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Extension du domaine de la justice locale. L’asile, entre politique d’immigration et politique sociale

Gilles Frigoli

citation

Gilles Frigoli, "Extension du domaine de la justice locale. L’asile, entre politique d’immigration et politique sociale ", REVUE Asylon(s), N°5, septembre 2008

ISBN : 979-10-95908-09-8 9791095908098, Palestiniens en / hors camps., url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article811.html

résumé

Nombreux sont les chercheurs en sciences sociales, et plus largement les observateurs du droit d’asile, qui ont montré que la politique de l’asile est aujourd’hui en voie d’être « absorbée » par la politique d’immigration du fait de sa soumission croissante aux exigences du contrôle des flux migratoires. Toutefois, si les liens entre asile et gestion des flux migratoires ont bien été analysés, il semble que les relations entre la politique d’asile et un autre domaine de l’action publique, la politique sociale, aient fait l’objet d’une attention moins grande. Or, le demandeur d’asile, dans le contexte français, est en passe de devenir, en plus d’être un migrant pour les autorités chargées du contrôle des mouvements migratoires, un ressortissant de la politique sociale et par là un objet de préoccupations pour les autorités en charge de la lutte contre les exclusions, que celles-ci interviennent au niveau central ou au niveau local.

Nombreux sont les chercheurs en sciences sociales, et plus largement les observateurs du droit d’asile, qui s’accordent sur le constat d’une « dépolitisation » en cours de ce domaine de l’action des Etats européens. Il faut entendre par là l’idée selon laquelle la politique de l’asile serait aujourd’hui en voie d’être « absorbée » par la politique d’immigration du fait de sa soumission croissante aux exigences du contrôle des flux migratoires, ceci ayant pour conséquence de constituer le demandeur d’asile en une sorte de « migrant parmi d’autres » soupçonné, au même titre qu’un nombre croissant d’individus qui quittent un pays d’émigration en direction d’un pays occidental, d’être un migrant économique déguisé [1].

Les mécanismes, les présupposés, les causes, les incidences de cette « dédifférenciation » de l’asile ont bien été décrits [2], de même que le paradigme dans lequel elle s’encastre et que l’on peut résumer autour de l’idée qu’il est de « vrais » et de « faux » réfugiés et qu’il est par conséquent de bonne méthode, et moralement fondé, de trier, parmi ceux qui n’ont pas été dissuadés de migrer en direction des pays européens, entre les premiers et les seconds [3].

Le demandeur d’asile, un « exclu » parmi d’autres ?

Toutefois, si les liens entre asile et gestion des flux migratoires ont bien été analysés, il semble que les relations entre la politique d’asile et un autre domaine de l’action publique, la politique sociale, aient fait l’objet d’une attention moins grande. Or, en tout cas dans le contexte français, tout semble indiquer que le demandeur d’asile soit en passe de devenir, en plus d’être un migrant pour les autorités chargées du contrôle des mouvements migratoires, un ressortissant de la politique sociale et par là un objet de préoccupations pour les autorités en charge de la lutte contre les exclusions, que celles-ci interviennent au niveau central ou au niveau local. En effet, on sait que les demandeurs d’asile n’ont pas, sauf cas exceptionnel, la possibilité de travailler et que le montant des allocations qu’ils sont susceptibles de percevoir est insuffisant pour leur permettre de vivre décemment dans l’attente de l’issue d’une procédure de demande d’asile qui demeure souvent longue [4]. Le nombre de places en Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) étant lui-même très insuffisant au regard des besoins qui se manifestent [5], beaucoup d’entre eux n’ont d’autre choix, pour satisfaire leurs besoins les plus élémentaires (se nourrir, se loger, se soigner, etc.), que de se tourner vers le secteur dit de « l’action sociale d’urgence », un secteur qui, pour une large part, est aujourd’hui à la charge du monde associatif, qu’il s’agisse d’associations caritatives ou d’associations plus professionnalisées gérant des dispositifs comme le 115. Et de fait, même si les situations locales peuvent sensiblement varier, dans de nombreux centres urbains en France, il faut faire avec ces populations, les problèmes qu’elles rencontrent et les demandes qu’elles adressent aux acteurs de l’action sociale. Cette situation n’est pas sans susciter d’inquiétude, que celle-ci émane d’acteurs qui se soucient du sort des demandeurs d’asile ou des personnes précaires en général [6] ou, quoique pour des raisons différentes, du Ministère des Affaires Sociales, des services déconcentrés de l’Etat, des institutions locales du secteur social en général, autant d’acteurs pour lesquels le problème est avant tout d’ordre organisationnel et logistique puisque de nombreux dispositifs d’urgence dits généralistes se trouvent « saturés » [7].

