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Les « villages d’insertion » : un tournant dans les politiques en direction des migrants roms en région parisienne ?

Olivier Legros
Olivier Legros (olivier.legros@univ-tours.fr). Géographe, enseignant-chercheur à l’Université de Tours, rattaché à l’UMR CITERES (Université de Tours/CNRS). Après avoir étudié les interactions entre politiques publiques et dynamiques sociales dans les quartiers non réglementaires de Dakar et de Tunis, enquête aujourd’hui sur les politiques en direction (...)

citation

Olivier Legros, "Les « villages d’insertion » : un tournant dans les politiques en direction des migrants roms en région parisienne ? ", REVUE Asylon(s), N°8, juillet 2010-septembre 2013

ISBN : 979-10-95908-12-8 9791095908128, Radicalisation des frontières et promotion de la diversité. , url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article947.html

résumé

Cet article analyse le processus de construction des « villages d’insertion de Roms » installés par l’Etat et par les collectivités locales en proche banlieue à partir de 2007. Ces dispositifs visent l’élimination des grands bidonvilles construits au cours des années 2000 par des Roms roumains et bulgares, le plus souvent sans ressources et en situation irrégulière. Faut-il voir dans ces « villages d’insertion », qui proposent chacun à quelques familles sélectionnées un hébergement sur des terrains clôturés et surveillés, et un accompagnement social pendant une durée de trois à cinq ans, un tournant dans les politiques en direction des migrants roms ? Ou s’agit-il d’une opération de communication qui autoriserait les autorités locales à préserver une apparence humanitaire tout en continuant d’appliquer une politique d’évacuation des terrains et d’expulsion des personnes ? La réponse est complexe car le « village » constitue à la fois une application du paradigme sécuritaire, un régime d’hospitalité publique bricolé in situ par les pouvoirs locaux et un terrain d’expérimentation de nouveaux modes de régulation de la pauvreté étrangère en ville.

« Le 25 juillet, en une matinée, caravanes et baraques ont été détruites sans laisser aux habitants le temps de rassembler leurs affaires. A Saint-Etienne, les Roms s’expulsent à la pelleteuse », pouvait-on lire dans l’édition du quotidien Libération en date du 4 août 2006. Jusqu’au milieu des années 2000, les bidonvilles et les squats fondés à la périphérie des grandes villes françaises par des Roms d’Europe centrale ou des Balkans, la plupart du temps sans revenus et sans titres de séjour [1], étaient généralement évacués par la force publique. Si les expulsions des terrains et les mesures d’éloignement du territoire national sont toujours d’actualité – elles se sont même renforcées ces derniers temps -, il semble qu’à la suite des collectivités locales, qui ont été les premières à mettre en place des dispositifs d’accueil, les autorités françaises aient revu leur copie à partir de 2007. Afin d’éliminer les grands bidonvilles [2] qui s’étaient développés dans des friches industrielle aux portes de Paris sur les territoires des communes de Saint-Ouen (PCF), de Saint-Denis (PCF), d’Aubervilliers (PS), de Bagnolet (PC) et de Montreuil (Verts), les sous-préfectures de Saint-Denis et de Bobigny ont en effet installé, avec le concours des communes concernées, six « villages d’insertion ». Ces « villages », ainsi baptisés par les résidents lors de l’inauguration du premier dispositif, à Aubervilliers en mars 2007 [3], hébergent chacun une vingtaine de familles dans des constructions modulaires ou dans des préfabriqués en bois. Outre l’hébergement, prévu pour une durée de trois à cinq ans, les bénéficiaires se voient proposer un accompagnement social réalisé par des associations conventionnées : le Pact Arim 93 [4], en ce qui concerne les villages d’Aubervilliers, de Saint-Denis, de Saint-Ouen et de Bagnolet, l’ALJ 93 [5], pour l’un des sites de Montreuil, et l’association « Rues et cités [6] », pour l’autre.

Faut-il voir dans ces « villages d’insertion » un tournant dans les modes de gestion des bidonvilles et de leurs habitants ? Ou s’agit-il d’une opération de communication qui autoriserait les autorités locales à préserver une apparence humanitaire tout en pratiquant une politique d’évacuation des terrains et d’expulsion des personnes ? La réponse est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Certes, les « villages » s’inscrivent bien dans une logique générale d’affirmation du paradigme sécuritaire (Bernardot, 2007), mais ils constituent aussi des arrangements de la part des acteurs institutionnels dont le premier objectif reste la résolution de problèmes locaux liés à la présence d’étrangers en situation précaire. Enfin, il est possible que ces dispositifs constituent un terrain d’expérimentation pour de futures politiques d’encadrement des populations sans ressources et mobiles, à commencer par les migrants Roms qui se trouvent en situation précaire dans les villes d’Europe occidentale.

Les réflexions suivantes s’appuient sur une enquête engagée de décembre 2008 à juillet 2009 auprès des différents acteurs des « villages » de Bagnolet, d’Aubervilliers, de Saint-Denis et de Saint-Ouen [7] : associations et collectifs de la société dite « civile », résidents, acteurs de la gestion des dispositifs d’hébergement et de l’accompagnement social des bénéficiaires, autorités administratives locales, services déconcentrés de l’Etat et collectivités [8]. Privilégiant une démarche compréhensive, les entretiens avaient pour objectif d’identifier les stratégies d’acteurs et les registres de justification de l’action publique. Un stage d’observation de quelques jours au sein du Pact Arim 93 a également été l’occasion d’accompagner les travailleurs sociaux dans leur activité quotidienne et de visiter les dispositifs. Plusieurs sources écrites ont également été mobilisées : la presse locale, les textes de lois ; les rapports d’expertise et la documentation technique sur les projets de « village ». L’analyse de ces sources visait, non seulement à examiner l’entreprise de cadrage de l’action publique [9], mais aussi à identifier des procédures institutionnelles, soit des « techniques d’administration des affaires publiques » (Ogien, 1995, p. 50), lesquelles sont au cœur du processus politique, selon Albert Ogien [10]. En géographe, j’ai également été attentif à l’espace et à ses usages. Car les bidonvilles sont avant tout perçus comme des problèmes spatiaux par les institutions et par la société majoritaire. Des problèmes spatiaux qui reçoivent une réponse spatiale, à savoir l’éloignement du territoire ou le regroupement dans les « villages ». Selon Michel Lussault (2009), l’allocation des places est assurément une préoccupation constante dans les sociétés urbaines contemporaines. C’est en tout cas une composante majeure de la « question rom » telle qu’elle se construit aujourd’hui en région parisienne, au travers des discours et des pratiques des institutions, des organisations de la société dite « civile » et, plus largement, de la société dominante.

I - L’actualisation du paradigme sécuritaire

S’ils constituent des outils d’insertion, les « villages » s’inscrivent cependant dans un mouvement d’affirmation des logiques sécuritaires. Les mesures envisagées n’ont rien d’original. Elles combinent en effet le tri des populations, utilisé de longue date pour contrôler la présence des étrangers en ville [11], avec deux opérations (spatiales) aussi anciennes : le regroupement dans des « espaces disciplinaires [12] » et l’expulsion des étrangers perçus comme indésirables.

A - Le tri des populations

Le choix de ceux qui, parmi les habitants des bidonvilles voués à la démolition, pourront intégrer les « villages » revient au sous-préfet d’arrondissement. Ce dernier s’appuie sur les enquêtes, qualifiées de « sociales », qui ont été conduites par les travailleurs sociaux du Pact Arim 93 avant l’évacuation des bidonvilles [13]. Ce classement des habitants du bidonville n’est pas un long fleuve tranquille.

En premier lieu, c’est le principe même de sélection qui pose problème, non seulement aux associations de soutien, unanimes à dénoncer l’opération de tri, mais aussi aux travailleurs sociaux en charge des « enquêtes sociales ». Bien que sur le ton de la confidence, ces derniers peuvent en effet désapprouver cette pratique contraire aux principes fondateurs du travail social, surtout si les conditions d’enquête sont difficiles, comme le rappelle l’un des enquêteurs dans le bidonville de la rue Campra, à Saint-Denis : « les critères de sélection, c’était, une demi heure, vingt minutes à la chaîne, dans un bungalow pourri où il pleuvait ». Plus que d’« enquêtes sociales » à proprement parler, c’est donc bien un tri que les travailleurs sociaux sont amenés à faire sur le terrain. Le fait est confirmé par le même enquêteur qui déclare en effet : « Il y avait 200, 300 familles, on en a choisi 20, 25 ».

