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Transdisciplinarité, humanisme, éducation, technologie et faits sociaux (2016/...)

Article initialement traduit et paru en ouvrages en portugais (2019) et en espagnol (2020), sous l’égide de l’Unesco.

Est-il antinomique de travailler coopérativement dans une situation de compétition ? De l’étude des éducations alternatives à une application en contexte universitaire.

Résumé : l’article présente une histoire des idées et des pratiques des enseignements dits « alternatifs » versus les apprentissages dits « classiques ». Il s’interroge sur leurs finalités philosophiques, entre créativité et normativité, ainsi que sur la portée des libertés pédagogiques et académiques visant à introduire des pratiques pédagogiques participatives. Il s’intéresse pour cela à la problématique d’étudiants placés en situation de concurrence, tout en étant en même temps incités à entrer dans un travail coopératif (utilisant ponctuellement les Tice). Une situation pour le moins paradoxale et qui pourrait paraître antinomique. L’analyse de l’entrée dans l’activité et l’évaluation montrent que les facteurs extrinsèques (tension de la préparation du concours, climat de classe) sont aussi importants que les facteurs intrinsèques (personnalité, confiance en soi), tout autant que le sont la motivation des enseignants et des institutions à interroger et à faire évoluer leurs pratiques de formation.

Mots clés : éducation, apprentissages, coopération, Tice, curricula

Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. Martin Luther-King

Introduction : de la variété des méthodes d’enseignement

Dans la perspective de l’histoire des idées en éducation, le courant des éducations alternatives semble être privilégié en ce qui concerne la coopération entre apprenants. Nous y rencontrons ainsi de nombreuses appellations contrôlées de diverses origines : éducation nouvelle (toujours nouvelle bien que ses 150 ans d’existence aient été fêtés en 2014), éducation authentique, éducation différente… Certaines trouvent des terrains d’application institutionnels ou deviennent des labels reconnus comme l’éducation adaptée, l’éducation prioritaire, l’éducation populaire... Cependant, au sein de cette variété des pédagogies possibles, l’Education nationale semblait promouvoir jusqu’il y a peu une typologie d’enseignements très restreinte, quasi-uniforme de l’école primaire (maternelle puis élémentaire) à l’université et basée sur un modèle philosophique éducatif frontal plutôt univoque de transmission des connaissances. Ceci à l’exception de quelques modalités d’intégration/inclusion spécifiques aux élèves en situation de handicap devant permettre un accompagnement scolaire spécialisé. C’est dans cette optique qu’ont été créés les Classes pour l’inclusion scolaire (Clis), puis les Ecoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite (Eclair), les Sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa). Autant d’établissements et de structures plus ou moins pérennes car nécessitant des allocations de moyens à reconduire à chaque élection pour permettre l’emploi des personnels d’encadrement spécifiques qui y exercent, comme les Agent Territorial Spécialisé des Écoles Maternelles (Atsem) ou encore les Auxiliaire de Vie Scolaire (Avs). La diversité des curricula apparaît seulement après le collège (unique lui aussi depuis 1975), avec le lycée et ses embranchements en voies générales (trois voies) et technologiques (huit séries), plus les voies professionnelles (200 spécialités de CAP et 75 spécialités de baccalauréat). Signalons pour ces dernières l’existence d’un label "Lycées des Métiers", pour les établissements qui réunissent plusieurs types de formations (scolaire initiale, en apprentissage, continue) et la mise en place de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Néanmoins, la diversité des filières menant à la sanction des études secondaires par l’obtention du baccalauréat (le premier grade de l’enseignement supérieur) ne semble pas proposer pas pour autant une grande variété de méthodes employées par chacune. L’essentiel des enseignements, surtout en ce qui concerne les filières générales dites "nobles" voire "élitistes", repose essentiellement sur une transmission des connaissances de la part d’un enseignant qui sait en direction d’élèves dont on attend que chacun prenne bonne note, de façon individuelle, des leçons dispensées. Le critère de réussite, depuis le devoir à composer jusqu’à l’examen à passer, est surtout celui de la capacité à retransmettre "par cœur" (en réalité "par tête") la leçon de professeurs souvent soumis inconsciemment à la constante macabre (Antibi, 2008), reçue et apprise en « groupe de solitaires ». Pourtant, nombre de méta–études (Johnson et al. 1981) et de travaux (Slavin, 1995) ont conclu que les structures coopératives « ont des effets relativement importants sur la productivité et le rendement par rapport aux structures compétitives et individualistes » (Abrami et al. 1996). Et ceci aussi bien à l’école (Aronson, 2011) qu’à l’université (Saint-Luc, 2013). Alors, pourquoi la modalité du travail coopératif semble-t-elle si lacunaire et si peu utilisée alors qu’elle pourrait s’appliquer même dans des écoles qui n’ont pas de vocation alternative ou qui ne se disent pas des écoles à pédagogie nouvelle ? Serait-elle perçue comme antinomique sui generis dans le cadre classique de l’éducation et de la formation et donc difficilement applicable ? L’objectif de notre recherche sera donc d’abord de retracer brièvement les formes historiques prises par les apprentissages en fonction des objectifs poursuivis par les politiques éducatives, depuis leur institutionnalisation lors du 19ème siècle jusqu’à l’époque contemporaine. Puis, nous nous questionnerons sur l’utilité et la possibilité de mettre en place un type d’enseignement ancré dans le travail coopératif, de façon critique tout en tâchant d’éviter une dichotomie trop simpliste entre pratiques coopératives, compétitives ou individualistes. Nous présenterons alors à titre d’étude de cas une « unité d’enseignement » (UE) intitulée « suivi tutoré » en formation des enseignants à l’université, tâchant d’appliquer ce type de méthodes. Nous en proposerons une évaluation en terme de résultats et d’acceptabilité par les acteurs. Nous conclurons dans une perspective théorique actuelle élargie à une analyse sociétale.