Mais le constat de ces difficultés est aussi de nature à susciter des interrogations dans le droit fil de ce que nous évoquions plus haut concernant la « dédifférenciation » de la politique de l’asile. En effet, la figure du demandeur d’asile s’étant, à travers les textes fondateurs du droit d’asile, constituée politiquement, juridiquement et socialement en se distinguant de celle de l’immigré certes, mais aussi de celle de l’indigent, on peut se demander si, dès lors qu’il devient par nécessité un usager assidu des guichets sociaux, le demandeur d’asile n’est pas en passe de devenir une sorte d’ « exclu parmi d’autres », ce qui ajouterait encore à la dépolitisation de l’asile que favorise par ailleurs son statut de « migrant parmi d’autres ». Cette question mérite d’être posée car, outre le fait que les choix qui sont faits quant à la manière de constituer le demandeur d’asile en usager de la politique sociale ont des incidences très concrètes sur le sort des personnes concernées (il n’est évidemment pas indifférent de jouir de droits sociaux ou d’être renvoyé vers l’assistance), il en va aussi, dans le traitement social qui leur est réservé, de la construction du demandeur d’asile comme une des figures de l’altérité vulnérable, une forme d’altérité qui, non seulement met au jour le modèle d’intégration, au sens large, que mettent en œuvre les sociétés occidentales face à leurs marges, mais lorsqu’il s’agit de l’asile, met celles-ci à l’épreuve de leurs engagements démocratiques. Et, par là, la question se pose de savoir ce qu’il reste de ces engagements lorsqu’ils passent au filtre des contraintes, des logiques, des instruments de cette forme particulière de réponse à la vulnérabilité que constitue l’action sociale d’urgence.

C’est une contribution à ce débat qu’on se propose d’apporter ici, à la lumière d’une enquête menée en 2004 et consacrée à l’hébergement des demandeurs d’asile dans un département du sud de la France.

Le demandeur d’asile aux guichets de l’action sociale d’urgence

L’enquête visait initialement à rendre compte des conditions dans lesquelles s’est progressivement constitué un dispositif local d’accueil et de prise en charge des demandeurs d’asile dans un département ayant connu au début des années 2000 une brusque augmentation des besoins en la matière [8]. L’idée directrice de la recherche était alors d’appréhender la constitution de ce dispositif comme une forme, parmi d’autres possibles, de construction locale de la demande d’asile comme objet d’action publique dans le domaine social.

A un premier niveau, l’enquête met à ce sujet en évidence une série de résultats qui doivent à ce qu’il est convenu d’appeler les « dynamiques de l’action publique locale », soit : la rencontre entre un « déjà là », c’est-à-dire des cadres organisationnels et cognitifs préexistants, et un nouvel enjeu d’action organisée à la fois appréhendé en fonction de ces cadres et susceptible, à travers des jeux d’appropriation, de les modifier, cette dynamique entre configuration de départ et reconfiguration potentielle débouchant sur l’instauration de manières de faire puisant à des stratégies organisationnelles, des logiques institutionnelles inscrites dans une histoire locale, au poids d’habitus professionnels, bref à des logiques sociales placées face à la nécessité de s’adapter à un nouveau contexte mais aussi à la possibilité de le façonner [9]. L’enquête dévoile à ce sujet une assez grande diversité de pratiques [10]. Elles se rejoignent toutefois pour inscrire très clairement le demandeur d’asile dans la sphère de l’action sociale d’urgence et faire par là de la demande d’asile une affaire d’action caritative, d’action humanitaire. Ainsi, les acteurs centraux du dispositif qui se met en place sont ceux de l’urgence sociale (lieux d’accueil caritatifs, asiles de nuit, hôtels meublés, etc.). Surtout, ce dispositif va se trouver entièrement régi par les principes qui gouvernent l’assistance comme modèle de prise en charge sociale, c’est-à-dire l’évaluation au cas par cas de la légitimité de la requête de celui qui demande de l’aide, l’idée qu’il lui faut prouver le bien-fondé de sa demande, « se raconter » pour prendre place sur l’échelle des priorités qu’établissent les institutions et les intervenants de terrain, ceci généralement dans le cadre d’interactions dont les nombreux travaux récents centrés sur l’analyse de la « relation d’aide » ou la « relation de service » [11] ont bien étudié les mécanismes et les ressorts. L’enquête montre ainsi le caractère relationnel et circonstancié des jugements portés sur les récits que font d’eux-mêmes les demandeurs d’asile, jugements qui ont des effets très directs sur le sort qui est le leur au sortir de ces séances de « présentation de soi ». En effet, non seulement la vie quotidienne du demandeur d’asile va se trouver en partie rythmée par ces situations dans lesquelles il lui faut argumenter autour de sa propre histoire : auprès du bénévole qui peut lui trouver une chambre en hôtel meublé ; du travailleur social qui, ayant un contact à la DDASS, peut appuyer sa demande d’accès à un CADA ; de tel intervenant associatif qui peut éventuellement l’aider à rédiger son dossier de demande d’asile ; ou encore de telle association qui pourra peut-être financer un quart du montant du billet de train nécessaire pour se rendre à l’OFPRA, si, par ailleurs, il est en mesure de convaincre trois autres associations de le faire pour un montant équivalent…Mais, de plus, dans le cadre de ces relations d’aide dont l’issue dépend à la fois des circonstances de la rencontre, de la personne qui se trouve derrière le guichet et de la « prestation du requérant », il n’est pas indifférent d’apparaître comme quelqu’un semblant être « parfaitement dans le cadre [12] » supposé de la demande d’asile ; comme quelqu’un qui « a toutes les caractéristiques du passeur » ; comme quelqu’un qui « mérite vraiment d’être aidé » ; comme quelqu’un qui « a typiquement la culture des gens de l’Est » ; comme quelqu’un de « trop carencé sur le plan psychologique et qui pourrait mettre le désordre » ; voire comme un « vrai » ou un « faux » réfugié [13].

