75% le sont par infibulation. [8]

Ces pratiques ont été condamnées par de nombreux médecins du fait des complications qui s’ensuivent, notamment lorsqu’elles sont réalisées sans antiseptique avec des instruments de fortune. Toutefois, même pratiquées de façon moderne, les excisions peuvent avoir des conséquences néfastes sur la santé psychique et mentale, tant à court qu’à long terme (notamment au moment des relations sexuelles et de l’accouchement). Elles sont définies comme des mutilations, tant par l’OS que par la déclaration du Caire, et jugées contraires aux droits fondamentaux de la personne, notamment le droit de bénéficier de la meilleure santé physique et mentale et à l’intégrité de la personne. Des associations luttant contre ces pratiques existent dans 23 pays africains et de nombreux pays ont pris des législations interdisant ces pratiques (Nigeria, Ghana, Guinée, Egypte, Burkina-Faso, Togo). Des actions diverses ont été menées pour changer les mentalités. Diverses enquêtes DHS ont montré des taux d’adhésion très variables par les femmes elles-mêmes (de 82% en Egypte à 30% en République Centrafricaine). Partout, les femmes qui disent approuver la pratique sont en proportion inférieure à celle des femmes excisées.

Les mariages forcés

« Dans un large éventail de sociétés en Asie, en Amérique latine et en Afrique, els mariages sont arrangés par les parents au cours de l’enfance ou de la prime adolescence. Dans certaines sociétés, les intéressés ont la possibilité d’accepter ou de refuser l’arrangement une fois qu’ils se sont rencontrés ; dans d’autres sociétés, les arrangements familiaux sont définitifs » [9]. Ces mariages impliquent le viol légal et constituent une négation du droit à la propriété de son corps. Ils peuvent avoir des effets psychiques dévastateurs, pour les hommes comme pour les femmes. Certaines jeunes filles tuent leur mari ou se suicident, comme dans le beau film Mossane de la Sénégalaise Safi Faye, d’autres essaient de fuir ces mariages arrangés [10]. La plupart acceptent leur sort car elles ont peu de recours, étant repoussées par leurs familles. Leur situation est alors différente selon qu’elles vivent dans des sociétés où le divorce, voire les relations extra-maritales, sont tolérés et où les femmes ont une certaine autonomie économique, ce qui leur permet de trouver un autre partenaire plus à leur goût (si elles ne finissent pas par s’habituer au conjoint qu’on leur a choisi), ou qu’elles doivent rester dans ce mariage jusqu’à la fin de leur vie.

Ces mariages arrangés touchent les deux sexes et sont également condamnables. Toutefois, ces mariages ont souvent lieu quand les filles sont très jeunes, avec des homme d’un âge significativement plus élevés. Certes, l’âge au premier mariage tend à s’élever, il reste encore faible dans certains pays : ainsi au début des années 1990 la moitié des femmes de 15 à 19 ans sont déjà mariées au Bangladesh et au Népal, le tiers en Inde [11]. Dans une enquête en Somalie, les femmes avaient été mariées en moyenne à 13 ans [12]. Bien que les maris ne soient pas supposés avoir des rapports avec leurs femmes impubères, cette règle n’est pas toujours respectée [13]. La coutume peut donc légitimer des ce qui ressemble parfois à des viols d’enfants. Du fait de leur âge plus élevé les hommes ont une possibilité accrue de refuser le diktat parental. D’ailleurs, dans les changements en cours qui voient le mariage devenir plus volontaire, c’est plus souvent le cas pour l’homme [14].

Bien que tous les pays reconnaissent le principe de la liberté de mariage et aient augmenté l’âge légal au mariage, la loi ne met pas toujours les jeunes à l’abri d’un mariage forcé, d’autant que dans beaucoup de pays les systèmes légaux officiels cèdent le pas aux systèmes coutumiers pour les questions liées à la famille. Ainsi au Pakistan, après que des jeunes gens ayant fait des études supérieures et âgés de 25 ans se furent mariés contre la volonté de la famille de la femme, la police a arrêté le mari sous l’inculpation d’enlèvement à des fins immorales [15].