En deuxième lieu, il s’agit de définir des critères de sélection et de les appliquer. Parmi les critères retenus par la préfecture, figurent la possession d’un casier judiciaire vierge, la composition de la famille nucléaire et la présence d’enfants en bas-âge. Les autorités locales veulent aussi tenir compte des « profils et des motivations [14] » des familles qui doivent par ailleurs se porter volontaires pour intégrer les villages. Afin d’évaluer les « profils et motivations », les institutions et les travailleurs sociaux retiennent comme indicateur principal la scolarisation des enfants qui, avec la maîtrise du français, attesterait de la volonté d’intégration des familles enquêtées : « si les enfants ne sont pas scolarisés, on a un doute sur la volonté d’insertion », indique le représentant de l’Etat en charge des « villages ». La qualité des relations que les familles entretiennent avec les institutions est un autre paramètre entrant en ligne de compte : « […] les familles qui marchaient bien […] ont fait venir leurs parents sur les autres terrains [à Saint-Ouen et à Saint-Denis]. On les a pris direct. Quand on a fait des entretiens sur les terrains, les gens ont dit : ‘’Attention, ma maman elle est à Aubervilliers, et moi je parle bien français’’. Ce sont des familles cohérentes », admet un travailleur social. La sélection a cependant des résultats mitigés si l’on en croit les travailleurs sociaux intervenant dans les dispositifs institutionnels : « Bon an mal an, on a autant de bras cassés que de pas de bras de cassés », déclare l’un d’entre eux à propos des résidents des « villages ».

Combien de personnes convient-il d’accueillir dans les « villages » ? La population hébergée est d’environ quatre-vingt personnes par site. Ce chiffre-plafond est justifié de différentes manières par les acteurs institutionnels. Ceux-ci mentionnent le coût élevé des projets d’hébergement et d’insertion [15], le contexte social et économique dégradé et la nécessité d’empêcher la formation de nouveaux « ghettos ». Le chiffre-plafond de quatre-vingt résidents par site fait également partie des critères d’éligibilité au plan d’éradication des bidonvilles engagé par la Région en 2005 [16]. Ce point est souligné par l’un des concepteurs du premier des « villages d’insertion », à savoir celui d’Aubervilliers : « La règle de 80 personnes, c’est la Région qui l’a établie ». Par la suite, la « règle » s’est imposée d’elle-même : « [Le chiffre de 80], c’est pas nous ; c’est en partant des opérations d’Aubervilliers et de Saint-Denis », affirme-t-on dans les services de la Ville de Saint-Ouen.

La sélection est donc une opération complexe, liée à la fois à l’application de critères ou d’indicateurs déterminés à l’avance par l’autorité préfectorale, au respect des critères d’éligibilité aux aides financières de la Région qui impose en définitive un calibrage précis aux dispositifs d’hébergement, et aux relations personnelles dont l’importance ne doit pas être négligée. Dans un univers de normes et de procédures, ces dernières sont, en effet, les seules marges de manœuvre dont disposent les habitants des bidonvilles pour essayer, tant bien que mal, de faire valoir leurs intérêts auprès des institutions.

B - Le regroupement des bénéficiaires dans les « villages »

La destination des bénéficiaires est évidemment le « village » d’insertion. A quoi ressemble un « village d’insertion » ? S’il existe quelques variantes dans l’aménagement des terrains ou dans le type de constructions, les villages ont la même configuration générale. Cette dernière rappelle celle des « camps d’étrangers » du début du 20ème siècle, dont l’objectif, écrit Marc Bernardot, était de « contenir ou [de] retarder l’entrée voire [de] “corriger“ la dispersion de certains groupes d’individus dans les sociétés dites ouvertes » (2008a, p. 13).

Construits dans les marges urbaines [17], qu’il s’agisse de friches industrielles en reconversion (Saint-Ouen), de zones industrielles (Aubervilliers, Bagnolet) ou des fossés d’un ancien fort militaire (Fort de l’Est, Saint-Denis), les « villages » sont systématiquement clos par des palissades ou par des murs de béton préfabriqués. Les hébergements sont disposés autour d’espaces communs, parfois agrémentés de plantations ou de bancs. Des locaux communs sont également prévus pour certaines activités (réunions, accompagnement scolaire, spectacles, lessive, etc.) et pour les gardiens. A Bagnolet, une salle d’un bâtiment existant est de surcroît affectée à la cuisine, car les hébergements, initialement prévus pour des personnes seules, sont destinés au couchage. L’installation d’un système de surveillance rapproche encore le « village » du « camp ». Comme dans les campi nomadi (« camps de nomades ») étudiés par Nando Sigona en Italie, les visites sont, sauf autorisation du gestionnaire des lieux, interdites dans les « villages » [18]. Par exemple, les résidents des « villages d’Aubervilliers et de Saint-Denis doivent désigner quatre visiteurs, généralement parmi leurs parents (les mineurs ne sont pas comptabilisés). Les visites sont autorisées tous les jours, de 14 à 21 heures, en semaine, et de 10 à 22 heures, le week-end. Pour cette raison, il est fréquent que des visiteurs, le plus souvent des proches voire des conjoints, passent la nuit à proximité du « village », dans les voitures ou dans des abris de fortune, en attendant l’ouverture du site, le jour suivant. Enfin, les « villages » sont éclairés toute la nuit, dans l’objectif de dissuader les visiteurs indésirables et de faciliter la surveillance par les vigiles. Ces dispositifs de surveillance sont dénoncés par les associations comme La Voix des Rroms qui assimile les « villages » à des « camps de semi-internement [19] ».

S’il a les apparences du « camp », le « village » fonctionne comme une cité de transit. En effet, comme les cités de transit quarante ans plus tôt, les « villages d’insertion » associent l’hébergement et l’accompagnement social, qui couvre plusieurs domaines du travail social : accompagnement personnalisé ; suivi administratif (ouverture des droits), insertion professionnelle. Dans les « villages », les bénéficiaires sont également censés apprendre les normes de la vie moderne. Quand ils exposent le projet d’insertion, les représentants du Pact Arim 93 et de l’ALJ 93 soulignent notamment le caractère progressif du processus d’intégration sous la tutelle des institutions. Dans la philosophie des responsables des « villages », ce processus est matérialisé par le changement d’habitat. Appelée « pré-MOUS [20] » par les acteurs institutionnels et associatifs, la première étape est celle de l’installation dans des caravanes financées par la Fondation Abbé-Pierre, le temps de la mise en place des constructions modulaires. Parfois assimilée par les opérateurs de terrain à une phase de « sédentarisation » des bénéficiaires [21], cette étape correspond à la prise de contact entre les bénéficiaires et les travailleurs sociaux. Les familles sont alors soumises aux règles de la vie collective : « Quand on est en caravanes, on reste dans le collectif. Les machines à laver sont collectives [….] », indique l’un des gestionnaires. Baptisée « MOUS d’insertion », la deuxième étape débute avec l’emménagement dans les constructions modulaires. L’insertion professionnelle et l’individualisation des comportements sont les principaux objectifs des acteurs en charge des « villages ». Le foyer constitue désormais l’unité de vie élémentaire : « Quand on arrive dans les chalets, on est dans l’unité familiale comme les familles lambda, c’est-à-dire beaucoup plus individuelles », déclare un gestionnaire de site. Dans une visée pédagogique (responsabilisation des ménages et apprentissage de la gestion d’un budget domestique), une contribution financière est réclamée aux résidents, « à hauteur de 10 % de leurs ressources avec un minimum de 50 Euros par mois » en ce qui concerne le site d’hébergement et d’insertion de Bagnolet [22]. Enfin, ceux qui décrochent un emploi pourront prétendre à des titres de séjour et à un logement de droit commun. Cette dernière étape correspond à l’achèvement du processus d’insertion et de normalisation des comportements sous la houlette des institutions, à la fin de la « thérapie sociale », pourrait-on dire à la suite de Colette Pétonnet (1985) décrivant le fonctionnement des cités de transit.

C - L’éloignement des non-bénéficiaires

Que deviennent les habitants des bidonvilles qui n’ont pas été sélectionnés pour intégrer les dispositifs d’hébergement et d’insertion ? Tous doivent quitter les lieux car les bidonvilles seront entièrement rasés. Dans la majorité des cas, les non-bénéficiaires sont en situation irrégulière au regard de la loi du 24 juillet 2006 qui précise les conditions pour séjourner en France : posséder des ressources suffisantes et une assurance-maladie, être étudiant ou avoir un emploi. Ils sont donc sensés quitter le territoire français. Pour encourager les départs volontaires, les autorités françaises proposent une « aide au retour humanitaire » (ARH).

Instaurée par la circulaire interministérielle du 7 décembre 2006, l’ARH consiste en un soutien financier disponible « à tout étranger, y compris les ressortissants de l’Union Européenne, en situation de dénuement ou de grande précarité ». Ce soutien est composé de deux volets : d’une part, l’organisation matérielle du retour dans le pays d’origine, et, d’autre part, l’allocation d’une somme forfaitaire (300 Euros par adulte, 100 Euros par enfant) versée au moment du départ. Au moment des « enquêtes sociales », qui aboutiront à la sélection des bénéficiaires, l’ARH est systématiquement proposée aux habitants du bidonville par l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII). « Quand ils ont fait les sélections, il y avait parallèlement les retours et les enquêtes », rapporte un membre du collectif de soutien aux Roms de Saint-Ouen. Si la circulaire précise bien que l’ARH est destinée à des personnes qui se portent volontaires, les témoignages rapportés par les militants montrent une toute autre réalité : la confiscation des papiers pour éviter que les candidats au départ ne se rétractent a été observée à Saint-Denis ; à Saint-Ouen, il semble que l’on ait fait pression sur les habitants en leur indiquant qu’ils avaient le choix entre deux positions : accepter l’ARH ou être expulsé. Sur d’autres sites, des militants font état de menaces, de harcèlement (Romeurope, 2008). Bref, c’est probablement sous la contrainte et dans la précipitation que des habitants des bidonvilles ont accepté l’aide au retour humanitaire. D’autres témoignages montrent toutefois l’attraction que peut avoir le dispositif ARH sur les migrants. A Saint-Etienne par exemple, un militant du Réseau de solidarité Rroms indique que les candidats au retour viennent des régions voisines, ou même d’Espagne, pour profiter des conditions financières avantageuses, l’ARH permettant à la fois de bénéficier d’un voyage gratuit en Roumanie et de financer le retour en France [23].