Pour le dire autrement, au sein du dispositif qui se met en place, les demandes exprimées par les demandeurs d’asile sont systématiquement soumises à une sélection appuyée sur l’exercice d’une justice locale, le terme « local » renvoyant ici à deux acceptions. La première procède de la constitution d’un « sens commun local », c’est-à-dire d’un savoir-faire, de compétences pratiques se diffusant entre intervenants sociaux par des canaux formels et informels sur le territoire et concernant aussi bien la typologie des demandeurs, que les « solutions qui marchent », les « bonnes adresses », etc. Mais le terme « local » renvoie également aux règles d’ordres locaux situationnels, propres à chaque situation dans laquelle se pose la question du sort des demandeurs d’asile, que ces situations relèvent d’ « échanges au guichet » ou, à l’instar de la procédure d’admission locale en CADA, de l’évaluation collégiale de la recevabilité d’une demande de prise en charge à travers la construction et l’usage de critères d’éligibilité à telle ou telle prestation. En clair, c’est bien une offre d’assistance que se voit proposer le demandeur d’asile, lui imposant, à l’image de ce qu’exige de lui la procédure de demande d’asile, d’entrer dans la logique de la « supplique » [14], c’est-à-dire une logique enjoignant celui qui sollicite de l’aide à se montrer persuasif dans l’expression de sa demande.

Vers une banalisation de la figure du demandeur d’asile dans le champ de la vulnérabilité sociale ?

Au sortir de l’enquête et à la lumière de ces constats, tout porte donc à considérer que le demandeur d’asile, en tout cas sur notre terrain d’enquête, a fait son entrée dans le monde de l’action sociale d’urgence, et, par là, qu’il est devenu une figure parmi d’autres de ce domaine où se côtoient tous ceux qui se trouvent contraints de naviguer à vue, pour reprendre l’expression de Christine Dourlens, dans les « labyrinthes de l’urgence » [15].