Partout dans le monde, les filles risquent de subir des abus sexuels par un parent [16], mais aussi par des amis de la famille, des enseignants, etc... Les rares enquêtes qui l’ont investiguée ont trouvé une prévalence de 30% à la Barbade, 26% à au Nicaragua, 32% parmi les étudiantes de Costa Rica [17]. 21% des premiers rapports sexuels des Centrafricaines ont été forcés. [18] Il n’est pas précisé combien des agresseurs étaient des membres de la famille.

Les violences contre les compagnes  [19]

De grandes enquêtes quantitatives ont été menées entre 1982 et 1999 dans 39 pays (dont 29 en développement), notamment dans le cadre des enquêtes démographiques et de santé [20]. Ces enquêtes montrent à la fois la forte prévalence de la violence physique par « un partenaire intime » et sa variabilité. Au cours de leur vie, ce sont de 10 à 17% des femmes qui ont violentées dans 6 pays, 20 à 34% dans 7 autres pays et de 47 à 68% dans 4 autres pays. Dans leur relation actuelle, 20 % des Colombiennes, Thaïlandaises de Bangkok et Chiliennes ont été battues pour le tiers de Bangladaises et femmes de l’Uttar Pradesh ainsi que 41% des Ougandaises et des Kenyanes. Au cours de douze derniers mois, la prévalence varie de 6% en Afrique du Sud [21] autour de 15% en Inde, Egypte, Bangladesh, Bolivie, Nicaragua à 31% pour les habitantes de Lima. Les violences physiques sont souvent liées également à des abus psychologiques et elles s’accompagnent dans un quart à la demi des cas de violences sexuelles.

Ces violences ont souvent pour but de punir la femme lorsqu’elle a répondu ou désobéi, lorsqu’elle est accusée d’avoir négligé sa maison ou ses enfants, lorsqu’elle a refusé d’avoir des rapports sexuels ou lorsqu’elle est suspectée d’adultère. Elles ont donc pour but d’obtenir la soumission de la femme et sa conformité à un certain rôle. Elles marquent l’appropriation du corps et du temps de la femme par sa compagnon. Elles relèvent dans certains pays d’une norme sociale, ainsi en 1999 une majorité d’Egyptiennes, d’hommes palestiniens et de lycéen-ne-s de Papouasie-Nouvelle-Guinée jugent légitimes les coups donnés à une femme qui a répondu ou désobéi. La suspicion d‘adultère est un motif légitime de violence [22] pour moins de 13% de Latino-Américains urbains [23], femmes et hommes interrogés, un tiers des Nicaraguayennes et des hommes de Singapour pour 71% des Palestiniennes vivant en Israël. Les différences entre femmes urbaines et rurales sont aussi importantes qu’entre hommes et femmes, ce qui semble montrer que le modèle rural était plus répressif que le modèle urbain contemporain.

On peut noter que 81% des Egyptiennes rurales, 43% des hommes Ghanéens et un tiers des Ghanéennes et des hommes palestiniens pour moins de 5% des hommes de Singapour et des Nicaraguayennes urbaines jugent légitime qu’un mari batte une femme qui se refuse. C’est dire que les notions de désir féminin et viol marital sont fort inégalement reconnues et que si pour beaucoup d’humains les relations sexuelles sont un enchantement, pour beaucoup d’autres, et particulièrement des femmes, c’est loin d’être le cas. D’après l’OS, c’est de 10 à 15% des femmes qui reconnaissent avoir été violées par un partenaire intime [24]. Cette représentation de la femme comme propriété de l’homme est souvent présente dans les codes pénaux mêmes, qui n’admettent pas le viol marital. Elle l’est parfois d’une façon exacerbée. Ainsi au Paraguay ou en Haïti, le meurtre de la femme reste impuni si son adultère est prouvé et il représente une circonstance atténuante pour l’homme au Venezuela et pour les deux sexes au Mexique et au Nicaragua [25].