Problématique : des finalités de ces modes d’apprentissage

Dans une lecture au filtre de l’anarcho-libertarisme de l’histoire des idées éducatives (Lenoir, 2014), l’éducation standardisée ou « massifiée » – ainsi dénommée car s’appliquant sur tout le territoire et de la même façon pour tous les enfants nés la même année - fut mise en place avec des modalités d’apprentissage très normées pour permettre un apprentissage rapide des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter, et très récemment « respecter autrui » ). Ceci afin de pouvoir répondre à l’époque à un fort besoin de main d’œuvre, a priori juste suffisamment qualifiée pour exécuter les process de production dont avait besoin la société industrielle naissante. Cette société évoluera ensuite vers le taylorisme, une « organisation scientifique du travail » dans laquelle les ouvriers sont là pour exécuter des tâches chronométrées et non pour réfléchir à leur bien fondé ni à leur amélioration. Cette conception d’une vie commune où les besoins de production économiques prennent le pas sur l’épanouissement des individus fut confortée au fil du temps par l’Etat-Nation, à chaque poussée jacobine. Ce centralisme bureaucratique croissant a élargit progressivement son contrôle des dispositifs d’enseignement des élites et du peuple jusqu’à la dissémination des "hussards noirs" de la IIIème République et la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905. Cette orientation « économique » de l’enseignement s’explique aussi sans doute par le fait que les éducations alternatives nécessitent au contraire de privilégier les aspects humains avant les aspects techniques, et qu’elles valorisent le qualitatif plutôt que le quantitatif. Elles coûtent donc plus cher à mettre en œuvre : plus de personnel d’encadrement et de soutien, plus d’attention individuelle. Elles sont aussi plus difficiles à contrôler et à inspecter car elles sont souvent moins rigides sur le découpage des contenus et le déroulé des programmes, en situant les apprentissages sur un temps plus long que celui des périodes, années ou cycles utilisés par les programmes officiels qui sont de plus maintenant doublés par les acquisitions d’un « socle de compétences » (de culture et de connaissances) très larges, terme propre à l’activité de l’entreprise. Ce choix paradigmatique a engendré à grande échelle et de façon pérenne depuis l’action législative de Bonaparte en ce sens, une succession de pédagogies dirigistes comme par exemple l’école mutuelle, fonctionnant sur un mode militaire à partir de 1815. La transmission des savoirs s’y opère à un rythme et avec des contenus identiques pour tous par un maître assisté d’élèves-tuteurs qui répliquent son enseignement à plusieurs dizaines, voir à plusieurs centaines d’enfants (Querrien, 2005). Pourtant, d’autres façons d’envisager l’enseignement se sont aussi mises en place, telle l’accompagnement multi-âges pratiqué à "La Ruche", à Rambouillet à partir de 1904, dans une école ouverte sur la nature et fonctionnant quelques années avec des principes d’entre-aide, jusqu’à ce que des difficultés financières mettent un terme à sa mission. L’Etat a par la suite étendu son influence jusqu’à laisser penser qu’il n’y avait pas d’autre alternative à l’éducation que la sienne, avec une prétendue école obligatoire pour tous à l’âge de 6 ans. Nous retrouvons là un dérivé du fameux « there is no alternative » (il n’y a pas d’alternative), doctrine thatchérienne qui, en matière économique, a amené à la naissance du "capitalisme de catastrophe" (Comte-Sponville, 2015), dont René Barbier déplorait qu’il détruirait la planète tant humainement qu’écologiquement. Or, ce n’est pas l’école qui est obligatoire mais bien l’instruction, selon les termes de la loi (Lepri, 2013). C’est alors comme si les enfants et adolescents "appartenaient" en premier lieu à l’Etat avant d’appartenir à toute autre personne, à commencer par eux-mêmes (Baker, 1985). Ainsi la place des apprentissages alternatifs est-elle restée marginale face à une éducation standardisée.

