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Elsa Dorlin

La matrice de la race

Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française

présentation de l'éditeur

Elsa DORLIN, La matrice de la race - Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française . Paris, La Découverte, 2006.

Paru le : octobre 2006 - Éditeur : La Découverte, Paris - Reliure : Broché - Description : 307 pages (225 x 140 mm) - ISBN-10 : 2707148814 - ISBN-13 : 978-2707148810 - Prix : 27 €

A lire sur TERRA : le résumé, la table des matières, le chapitre 10 en texte intégral

Mots clefs

L’auteur :

Elsa Dorlin est maître de conférences en philosophie à l’université Paris-I. Ses travaux portent sur le racisme, l’histoire des sciences et les théories féministes. Ses thèmes de recherche : Philosophies féministes, études sur le genre et les sexualités. Esclavage, colonialisme, post-colonialisme (histoire des idées, des luttes et des mouvements des diasporas noires, Black feminism). Histoire et philosophie de la médecine (corps, santé, nation) Théories sexistes et racistes modernes. Son site : WEB

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A lire sur TERRA, le chapitre 10 "Généalogie du racisme", pp. 210 à 230.
Avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur.

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PRESENTATION :

La race a une histoire, qui renvoie à l’histoire de la différence sexuelle.

Au XVIIe siècle, les discours médicaux affligent le corps des femmes de mille maux : « suffocation de la matrice » « hystérie », « fureur utérine », etc. La conception du corps des femmes comme un corps malade justifie efficacement l’inégalité des sexes. Le sain et le malsain fonctionnent comme des catégories de pouvoir. Aux Amériques, les premiers naturalistes prennent alors modèle sur la différence sexuelle pour élaborer le concept de « race » : les Indiens Caraïbes ou les esclaves déportés seraient des populations au tempérament pathogène, efféminé et faible.

Ce sont ces articulations entre le genre, la sexualité et la race, et son rôle central dans la formation de la Nation française moderne qu’analyse Elsa Dorlin, au croisement de la philosophie politique, de l’histoire de la médecine et des études sur le genre. L’auteure montre comment on est passé de la définition d’un « tempérament de sexe » à celle d’un « tempérament de race ». La Nation prend littéralement corps dans le modèle féminin de la « mère », blanche, saine et maternelle, opposée aux figures d’une féminité « dégénérée » – la sorcière, la vaporeuse, la vivandière hommasse, la nymphomane, la tribade et l’esclave africaine.

Il apparaît ainsi que le sexe et la race participent d’une même matrice au moment où la Nation française s’engage dans l’esclavage et la colonisation.

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TABLE DES MATIERES :

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Préface - Par Joan W. Scott

Introdution

I / Les maladies des femmes

1. Le tempérament
- La fabrique du sexe
- Les philosophies de l’égalité des sexes

2. La maladie a-t-elle un sexe ?
- Engorgées, suffoquées, obsédées
- L’hystérie : protée ou chimère ?

3. Des corps mutants : prostituées, Africaines et tribades
- Un précédent : les « mules du démon »
- Furieuses et fricatrices

4. Fureur et châtiments
- De la fureur à la nymphomanie
- Reféminiser les Européennes -

II / L’engendrement de la nation

5. Les vapeurs de la lutte des classes

- Les vigoureuses paysannes : un modèle transitoire de santé
- Domestiques nymphomanes et bourgeoises hystériques

6. La naissance de la « mère »
- L’élaboration d’un concept de santé féminine
- La rhétorique féministe des médecins natalistes

7. Épistémologie historique des savoirs obstétriques
- Matrones et sages-femmes
- Secrets des femmes vs science obstétrique

8. Le lait, le sang, le sol
- Une démiurgie monstrueuse : les nourrices
- Du dépeuplement à la dégénérescence
- Hybridité des peuples et marchés aux esclaves

III / La fabrique de la race

9. La Nation à l’épreuve des colonies
- La question de l’autochtonie
- Du corps colonial au corps national

10. Généalogie du racisme
- L’émergence du concept moderne de la race
- Du tempérament de sexe au tempérament de race

11. Les « maladies des nègres »
- Médecine coloniale et médecine esclave
- L’esclavage, un régime de santé
- De la pathologisation à la racialisation

Épilogue : Défaire la race

Bibliographie

Index des notions.