Les violences ne sont évoquées à personne par 68% des Bangladaises, la moitié des Egyptiennes, un tiers des Cambodgiennes, Chiliennes, Nicaraguayennes et Anglaises, alors qu’autour de 15% seulement des Chiliennes et Nicaraguayennes, pour 1% des Cambodgiennes contacteront la police [26]. Elles ont pourtant un impact énorme sur la santé mentale et physique des femmes, à la fois à court et à long terme. A court terme, 40% à 75% des femmes battues seront blessés de ce fait à un moment ou l’autre. A long terme, les femmes qui ont souffert de violence à un moment quelconque de leur vie sont significativement en plus mauvaise santé que les autres, et souffrent notamment d’hypertension, de diabètes, de maladies gastro-intestinales et d’asthme. Elles sont plus souvent anxieuses, dépressives et phobiques, et se suicident plus souvent, que ce soit au Nicaragua ou au Pakistan. Les violences domestiques peuvent être calculées en termes de dépenses pour la sécurité sociale, en pertes de journées de travail, en temps perdu pour incapacités physiques ou dépressions. Enfin, la violence a un effet négatif sur la santé des enfants, qui ont un risque plus élevé de mortalité avant cinq ans que les autres enfants au Nicaragua et en Inde.

De plus, un certain nombre des violences se termineront par la mort de la femme. De 40% à 70% des homicides de femmes sont commis par des partenaires intimes, alors que très peu d’hommes sont tués par une femme. En Inde, ce phénomène a pris une ampleur particulière avec les meurtres de jeunes femmes pour insuffisance de dot (parfois perpétrés par la belle-mère), souvent dans un premier temps maquillés en décès accidentels. Selon Heise : « en 1990 la police a enregistré 4 835 morts liées à la dot dans toute l’Inde, mais le groupe d’intervention féminin Ahmedabad estime que 1000 femmes peuvent être brûlées par an dans le seul Etat de Gujurat. Dans le Maharashtra urbain et le grand Bombay un décès sur 5 de femmes de 15-44 ans est lié à des brûlures accidentelles » [27]. Au Moyen Orient et en Asie du Sud, quelques centaines de meurtre « d‘honneur » de la femme ou de la fille « indigne » auraient lieu chaque année [28] . Une étude de l’homicide féminin à Alexandrie, Egypte, a trouvé que 47% de toutes les femmes tuées l’avaient été par un parent après qu’elles eussent été violées et qu’elles aient donc perdu leur « honneur ». Dans ce cas, les violences dans et hors de la famille se répondent.

Les Violences en dehors de la famille

Violences au travail, en situation exceptionnelle ou par les programmes chargés du bien être des populations ont en commun d’être documentées de façon non systématique.

Les femmes risquent d’être touchées plus particulièrement par la violence sur le lieu de travail la violence pour un double motif. D’une part, elles sont concentrées dans un petit nombre de à faible statut et ont peu de possibilités de négociation avec leurs employeurs car elles seraient facilement remplacées. Les employées de services (notamment au particulier, dans les bars ou travaillant à des horaires atypiques) sont parmi les catégories les plus à risques. D’autre part, le fait que les femmes soient considérées comme l‘objet du désir de l’homme, souvent jugé irrépressible, dès qu’elles ne sont pas la propriété d’un autre homme, les met en situation de risque. Ce type de violence est encore mal connu. Les premiers résultats de l’enquête internationale sur les crimes et les victimes de 1996 [29], menée dans 32 pays, sont assez surprenants car la France serait le pays le plus touché par la violence au travail et les incidents sexuels, plus que les autres pays occidentaux et beaucoup plus que les pays en développement, où la prévalence serait très faible, sauf en Afrique du sud et aux Philippines [30]. On peut donc craindre une sous-estimation, d’autant que l’enquête a été faite par téléphone, car la forte prévalence du travail informel est plutôt néfaste pour le respect des droits des travailleurs.