Certes, le demandeur d’asile n’est pas exactement logé à la même enseigne que certains de ses compagnons d’infortune dans la mesure où sur lui se concentrent à la fois les effets d’une politique sociale qui, sur son versant assistantiel, tend à séparer les « bons » pauvres des « mauvais », et ceux d’une politique d’immigration et d’intégration qui, comme en témoignent les récentes évolutions de la législation, tend à distinguer les « bons » et les « mauvais » étrangers et/ou immigrés. Nous faisons référence ici, d’un côté à l’évolution de la politique sociale en France en direction du workfare comme modèle de protection sociale, évolution que Numa Murard [16] range sous le chapitre des « métamorphoses de la responsabilité », c’est-à-dire le retour de l’assistance, l’éloge de la responsabilité individuelle, la valorisation du mérite, etc. De l’autre, nous pensons à ce référentiel qui s’impose depuis plusieurs années et que vient en quelque sorte couronner le discours des autorités françaises actuelles sur « l’immigration choisie », c’est-à-dire l’idée qu’il est une « bonne » et une « mauvaise » immigration et qu’il convient, là encore, de séparer le bon grain de l’ivraie avant d’agir. Mais si le demandeur d’asile se trouve ainsi sous le feu croisé de deux « systèmes de tri », on observera que c’est également le cas d’autres figures contemporaines de la marginalité et de la vulnérabilité sociales, elles aussi soumises au double héritage que reçoit la politique de l’asile, c’est-à-dire une gestion charitable et moralisatrice de l’action sociale d’un côté, une rhétorique politique de l’autre qui sépare et oppose l’ethnicité dont est victime celui qui en est porteur et l’ethnicité menaçante. Que l’on songe, pour s’en convaincre, à la figure du jeune de banlieue dont on exige simultanément qu’il manifeste sa volonté de « s’intégrer » s’il veut bénéficier de la sollicitude que lui promettent depuis peu les autorités face au racisme et aux discriminations, et qu’il montre qu’il est un « pauvre méritant » s’il envisage de s’insérer sur le marché du travail. De même, on pourrait ici évoquer la figure du « sans papier », à la fois constituée en variable d’ajustement de la politique d’immigration depuis la fermeture des frontières en 1974, et, en l’absence de droits sociaux, soumise au quotidien aux contingences d’une offre de prise en charge humanitaire laissée à l’initiative d’individus, de collectifs, parfois d’institutions, à qui il revient de s’infiltrer dans les interstices d’une politique globalement répressive. Le demandeur d’asile n’est donc pas le seul accusé d’un procès en responsabilité intenté en fait à tous ceux qui font valoir aujourd’hui une demande d’intégration. Et parce qu’il partage le sort de tous ceux pour qui l’urgence sociale s’institue en un régime d’existence et un régime de sélection, on peut se sentir fondé, en première intention, à conclure à une banalisation de la figure du demandeur d’asile dans le champ de la vulnérabilité sociale.

Le désarroi des intervenants sociaux

Toutefois, sans doute est-il nécessaire, à la lumière de nos données d’enquête, de nuancer une telle affirmation. Au cours de notre enquête, nous avons été frappés en effet de constater à quel point semblait profondément déstabilisant et difficile à tenir, en tout cas pour beaucoup d’intervenants sociaux, l’exercice d’équilibre qui leur est imposé entre deux registres qu’il leur revient de faire tenir ensemble même si c’est souvent à leurs corps défendant : la suspicion et la compassion. Certes, ceci n’est en rien propre à la demande d’asile. L’idée d’un va et vient entre soupçon et sollicitude, entre « pauvreté subie » et « pauvreté choisie », est consubstantielle au principe de l’assistance. Et c’est d’ailleurs tout le sens de la critique que beaucoup, parmi les acteurs de terrain eux-mêmes, adressent à cette forme d’action sociale, l’action sociale d’urgence, que de dénoncer cette réactivation de la très ancienne opposition entre « bons » et « mauvais » pauvres. Mais avec la demande d’asile, tout semble se passer comme si le grand écart imposé était à ce point accentué qu’il ne pouvait que mener à une sorte de désarroi cognitif, et parfois affectif, lié à la difficulté de fonder en justice les décisions prises, les jugements portés face aux individus, ou plus prosaïquement, de trouver la bonne distance face à eux. D’une part en effet, avec ce que les demandeurs d’asile racontent de leur propre histoire (viol, torture, meurtre, etc.) on se trouve exposé au paroxysme de l’horreur et le principe du doute méthodique, l’idée de distribuer sa bienveillance avec discernement, avec parcimonie, s’accommodent mal d’une telle intensité dramatique. Mais, d’autre part, pour les intervenants sociaux, il faut faire avec la polarisation très forte qui caractérise la demande d’asile et le poids des enjeux qui lui sont associés. En effet, soit l’on est reconnu victime du système politique que l’on fuit et l’on obtient le statut de réfugié, soit l’on est considéré comme coupable de tromper le système politique auquel on demande protection et on est censé quitter le territoire, purement et simplement. Et l’on comprend que cette polarisation et cette dramatisation extrêmes puissent rendre inconfortable et délicate l’intervention de ceux qui ont à faire face aux demandeurs d’asile [17].