État des lieux : de la prédominance d’un enseignement massifié

Les éducations alternatives conduisent par nature à développer une dimension critique dans le rapport à soi, à la société et au monde, simplement en essayant de placer vraiment les apprenants au centre de l’expérience éducative, avant les savoirs. Certains pourraient considérer que les responsables éducatifs se rendent coupables d’un "défaut d’information" en ne portant pas à la connaissance des parents et tuteurs l’existence d’un choix libre et éclairé entre inscrire leurs enfants dans la classe communale de leur carte scolaire ou opter pour toute autre solution éducative (donnant lieu par la loi à des inspections régulières). Pourtant, le nombre de créations d’écoles indépendantes se revendiquant de cet autre paradigme va croissant , alors même que ces dernières sont peu connues et peu visibles du grand public. Alors, le choix doit-il se faire entre « éducations alternatives » d’un coté avec des structures légères versus « enseignement de masse » de l’autre avec une pédagogie dirigiste ? Il existe toutefois au sein du courant éducatif alternatif des fonctionnements proches de l’école classique dans sa version la plus rigoriste, comme c’est le cas des freeschools du monde anglo-saxon qui portent mal leur nom, car elles fonctionnent de façon aussi aussi rigide que les anciens internats français. Et inversement, il est possible de rencontrer des pédagogies alternatives dans les écoles traditionnelles, comme le développement de méthodes "douces" avec la grande mode de la pédagogie Montessori (Montessori, 2016). Bien que la porosité ne semble pas naturelle dans le paradigme français actuel, certains titulaires s’y essayent pourtant dans leur institution éducative et/ou s’impliquent dans des structures éducatives parallèles, qui exercent dans des conditions souvent précaires et ne survivent généralement que grâce au bénévolat des intervenants. Les pouvoirs publics successifs ne s’opposent pas forcément à la présence de ce "petit serpent alternatif de la connaissance", de même qu’il soutient financièrement les établissements sous contrat (dont confessionnels). Un communiqué du Conseil constitutionnel du 26/01/2017 récusait même un texte législatif visant le durcissement du régime de déclaration des établissements libres. Toujours est-il que le "mammouth" (Mazeron, 2010) perçoit l’essentiel des immenses ressources financières consacrées aux enseignements massifiés et à leurs adjuvants (périscolaire, parascolaire). Selon l’AFP, l’Education est en effet le premier poste de dépense du budget de l’état en 2018, avec 51,3 milliards d’euros alloués, devant la Défense (34,2). Et pourtant, de nombreuses familles recourent encore à leurs deniers personnels pour payer des cours de soutien et particuliers à leurs enfants inscrits dans le système scolaire, entraînant le fleurissement d’un immense marché éducatif privé.

Enjeu : introduire la coopération en contexte éducatif massifié ?