On sait que les femmes représentent 47% des migrants de par le monde et que la migration reste un moyen privilégié pour nombre d’entre elles de gagner de l’argent et d’améliorer leur vie. Cependant des cas de meurtres, de tortures, des viols et de mauvais traitements divers ont été rapportés par la presse et les associations. Sur les 12 000 cas se rapportant à des Philippines, 109 relevaient de viols et 2309 à des mauvais traitements verbaux et physiques, le reste étant souvent lié à des refus de paiement de gages. Les domestiques et les employées de bar (deux des occupations les plus fréquentes, notamment en Asie [31] des migrantes) risquent particulièrement de subir de la violence, de même que les femmes qui émigrent de façon illégale ou clandestine, du fait de leur ignorance du système légal et des usages du pays hôte, de leur non compréhension du langage, de leur statut social inférieur, de leur manque de mobilité et de contacts sociaux, voire de leur réclusion. Malgré l’intérêt récent des organisations internationales à ce sujet et la création de normes et de procédures spécifiques, les migrantes restent peu protégées. Les pays d’origine se contentent de mettre en œuvre des refuges et de payer parfois les frais de rapatriement lorsqu’un accord n’a pas pu être trouvé avec l’employeur. Les statistiques pour mesurer la violence ne sont pas compilées de façon systématique et régulière.

La prostitution et le trafic de filles et de femmes est une réalité de plus en plus présente avec le développement du tourisme sexuel et de la migration en général. Le trafic des femmes va du kidnapping direct à la persuasion mensongère, menant à l’exploitation par la violence ou la peur de la violence. Il est facilité par la mondialisation et le développement de la technologie moderne (les fichiers d’enfants et de femmes sur Internet) et est dominé par des réseaux organisés, souvent lié aux mafias. Un million d’enfants de moins de 18 ans travailleraient dans le commerce du sexe en Asie du sud-est. 20 000 à 30 000 filles birmanes travailleraient dans les bordels thaïlandais auraient été recrutées contre leur volonté dans leurs villages. Elles sont violées, battues et soumises à de nombreux risques infectieux, notamment le HIV [32].

Lors de situations exceptionnelles

Sans leurs familles étendues et leur réseau sociaux et dans des situations de déstructuration sociale et de haines diverses, les femmes peuvent être particulièrement visées.

D’après le Haut commissariat aux réfugiées les femmes représentent 47% des 14 millions de réfugiés de part le monde. Hommes et femmes sont confrontés à des situations très difficiles. Cependant, la violence sexuelle touche particulièrement les femmes. Ainsi de nombreuses femmes somali réfugiées dans des camps au Kenya de 1991 à 1993 ont été violées par des bandits somali puis par des officiers de police kenyans [33].

Les guerres sont depuis longtemps l’occasion de viols, qui expriment à la fois la volonté d’humilier les vaincus, le sentiment de puissance virile des vainqueurs ainsi qu’un moyen de marquer leur pouvoir sur les femmes, d’autant plus faciles que les agresseurs pensent que ces viols resteront impunis, les femmes n’osant pas les déclarer. Ils ont souvent également une fonction stratégique : faire fuir les populations en les terrorisant Ainsi, entre 250 000 et 400 000 femmes ont été violées au cours de la guerre d’indépendance du Bangladesh en 1972. Parmi les multiples guerres qui ont marqué ces dernières années, le choix de la Bosnie et du Kosovo permettra de montrer les fonctions opposées que peuvent avoir le même acte. En Bosnie, des camps de viols ont fonctionné pendant deux ans et demi, où les femmes une fois fécondées étaient séquestrées pour qu’elles donnent naissance à des enfants serbes (d’après les Serbes), tout en continuant à assurer leur service domestique et sexuel. Au Kosovo [34], les viols ont commencé depuis 1991 pour terroriser la population albanaise, mais ils se sont multipliés depuis l’agression de 1998. Les « belles jeunes femmes entre 16 et 20 ans » ont été particulièrement visées, et souvent exécutées par la suite pour qu’elles ne puissent pas témoigner, mais aussi les femmes enceintes, parfois frappées à l’estomac, qui ont fait des fausses couches ou accouché d’enfants mort-nés. Il semblerait que la volonté aient plutôt été d’annihiler la population albanaise du Kosovo, dont la propagande serbe dénonçait le taux élevé de natalité comme la marque d’une volonté expansionniste. On rapporte ainsi des assassinats de femmes enceintes, de femmes avec des bébés et de très jeunes enfants. Des femmes ont été mutilées pour ne plus avoir d’enfants, mais l’OSCE rapporte aussi des mutilations de seins, de sexes et de visages.