La vulnérabilité sociale à l’épreuve d’un ordre moral compassionnel et punitif

Ce constat des difficultés qu’il y a à faire tenir ensemble les deux faces de ce qui est constitué en une figure double, ne contredit pas nécessairement l’hypothèse d’une banalisation de la figure du demandeur d’asile dans le champ de la vulnérabilité sociale, mais invite peut-être à penser différemment les rapports entre politique de l’asile, politique d’immigration et politique sociale. Dans ce sens, et à titre d’hypothèse, on peut se demander s’il ne faut pas voir dans le traitement réservé au demandeur d’asile aujourd’hui, la pointe avancée d’un ordre moral compassionnel et punitif qui se diffuse face à l’ensemble des populations marginalisées et qui, devant l’embarras que suscite, dès lors qu’il s’agit de s’adresser à des individus concrets et non pas à des figures abstraites, le fait de faire coexister les bons sentiments, l’indignation face au racisme, aux discriminations, à la souffrance sociale en général d’un côté, et la tolérance zéro de l’autre, ne peut déboucher sur d’autre solution en termes d’action publique que de s’en remettre aux acteurs de terrain pour assumer le poids de cette difficulté. Non pas que la demande d’asile ait l’exclusivité de cette obsession du tri entre les bons et les mauvais objets appuyée sur un éloge de la responsabilité individuelle qui permet à la fois de culpabiliser les uns et de sanctionner les autres et qui se diffuse dans l’ensemble de la politique sociale et des politiques qui ont à voir avec l’immigration, la banlieue, etc. De même, il ne s’agit pas de considérer que l’idée d’une sélection des origines migratoires, d’une hiérarchie parmi les migrants, soit quelque chose de nouveau en soi. On dispose de suffisamment de travaux d’historiens pour s’en convaincre [18]. Enfin, il ne s’agit pas non plus de dire que le couple « justice et fermeté », c’est-à-dire l’idée d’associer durcissement de la politique d’immigration et souci affiché de mieux traiter les immigrés déjà présents soit quelque chose de nouveau. Il s’agit là d’un invariant de la rhétorique des partis de gouvernement en France depuis 1974 et, à ce titre, l’accès récent dans le débat public français de la lutte contre les discriminations au statut d’impératif national et consensuel constitue moins une rupture que le maintien, sous une forme renouvelée, d’une posture associant un volet répressif en matière de contrôle des flux migratoires et un volet social à visée intégrative.

En revanche on fera l’hypothèse que la demande d’asile préfigure, parce qu’elle constitue une sorte de cas extrême, la radicalisation de l’alternative dans laquelle est enfermé le sort de ceux qui demandent de l’aide aujourd’hui, quels qu’il soient : radicalisation, dès lors qu’on prétend équilibrer la dureté des sanctions qu’on inflige et les bons sentiments qu’on exhibe, du clivage entre les individus qui méritent et donc justifient l’affichage d’une extrême intolérance à la souffrance d’un côté et d’une fermeté extrême de l’autre ; radicalisation des conséquences de ce clivage pour tous ceux qui sont placés du mauvais côté de la frontière : les « faux chômeurs » menacés de se voir supprimer leurs indemnités ; les « faux étudiants étrangers », d’être renvoyés dans leur pays d’origine ; les « mauvais parents » d’enfants délinquants, de perdre le bénéfice des allocations familiales, etc. Pour le dire autrement, les élites politiques, dans leur grande majorité, se montrent à la fois de plus en plus dures avec ceux qui relèvent du versant répressif et de plus en plus attachées à un devoir de justice vis-à-vis de ceux qui méritent d’être aidés face à la souffrance sociale qu’ils endurent. Or, l’association entre ces deux postures ne peut se faire que si elle repose sur un clivage très strict, sur l’établissement d’une frontière étanche, entre les premiers et les seconds. Et la demande d’asile éclaire bien les enjeux de cette rhétorique politique où prime l’intérêt économique [19], ainsi que la mécanique qu’elle implique en termes d’action publique : un discours politico-médiatique qui, au niveau de généralité auquel il se place peut très facilement sous-entendre que le tracé de la frontière est évident, qu’il va de soi, et donc qu’il existe de « vrais chômeurs », de « vrais demandeurs d’asile », etc. ; mais, en corollaire de ce mythe, celui d’une frontière étanche, la tentation de repousser le plus loin possible dans la mise en œuvre des politiques publiques la confrontation à l’épreuve de réalité, c’est-à-dire le moment de trier les situations, ce qui implique concrètement de s’en remettre à ceux qui sont au contact direct des pauvres pour faire ce « sale boulot » et, on pourrait-on ajouter, cet impossible boulot, du moins pour tous ceux qui vivent douloureusement et sur le mode de l’injonction paradoxale d’être ainsi constitués en agents de tri à l’image de Catherine le Gall ou des collectifs de travailleurs sociaux qui, de plus en plus nombreux, se font entendre [20].

