Réseau scientifique de recherche et de publication

[TERRA- Quotidien]

REVUE Asylon(s)

9| Reconstructions identitaires et (...)
retour au sommaire
< 1/6 >
Introduction

Marc Bernardot
Marc Bernardot est Professeur de sociologie à Aix Marseille Université (PR1) au département de sociologie (ALLSH) et directeur du Centre méditerranéen de sociologie, de science politique et d’histoire (MESOPOLHIS) UMR 7064 (AMU, SPXAix, CNRS). Il assure la responsabilité de l’axe 2 du MESOPOLHIS "Migrations, mobilités, circulations". Il est référent (...)

citation

Marc Bernardot, "Introduction ", REVUE Asylon(s), N°9, juin 2012

ISBN : 979-10-95908-13-5 9791095908135, Reconstructions identitaires et résistances, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1250.html

Mots clefs

Ce numéro d’Asylon (s) réunit des contributions qui interrogent des processus de construction et de déconstruction des identifications collectives et individuelles. A partir de focales différentes et originales, nations sans Etat, collectivités migrantes, camps de réfugiés, les auteurs testent plusieurs hypothèses concernant les capacités des politiques identitaires et des groupes marginalisés ou ethnicisés à innover et réinventer des cadres de citoyenneté et de résistance.

Les deux premiers articles qui portent sur l’Espagne et l’Argentine ont en commun de mettre en évidence l’importance des romans nationaux dans la construction des cadres de perception de l’altérité.

Jiména Larroque s’intéresse à la capacité des pouvoirs infra-étatiques des régions autonomes dans le cadre espagnol à définir leurs propres modèles d’intégration des populations étrangères et migrantes et montre que cela nécessite une reconceptualisation de la communauté nationale. Elle explique tout d’abord comment a été remise en cause ces dernières années la classique répartition des taches entre l’Etat contrôlant les flux migratoires et les communautés autonomes gérant les politiques d’intégration comme un dossier de politique sociale. A partir des cas catalan et basque, elle déconstruit les discours publics concernant les politiques d’intégration dans un contexte spécifique de gouvernements agissant comme des minorités nationales. Si en Catalogne l’approche a consisté à développer une politique assimilationniste notamment sur des bases linguistiques, au Pays Basque les acteurs politiques ne sont pas parvenus à élaborer « une doctrine basque de l’intégration ». Selon Jimena Larroque la réussite catalane dans la captation de cette question tient à sa capacité à modifier les cadres juridiques dans le sens d’une autonomie accrue vis-à-vis du pouvoir central mais surtout à réactualiser le modèle de la « Catalogne terre d’accueil » en usage dans les années 1960 et à utiliser le catalan comme vecteur de « normalisation ». A l’inverse le Pays Basque a non seulement échoué à modifier les cadres relationnels avec l’Etat central mais n’a pas réussi à mettre à jour le cadre cognitif de perception des migrations espagnoles de l’époque industrielle sans pouvoir non plus utiliser la langue régionale, moins répandue, comme vecteur d’intégration. L’auteure en conclu que « tant qu’une société se donne pour priorité la préservation de ses propres signes identitaires dans la gestion de la diversité culturelle, nous pouvons augurer un mimétisme entre une logique stato-nationale et une logique infra-nationale. »

Daniel Veron aborde quant à lui la situation des étrangers régionaux, en particulier boliviens, dans l’Argentine contemporaine. Il montre d’abord comment le mythe constitutif des Argentins « descendants des bateaux » a été utilisé pour évincer les « afro-descendants » d’une part et les migrants limitrophes d’autre part du roman national. Ces derniers ont été longtemps largement invisibles car fondus dans une altérité sociale floue. Mais la dérégulation libérale depuis les années 1990 s’est accompagnée d’une visibilisation négative et ethnicisée de ces groupes de migrants sud-américains. A partir du cas des Boliviens Daniel Véron montre comment les migrants résistent à ces processus d’assignation identitaire négative, malgré les divisions de classes entre petite bourgeoisie bolivienne en Argentine et migrants pauvres. Ces derniers parviennent à structurer leurs luttes revendicatives, par exemple sous la forme d’occupations, en retournant le stigmate de l’illégitimité aux migrants européens, usurpateurs de la terre argentine. « La bolivianité se construit dans l’altérité, comme un produit de la migration. Elle n’est ni pragmatique, ni instrumentale, mais bien constitutive de la vie migrante. »

Les deux articles suivants posent la question de la transformation des positions de genre dans l’espace des camps de réfugiés installés de longue date, dont certaines caractéristiques sont très proches, ceux des Palestiniens au Liban et ceux des Sahraouis

Marie Kortam étudie les transformations identitaires des femmes palestiniennes dans les camps au Liban. Elle étudie le processus qui, depuis la Nakba, a progressivement modifié la « contre-socialisation » des femmes comme actrices légitimes de la lutte nationale en resocialisation vers la sphère domestique et familiale. Cette mutation liée à la fin de la lutte politique s’accompagne d’une différenciation accrue entre les « femmes du camp » et celles de « l’extérieur » notamment en ce qui concerne la vision masculine de la féminité. Cette situation est exacerbée par la marginalisation des hommes des camps qui vivent l’accès des femmes au travail comme une offense tout en étant devenue une nécessité économique. Par ailleurs ce processus de rigidification des interdits témoigne d’une confusion accrue entre interdits sociaux et religieux. Dans ces conditions le travail rémunérateur des femmes, qui s’ajoute aux taches domestiques, ne parvient pas être source de droits et d’émancipation.

Alice Corbet fait de même dans un cadre très comparable. Elle interroge l’évolution des positions de genres dans les camps sahraouis. A l’inverse du cas palestinien, les femmes ont profité de la sédentarisation et de la mise à distance des hommes dans des tâches de contrôle de la frontière pour accroître leur capacité de contrôle domestique et matériel. Elles ont pris le contrôle de l’espace-temps des camps qu’elles ont globalement organisé depuis leur mise en place il y a plus de trente ans. Et l’émancipation féminine, qui est devenue la vitrine de la bonne volonté du Front Polisario vis-à-vis de la communauté et des ONG internationales, s’accompagne de la généralisation d’une matrifocalité. Cependant cette double sollicitude repose pour le premier sur l’idée que les femmes sont garantes de la continuité biologique des Sahraouis, et pour les secondes sur celle qu’elles sont forcément des victimes tout en faisant des relais. L’émancipation reste cette fois conditionnée à l’espace des camps et se voit limitée dans les situations de migrations notamment où les hommes récupèrent leurs positions traditionnelles.

Enfin, Elise Pestre, dans une note de recherche plus clinique, plaide pour une clinique psychanalytique des réfugiés en mettant en évidence les effets de la violence traumatique redoublée par les conditions d’accueil en France. Le réfugié, en quête d’hospitalité et maltraité, développe ce qu’elle appelle une « pathologie du témoignage » qui menace aussi les thérapeutes.