L’usage tend à consigner l’utilisation des termes « éducations alternatives » aux lieux alternatifs qui les mettent en œuvre, le plus souvent de façon exclusive. Leur pratique en contexte éducatif massifié préfère employer de façon plus atténuée l’expression « utilisation de pédagogies alternatives ». Jean Jaurès aurait-il pu appliquer à ce souci de précision linguistique sa célèbre sentence : « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots » (Leprince, 2010) ? Plus sérieusement, toute la question est de savoir s’il est possible, en se référant à certains principes et valeurs des approches alternatives, d’introduire des modalités pédagogiques particulières dans les structures éducatives dominantes comme par exemple la coopération entre pairs, en dépit de l’inertie au changement et des habitus contraires ? Ou dit autrement, est-il possible et à quelles conditions, de travailler en dehors du « mainstream » éducatif, dans une problématique proche par exemple de celle de l’implantation des Zones d’Autonomie Temporaire (Bey, 2014) ? Remarquons d’abord que la dénomination « Sciences de l’éducation » se fait au pluriel, ce qui admet l’existence d’au moins deux, voire de plusieurs pratiques éducatives possibles, dont les caractéristiques se différencieraient de celles d’une doxa dominante. L’énumération de ces principes est aisée, puisqu’ils ont donné leur nom à la plupart des grands courants pédagogiques alternatifs, comme la pédagogie intégrale, coopérative, de projet, égalitaire, démocratique, libertaire… Les pédagogues innovants qui les ont fondés ou promus sont la plupart du temps influencés par cette sorte de "sainte trinité laïque" Montessori-Freinet-Steiner, dont les préceptes éducatifs sont plus ou moins acceptés selon les orientations des politiques éducatives en fonction des époques et des milieux concernés. Un des objectifs visé par ces penseurs et praticiens originaux est le plus souvent l’émancipation du sujet apprenant, en le rendant par exemple le plus parti prenante possible de sa formation, conformément aux directives de la Convention internationale des droits de l’enfant dont la France est signataire. Pour cela, les pédagogies alternatives mobilisent systématiquement moyens, façons de procéder et outils techniques usuels ou spécifiques, et les utilisent pragmatiquement dans cette orientation. Ces pratiques utilisent abondement l’ingénierie pédagogique et adoptent une posture centrée sur l’apprenant. Parmi les outils, notons ceux des techniques de communication et ceux de la cognition mis au service du déploiement d’une intelligence collective. Par exemple, la programmation-neuro-lingistique (PNL), l’analyse transactionnelle et les instances du moi, la communication nouvelle et vivante (anciennement Communication non violente ou CNV), les gestes mentaux (De La Garanderie, 1999), les profils psycho-cognitifs, les intelligences multiples (Gardner, 1997), les neurosciences (Alvarez, 2016) etc… A partir d’un thème ou d’une situation-problème spontanée ou amenée par l’enseignant, qui adoptera ensuite une posture d’animateur/personne ressource, il sera cherché à faire travailler sur un temps significatif le groupe-classe dans son ensemble. Par moments, des sous-groupes seront constitués. Ils auront chacun un rapporteur/délégué chargé de restituer ensuite les réflexions ou le travail produit à l’ensemble du groupe-classe, comme avec par exemple la technique Philips 66 (Cristol, 2014). La collecte de ces retours pourra servir à construire une carte-mentale (mind map) articulant les productions des uns et des autres dans le but d’une mise en perspective collaborative, coopérative ou participative du travail des élèves/apprenants. Mais cela est-il suffisant pour atteindre un but qui se veut émancipateur, tant sur le plan individuel que collectif ? Dans un premier temps, est-il possible de mettre en pratique ce type de démarche et d’appliquer quelques unes de ses valeurs sous-jacentes dans le contexte éducatif actuel dominant d’une éducation "de masse", comme par exemple la question de la coopération, accompagnée des attitudes et des comportements afférents ? Ceci afin d’ouvrir la voie à l’autonomie dans un groupe, puis celle de l’autoréflexion et enfin de permettre l’actualisation du potentiel de responsabilité et d’accroissement personnel et collectif de chacun ?

Hypothèse : le changement personnel et professionnel, pour et par les parties prenantes, hic et nunc ?

Ne tiendrait-il pas qu’aux acteurs que leurs méthodes de formation se poursuivent à l’identique ou bien qu’elles ne changent et évoluent ? N’appartient-il pas à chacun de décider d’exercer son pouvoir d’agir (Nietzsche, 1991) face à une orthodoxie supposée du Ministère de l’Éducation nationale ? Bien évidement, il est déjà possible d’agir en privilégiant des démarches coopératives tout en respectant les cadres légaux de l’exercice professionnel, grâce notamment à l’exercice de la liberté pédagogique. Le code de l’éducation du "corps des fonctionnaires du service public de l’éducation" énonce en effet que : « la liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection. Le conseil pédagogique prévu à l’article L. 421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté » (article L.912-1-1 du Code de l’éducation). La liberté pédagogique se décline également dans l’enseignement supérieur sous la dénomination de « liberté académique ». Elle y est même renforcée : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent les lois et règlements en vigueur ainsi que les principes d’objectivité conformes à l’éthique universitaire » (article L. 952-2 du code de l’éducation relatif aux dispositions réglementaires en matières de cursus et de diplômes ainsi qu’aux exigences de la science). Mieux que cela, « à l’égard des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs, les universités et les établissements d’enseignement supérieur doivent leur assurer les moyens d’exercer leur activité d’enseignement et de recherche dans les conditions d’indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle » (code de l’éducation, article L123-9). Dès lors, comme pour ce qui concerne la création en matière artistique, ce sont les contraintes du cadre (réglementaire ) qui vont permettre que se déploie la créativité pédagogique des acteurs de l’éducation dans le sens de l’intérêt des élèves et des étudiants (si c’est bien ce qui est recherché), plutôt que de chercher à appliquer à la lettre et dans les temps impartis des programmes avec des objectifs d’apprentissages disciplinaires uniformisés dans lesquels la prise en compte de la diversité des modalités d’apprentissage humaine ne semble apparaître que fort peu prise en compte. Cette liberté pédagogique, qui peut prendre des voies et des expressions très variées (Rogers, 1973 ; Pineau, 2005) va jusqu’à instaurer de nouvelles capacités relationnelles entre enseignants et enseignés, comme entre collègues personnels administratifs, dès lors que les peurs intérieures, les auto-blocages et les entraves sont entendus au lieu d’être refoulés et traités en conséquence.