Conclusion

La compassion croissante que manifeste le monde politico-médiatique face à la souffrance sociale, assise sur le « respect de la différence » mais relevant jusqu’ici pour l’essentiel de l’affichage, loin de se traduire par une extension des droits des personnes vulnérables, victimes d’injustices, n’a d’autre effet, à partir du moment où elle passe par le filtre d’un paradigme selon lequel on ne peut être juste que si l’on est ferme, de faire en sorte que la plus grande sollicitude affichée justifie la plus grande sévérité effective et donc, de fonder moralement et au nom d’un pragmatisme se présentant comme dépolitisé, la nécessité d’un tri qui étend et généralise à un nombre croissant d’espaces sociaux le champ de la justice locale. Il est certes intéressant, si l’on est sociologue, de comprendre comment se construisent dans le temps de la conception et de la mise en œuvre de l’action publique, la légitimité et l’efficacité de ce tri, et donc de s’atteler à la question des procédures et des techniques utilisées, des compétences ou des qualités requises, des instruments valorisés, bref à la question des critères sur lesquels on s’appuie pour placer légitimement et efficacement les individus d’un côté ou de l’autre de la frontière que ce mode d’appréhension de la demande d’intégration sociale au sens large construit au quotidien. Mais dans le même temps et sur un plan plus normatif, sans doute est-il au moins autant nécessaire : d’abord, de s’autoriser à pointer la dérive qui consiste à faire de ceux qui souffrent, soit des victimes héroïques, sans pour autant jouer sur les facteurs structurels qui expliquent leurs difficultés, soit, au mieux des surnuméraires, au pire des coupables ; ensuite, de se souvenir que la morale, l’économisme et la mise en œuvre de techniques de tri entre des catégories de population, constituent trois éléments qui ne font pas bon ménage.

Gilles Frigoli
Urmis-Soliis (UMR CNRS 7032)
Université de Nice-Sophia Antipolis
Pôle Universitaire St Jean d’Angely, 24 avenue des diables bleus, 06357 Nice
frigoli@unice.fr
04 92 00 11 76

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NOTES

[1] Morice A., Rodier C., (2005). Classer-trier migrants et réfugiés : des distinctions qui font mal. Hommes et libertés. Revue de la ligue des droits de l’homme. 129, 58, 61. Morice. A. (2004). L’Europe enterre le droit d’asile. Le Monde Diplomatique. Mars. 14, 15.

[2] Sans entrer dans le détail de cette construction intellectuelle et normative commune à l’ensemble des Etats occidentaux, on peut évoquer le passage d’une conception politique de l’asile, liée au contexte de la guerre froide, à une conception humanitaire liée à l’émergence d’un nouvel ordre mondial ; le rôle joué par la construction européenne dans la confusion introduite par la « forteresse Europe » entre politique d’asile et politique d’immigration ; la diffusion qui lui est associée d’un mode d’appréhension de la demande d’asile en termes de « substitution des flux » ; l’émergence d’une logique de dissuasion que traduit le recours au principe de « l’asile sur place », c’est-à-dire le principe d’un confinement des populations dans des lieux proches de ceux qu’elles fuient. Sur ces questions, on pourra, au sein d’une littérature abondante, se reporter notamment à Brachet, O. (1997). L’impossible organigramme de l’asile en France : le développement de l’asile au noir. Revue Européenne des Migrations Internationales, 13, 153-169 ; Créach, X. (1997). La notion de pays sûr ou l’instrumentalisation des itinéraires par les Etats d’accueil ». Recherches et Asile, 2, 27-36 ; Julien-Laferrière, F. (1996). Les accords européens, la raison des Etats et la maîtrise des flux migratoires. Hommes et Migrations. 1198-99, 37-46 ; Legoux, L. (1995). Crise de l’asile, crise des valeurs. Hommes et Migrations. 1198-99, 12-23 ; Legoux, L. (1999). La demande d’asile. In P. Dewitte (dir.), Immigration et intégration, l’état des savoirs. Paris : La Découverte ; Legoux, L. (2002). Vers une redéfinition du droit d’asile. Cahiers français. 307, 46-63 ; Marie, C.V. (1996). L’Union Européenne face aux déplacements de populations. Logiques d’Etats et droits des personnes. Revue Européenne des Migrations Internationales. 2, 57-89 ; Noiriel, G. (1999). L’évolution du droit d’asile en France. In P. Dewitte (dir.), Immigration et intégration, l’état des savoirs. Paris : La découverte.