Il est difficile de connaître le nombre exact de viols car la virginité et la fidélité sont particulièrement prisées dans ces populations et les femmes risquent donc d’être ostracisées si elles dénoncent le sort qui leur a été fait. Certaines d’entre elles se sont suicidées lorsque leurs noms ont été divulgués. De plus, il est toujours particulièrement difficile d’évoquer des événements aussi traumatiques et cela particulièrement lorsqu’il faut faire face à un contre-interrogatoire qui peut être très éprouvant. En Bosnie début 1993, la presse avait parlé de 10 000 à 60 000 viols, un document de l’ONU de 3000, avec seulement le nom de 800 victimes [35]. Huit ans après un travail patient a permis de corroborer 10 000 de ces viols [36].

Corps maltraités au nom d’une fécondité imposée ou refusée

Les programmes de planification familiale sont présentés comme un moyen de libérer les femmes d’une oppression pluri-millénaire : les grossesses non désirées et ils ont souvent eu cette fonction. Néanmoins, leur objectif réel a bien souvent été purement néo-malthusien : faire diminuer la fécondité, parfois à n’importe quel prix. On connaît le cas chinois : non seulement seul un enfant, parfois deux, est-il autorisé, mais encore faut-il une autorisation administrative pour décider du moment adéquat et les récalcitrants voient des sanctions diverses s’abattre sur eux. Mais surtout la presse chinoise comme les réfugiés ont fait mention d’avortements imposés jusqu’à sept mois de grossesse ( !), de stérilets mis de force, de ligatures imposées [37]. Au Vietnam [38], en Inde, en Indonésie plus exceptionnellement, de tels cas ont été reportés. Le corps des femmes est alors violenté par les institutions publiques au nom de son bien-être [39]. Parallèlement et inversement, dans d‘autres pays, c’est la fécondité qui est imposée aux Roumaines et Irakiennes –et il n’y a pas si longtemps françaises et Chiliennes – quand la contraception est interdite.

Plus généralement, les institutions publiques chargés de mettre en œuvre les politiques démographiques l’ont souvent fait avec un mépris énorme pour les femmes et leur corps. Ainsi, en Egypte [40], on a donné des pilules à des femmes hypertendues, installé des stérilets à des femmes souffrant de descentes d’organes, En Inde [41], dans un camp de stérilisation, pourtant jugé de meilleure qualité que la plupart, le chirurgien réalisait 48 opérations en deux heures, sans changer de gants ni le linge de la salle d’opération. Sans parler de la grande misère de certains dispensaires où il n’y pas d’eau ni de savon pour se laver les mains entre deux examens, pas de gants, pas de spéculums. Aussi, il n’est pas étonnant qu’un tiers des personnes ayant acceptées d’être stérilisées au Bihar ont eu des complications [42]. Tout cela sans poser de questions aux femmes sur leurs souhaits en matière de reproduction ou sur leur santé reproductive.

Heureusement, les mouvements contre les stérilisations forcées et pour l’avortement, aux Etats-Unis ou en Inde, fondus depuis 1979 en mouvements pour les droits reproductifs des femmes ont au moins gagné la bataille du Caire et de Pékin et ces droits sont désormais inscrits dans des textes internationaux et même dans de nombreuses constitutions, lois et programmes de santé nationaux, ce qui est un premier pas pour que ces violences médicales faites aux femmes disparaissent. Toutefois, les pays financeurs ayant réduit leur aide, de nombreux pays, qui subissent de plus la crise économique et parfois une crise sanitaire, ne sont pas en mesure d’améliorer la qualité de leurs programmes. Cependant, des protocoles d’analyse des programmes du point de vue de leur qualité - et non plus de la réussite de leurs objectifs quantitatifs de réduction de la fécondité- ont été élaborés, notamment au Population Council avec l’analyse de situation, ce qui pourrait accroître la sensibilité à une approche respectueuse des clientes par les services de santé reproductive.