Sur le plan quantitatif, l’ARH est un succès. Nombreux sont en effet les départs. Selon la sous-préfecture de Saint-Denis, près de 400 habitants du bidonville de Saint-Ouen ont ainsi regagné leur région d’origine au moment de l’évacuation du bidonville, en septembre 2008. D’après l’OFII, l’ARH a été acceptée par plus de 8000 Roumains et par environ 1000 Bulgares en 2008. Parmi les candidats au retour, il faut compter de nombreux Roms en situation précaire selon les associations de soutien. Si ces informations sont exactes, les migrants Roms contribuent largement à la réussite de la politique française en matière d’éloignement des personnes en situation irrégulière, puisque les Roumains et les Bulgares représentent près de 30 % des reconduites à la frontière effectuées en 2008.

Cependant, les bénéficiaires semblent nombreux à revenir France d’après les associations de soutien et les institutions. Pour faire face à cette situation problématique du point de vue des pouvoirs publics, de nouvelles mesures sont envisagées, en particulier l’amélioration de la « signalétique de ces personnes, afin de les repérer et de faire cesser ce détournement [24] ». Le fichage des Roms n’est donc pas une spécialité italienne, comme on aurait pu le penser suite à la campagne d’identification des habitants des campi nomadi organisée par les pouvoirs publics pendant l’été 2008 [25].

Les interventions dans les bidonvilles ont donc deux volets. D’un côté, les mesures d’expulsion des terrains et d’éloignement des personnes, qui concernent la très grande majorité des migrants roms en situation précaire et, de l’autre, l’accueil d’une petite minorité dans des dispositifs d’hébergement et d’insertion très encadrés par les pouvoirs publics. Faut-il voir dans cette « politique équilibrée », selon les termes du représentant de l’Etat dans l’arrondissement de Saint-Denis, la concrétisation d’un plan prémédité, les « villages » constituant en quelque sorte, avec l’ARH, le versant humanitaire d’une politique d’expulsion à grande échelle ? L’analyse des processus de mise en place des dispositifs d’insertion montre que cette hypothèse est à nuancer : les « villages » sont principalement l’aboutissement d’arrangements et d’arbitrages à l’initiative des acteurs institutionnels locaux.

II - Arrangements et arbitrages locaux

Par bien des aspects, la création des « villages » s’apparente en effet à un bricolage effectué dans l’urgence par des acteurs sans réelles marges de manœuvre. D’une certaine manière, les promoteurs des « villages » semblent agir en marge du système. C’est en tout cas ce que montrent les lignes suivantes, dont l’objectif est moins de reconstituer l’historique des dispositifs institutionnels que de déterminer les conditions de leur mise en place et de leur fonctionnement.

A - Une politique conçue dans l’urgence

Si, auparavant, les collectivités locales avaient pu intervenir de façon ponctuelle dans les bidonvilles en organisant, par exemple, une collecte minimale des ordures et en mettant en place un accès à l’eau potable, ce sont des événements dramatiques qui, dans bien des cas, constituent le point de départ de la prise en charge globale. A Montreuil comme à Bagnolet ou à Aubervilliers, c’est en effet suite à des incendies que les autorités locales se sont décidées à agir. Peut-être parce qu’elles ne pouvaient pas laisser des personnes en détresse à la rue sans provoquer l’indignation de l’opinion publique, de la société civile et des médias, mais aussi par humanité, comme le rapporte cet ancien élu de Bagnolet à propos du relogement des habitants du bidonville au lendemain d’un incendie survenu dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2004 : « Le maire tout seul, il a décidé de loger les Roms au Château de l’Etang. C’est une vieille demeure bourgeoise au milieu d’un parc. C’est un ancien centre de loisirs. Désaffecté. Quelque part, c’était pas responsable de mettre 80 personnes dans ce lieu sans faire un minimum de travaux, mettre aux normes […]. Un geste vachement généreux. Les Roms au Château, c’était drôle. L’idée était marrante. Dans la tête des gens, c’était très connoté. C’est la seule baraque de Bagnolet qui ait ce cachet. Si elle s’appelle le Château, c’est pas pour rien ».

Les acteurs institutionnels et les travailleurs sociaux semblent quelque peu désemparés quand ils doivent agir en direction des habitants des bidonvilles. D’une part, à la différence d’autres personnes en difficultés ou en détresse, les Roms ne constituent pas une catégorie de l’action publique. L’ancien élu de Bagnolet indique à ce sujet : « Avenue Stalingrad, il y avait un autre squat, occupé par des gens de l’Est. Il y a eu un incendie aussi, avec deux mortes. On est allé à la Préfecture en délégation […]. La réponse du Préfet, ça a été de dire : les drogués on peut faire, mais les Roms, c’est en dehors de tout dispositif ». D’autre part, les opérateurs de terrain ne cachent pas leur inexpérience, à l’image de ce gestionnaire de plusieurs « villages » qui déclare lors d’un entretien : « Je le dis franchement : je ne connaissais pas le public rom quand on y est allé [à Aubervilliers] ». Puisque les futurs bénéficiaires de l’action publique, sont non seulement hors catégorie mais aussi méconnus des professionnels de l’action sociale, il semble bien que la solution des pouvoirs locaux a été de se rapprocher des associations qui bénéficiaient d’une expérience avec les Gens du Voyage. Certes, les Gens du voyage ne sont pas les migrants Roms habitant les bidonvilles. Mais les autorités peuvent faire l’amalgame entre ces deux publics selon ce travailleur social qui déclare, non sans humour d’ailleurs, que : « c’est pour ça que le Pact Arim a été choisi. Ils [les maîtres d’ouvrage] se sont dits : qu’est-ce qu’on a comme accompagnateur qui s’y connaît en Gitans ? Eh bien il y avait le Pact Arim [26] ».

B - Des contraintes multiples

« Politique de l’urgence » au même titre que de nombreuses interventions dans les squats (Bouillon, 2009, p. 126), la mise sur pied des premiers « villages » a lieu dans un contexte aux contraintes multiples. Les élus et les cadres administratifs reconnaissent trois obstacles majeurs pour mener à bien un projet d’insertion avec les migrants roms en situation précaire : le statut des personnes ; la saturation des dispositifs d’hébergement et la rareté des opportunités foncières.

Bien qu’ils soient citoyens européens depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2007, du traité d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union Européenne, nombreux sont les habitants des bidonvilles qui sont en situation irrégulière ainsi qu’on a pu le noter plus haut. Au bout du compte, seul l’accès à l’emploi peut leur garantir un droit durable au séjour. Mais, dans ce cas encore, les autorités posent des obstacles. Le traité prévoit en effet des mesures transitoires qui permettent aux Etats-membres de restreindre l’accès à l’emploi salarié des nouveaux Européens en les soumettant à des autorisations préalables. Les procédures sont longues et payantes. De plus, elles n’ont pas forcément la chance d’aboutir, ce qui décourage les employeurs potentiels. Au bout du compte, les Bulgares et les Roumains en situation précaire sur le territoire français se trouvent exclus du système. Ils ne peuvent pas prétendre à un emploi ou accéder à un logement de droit commun. Dans ces conditions, comment les travailleurs sociaux et, a fortiori, les migrants roms sans ressources peuvent-ils concevoir des parcours d’insertion ?

En ce qui concerne le logement, la seule alternative au bidonville que les institutions peuvent envisager est l’hébergement d’urgence. « On est coincé dans l’accès au logement des Roumains. Aujourd’hui, il n’y a que le logement d’urgence, le ‘’115 [27]’’ et l’ALT [28] pour sortir les familles du bidonville », affirme l’un des acteurs associatifs impliqués dans la conception du « village » d’Aubervilliers. En ce qui concerne l’hébergement d’urgence, les marges de manœuvre sont toutefois très limitées si l’on en croit le rapport du Conseil régional d’Île-de-France (CRIDF) sur l’ « aide régionale en faveur de la prise en compte des situations d’urgence sociale ». Malgré une offre de près de 30 000 places, dont la moitié à Paris et environ 30 % en petite couronne, les dispositifs de l’Île-de-France sont saturés au milieu des années 2000 (CRIDF, 2005). En outre, l’offre d’hébergement, à l’origine programmée pour des personnes seules, paraît inadaptée du fait de la part croissante des familles qui représentaient, en 2003, plus de 10 % des demandeurs (Ibid.). Par conséquent, les pouvoirs publics sont de plus en plus souvent contraints d’effectuer des placements en chambre d’hôtel. Très coûteuse, la formule est, de surcroît, insuffisante au vu des demandes. Aussi se développent de nouvelles formes d’habitat précaire : l’hébergement chez des proches, le terrain de camping (mobil home ou caravane), pour les mieux lotis et, pour les autres, le bidonville qui, comme le squat, constitue le « dernier rempart avant la rue » (Bouillon, 2009).