Matériel : un cours de "Suivi tutoré" en mode coopératif

A l’Espé de l’académie de Paris, nous sommes en charge d’un cours intitulé "Suivi tutoré" à destination des futurs professeurs des écoles. Nous en proposons une analyse avec deux groupes d’étudiants, sur deux années (soit 4 groupes). Ces Masters 1ère année, en petits effectifs de 8 à 12 élèves, préparent en même temps et le concours de recrutement de l’Éducation nationale et le passage en Master 2. Nous sommes donc dans une situation particulière à fort enjeu où la coopération pourrait sembler individuellement anti-productive, du fait de la préparation d’un concours. Nous essayons de rendre cet enseignement le plus interactif d’une part et coopératif d’autre part en encourageant les étudiants à devenir acteurs de leurs apprentissages, notamment en les laissant choisir de travailler sur les sujets qui leurs sont les plus utiles de leur point de vue, ce qui dépend de leur parcours personnel, rapporté dans la vie du groupe. Ce cours initialement de neuf séances de 2 h chacune (et réduit la deuxième année à 6 séances) s’appuie sur l’utilisation d’un espace numérique de travail. Cette plateforme sur Moodle centralise un forum dédié aux informations concernant le déroulé du cours, propose des ressources (techniques, documentaires etc.), déposées par nous-même ou par les étudiants. Elle comprend des zones de partage de recherche en commun (faites en temps synchrone et asynchrone) et des zones de dépôt de travaux (faits en dehors ou en fin des heures de classe). Ce cours a pour objectif premier de préparer d’abord et d’analyser ensuite trois stages en classe prévus dans le cursus : un stage d’observation et deux stages de pratique accompagnée, qui donnent lieu à la rédaction de deux rapports (la nouvelle maquette de formation ne propose maintenant plus que deux stages). Le premier rapport est axé sur l’observation de deux compétences à choisir parmi les quatorze communes à tous les professeurs et personnels d’éducation et/ou parmi les cinq compétences communes à tous les professeurs, tel que énumérées dans le « référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation » . Le second rapport consiste à analyser une fiche de préparation élaborée et mise en œuvre par un binôme d’étudiants, au prisme des deux compétences suivantes : "Maîtriser les savoirs disciplinaires et leur didactique" (P1) et "Organiser et assurer un mode de fonctionnement du groupe favorisant l’apprentissage et la socialisation des élèves" (P4). La dimension coopérative peut être explorée comme voie de travail possible pour cette dernière compétence (notamment au travers de la pratique des ateliers d’enfants, dès le pré-scolaire). Ce cours est aussi l’occasion d’approfondir les observations et connaissances en vue de la construction de l’identité professionnelle des étudiants en formation. Pour cela, il convient d’élaborer et d’appliquer des méthodes appropriées, comme celles liées à l’observation de classe. Il est donc notamment prévu de travailler sur ces questions : qu’est-ce qu’observer ? Quoi observer ? Comment le faire : avec quels outils et selon quels critères ? Quels supports utiliser : enregistrements, photos, audio... ? Quelle élaboration de rapports, traces, rendus... ? L’ordonnancement et le contenu des étapes des interventions coopératives ont émergé empiriquement au fur et à mesure de notre propre auto-formation aux pratiques d’enseignements coopératifs (stages, ouvrages, échanges, correspondance) et s’est affiné avec le temps. Dès le début du cours, nous annonçons aux étudiants que nous attendons d’eux une attitude de partage coopératif : retours (debriefing), analyses, questions, évaluations, échanges, recherches… Le déroulé du cours inaugural (seul cours en mode « frontal ») se poursuit par une présentation croisée des étudiants entre eux. Par paire, pendant deux minutes, l’un des deux se présente à l’autre qui écoute et prend des notes (parcours, licence, lieu d’obtention, attentes sur le cours, hobbies et informations diverses). Puis les rôles s’inversent (celui qui écrivait parle, celui qui parlait écoute et note). Chacun présente ensuite son binôme au groupe-classe. Cet exercice est généralement très apprécié car vécu sur un mode ludique et distancié. Pour finir, nous posons au groupe-classe quelques questions sur les motivations professionnelles qui leur ont fait choisir ce cursus. Les réponses se font par écrit et ne sont pas relevées. Nous encourageons ceux qui le veulent à les partager avec le groupe. Généralement, en ces débuts d’année universitaire, rares sont ceux qui osent prendre la parole et s’exposer publiquement, malgré le moment de détente précédent. Nous poursuivons ensuite avec un travail collectif relayé au vidéo-projecteur. Il consiste à produire un tableau listant, dans une première colonne les "valeurs fondatrices personnelles" des étudiants, et dans trois autres colonnes leurs représentations des caractéristiques de l’école au fil du temps : autrefois (colonne 2), aujourd’hui (col. 3) et demain (col. 4). Chaque colonne est remplie l’une après l’autre avec les mots et concepts énoncés par chacun, sans commentaires.

