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Reflets

Recueil Alexandries

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mars 2009

Laissez Abdelmalek Sayad en paix ! Non à l’instrumentalisation posthume du sociologue de l’immigration

Collectif - 30 mars 2009

résumé

La médiathèque « Abdelmalek Sayad » de la cité de l’immigration ouvrira le lundi 30 mars Pourquoi pas ? La création d’un outil institutionnel ouvert au public destiné à la promotion et à la valorisation des cultures de l’immigration a une utilité pédagogique en ces temps de stigmatisation tout azimut des populations venant des pays du Sud. Le fait que l’on donne le nom d’un intellectuel à une médiathèque n’a pas non plus en soi un caractère scandaleux. En revanche l’idée que la figure emblématique de la sociologie de l’immigration soit ainsi instrumentalisée et que cette inauguration soit conduite par les ministres C. Aubanel (Culture), X. Darcos (Education nationale), V. Pécresse (Enseignement supérieur et recherche) et E. Besson (Immigration et identité nationale) est inadmissible pour ceux qui respectent son oeuvre. Que A. Sayad, décédé en 1998, soit arboré par des personnes ayant manifesté du mépris pour la pensée, pour le bien commun et participant de la xénophobie de gouvernement dans une cérémonie publique officielle est inacceptable.

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citation

"Laissez Abdelmalek Sayad en paix ! Non à l’instrumentalisation posthume du sociologue de l’immigration", Recueil Alexandries, Collections Reflets, mars 2009, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article884.html

La médiathèque « Abdelmalek Sayad » de la cité de l’immigration ouvrira le lundi 30 mars Pourquoi pas ? La création d’un outil institutionnel ouvert au public destiné à la promotion et à la valorisation des cultures de l’immigration a une utilité pédagogique en ces temps de stigmatisation tout azimut des populations venant des pays du Sud. Le fait que l’on donne le nom d’un intellectuel à une médiathèque n’a pas non plus en soi un caractère scandaleux. En revanche l’idée que la figure emblématique de la sociologie de l’immigration soit ainsi instrumentalisée et que cette inauguration soit conduite par les ministres C. Aubanel (Culture), X. Darcos (Education nationale), V. Pécresse (Enseignement supérieur et recherche) et E. Besson (Immigration et identité nationale) est inadmissible pour ceux qui respectent son oeuvre. Que A. Sayad, décédé en 1998, soit arboré par des personnes ayant manifesté du mépris pour la pensée, pour le bien commun et participant de la xénophobie de gouvernement dans une cérémonie publique officielle est inacceptable.

Il y a plusieurs raisons à cela :
- Les critiques suscitées par la création en 2006 de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) et les hypothèques qui pèsent depuis sur l’établissement public de la Porte Dorée, auquel est rattachée cette médiathèque, ne sont pas levées. Rappelons-en rapidement quelques-unes : Le fait d’avoir imaginé un établissement ad hoc, en dehors de l’institution muséographique, pour aborder l’histoire et la mémoire immigrée pose toujours problème. Comme l’a expliqué A. Sayad, l’immigration est toujours traitée comme un cas particulier et ne fait jamais l’objet d’une prise en charge banale par le droit commun. En outre le symbole du site choisi pour installer la Cité, anciennement palais des colonies et jardin d’acclimatation est pour le moins de mauvais goût vu son histoire. Enfin, au vu des modalités du pilotage très « politique » et des découpages ethnico-thématiques des actions de la CNHI, les interrogations sur la manipulation symbolique demeurent entières. Les multiples escamotages et soubresauts qui ont accompagné la gestation et le lancement de la Cité, ainsi que la démission d’historiens de l’immigration de son conseil scientifique, ont témoigné de ces tensions. Rien n’a été réglé pour éviter les risques d’une production culturelle officielle, étatisée et ethnocentrée du récit des migrations.