Une dernière difficulté souvent signalée par les acteurs institutionnels réside dans le manque de place pour construire des hébergements en petite couronne. Héritées de la période fordiste, les friches industrielles et ferroviaires de l’ancienne « ceinture rouge » de Paris, sont depuis quelques années convoitées par le capital mondial et par les classes moyennes, manifestement à l’étroit dans les cadres traditionnels de la métropole française. Ces friches sont le lieu de grandes opérations de requalification urbaine. La première, et sans doute la plus ambitieuse d’entre elles, est la construction du stade de France dans les années 1990. S’en est suivie une véritable métamorphose du secteur avec l’amélioration des réseaux de transport, comprenant l’ouverture d’une nouvelle station RER, l’implantation de nombreuses firmes multinationales, et la rénovation des quartiers ouvriers. Dans le sillage de l’aménagement du stade de France, d’autres projets sont prévus ou en cours : le projet urbain des Docks de Saint-Ouen, la Cité du cinéma, l’opération Gare-confluence, entre le secteur Pleyel et le Canal Saint-Denis, la zone d’aménagement concerté (ZAC) Canal-Porte d’Aubervilliers, le Campus Condorcet, entre la Porte d’Aubervilliers et la Porte de la Chapelle. Dès le milieu des années 2000, ce mouvement général de reconquête urbaine a suscité une « pression foncière et immobilière » selon les professionnels du secteur [29]. Il est donc de plus en plus difficile d’y mener des opérations non rentables. La remarque vaut pour l’habitat social et pour les dispositifs d’hébergement d’urgence qui, de même que les bidonvilles ou les squats, n’ont pas leur place dans ces secteurs revalorisés.

C - Agir en marge du système

Dans ce contexte, les acteurs institutionnels et les associations en charge du projet « village » ont-ils d’autres possibilités que d’agir en marge du système ? La principale difficulté réside, comme on vient de le voir, dans l’irrégularité du séjour des bénéficiaires, lesquels sont, en principe, exclus des principaux dispositifs d’insertion. « L’enjeu, il est là pour moi » déclare d’ailleurs l’un des concepteurs du dispositif d’Aubervilliers, « trouver un système de droit qui donne [aux Roms en situation irrégulière] le droit d’être dans la société française. De ce problème découlent tous les autres : les conditions de vie indignes, le bidonville, etc. ». Inscrite à la fois dans le cadre de la loi du 20 novembre 2007, dite « loi Hortefeux », et dans celui des mesures transitoires autorisées par les traités d’adhésion à l’UE, la régularisation par le travail constitue la principale fenêtre d’opportunité que vont exploiter les autorités locales. La régularisation des situations individuelles sera donc liée à l’obtention d’un contrat de travail. Le Préfet exerce par ailleurs son pouvoir discrétionnaire en autorisant l’inscription des résidents dans les structures d’insertion comme le Plan local d’insertion par l’économie (PLIE), en principe réservées aux personnes qui bénéficient des minima sociaux. La stratégie a des retombées positives : « L’évaluation en milieu de travail, ça a duré de deux semaines à un mois. Résultat des courses : ils sont super, la difficulté c’est le français et la compréhension des consignes. Mais quand ils ont compris, c’est bon. Ca a même permis de débloquer des embauches » déclare un travailleur social. En revanche, il paraît difficile d’obtenir des autorisations de séjour de longue durée, lesquelles sont pourtant la condition préalable à l’insertion des résidents. Du coup, « les gens ont travaillé six mois. Leur autorisation a été arrêtée. Ils ont travaillé trois mois au black, avant d’avoir un CDI [contrat à durée indéterminée] officiel » précise le même interlocuteur. Le principal obstacle à la réussite des parcours d’insertion et, par conséquent, à celle des « villages » demeure donc les difficultés administratives dont l’un des objectifs est de contrôler l’accès des étrangers au marché de l’emploi, comme l’a montré Gérard Noiriel à propos des mesures engagées par l’Etat français à partir de la fin du 19ème siècle [30].

Afin de régler le problème du logement, les acteurs locaux vont recourir aux formules dites alternatives. La solution préconisée réside pour l’essentiel dans la construction de villages modulaires. Expérimentés dés les années 1970 (Bernardot, 2008a), les constructions modulaires sont devenues une « référence universelle » comme le souligne Michel Lussault à propos de l’ « algeco […], préfabriqué modulaire et déplaçable, qui est une sorte de conteneur » (2008, p. 25). Peu coûteux, rapide à installer, le village modulaire a de surcroît l’avantage de respecter les normes en matière d’habitat et de branchement aux réseaux. L’aménagement des terrains est réalisé avec le soutien financier de la Région, dans le cadre de l’Aide à l’éradication des bidonvilles. Les « villages » sont installés sur des terrains de la Ville ou du domaine privé de l’Etat, ce qui n’exclut pas les négociations préalables entre l’administration territoriale, les services déconcentrés de l’Etat et les collectivités locales. A la lecture du « Projet social » du site d’hébergement et d’insertion d’Aubervilliers, on apprend par exemple que le terrain, « appartenant à la ville était à l’origine destiné à implanter une déchetterie ; à la suite d’une négociation avec les services de l’Etat, celle-ci a été localisée sur les terrains gérés par la Direction Département de l’Equipement situés sous les piles du pont de l’A 86. Au terme de cette négociation, 4000 m2 du terrain [communal] sont inclus dans le schéma départemental d’accueil des gens du voyage pour accueillir une aire de 30 place […]. Le complément de terrain disponible à cette adresse (3000 m2) permet d’envisager […] la création d’un lotissement d’habitat adapté destiné à contribuer à l’éradication des bidonvilles situés sur le territoire de la commune et, ultérieurement, de compléter le nombre de places d’accueil des gens du voyage par la mise à la disposition de la communauté d’agglomération ‘’Plaine commune’’ de la totalité du terrain » [31].

Plus que d’une volonté particulière, la localisation des « villages » dans les marges urbaines résulte donc, comme les relogements des habitants des squats étudiés par Florence Bouillon (2009), d’arrangements, d’arbitrages à l’initiative des acteurs locaux, et ce d’autant plus que ces dispositifs rencontrent souvent l’opposition des riverains. « C’est pire que les aires d’accueil », confie l’une de mes interlocutrices à la Région.

L’entreprise de cadrage de la politique des « villages » est, elle aussi, très révélatrice de la position inconfortable des acteurs institutionnels en charge des projets. Bien que tout le monde s’accorde à penser que la régularisation administrative est un préalable obligatoire à l’intégration des résidents des « villages », ce terme est banni du vocabulaire des acteurs institutionnels. Afin de cadrer les projets de « village », les pouvoirs locaux choisissent donc les registres de la lutte contre les exclusions, de l’insertion et de l’action humanitaire. L’éradication des bidonvilles demeure toutefois le principal argument avancé. Evoqué la première fois par les auteurs du Plan d’éradication des bidonvilles. Il a ensuite été repris par l’administration territoriale qui dénonce la formation de « véritables bidonvilles » » dans sa Lettre en date du 14 octobre 2008. Argument recevable par toutes les parties, formant de surcroît un langage commun aux acteurs associatifs et institutionnels qui ont gardé en mémoire les opérations de résorption de l’habitat insalubre engagées à partir des années 1960, l’éradication du bidonville permet, au même titre que l’urgence humanitaire, d’envisager des actions, voire de construire une politique en direction des migrants en situation irrégulière sans pour autant aborder, le sujet, manifestement tabou, de la régularisation administrative. En fin de compte, c’est une manière de « faire de la politique par effraction », pour reprendre la formule, en l’occurrence bien trouvée, d’un de mes interlocuteurs au sein des collectivités locales.

III - Les enjeux du « village »

Le « village », en particulier le premier d’entre eux réalisé à Aubervilliers, peut être assimilé à une action improvisée, conçue in situ pour faire face à une situation de crise humanitaire. Comme on vient de la constater, c’est aussi l’aboutissement de bricolages institutionnels qui permettent d’agir en direction de personnes en situation irrégulière tant du point de vue juridique que de celui de l’habitat, sans pour autant se mettre en porte-à-faux par rapport à la loi et aux orientations politiques actuelles. Il est bien entendu impossible de se prononcer sur les motivations des uns et des autres sans faire de procès d’intention. Mais il est tout aussi difficile de ne pas chercher à identifier les grands enjeux de ces (petites) opérations.

A - Résoudre des problèmes à dominante spatiale

A Saint-Ouen comme à Aubervilliers et à Saint-Denis, les « villages » succèdent à de grands bidonvilles. Certes, la situation n’a rien de comparable avec celle des métropoles des pays en développement, où la population des établissements peut dépasser le million (Davis, 2006), mais cela n’empêche : avec ses 600 personnes, un bidonville comme celui de Saint-Ouen battait les records nationaux [32]. Le lendemain de l’évacuation du terrain, on pouvait ainsi lire dans la presse régionale que « le plus grand bidonville de France [avait] été rasé » (Le Parisien, 4 septembre 2008). Loin de passer inaperçu, ces grands bidonvilles posaient manifestement toute une série de problèmes à dominante spatiale.