Une réflexion en groupe s’amorce alors pour mettre en relief les différences et similitudes entre les valeurs personnelles des étudiants et celles qu’ils associent à l’institution à laquelle ils ont décidé de consacrer leur vie professionnelle (jusque là). L’observation la plus courante est la projection dans le futur de ce qu’ils portent déjà en eux et qu’ils ne trouvent pas (assez) dans le passé ou le présent. La conclusion s’impose alors d’elle-même : il ne dépend que de leur attitude d’obtenir l’environnement qu’ils souhaitent puisque, en définitive, l’école pour laquelle ils comptent œuvrer est en grande partie composée… d’eux-mêmes. Nous poursuivons avec des contenus liés aux conditions d’exercice du métier souvent peu mentionnés (DDHC, Cide) et terminons par un échange collectif autour de questions pédagogiques. Par la suite, tous les cours suivants sont conçus et conduits par les élèves eux-mêmes à tour de rôle (seuls ou en binôme), sur proposition spontanée ou encouragée. Ils endossent la responsabilité du choix des thèmes et du déroulement des activités de formation, et nous envoient au préalable (dans le meilleur des cas) une fiche de préparation classique de leur séance (objectifs, contenus, mise en œuvre, évaluation…). En période de stage, il s’agit le plus souvent de partages avec le groupe, à tour de rôle ou par deux, avec d’abord des impressions informelles ("quels sont les faits marquants que vous retenez de votre stage") poursuivis par une analyse raisonnée, en vue de l’écriture des rapports. En dehors des périodes de stage, le travail se fait sous forme de recherches coopératives sur des thèmes variés (exemples proposés : le monde syndical enseignant, les grilles indiciaires, l’exercice du droit de grève, la réforme des rythmes scolaires...) à choisir ensemble et à travailler par petits groupes de deux à trois personnes sur poste informatique en salle multimedia (environ 15 postes), avec thésaurisation en temps-réel sur une plateforme d’écriture collaborative commune et suivie d’une restitution par chaque groupe au collectif-classe en fin de séance. Nous avons choisi le site d’écriture collaborative Titanpad pour mener et enregistrer ces travaux car il supporte un nombre de scripteurs simultanés élevé et il n’est pas nécessaire d’ouvrir un compte pour s’en servir (facilité d’accès). De plus, un bouton time slider permet de "rejouer" l’historique de l’écriture du texte tel qu’il s’est inscrit au fur et à mesure de son élaboration collective, ce qui donne un aspect très vivant et révèle de surcroit les apports de chacun (une couleur est appliquée à chaque scripteur). Enfin, il est doublé d’un chat (espace de communication textuel synchrone) permettant d’envoyer en cours d’utilisation des messages généraux ou de s’adresser à un groupe ou à une personne en particulier. Voici quelques exemples de thèmes de recherches retenus et traités au cours de ces séances : « l’enseignement à l’école primaire » (quatre groupes de travail se répartissant quatre sous-thèmes) ; « le monde syndical enseignant » (trois groupes) ; « les partenaires du maître, dans ou à coté de sa classe » (sept groupes). Ces séances sont assez prenantes car les deux heures de cours passent très vite : quinze minutes de mise en train, une heure de recherche collective, quarante-cinq minutes de restitution (chaque étudiant ne prenant que cinq minutes pour présenter tout son travail). Il est nécessaire de tenir au plus prêt ce timing serré, le chat servant surtout à faire passer les infos sur le temps de travail restant avant la restitution (en plus d’un rappel oral).