[3] A ceux qui tirent argument du fait que seuls 8,4% des demandeurs ont obtenu en premier instance le statut de réfugié en 2005 pour confirmer l’hypothèse d’une « substitution des flux », on pourrait répondre que ce chiffre nous renseigne moins sur le projet migratoire des demandeurs d’asile qu’il ne confirme le caractère circulaire d’une logique de suspicion qui ne fait ici que se justifier elle-même (pour les données relatives au traitement de la demande d’asile en 2005, on pourra consulter OFPRA. (2006). Rapport d’activité 2005. Paris : OFPRA). Notons que sur le registre non plus pragmatique mais moral, la logique du soupçon trouve également à se justifier dans le principe selon lequel « on ne peut être juste que si l’on est ferme », comme on l’entend beaucoup dire, autrement dit que cela n’est qu’une fois qu’on a séparé le bon grain de l’ivraie que l’on peut laisser s’exprimer une compassion sans faille à l’égard de tous ceux qui souffrent réellement, quitte pour cela à se fonder, comme le dénonce Alain Morice, sur une « hiérarchie macabre où subir des exactions physiques serait « politique », tandis qu’être victime d’une famine organisée serait « économique » ». Cf. Morice A., Rodier C., (2005). Classer-trier migrants et réfugiés : des distinctions qui font mal. Hommes et libertés. Revue de la ligue des droits de l’homme. 129, 58, 61

[4] Rappelons que la prestation dont peuvent bénéficier les demandeurs d’asile non hébergés, l’allocation d’insertion, est d’un montant de 290 euros par adulte et par mois pendant la durée de la procédure.

[5] En 2005, le dispositif national d’accueil offrant 17 233 places, environ 15% des demandeurs d’asile ont obtenu une place en CADA. Voir le rapport de l’ANAEM. (2005). Etat du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés en 2005. Paris : ANAEM. 

[6] France Terre d’Asile notamment, alerte depuis plusieurs années déjà les pouvoirs publics concernant les difficultés d’hébergement que rencontrent les demandeurs d’asile. Voir à ce sujet France Terre d’Asile. (2003). Asile en France, bilan de l’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés en 2002. Paris : France Terre d’Asile.

[7] Plusieurs rapports de l’Inspection Générale des Affaires sociales s’en sont déjà fait l’écho. Voir par exemple IGAS. (2004). Synthèse des bilans de la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions. Paris : IGAS.

[8] On passe de 283 demandes d’asile en 1999 à 833 en 2000, puis à 904 en 2001. Les demandes d’asile territorial passent entre 1999 et 2001 de 416 à 950 dossiers déposés. Source : Préfecture des Alpes-Maritimes.

[9] Voir les travaux de Lascoumes P. (1996). Rendre gouvernable. De la traduction au transcodage. L’analyse des processus de changement dans les réseaux d’action publique. In CURAPP. La gouvernabilité. Paris : PUF. 325, 329.

[10] Ainsi, au titre des logiques d’adaptation développées progressivement par les acteurs locaux, on peut évoquer la posture défensive adoptée par certaines structures souhaitant se préserver face à des publics dont le statut particulier rend incertaine toute démarche centrée sur l’insertion sociale et professionnelle. D’autres structures développeront une logique de spécialisation en s’engageant sur la voie de la constitution d’une expertise en la matière. En dehors de ces acteurs qui s’adaptent à une nouvelle donne en se protégeant ou en se spécialisant, on peut également évoquer le cas de structures enrôlées nolens volens dans le réseau d’accueil, soit parce que leur spécialisation les y oblige en partie, soit parce qu’elles trouvent ces publics sur leur chemin et ont peu de possibilités de contourner leur existence dans un contexte où les demandeurs eux-mêmes se déplacent d’un lieu d’accueil à l’autre et renforcent la dépendance mutuelle entre des structures qui se partagent au quotidien les mêmes publics. Pour davantage de détails, on pourra se reporter à Frigoli G., Jannot J., (2004) L’hébergement des demandeurs d’asile comme enjeu local. Eléments d’analyse et perspectives méthodologiques à partir du cas des Alpes-Maritimes. Rapport pour le compte de la DREES du Ministère des Affaires Sociales.

[11] Pour ne citer qu’une référence dans un champ de recherches qui compte de très nombreuses publications, voir Eberhard.M. (2001). Catégorisations ethno-raciales au guichet. Les cahiers du CERIEM. 35, 51.

[12] Nous citons ici les propos de personnes interrogées dans le cadre de l’enquête.

[13] Notons que les effets de ces procédures de catégorisation ne jouent pas que sur la vie quotidienne des demandeurs d’asile. Ces dernières peuvent très directement influer sur les chances d’obtenir le statut de réfugié. Celles-ci sont en effet cinq fois supérieures pour un individu hébergé en CADA. Pour une analyse plus détaillée de l’usage par les intervenants sociaux de telles catégories, on pourra se reporter à Frigoli G., Jannot J. (2004) L’hébergement des demandeurs d’asile comme enjeu local. Eléments d’analyse et perspectives méthodologiques à partir du cas des Alpes-Maritimes. Rapport pour le compte de la DREES du Ministère des Affaires Sociales.