Comme les sans-abris, les habitants des bidonvilles posent un problème de police. Comme si leur présence constituait un défi, ou un désaveu, pour les autorités locales. D’abord, c’est la capacité des pouvoirs publics à contrôler les mobilités que la présence des migrants roms remet en question. En effet les différentes mesures envisagées par la préfecture sont vaines selon ce cadre de la mairie de Saint-Ouen qui déclare : « En 1999, il y avait déjà un camp de Roms. Ils avaient trouvé un terrain aux Docks. Ca avait marqué la vie municipale parce que 200, 300 Roms sur une ville dense et pas très grande, ça a impacté. L’Etat a du expulser, les lâcher comme d’habitude dans l’Oise. Ils reviennent, ils retrouvent d’autres camps, etc ». Comme la population marocaine et algérienne à Gennevilliers il ya un peu moins d’un siècle (Masclet, 2006), le regroupement de Roms est assimilé à une menace à l’ordre, à la tranquillité et à la santé publique, dans les discours et dans les documents officiels. L’insalubrité constitue d’ailleurs un motif souvent évoqué par les pouvoirs publics pour évacuer les terrains occupés (Romeurope, 2008). Enfin, que dire de l’occupation illégale des propriétés publiques ou privées, si ce n’est que cette pratique, « déviante » au sens d’Howard S. Becker [33], est condamnée avec force par les pouvoirs locaux et par les riverains ? Le bidonville semble ainsi constituer l’anti-modèle de la ville émergente, caractérisée par la privatisation des espaces, par la planification des modes d’occupation du sol et par l’obsession sécuritaire (Mangin, 2004). D’une certaine manière, le bidonville constitue un « paradigme d’un espace stigmatisé et stigmatisant » (Cattedra, 2006, p. 124).

La présence des grands bidonvilles constitue aussi un « problème public » tel que défini par Joseph Gusfield, c’est-à-dire un « état de fait [|qui est devenu] un enjeu de réflexion et de protestation et une cible pour l’action publique » (Gusfield, 2003, p. 71). Prenons l’exemple du bidonville de Saint-Ouen. La dénonciation du bidonville rom est monnaie courante parmi les riverains. Sont particulièrement visées la saleté des abords du bidonville, les fumées –seraient-elles toxiques ?- qui émanent des baraques chauffées au bois de récupération (bois peints, contreplaqués, etc.), les risques d’incendie, les allées et venues des individus et des familles, ainsi que les activités à l’extérieur du bidonville en particulier la mendicité. Outre le mécontentement des riverains, il faut considérer les mouvements de soutien aux habitants des bidonvilles. A Saint-Ouen, mais c’est aussi le cas ailleurs, à Bagnolet par exemple, c’est un collectif local, fondé par des militants libertaires, déjà impliqués dans des mouvements de défense des squats, qui initie l’action collective. Ce collectif est rejoint par des riverains sans appartenance politique, par des élus locaux et par La voix des Rroms. Plusieurs associations sont également présentes sur le terrain : Médecins du Monde, Coup de main [34] et Parada [35]. Ces différentes structures interpellent les pouvoirs publics et les médias au sujet de la précarité des conditions de vie et des discriminations à l’égard des migrants roms en situation précaire, ce qui contribue à accroître la visibilité des bidonvilles dans l’espace public tout en réduisant les marges de manœuvre des acteurs institutionnels, en quelque sorte sommés d’évacuer les terrains sans expulser les occupants.

Les bidonvilles représentent enfin un obstacle à la reconquête urbaine. A Aubervilliers, mes interlocuteurs rapportent qu’une clinique privée a été construite à l’emplacement de l’ancien bidonville. A Saint-Ouen, où les anciens terrains occupés voisinaient avec l’usine d’incinération, le projet urbain des Docks prévoit la réalisation de bureaux et de logements. L’ancien bidonville de la rue Campra à Saint-Denis se trouvait, quant à lui, au beau milieu de la ZAC « Landy-Pleyel [36] », dont la maîtrise d’ouvrage incombe à la Société d’économie mixte « Plaine Commune Développement ». A la place est prévu un groupe scolaire selon mon interlocuteur à la Mairie. Dans un cas comme dans l’autre, il était donc temps que les habitants du bidonville quittent les lieux.

Urbanisation, coprésence, vision troublante de la « pauvreté étrangère » (Bernardot, 2008a, p. 86), affaiblissement du contrôle territorial : ce sont bien des problèmes à dominante spatiale que cherchent prioritairement à résoudre les pouvoirs locaux. Pour cette raison, il paraît difficile de résumer les interventions actuelles dans les bidonvilles à une dynamique de « spatialisation des problèmes sociaux », ainsi que l’écrivent Sylvie Tissot et Franck Poupeau (2006) à propos de la politique de la ville. Et ce d’autant plus, qu’ en installant les « villages », la Préfecture et les collectivités semblent réaliser une autre opération, à savoir la mise au point d’un régime d’hospitalité pour les « intrus » que sont les migrants roms en situation précaire sur leurs territoires.

B - Construire un régime d’hospitalité publique sur mesure

Faut-il accueillir les étrangers ? Si oui, lesquels ? Et dans quelles conditions ? Pour répondre à ces questions fondamentales les individus, les groupes sociaux et les institutions conçoivent des procédures et des dispositifs qu’Anne Gotman (2001) regroupe sous le terme d’hospitalité. Pour la sociologue, l’hospitalité désigne l’ensemble des pratiques codifiées qui visent à assurer l’accueil et la protection des hôtes en fonction de leur statut présumé tout en éloignant les indésirables. De toute évidence, les « villages » contribuent à cette « grammaire hospitalière » (Gotman, 2004b, p. 200) que les pouvoirs locaux tentent de définir pour les habitants des bidonvilles voués à la démolition. Dans cette grammaire, les dispositifs institutionnels constituent des opérateurs, en l’occurrence spatiaux, en ce sens qu’ils déterminent les comportements individuels et collectifs.

D’abord, les « villages » rendent visibles le classement des individus. Ce classement est primordial parce qu’il autorise les autorités à tracer une première « frontière de l’intégration » (Gotman, 2004a, p. 5) entre les étranger qui, parce qu’ils restent perçus comme indésirables, doivent impérativement quitter les lieux, et les autres, à savoir les bénéficiaires de l’action publique, qui ne sont déjà plus considérés comme des intrus si l’on en croit le vocabulaire positif employé par les acteurs institutionnels : ce sont des « familles volontaires », que « les profils et motivations qualifient pour rejoindre le projet d’insertion ». Une fois écartés des autres migrants grâce à la clôture qui, en entourant le « village », matérialise en quelque sorte ce premier niveau de distinction entre les « hôtes » et les « intrus », les anciens habitants du bidonville font l’objet d’une entreprise de revalorisation ou plutôt de dé-stigmatisation de la part des acteurs en charge des « villages ». Les gestionnaires indiquent volontiers que les Roms sont des « gens qui ne posent pas problème ». Peu revendicatifs, les résidents des « villages » sont assimilés à des individus travailleurs. De plus il s’agit de sédentaires, non de nomades comme on l’entend bien souvent. Peu à peu, l’habitant du « village » se trouve ainsi débarrassé des tares qui définissent le marginal dans les sociétés européennes : l’insoumission, l’oisiveté, le vol et, bien sûr, le vagabondage (Castel, 1996). Le fait de fréquenter les résidents du « village » de manière assidue aide les travailleurs sociaux et les gestionnaires de terrain à dépasser leurs préjugés. Un intervenant reconnaît par exemple qu’avant qu’il ne travaille dans les « villages », il ne « calculait pas » les Roms qui l’ « énervaient », surtout ceux « qui lavaient les carreaux » de sa voiture aux portes de Paris. La valorisation des résidents figure aussi parmi les objectifs des acteurs institutionnels qui veulent montrer que ces derniers sont des hôtes tout-à-fait convenables. L’intrus transformé en hôte acceptable : la mutation est d’une importance capitale pour les pouvoirs publics et pour les bénéficiaires de l’action publique. Pour les premiers, elle permet de transformer un état de fait mal ressenti, à savoir la présence d’intrus sur le territoire, en un acte d’hospitalité volontaire ; pour les seconds, elle est synonyme de l’acquisition d’un droit, même précaire, à séjourner en ville, bref d’une légitimité nouvelle et d’une relative stabilité.

De fait, l’entrée dans le « village » semble déterminer les conditions de vie et les comportements des anciens habitants du bidonville. Ceux qui sont exclus du village doivent quitter les lieux. A moins qu’ils ne décident d’accepter l’aide au retour humaine, ceux qui n’ont pu intégrer le « village » doivent s’établir ailleurs, toujours dans l’illégalité. Cet état de fait est le plus souvent synonyme de précarisation à cause des expulsions qui prennent un tour systématique ces dernières années (Romeurope, 2008). Cette instabilité forcée a des répercussions indéniables sur les individus : la perte des biens, la détresse psychologique, l’interruption des suivis sanitaires et médicaux et de la scolarisation des enfants sont régulièrement dénoncées par les comités de soutien et par les associations humanitaires. D’autres témoignages rendent compte de l’évolution des comportements. A Saint-Denis par exemple, les acteurs institutionnels observent l’influence croissante des « trafiquants et des chefs de réseau sur les migrants », en précisant toutefois que « ça ne concerne pas tous les Roms ».