Analyse du point de vue du développement personnel, professionnel et collectif

Il y a eu plusieurs réactions de rejet ou de mise à distance lors des séances de « travail de recherche en groupe ». Quelques étudiants faisaient des activités sans rapport (comme des sms ou de la lecture) ; certains n’ont pas voulu poursuivre après une première séance, estimant perdre leur temps et n’ont plus assisté du tout au cours (l’assiduité n’étant pas une contrainte suffisamment forte pour les faire venir s’ils estimaient avoir mieux à faire ailleurs). Ces comportements s’expliquent peut-être par un esprit critique déjà bien affirmé qui refuse des thèmes jugés inintéressants bien que les étudiants aient eu la liberté de les choisir. Mais plus probablement indiquent-ils une préférence à poursuivre un intérêt personnel qui les portait vers des activités jugées plus prioritaires. Car cet enseignement a souffert d’un biais énorme dans la maquette de formation : il n’y a pas d’évaluation ni de notes données autres que celles des rapports de stages rendus. Les activités annexes étaient donc ressenties, dans ce système éducatif à évaluation classique, comme étant en (sur)plus des cours préparant au concours et donc ne valant souvent pas la peine de s’y investir (malgré, à nouveau, la possibilité offerte de travailler d’autres thèmes, comme ceux directement en lien avec le concours). L’obsession de la préparation traditionnelle du concours (bachotage) est donc souvent restée forte. Notons également la résistance d’autres qui ne voulaient plus travailler en binôme pour le deuxième compte-rendu de stage. Leurs refus étaient soient techniques (stage effectué seul ou avec une personne d’un autre groupe) ou résultaient au pire de la difficulté d’arriver à bien s’entendre avec leur pair, reflétant donc une difficulté intrinsèque à coopérer (avec pour l’un d’eux un dénigrement presque injurieux). En revanche, nous avons constaté que le travail coopératif fonctionnait plutôt bien lorsqu’il se faisait pendant le cours et sous ma supervision (étant généralement placé en fond de salle pour avoir une vue d’ensemble de l’avancée des travaux des groupes et pouvoir intervenir à la demande des étudiants). Nous pouvions aussi stimuler, encourager et questionner les étudiants, comme à l’occasion des tableaux à remplir en groupe-classe ou pour les Titanpad collectifs réalisés en petits groupes. Dans cette configuration de travail, les étudiants ont donc pu mener leurs recherches seuls ou par groupe de deux ou trois maximum car au-delà, la cohésion interne est plus difficile à maintenir. Ces groupes ne se sont pas figés d’un cours à l’autre, les équipes se sont recomposées presque à chaque fois. Il nous semble que le travail acquiert plus de sens, et donc d’intérêt, lorsque ce sont les élèves qui définissent eux-mêmes les thématiques exploitées en fonction de leurs intérêts du moment (la laïcité, la motivation, l’aide personnalisée...) plutôt que l’enseignant (qui peut apporter une vision à plus long terme, en questionnant par exemple la connaissance du monde syndical enseignant, le fonctionnement des structures éducatives ou les partenaires de la classe). L’enseignant/formateur initial devient alors un facilitateur, un ouvreur de chemins qui peut témoigner de sa pratique et de ses observations, qu’il essaie de rendre congruentes avec ce qu’il montre consciemment et inconsciemment de lui-même (tempérament, gestion des émotions, rigueur intellectuelle…). Le véritable travail d’apprentissage est finalement opéré par le sujet apprenant lui-même, s’il désire progresser réellement ou si on lui insuffle suffisamment ce désir, dans un cheminement qui lui est propre et qui s’opère en accompagnement (qui signifie étymologiquement « partager le pain ») avec celui des autres membres du groupe.

Evaluation et discussion

Le résultat d’une coopération entre pairs en contexte universitaire sous tension de concours rencontre rapidement des limites. Par exemple, deux wikis (une autre forme d’écriture collaborative sous forme d’articles cette fois) avaient été mis à disposition après le premier cours sur la plate-forme pour être complétés par les étudiants sur la question de "l’observation de classe" avec ces canevas déclencheurs : 1 – "Quoi observer ?" (en se reportant notamment au référentiel professionnel enseignant présenté précédemment). Par exemple concernant l’arrivée dans l’école : l’accueil du directeur, la salle des professeurs, les personnels non enseignants… ; ou encore la prise de classe le matin, la gestion de classe… 2 – "Comment observer : quels outils et selon quels critères ? ". Aucun des groupes n’a utilisé ces wikis qui étaient proposés sur un mode de participation volontaire en dehors temps de classe. Il est probable que chacun s’est satisfait des possibilités rapidement présentées lors du premier cours sans ressentir le besoin de les compléter ni l’envie de les partager communautairement en faisant un travail en ligne supplémentaire et non noté. Egalement, les étudiants ont été peu motivés pour choisir des thèmes de travail comme cela leur avait été demandé. Le forum du cours en ligne intitulé : "préparation de vos interventions en cours de tutorat à l’Espé", avec pour consigne : "Ouvrez un fil de discussion avec ce que vous compteriez/souhaiteriez exploiter à chaque rencontre : exposé, travaux de groupe, analyse de matériel (notamment de manuels scolaires), analyse de travaux d’élèves, élaboration d’un portefeuille de compétences", est lui aussi resté vierge de propositions. Nous avons dû proposer et aider au choix de thèmes au début de chaque séance pour être sûrs d’avoir des candidats pour prendre en main le cours suivant… Pour répondre à notre question initiale, le travail coopératif en situation concurrentielle est-il antinomique, les évaluations orales du cours faite avec les étudiants à la fin de la dernière séance font état que c’est d’une bonne construction avec eux des modalités de fonctionnement du groupe d’une part et par l’explication des finalités poursuivies d’autre part, comme dans le principe du « contrat pédagogique » (Morandi et La Borderie, 2006), que dépend l’issue du « mariage éducatif » d’un travail coopératif entre élèves. Cette métaphore d’un mariage blanc d’une proposition coopérative de l’enseignant à mettre en œuvre par les étudiants débouchera au mieux sur un apprentissage utile et heureux s’ils entrent dans le jeu, ou bien s’orientera vers une simple communauté de bien réduite aux acquêts (attendus minimum rendus par les élèves) ou enfin au pire, aboutira à une séparation des corps et des esprits (refus d’entrer dans les activités).