Conclusion

Depuis la remise à jour en 1992 de la convention pour l’élimination de toutes les discriminations envers les femmes, les Etats signataires doivent prendre toutes les actions nécessaires pour protéger les femmes contre les violences et ils sont comptables de l’absence de progrès. Le développement de modules de recherches concernant les violences faites aux femmes, des transformations législatives visant à mieux les faire reconnaître et à interdire les excisions, des programmes de formation aux policiers, juges, travailleurs sanitaires et autres, souvent en contact avec les associations de femmes, telles sont quelques une des actions entamées jusqu’à présent pour répondre à cet objectif, dont les avancées sont inégales selon les pays. Les résultats présentés ici, qui montrent à quel point les violences fondées sur le genre sont fréquentes, indiquent l’importance du travail encore à mener, y compris au niveau de la recherche, puisque des études systématiques sont encore à réaliser dans bien des domaines.

Arlette GAUTIER

(Université de Paris X)

NOTES

[1] « Ending violence against women » Population Reports série L, 27(4), déc. 1999.

[2] Sanday Peggy – « The socio-cultural context o f rape : a cross-cultural study » Journal of Social Issues 37(4), 1981 : 5-27.

[3] Sen Amayrta.– « Pourquoi un déficit de plus de cent millions de femmes ? » Esprit sept. 91.

[4] Ainsi, en Inde et au Pakistan seuls 5 à 10% des femmes désireraient avoir une fille lors de leur prochaine grossesse. Arnold Fred – « Gender preference », Demographic and health survey comparative studies N°23, 1997.

[5] Johansson et Nygren – « The missing girls of China », Population and Development Review 17(1), mars 1991 : 35-51.

[6] Gbenyon K. et Locoh T. – « Différences de mortalité selon le sexe dans l’enfance en Afrique au sud du Sahara » in Pison et Van de Walle – Mortalités et sociétés en Afrique subsaharienne. Paris, travaux et documents de l’INED/PUF, 1989 ; Biaye Mady – Inégalités sexuelles en matière de santé, morbidité et de mortalité dans l’enfance dans trois pays de l’Afrique de l’Ouest : hypothèses, mesures et recherche d’explication des mécanismes. Louvain, la Neuve, éditions Academia, 1994.

[7] Locoh Thérèse – « Pratiques, opinions et attitudes en matière d’excision en Afrique ». Population 53(6), nov-dec. 1998 : 1227-1240. Voir aussi : « Female genital mutilation » , Population Reports, série J, N°41, oct.95 et Carr Dara – « Female genital cutting : findings from the Demographic and Health surveys », Calverton, Demographic and Health Surveys Comparative Studies, 1997.

[8] Fnuap « le droit de choisir : droits et santé en matière de reproduction », Etat de la population mondiale 1997 : : 23-25.

[9] Fnuap – op. cit : 38.

[10] C’est un thème récurent de la littérature africaine . Voir notamment le beau livre du Somalien Nurruddin Farah – Née de la côte d’Adam. 1970, trad. Paris, Hatier/CEDA, 1987.

[11] Mason Karen Openheimer – « Is the situation of women in Asia improving or deteriorating ? » , Asia-Pacific population research reports N°6, sept. 95 : 14-15.

[12] Dagne Haile Gabriel – « Early marriage in Northern Ethiopia », Health Reproductive Matters N°4, nov. 94 : 35-38.

[13] Ouattara Mariam et alii. – « Forced marriage, forced sex : the perils of chilhood for girls ». Gender and development 6(3), nov. 98 : 27-37.

[14] Dans des contextes très différents, voir : Bélanger Danièle – « Changements familiaux au Vietnam depuis 1960 : trente années de formation des couples à Hanoi » et Hertrich Véronique – « Vers la construction d’un espace conjugal chez les Bwa du Mali » in Autrepart N°2, 1997 : 37 et 133.

[15] Fnuap – op. cit. : 40.

[16] On sait qu’en France un quart des femmes violées l’ont été par un parent.

[17] Population reports dec. 1999, tableau 6,

[18] Ibidem, tableau 5.