C’est ainsi que la majorité des résidents des bidonvilles s’installent dans une marginalité durable tandis que les autres vont progressivement accéder à des ressources locales de plus en plus nombreuses : l’hébergement, la protection, l’emploi et, pour finir, un logement de droit commun. La proposition des pouvoirs publics a cependant sa contrepartie. Les bénéficiaires doivent en effet respecter les règles spécialement établies à leur encontre par le gestionnaire des lieux, qui, en tant que « maître de maison » (Gotman, 2004b, p. 200), a le pouvoir d’expulser les résidents en cas de « manquement grave au règlement intérieur du lotissement, d’inadaptabilité flagrante à la vie du lotissement, de non adhésion au projet d’origine [37] ». Cette mise sous tutelle, qui s’exprime en particulier par le contrôle des entrées et des sorties, est assimilée à une sorte d’enfermement par les bénéficiaires. Ceux-ci comparent volontiers le « village » à une « prison ». Ils déclarent qu’ils sont « enfermés », même s’ils indiquent par ailleurs que le système de gardiennage leur a permis d’échapper au contrôle des familles dominantes au sein des bidonvilles [38].

Le « village » ne peut donc pas être considéré comme un simple hébergement, voire comme un dispositif à seule vocation sécuritaire, c’est-à-dire l’une de ces « sphères closes », dont parle Michel Lussault, qui sont « censées sécuriser les populations ‘’intégrées’’ et ‘’normales’’ par la mise à l’écart des individus qui représentent un risque ou sécuriser les affaiblis en les protégeant d’eux-mêmes ou de leurs ennemis » (2009, p. 160). Par sa configuration particulière, il agit comme un « opérateur de visibilité » (Ibid.) qui transcrit, spatialement, la précarité des statuts juridiques des anciens habitants du bidonville : loin d’avoir acquis un « droit à la ville », selon la formule d’Henri Lefebvre (2001) quand ils ont intégré le « village », ces derniers doivent encore se soumettre aux règles fixées par les institutions et faire la démonstration de leur intégrabilité. En attendant, ils ne peuvent prétendre qu’à un « droit au village », peut-on ajouter en paraphrasant le philosophe marxiste.

C - Le « village » comme laboratoire

En dernier ressort, l’enjeu des « villages » ne serait-il pas de mettre au point de nouveaux modes d’encadrement des migrants en ville ? Ce questionnement se justifie d’autant plus qu’à la fin des années 2000, les municipalités françaises sont de plus en plus nombreuses à s’inquiéter de la présence de migrants roms en situation précaire sur leur territoire. En outre, les institutions européennes pressent les Etats-membres de l’UE à envisager des mesures d’insertion dans le cadre d’une « stratégie-cadre » définie au niveau européen [39].

Le village apparaît ainsi comme un cadre propice à la mise au point de réseaux d’action publique (policy network) dédiés à la suppression des bidonvilles et à l’encadrement des migrants. Composés de quatre acteurs principaux : les associations locales d’insertion par le logement, les services de l’Etat, les collectivités locales et l’administration territoriale, les systèmes d’action liés à la concrétisation des « villages » s’apparentent aux « systèmes d’action locaux » des villes moyennes, que Jean-Pierre Gaudin, à la suite de Mabileau et de Sorbets, définit comme l’ « expression de réseaux de relations polarisées autour de l’institution municipale » (2007, p. 138) ? Sauf que dans le cas des « villages », c’est plutôt autour du représentant de l’Etat que semblent se structurer les réseaux en question.

Cette implication de l’Administration signifie-elle que la prise en charge par l’Etat de l’encadrement des migrants ? La mobilisation, à partir de 2009, de la société ADOMA [40] qui se voit confier la construction et la gestion de trois « villages », à Saint-Denis, à Saint-Ouen et, depuis peu, à Montreuil, tend à confirmer cette hypothèse. En effet, ADOMA a été conçue dans les années cinquante par l’Etat pour régler les questions de l’hébergement et de l’intégration des travailleurs émigrés (Bernardot, 2008b). De leur côté, les collectivités locales sollicitent vivement le soutien financier de l’Etat. L’implication de l’Etat permet effectivement de recourir à deux procédures de lutte contre l’exclusion : l’Aide au logement temporaire, (ALT), et la Maîtrise d’œuvre urbaine sociale (MOUS), qui concerne en principe l’accompagnement social [41]. La mise en place des « villages » apparaît ainsi comme l’aboutissement de négociations, souvent serrées, entre les collectivités locales, en charge de la gestion urbaine au quotidien, et l’Etat.

Dans le même ordre d’idées, l’accompagnement social fait l’objet d’un formatage en fonction des logiques gestionnaires qui régissent désormais l’action publique (Ogien, 1995). Au printemps 2009, pendant les enquêtes de terrain, les services de l’Etat étaient en train de construire une grille d’évaluation, des « tableaux de bord avec sept indicateurs », précise-t-on à l’ancienne Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) : « l’assiduité scolaire, l’inscription aux activités périscolaires, des indicateurs liés à la santé, l’accès aux soins, l’emploi et la formation professionnelle ». Inspirée de l’ingénierie sociale, cette vision normative de l’accompagnement social était remise en question par les travailleurs sociaux. L’un d’entre eux déclarait à ce sujet « Le risque [des logiques de projet appliquées dans les « villages »], c’est que ça soit pas du travail social mais de l’intervention sociale [42] […]. Ici on te demande pas des chiffres mais presque […]. Il y a des comptes à rendre et la demande est plus factuelle alors que dans les foyers, c’est de l’accompagnement. Ici, c’est de l’action sociale opérationnelle, voire des fois ils te demandent purement de la technique sociale, du montage de dossiers, et de réfléchir avec les familles comment on peut résoudre ça. On ne part pas des problèmes que peuvent avoir les familles mais de ce qu’il faut faire pour qu’elles puissent atteindre les objectifs. On ne part pas des problèmes des familles. On part de l’autre bout ». Ces témoignages montrent l’ampleur des remaniements que connaît le travail social depuis les années 1990 (Ion, Ravon, 2005). Bien que placées sous le double signe de l’ingénierie sociale et du management, les réformes en cours sont toutefois peu novatrices car, comme on l’a constaté plus haut, elles continuent de s’inscrire dans une logique de mise aux normes des comportements individuels.

Enfin, la mise sur pied des « villages » participe à la stabilisation des catégories de l’action publique. Cela se traduit par la reconnaissance des migrants Roms en tant que population-cible des politiques publiques. La Lettre de l’Etat en Seine-Saint-Denis annonce l’ouverture de « villages d’insertion de Roms ». Le Pact Arim 93 fait de même dans son rapport d’activité 2007, disponible sur internet et largement diffusé dans les milieux associatif et institutionnel, en indiquant qu’ « à Saint-Denis et à Aubervilliers, les Rroms suivent un parcours d’insertion » (Pact Arim 93, 2008, pp. 16-17). A Saint-Denis et à Montreuil, les autorités municipales ont, quant à elles, créé des postes de « chargés de mission Roms ». Cette catégorisation, d’ailleurs dénoncée par les associations roms à cause de son caractère stigmatisant [43], est donc en cours de banalisation dans les milieux institutionnels. Elle a probablement des origines diverses, qu’il s’agisse de l’action associative, l’ONG Médecins du Monde étant la première organisation à avoir mis en place une « mission Rom » en Île-de-France, ou encore les institutions européennes, qui ont initié la politique d’inclusion des Roms dés les années 1980 (Liégeois, 2007). Quoiqu’il en soit, cette catégorie émergente de l’action publique [44] s’inscrit de toute évidence dans une logique de classification des étrangers bien ancrée en France depuis le début du 20ème siècle. Dans les années 1950 par exemple, c’était au tour des « Français musulmans d’Algérie », la classification ethnique étant également appliquée aux étrangers par l’Administration. Celle-ci proposait aux acteurs en charge du logement des travailleurs en foyer de classer les individus « selon qu’ils [étaient] ‘’de souche nord-africaine (Marocains, Tunisiens)’’ ou ‘’d’origine européenne’’ » (Barros, 2005, p. 32).