Conclusion : vers la stratégie du colibri ?

Le cadre et le contexte éducatif global des étudiants sont des déterminants prégnants qui influencent l’acceptation ou le rejet de travailler en coopération. Dans notre cas, il s’agissait d’un contexte concurrentiel de fond pour préparer un concours qui ne retiendrait que ceux qui réaliseraient les meilleures performances attendues. Certains groupes d’étudiants ont joué naturellement le jeu de la coopération en centralisant et en partageant informations et ressources sur des plateformes de formation et extra-académiques (des réseaux sociaux publics), alors que d’autres se verrouillaient dans une logique individualiste du "chacun pour soi". La question d’une organisation d’ensemble favorisant l’interdépendance entre les étudiants mériterait sans doute d’être approfondie en vue d’un bon enrôlement dans les tâches. Pierre Rabhi (2011), agro-écologiste, philosophe humaniste et fondateur du réseau alternatif "les colibris", aime à raconter cette histoire traditionnelle : "un jour, un immense incendie se propage dans la forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, assistent impuissants à ce désastre. Seul le petit colibri s’active, allant chercher goutte après goutte de l’eau dans une mare pour la jeter de son petit bec sur le brasier. Et il le fait encore et encore, sans se décourager. Passé un moment, le tatou, intrigué de cette agitation semblant dérisoire lui dit : « Colibri ! N’es-tu pas fou ? Ce n’est pas avec ton petit bec que tu vas éteindre le feu ! ». Et le colibri de lui répondre : « Je le sais bien, et pour autant, je fais ma part ». Ainsi chacun peut-il faire sa part, là où il en est et là où il se trouve. Et c’est bien ce que nous avons choisi de faire, même si notre approche puisse sembler minimaliste. Mais alors, suffit-il simplement de changer nos comportements et nos manières d’enseigner pour influencer suffisamment ceux avec qui nous sommes en relation, par la vertu de l’exemple, et aboutir finalement par contagion à une transformation des systèmes dans lesquels nous participons et à la reproduction desquels nous œuvrons (Bourdieu, Passeron, 2005) ? Choisir une approche qualitative et humaniste de l’enseignement par la mise en pratique d’actions coopératives peut amener à toucher la dimension existentielle et transpersonnelle des personnes impliquées, au travers du travail réalisé en commun. Ces aspects sont depuis longtemps étudiés et bien documentés (Descamps, 1993 ; Weil, 1963). Le Réseau des écoles de citoyens (Récit) a ainsi hébergé un groupe de travail portant sur la thématique "transformation personnelle / transformation sociale" auquel ont participé des enseignants comme Bruno Mattéi (2007), professeur honoraire de philosophie et membre du collectif "École, changer de cap" et Antoine Valabrègue (2010), professeur honoraire de mathématiques, membre de la plate-forme "A l’école du possible". Nous avons publié à plusieurs un ouvrage sur ces sujets pour en faire émerger des principes et des matériaux par une méthode sensible, conceptuelle et concrète (Pasquier et al., 2017). Il semble que les communautés éducatives de l’enseignement supérieur communiquent avec assez peu de visibilité sur les pratiques éducatives autres que les plus répandues. Par le dialogue, nous découvrons pourtant l’existence de nombreux "maîtres invisibles" (Torregrosa, 2012) exerçants dans les systèmes d’enseignements classiques. Ces enseignants tranquilles et discrets (Mallet, 1998) n’hésitent pas à utiliser - et même à privilégier - les approches coopératives dans les apprentissages qu’ils mettent en œuvre. Ils sont comme une foule de solitaires qui ne s’identifie pas encore bien, en raison principalement d’un manque de communication dû peut-être à la crainte de réactions d’incompréhension de leurs collègues, des étudiants ou de leur structure éducative d’exercice. Alors, comment amplifier l’usage de ces méthodes alternatives qui visent in fine le bien-être et l’épanouissement des sujets de l’éducation ? Sujets que d’aucuns cherchent à faire devenir acteurs pour les dés-assujettir ? « Soyons nous-même le changement que nous voulons voir advenir dans le monde » disait Gandhi. Si chacun ose agir selon ses intimes convictions, avec bienveillance et fraternité dans le respect de la devise républicaine, alors peut-être n’aurons nous plus besoin de nous abriter derrière des structures éducatives et sociétales pouvant être vécues comme oppressantes envers l’individu. « Coopérer » serait alors à la fois un chemin d’évolution et un mode de fonctionnement permettant d’aller vers le bien vivre ensemble, et aussi, qui sait, une voie possible d’évolution du champ des éducations alternatives vers celui des alternatives à l’éducation.

Références bibliographiques

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Original en portugais : Transdisciplinaridade e educação do futuro

Original en espagnol : Transdisciplinaridad y Educación del Futuro