- Deuxième raison fondamentale de notre refus de cette instrumentalisation : qu’est-ce qui justifie le fait de donner le nom d’Abdelmalek Sayad à un équipement culturel dédié à l’immigration ? N’est-ce pas une façon réitérée d’assigner identitairement et de confiner l’immigration, post-coloniale et algérienne en l’occurrence, dans cet espace ? Pourquoi à l’inverse a-t-on empêché qu’un collège des Hauts-de-Seine porte le nom du co-auteur du « Nanterre algérien » (1995) et de l’égal de Pierre Bourdieu ? Selon certains élus du département cela aurait été « porteur d’une trop forte connotation identitaire qui risquait d’enfermer ce collège dans une image communautariste » ! Et comme l’avait assené la vice-présidente du Conseil Général pour s’opposer à ce que le collège, aujourd’hui appelé « République », porte ce nom en dépit de la mobilisation associative - « il faut choisir des noms qui ne prêtent pas à la polémique » (sic) ! Ce qui veut dire : « pas de nom à consonance algérienne pour un équipement d’enseignement ». Mais un tel nom reste en revanche possible pour une médiathèque sur l’immigration inaugurée en grande pompe, pour faire symbole. Au beau pays de la République une et indivisible, un équipement dédié à l’immigration ne peut que porter un nom renvoyant à sa supposée altérité. Est-ce cela la philosophie de la diversité ? Qui ethnicise ici ?

N’entraînons pas A. Sayad dans cette galère de la fausse repentance et de la vraie commémoration ! Savent-ils seulement, ces mondains, qui était A. Sayad ? Ont-ils lu ne serait-ce qu’une seule ligne d’un seul article de cet orfèvre patient et obstiné de la désoccultation des rapports de domination dans la migration ? Connaissent-ils « Les ‘‘trois âges’’ de l’émigration algérienne » (1977) ou El Ghorba (1975) narrant l’histoire de Mohand le Kabyle cachant à sa mère qu’il part de son village pour venir travailler en métropole ? Ont-ils jamais entendu parler du « foyer des sans-famille » (1980) mettant à nu le système d’encadrement spatial des migrants post-coloniaux ou encore de «  la ‘‘vacance’’ comme pathologie de la condition immigrée » (1986) dévoilant les mécanismes du vieillissement en migration ? Non. Ces titulaires de maroquins n’en veulent rien savoir. Ils peuvent bien déclamer quelques sonnets tirés du Lagarde et Michard dans des talk show télévisés, ou inaugurer les musées du pillage colonial quand leur maître, l’homme du discours de Dakar, piétine la Princesse de Clèves, mais point lire l’auteur de « La pauvreté exotique » (2006) et de « L’immigration et la ‘‘pensée d’Etat’’ » (1997).

Penser que ces représentants politiques qui ferment des instituts culturels à l’étranger et des classes d’appui dans les quartiers populaires, qui précarisent et méprisent les enseignants, privatisent les chercheurs et externalisent les personnels des universités puissent inaugurer de conserve une médiathèque Abdelmalek Sayad est proprement inacceptable.

30 mars 2009

Agier Michel (anthropologue IRD - EHESS, CEAf)
Bazenguissa-Ganga Rémy (anthropologue Lille 1, EHESS-CEAf)
Bernardot Marc (sociologue, Univ. Le Havre)
Bigo Didier (politiste, Science Po, CERI, CEC)
Brossat Alain (philosophe, Univ. Paris 8)
Doytcheva Milena (politiste, Univ. Lille 3, GRACC)
Freedman Jane (politiste, Univ. Southampton / Univ. Paris 1, CRPS)
Guénif Nacira (sociologue, Univ. Paris 13)
Guichard Eric (information & communication, ENSSIB, Lyon)
Ivekovic Rada (philosophe, Univ. Saint-Etienne, Collège international de philosophie)
Le Cour Grandmaison Olivier (politiste, Univ. Evry)
Lemarchand Arnaud (économiste, Univ. Le Havre)
Palidda Salvatore (sociologue, Univ. Gênes)
Poiret Christian (sociologue, Univ. Paris 7)
Rechtman Richard (Psychiatre et anthropologue, Hôpital Marcel Rivière, EHESS-Iris)
Thomas Hélène (politiste, IEP Aix)
Valluy Jérôme (politiste, Univ. Paris 1, CRPS)
Vlassopoulou Chloé (politiste, Univ. Amiens)