Enfin, le « village » est en train de devenir un standard de la lutte contre l’exclusion. La remarque vaut pour les migrants roms en situation précaire, les « villages » de l’arrondissement de Saint-Denis retenant l’attention des acteurs politiques et institutionnels, y compris dans les pays voisins, selon ce gestionnaire qui déclare à la fin d’un entretien : « Il y a trois semaines, il y avait cinquante élus italiens dans le cadre des élections européens. Le matin, ils étaient avec Delanoë, l’après-midi, ils voulaient voir les Roms, rien que les Roms, et le lendemain ils étaient avec Gorbatchev. Je me suis dit : ‘’c’est pas rien’’ ». Les « villages » semblent par ailleurs influencer la nouvelle politique de la Région en matière d’hébergement d’urgence. On peut ainsi lire dans le dernier rapport au Conseil régional d’Île-de-France qu’ « au vu des nouvelles expérimentations menées depuis peu [il s’agit des villages d’insertion financés dans le cadre de l’aide à l’éradication des bidonvilles selon mes interlocuteurs à la Région], il est proposé de compléter le dispositif existant par un soutien aux opérations d’hébergement en structures modulaires temporaires, soit pour des raisons de mises à l’abri en urgence, soit dans le cadre d’un projet résidentiel dont l’objectif final est l’accès à un logement social de droit commun. Dans les deux cas, la période d’hébergement ne pourrait excéder cinq années, les opérations présentées devant par ailleurs répondre à des normes qualitatives, de sécurité et de confort minimales ainsi que d’accessibilité du site » (CRIDF, 2008, p. 44).

Dans un contexte marqué à la fois par la pénurie de logements sociaux et par la saturation des dispositifs d’hébergement existants, le « village » serait-il en train de s’imposer comme alternative au foyer et au logement très social ?

Conclusion

En définitive, la création des « villages d’insertion de Roms » en Seine-Saint-Denis ne constitue pas vraiment un tournant dans les politiques en direction des habitants des bidonvilles. Il s’agit plutôt d’un « projet expérimental », selon les termes du préfet de l’arrondissement de Saint-Denis, voire d’un bricolage réalisé in situ par les pouvoirs locaux, qui recourent en effet aux « traditions nationales d’encadrement des migrants » (Bernardot, 2008a), telles que le camp ou le foyer, et aux principes actuels de structuration de l’action publique (le contrat, le management et l’évaluation) pour construire un régime d’hospitalité en direction des habitants des bidonvilles. Les autorités locales gardent donc un rôle primordial dans la définition des politiques sociales et des conditions d’accueil des migrants. Même si la mise en place des « villages » est principalement liée à la résolution de problèmes ponctuels, ces dispositifs contribuent cependant au renouvellement des modes d’encadrement de la pauvreté étrangère en ville. Dans les métropoles d’aujourd’hui, dominées par les logiques économiques et sécuritaires, le « village d’insertion », qui s’apparente par bien des aspects aux camps et aux cités de transit, apparaît ainsi comme la place qui revient aux anciens habitants des bidonvilles le temps de leur insertion.

Ce constat suscite plusieurs interrogations. S’agit-il d’un régime d’exception, spécialement conçu pour des populations catégorisées selon des critères ethniques, à savoir les Roms ? Le « village » est effectivement en passe de devenir un standard dans la lutte engagée par les pouvoirs locaux contre les bidonvilles et les squats fondés par les migrants Roms en situation précaire. Mais la formule inspire aussi les acteurs institutionnels et associatifs en charge de l’hébergement d’urgence. Dés à présent, le « village » figure donc parmi les nouveaux outils de régulation de la pauvreté urbaine. On peut, en outre, se demander s’il existe des alternatives au « village ». En effet, les limites du dispositif sont incontestables, qu’il s’agisse de l’assimilation sous tutelle dont Colette Pétonnet a pu montrer les effets négatifs dans ses travaux sur les cités de transit, ou des processus de précarisation et de marginalisation qui concernent, dés à présent, les exclus des « villages », c’est-à-dire la très grande majorité des habitants des bidonvilles.

En région parisienne et dans les villes de province, des acteurs locaux ont envisagé des actions d’un autre type : installation de familles dans le parc de logements sociaux, hébergement en foyer, etc. Bien sûr, on peut chercher à comparer les dispositifs et les procédures mais sans pour autant se limiter à la prise en compte des performances présumées des différents dispositifs sur le plan de l’intégration. En grande partie déterminée par des facteurs sociaux, économiques et juridiques, la situation des « Roms migrants », selon l’expression en usage dans le milieu associatif, pose en effet la question fondamentalement politique, souvent rebattue et pourtant inévitable, de savoir quel droit à la ville est reconnu aux migrants sans revenus et, plus largement, aux populations pauvres ou précarisées, dans la société française comme dans les autres sociétés d’Europe occidentale.


Bibliographie

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NOTES

[1] Le démantèlement du bloc socialiste au début des années 1990 et l’élargissement à l’Est de l’Union européenne dans les années qui suivirent, ont favorisé l’émigration, temporaire ou définitive, de nombreux ressortissants d’Europe centrale, dont des Roms. Au sujet des pratiques et des logiques migratoires, voir notamment Diminescu, 2003, et Etudes tsiganes, 2006.

[2] A propos des processus de formation des bidonvilles, en particulier des stratégies résidentielles des migrants, voir Vanderlick, 2004 et Benarrosh-Orsoni, 2007.

[3] Ce n’est cependant pas la première fois que des autorités publiques utilisent le terme de « village » pour désigner des formes de logement ou d’hébergement spécifique et/ou provisoire. A Tours, les hébergements d’urgence mis en place par les collectivités locales et par la Préfecture en 2006 et 2007 sont également qualifiés de « villages ». En Italie, il existe des villagio di accoglienza per Rom (« villages d’accueil des Roms ») au début des années 2000 (Sigona, 2005).

[4] Le Pact Arim fait partie du mouvement PACT (à l’origine : Propagande et action contre les taudis), qui compte environ 150 associations regroupées au sein d’unions régionales et d’une fédération nationale.

[5] Fondée dans les années 1960, l’ALJ 93 gère plusieurs foyers dans le secteur d’Aubervilliers. De plus, l’association aide ponctuellement les élus locaux à résoudre des situations de crise (incendies de squat, familles à la rue ) en trouvant rapidement des hébergements.

[6] Créée en 1975, « Rues et Cités » intervient dans le secteur de la prévention spécialisée. Sans mandat administratif ni juridique, cette association réalise principalement un travail de rue auprès des adolescents volontaires. Elle possède un secteur dit « tsigane » du fait de l’installation ancienne de familles roms dans le secteur (Jaulin, 2000).

[7] Comme les dispositifs mis en place à Montreuil n’ont pas fait l’objet d’enquêtes approfondies, ils ne seront pas mentionnés dans cet article.

[8] Je remercie vivement l’ensemble des personnes qui ont bien voulu m’accorder un entretien et, en particulier, Chloé Faouzi, du comité Romeurope, qui, en me donnant de nombreux contacts, m’a en quelque sorte ouvert les portes des « villages d’insertion ».

[9] David Snow définit les cadres comme des « ensembles de croyances et de significations orientées vers l’action qui inspirent et légitiment les activités et les campagnes des segments organisationnels d’un mouvement social » (2001, p. 28). Dans le cadre de cet article, le concept de cadrage est appliqué au champ de l’action publique.

[10] « […] C’est en étudiant les détails des techniques de gouvernement que l’on peut espérer parvenir à montrer comment une manière d’élaborer et de conduire l’action publique induit une manière de la penser, donc d’en poursuivre la mise en œuvre, tout en modifiant insensiblement les règles du travail politique, c’est-à-dire le cadre de théorisation pour l’action future » (Ogien, 1995, p. 51).

[11] La stratégie sélective est, par exemple, avérée en Italie à la fin du 16ème siècle. Renaud Villard note à ce propos qu’ « […] en 1591, le Grand duc de Toscane fait expulser tous les étrangers de Livourne, officiellement du fait de la pénurie de grains ; la même année, il donne d’importants privilèges aux marchands et entrepreneurs qui viendraient s’installer dans ce nouveau port marchand qu’il entend créer » (2009, p. 73).

[12] Dans Surveiller et punir, Michel Foucault décrit avec minutie les finalités de l’espace disciplinaire. Celui-ci « tend à se diviser en autant de parcelles qu’il a de corps ou d’éléments à répartir. Il faut annuler les effets des répartitions indécises, la disparition incontrôlée des individus, leur circulation diffuse, leur coagulation inutilisable et dangereuse ; tactique d’antidésertion, d’antivagabondage, d’antiagglomération. Il s’agit d’établir les présences et les absences, de savoir où et comment retrouver les individus, d’instaurer les communications utiles, d’interrompre les autres, de pouvoir à chaque instant surveiller la conduite de chacun, l’apprécier, la sanctionner, mesurer les qualités ou les mérites. Procédure donc, pour connaître, pour maîtriser et pour utiliser. La discipline organise un espace analytique » (1975, pp. 144-145).

[13] Le cas de Bagnolet est particulier, puisque les familles résidaient déjà dans le « village » mis en place par la Mairie. D’après le Pact Arim 93, qui s’est chargé de la sélection des futurs bénéficiaires, une vingtaine de personnes n’ont pas été retenues. On me précise qu’ « elles sont parties d’elles-mêmes ». Le site d’hébergement de Bagnolet compte environ 75 personnes en 2009.

[14] Lettre de l’Etat en Seine-Saint-Denis, n° 9, 14 octobre 2008.