[14] Cf. Fassin D. (2000). La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes d’aide d’urgence. Annales HSS, n°5, 953, 951.

[15] Voir Dourlens C. (1998). Dans les labyrinthes de l’urgence. Le cas de l’administration sanitaire et sociale. Rapport au Ministère du Travail et des Affaires Sociales. Paris.

[16] Numa Murard. (2003). La morale de la question sociale. Paris : La Dispute.

[17] Et ce d’autant que l’incertitude étant finalement tranchée par l’OFPRA, c’est un fondement même de la relation d’aide qui est ici sapé par cette contradiction entre le principe de l’autonomie de la personne et le fait que l’issue de la relation d’aide échappe aux protagonistes. Notons que cet embarras touche parfois l’action de certaines institutions, à l’image de la DDASS du département concerné par l’enquête qui s’est trouvée dans l’obligation sous la pression de la préfecture de prononcer l’expulsion de plusieurs familles de leur hôtel meublé, et en même temps, au nom de sa mission sociale, de leur trouver une solution de remplacement « humaine ». Pour l’analyse des problèmes rencontrés par les travailleurs sociaux face aux demandeurs d’asile, voir Frigoli G., Jannot J. (2004). Travail social et demande d’asile : les enseignements d’une étude sur l’accueil des demandeurs d’asile dans les Alpes-Maritimes. Revue Française des Affaires Sociales, n° 2.

[18] Sur cette question, voir Rygiel. P. (2004). Le bon grain et l’ivraie. Paris : Editions Rue d’Ulm ; Spire. A. (2005). Etrangers à la carte. L’administration de l’immigration en France (1945-1975). Paris : Grasset. Lochak. D. (2006). Le tri des étrangers. Un discours récurrent. Plein Droit. 69.

[19] D’une part, comme l’a bien montré Alain Morice, ce sont bien les intérêts économiques qui, en dernier instance, constituent les ressorts essentiels de l’« utilitarisme migratoire », et, peut-on ajouter, ce sont ces mêmes intérêts qui sous-tendent l’ « activation des dépenses passives » que promeut le modèle du workfare. D’autre part, on observera, avec Véronique de Rudder et François Vourc’h, que c’est bien, en ne jouant guère sur les facteurs structurels d’exclusion, sous sa forme libérale que s’exprime la volonté politique de lutter contre les discriminations en France. Voir Morice.A. (2001). Choisis, contrôlés, placés. Renouveau de l’utilitarisme migratoire. Vacarme. Janvier ; et De Rudder.V, Vourc’h. F. (2006). Positions libérales, positions radicales dans la lutte contre les inégalités racistes. Cahiers de l’Urmis. N° 10-11, 75, 87.

[20] Catherine Le Gall, agent instructeur à l’OFPRA pendant deux ans, livre un état des lieux préoccupant des conditions dans lesquelles travaillent ses anciens collègues. Voir Catherine Le Gall, « Je ne veux plus trier les réfugiés », L’express du 19 janvier 2006. Voir également, pour une analyse critique des conditions d’examen des demandes d’asile et de la « rationalité » des pratiques correspondantes, Valluy. J. (2004). La fiction juridique de l’asile. Plein Droit. 63. Pour une réflexion sur les difficultés que rencontrent les acteurs de terrain face aux injonctions paradoxales que leur adressent les institutions dans le domaine de la lutte contre les discriminations, voir Noël. O. (2004). Injonction institutionnelle paradoxale et souffrance professionnelle. Ville-Ecole-Intégration Diversité. n°137. 116, 122. Ajoutons qu’on peut même pousser l’analogie plus loin entre l’asile en tant que politique publique et d’autres domaines où les autorités ont à statuer sur des demandes d’intégration, en l’étendant au principe du confinement sur place, cette logique de dissuasion que résume la notion d’ « asile sur place ». On fait référence ici à la logique qui consiste à « pathologiser l’inemployabilité », c’est-à-dire à renvoyer certaines catégories de population considérées comme définitivement inaptes à prendre place sur le marché du travail à un statut de handicapé : ce qu’on observe en Grande Bretagne et, dans une moindre mesure, en France. On retrouve alors cette même logique qui consiste à dissuader les uns, assignés à résidence dans leur espace national ou social, et à faire le tri parmi ceux qui n’ont pas été dissuadés d’adresser une demande d’aide à la collectivité.