[19] Sauf mention contraire, toutes les données de ce paragraphe proviennent du numéro spécial de Population Reports série L, N°11, déc. 1999.

[20] Avec l’inconvénient qu’elles portent sur des groupes d’âge variables : plus 15 ans, plus de 18 ans, 15-44 ans, 15-49 ans.

[21] Ce pourcentage est très inférieur à celui d‘autres enquêtes menées dans ce pays, ce qui conduit les auteurs du rapport final à s’inquiéter d’un possible sous-enregistrement.

[22] Ibidem, à partir du tableau 3.

[23] Santiago de Chili, Cali en Colombie, Salvador de Bahia (Brésil) et San Savador (Salvador).

[24] www.who.org/frh-wld/vaw/infopack. 9% des Colombiennes ont été violées par leur partenaire, DHS. Colombia encuesta de prevalencia demografica y de salud 1990 : 165.

[25] Bolis Monica - « Treatment of violence against women in Latin American legislation » , Gender, Women and health in the Americas, Pan American Health organization, scientific publications N°541, 1993 : 241.

[26] Population Reports déc. 1999, tableau 3.

[27] Heise Lori - « Violence against women : the hidden health burden ». Rapport trimestriel de statistiques sanitaires mondiales 46(1), 1993 : 79.

[28] Depuis 1991 au Soudan les lois empêchent de témoigner en justice pour un viol dont elle été victime, à moins de présenter 4 musulmans hommes témoins de l’agression.

[29] International crime (victim) survey 1996 cité par www.ilo.org/publi/english/bu....

[30] En Afrique du Sud, 3.2% des hommes et 4.3% des femmes ont été maltraités au travail et 7.2% des femmes ont subi des « incidents sexuels » (taux proches de ceux des Pays-Bas par exemple), et respectivement 3%, 0.7%, 2.6% en Ouganda. L’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Costa-Rica, l’Indonésie ont des taux de mauvais traitements inférieurs à 1% et d’au moins 1% pour les incidents sexuels, sauf le Brésil où il est de 2.2%.

[31] 69% des émigrantes de Sri-Lanka et 28% des Philippines en 1993-94 étaient des travailleuses domestiques. 68% des travailleuses non-koweitiennes au Koweit étaient des domestiques en 1995. Shah Nasra ; Menon Indu – « Violence against women migrant workers : issues, data and partial solutions », Asian and Pacific Migration Journal 6(1), 1997 : 5-29.

[32] Nancy Riley – « Gender and demographic change ». Working papers : 34.

[33] The United Nations high commisioner for refugees – The state of the world’s refugees. New York, Oxford University press, 1995 : 248.

[34] www.osce.org – Kosovo/Kosova as seen, as told. Chapitre 7 : Rape and other forms of violence, chapitre 16 : les femmes ; chapitre 17 : les enfants.

[35] Thomas Doroty ; Kegan Ralph – « Rape in war : the case of Bosnia » in Ramet Sabrina – Gender politics in the Western Balkans. University Bank, Pennsylvania State University, 1999 : 213.

[36] Donnard Gisèle ; Garapon Antoine – « Kosovo : rendre justice aux victimes de viols ». Le Monde 28 décembre 1999.

[37] Aird J. – Slaughter of the innocents. Coercitive birth control in China. Washington, The AEI press, 1990.

[38] Lâm-Than-Liêm – « La planification familiale au Vietnam », Population 47(2) : 321-336.1987.

[39] Gautier Arlette – « Politiques démographiques et liberté reproductive » à paraître en 2000 in Guillaume Agnès et Pilon Marc - Maîtrise de la fécondité et planification familiale. Paris, éditions de l’IRD.

[40] Zuraik et alii. – « Comment repenser la politique de planification familiale à la lumière des recherches sur la santé génésique ? », Revue internationale des sciences sociales N°141 : 493-513.

[41] Ramananthan Mala et alii. – « Quality of care in laparoscopic sterilisation camps : observations from Kerala, India », Reproductive Heath Matters N°6, nov. 95 : 84-93.

[42] Satia J.K. et Jejeebhov S. – The demographic challenge. A study of four large indian states. Bombay, Oxford University Press, 1991.