[15] Dans le cas du « village » d’Aubervilliers, les coûts d’investissement se sont élevés à 1,2 millions d’Euros. A cela s’ajoutent les frais de fonctionnement. D’un montant total de 440 000 Euros en 2008, ils se sont décomposés de la façon suivante : 300 000 Euros pour la gestion locative et 140 000 pour l’accompagnement social. On peut donc estimer à 1,3 millions d’Euros le coût minimum de fonctionnement d’un« village » dont la durée de vie ne doit pas, en principe, excéder trois ans.

[16] La Région propose en effet une aide financière aux collectivités locales en réponse au développement récent des bidonvilles dans la banlieue parisienne. Cette aide est destinée à « l’installation de constructions modulaires, bâtiments industrialisés, mobiles homes ou bungalows « en finançant, à hauteur de 50 % et dans un plafond de subvention de 500 000 Euros, les dépenses de viabilisation des terrains » (Cridf, 2005, p. 30).

[17] Les “marges urbaines”, écrit Loïc Wacquant, sont un terme du « répertoire topographique des villes » (2006, p. 5), qui sert à désigner les « lieux stigmatisés situés au plus bas du système hiérarchique des places qui composent la métropole » (Ibid.).

[18] « A common feature of the two types of legal camp is that they are enclosed : their entrances are under surveillance and the movements of Roma and non-Roma alike are monitored » (Sigona, 2005, p. 748).

[19] http://lesrroms.blogg.org/date-2009.... La Voix des Rroms est une association rom fondée à Paris en 2005.

[20] La MOUS (Maîtrise d’œuvre urbaine sociale) est la procédure permettant de financer l’accompagnement social. Elle est utilisée dans les opérations de réhabilitation de l’habitat social et d’hébergement.

[21] « Au regard de ces constats [exposés dans le préambule] et de la dégradation progressive des conditions de vie [dans le bidonville], la municipalité a décidé d’engager une opération d’habitat adapté pour permettre la sédentarisation, à terme, des familles qui le souhaitent en installant des bâtiments modulaires » (Municipalité d’Aubervilliers, sd, Projet social : création d’un lotissement d’habitat adapté destiné à contribuer à l’éradication des bidonvilles, p. 2).

[22] Article 4 du contrat d’hébergement en ALT dans le dispositif d’hébergement et d’insertion de Bagnolet. Comme ils n’ont pas forcément d’emploi ou d’autorisation de travail, les résidents des « villages » sont dans l’obligation de se procurer les sommes exigées par des moyens parallèles (mendicité par exemple). La contradiction entre cet état de fait et les injonctions des institutions à la normalité est soulignée par les intervenants dans les « villages » (gestionnaires et travailleurs sociaux). Elle est également dénoncée par les associations de soutien aux migrants.

[23] Le voyage Arad-Saint-Denis revient à 90 Euros en juin 2009.

[24] Déclaration d’Henri Paul, Ambassadeur de France en Roumanie. http://www.ambafrance-ro.org/index.....

[25] En 2007 et en 2008, les habitants des campi nomadi installés autour de Naples et de Rome ont fait l’objet d’attaques et de violences collectives suite à deux faits divers impliquant des membres de la minorité Rom et largement médiatisés : le viol suivi du meurtre d’une femme italienne, en novembre 2007, et une tentative d’enlèvement d’enfant par une adolescente à Naples, en mai 2008. Au début de l’été 2008, le gouvernement a décidé de procéder au relèvement des empreintes digitales de toute la population tsigane d’Italie, afin de « garantir à ceux qui ont le droit de rester dans le pays de pouvoir vivre dans des conditions décentes et à renvoyer chez eux ceux qui n’ont pas le droit de rester en Italie », selon le ministre de l’Intérieur, Roberto Maroni. De l’avis de Ludmila Acone (2008), les Roms ont servi d’exutoire dans un contexte marqué par de fortes tensions sociales et par le verrouillage des instances démocratiques.

[26] Des associations membres du Pact Arim gèrent des aires d’accueil des Gens du Voyage. Le Pact-Arim 93 a, de plus, participé, au début des années 2000, au montage d’un projet expérimental de relogement à Rosny-sous-Bois.

[27] Le « 115 » est un numéro d’urgence. Mis en place par le Samu social, il permet d’informer les personnes sans abri des possibilités d’hébergement dans leur localité.

[28] Aide au logement temporaire. L’ALT permet en particulier de financer le fonctionnement des dispositifs d’hébergement.

[29] « La couronne réhabilitée », Explorimmoneuf, http://www.explorimmoneuf.com/ib-ne....

[30] « […] Dans les périodes de crise, les mesures de fermeture du marché du travail se généralisent contre les étrangers, dans le monde ouvrier, mais aussi dans les classes moyennes et dans les professions libérales. La ‘’demande sociale’’ concernant le contrôle rigoureux de l’identité des étrangers s’accentue. Elle est d’autant mieux prise en compte par la classe politique […] qu’elle se révèle en général ‘’payante’’ électoralement parlant » (Noiriel, 1998, p. 87).

[31] Dans le cas du « village » de Saint-Denis, il s’agit d’un terrain appartenant à l’Armée et mis à disposition pendant une durée de cinq ans par le ministère de la Défense (Le journal de Saint-Denis, 6 -12 mai 2009, www.lejsd.com).

[32] Selon le Journal de Saint-Denis, le bidonville de la rue Campra, installé à Saint-Denis, comptait, lui aussi, près de 600 personnes (www.lejsd.com).

[33] Pour le sociologue américain, « la déviance n’est pas une qualité de l’acte commis par une personne, mais plutôt une conséquence de l’application, par les autres, de normes et de sanctions à un ‘’transgresseur’’ » (Becker, 1985, p. 33).

[34] Soutenue par la Fondation Abbé-Pierre, l’association « Coup de main » mène des actions auprès des Roms roumains en situation précaire depuis une dizaine d’années (soutien humanitaire, intermédiation sociale, insertion par le logement et par l’emploi). L’association intervient également dans les « villages » après avoir joué un rôle majeur dans la mise en contact des institutions avec les habitants des bidonvilles avant l’évacuation des terrains.

[35] Créée en 2001, Parada France est liée à la fédération roumaine du même nom, laquelle agit principalement en direction des enfants des rues à Bucarest. Parada France agit principalement dans les bidonvilles fondés par des Roms roumains. L’association propose des ateliers de cirque pour les enfants et des évènements culturels et festifs. Ces activités s’inscrivent dans une démarche d’autonomisation et d’intégration des personnes en situation précaire (http://parada.ifrance.com/).

[36] Selon les promoteurs immobiliers, il s’agit de dernière phase de la ZAC du Landy. Couvrant une partie importante de la plaine de Saint-Denis, cette opération constitue « le plus vaste espace de congrès jamais construit en région parisienne » (http://www.egis-amenagement.fr/Refe...).

[37] Préambule du contrat d’hébergement dans le lotissement adapté de Bagnolet.

[38] De nombreux témoignages recueillis auprès d’acteurs associatifs et institutionnels attestent de l’existence d’une hiérarchie sociale au sein des grands bidonvilles. Au sujet des « chefs de terrain », les avis divergent. Pour les uns, il s’agirait plutôt d’intermédiaires, de négociateurs sans pouvoir véritable, pour les autres, les chefs de terrain se livreraient à des activités telles que le racket au sein du bidonville, n’hésitant pas à recourir à la violence pour maintenir les habitants sous leur influence.

[39] Cf. la Résolution du 14 janvier 2009 sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union européenne.

[40] Ex Société nationale de construction pour les travailleurs algériens (Sonacotra), créée en 1957.

[41] L’ALT s’inscrit dans le cadre du programme 177 « Prévention de l’exclusion et insertion des personnes vulnérables » (ministère de la Santé) et la MOUS dans celui du programme 135 « Développement et amélioration de l’offre de logement (ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement). La MOUS constitue dans les faits un « dispositif de dernier recours » pour résoudre les situations les « plus dramatiques », c’est-à-dire « celles qui restaient jusque là sans réponse » selon la circulaire du 2 août 1995 sur les MOUS.

[42] Jacques Ion et Bertrand Ravon expliquent la différence entre le travail ou l’accompagnement social et l’intervention sociale de la façon suivante : « […] Le ‘’travailleur’’ relève de l’ordre de la longue durée ; l’’’intervenant’’ agit ponctuellement dans une situation donnée » (2005, p. 17). Ils précisent de plus que l’intervenant doit « puiser dans ses propres ressources pour ‘’tenir’’ [la] relation [de face à face avec le bénéficiaire de l’action sociale] » (Ibid.).

[43] Les auteurs du rapport destiné au Parlement européen et intitulé « Rromani People in France in 2008 » écrivent à ce sujet que “le taux anormalement élevé de Rroms qui vivent dans des conditions difficiles n’est pas ce qui fait d’eux des Rroms. C’est plutôt la conséquence de la façon dont ils sont perçus et traités par la société majoritaire, à cause de leur appartenance ethnique (La Voix des Rroms et alii, 2008, p. 2).

[44] Les « Roms migrants » sont une autre catégorie émergente. Principalement employée dans le monde associatif, il semble qu’elle soit, progressivement en train d’acquérir la valeur d’une « catégorie ethno-juridique » selon Grégoire Cousin (2009).