HAUT DE PAGE

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chapitre 10 : Généalogie du racisme

© Editions La Découverte, 2006 - Elsa DORLIN, La matrice de la race ; pp. 210 à 230.

HAUT DE PAGE

L’émergence du concept moderne de race

En 1684, paraît anonymement dans le Journal des Sçavans un texte intitulé Nouvelle division de la Terre par les différentes espèces ou races d’hommes qui l’habitent. L’auteur est François Bernier, disciple du philosophe Gassendi et voyageur. Ce texte est considéré comme le premier écrit en langue française où le terme de « race » reçoit son acception moderne [1]. François Bernier rappelle que, jusqu’ici, seuls les géographes s’étaient chargés de diviser la terre en différents pays ou régions, traçant les frontières naturelles, territoriales et politiques du globe. Il propose, pour sa part, une nouvelle division sur la base d’un critère à la fois plus infaillible et plus pratique. Les cartes géographiques ont un défaut majeur : elles identifient des territoires et des nations et non les hommes qui y circulent. Dans ces conditions, comment connaître l’origine de tel ou tel voyageur, de tel ou tel migrant ou de tel ou tel colon ?

François Bernier élabore ainsi une nouvelle méthode pour connaître la « Race » ou l’« Espèce » des hommes. Malgré les différences physionomiques entre les individus, ce dont témoigne la singularité de tout visage, les hommes ont en commun certains traits qui permettent de les répartir en quelques grandes familles. Les avantages de ce nouveau critère tiennent au fait qu’il est « dans les hommes [2] », ce qui permet de fonder une nouvelle division de la Terre selon quatre ou cinq « races ». Autrement dit, le terme de « race » se présente pour la première fois comme une détermination endogène, un principe de discrimination qui transcende les familles, mais aussi les frontières politiques et culturelles de la terre, rendu nécessaire en raison de l’intensification des migrations.

Bernier divise les hommes en quatre grands groupes. Le premier est réparti sur une zone qui va de l’Europe jusqu’au Nil, en passant par l’Asie, la Perse et les Maldives. Le second s’étend sur le continent Africain, à l’exception des habitants du Nord. Bernier prend pour caractéristique commune de cette « race », la couleur noire de peau des Africains, quel que soit le climat dans lequel on les transporte [3], ce qui justifie d’en faire une « race » à part. Il relève également comme caractéristique distinctive de ces hommes qu’ils sont presque imberbes. Cette dernière considération reprend un topos de la caractérologie de l’époque, selon laquelle l’indistinction des caractères sexués est un signe d’infériorité et de basse naissance. Comme le rappelle Sylvie Steinberg, « la juste différence des sexes est l’apanage des gens de bonne complexion qui ne sont pas dénaturés par une naissance ignoble et le labeur [4] ». On retrouve des considérations similaires dans les récits de voyages ou les traités naturalistes qui remarquent constamment combien les peuples dits « sauvages » ne sont pas ou peu physiologiquement différenciés sexuellement, ce dont témoignent classiquement l’absence de barbe chez les hommes et l’absence ou le peu de règles chez les femmes. Les systèmes racistes du milieu du XIXe siècle systématiseront de telles affirmations [5].

Le troisième groupe défini par Bernier comprend les habitants de Sumatra, des Philippines, de la Chine, du Gange, de la Moscovie et du Turkestan. Enfin, le quatrième contient exclusivement les Lapons, par rapport auxquels l’auteur se demande s’il faut encore les reconnaître comme appartenant à l’espèce humaine. Il s’appuie sur le rapport que lui ont fait quantité de personnes pour affirmer des Lapons que ce sont « de vilains animaux [6] ». Un cinquième groupe pourrait comprendre les Américains mais Bernier considère, comme dans les cas des Égyptiens qui sont pourtant noirs de peau, que le teint olivâtre des Américains ne constitue pas une différence suffisante pour en faire une espèce différente du premier groupe.

Bernier élabore et prend en compte un ensemble de traits : la taille, le dessin du visage, la couleur et la pilosité. Pourtant, après avoir exposé sa division de l’espèce humaine dans les premières pages de sa lettre, il passe rapidement à une seconde classification qui porte toujours sur l’humanité mais qui, cette fois, prend pour critère quasi exclusif de différenciation la beauté des femmes. On retrouve quatre grands groupes qui ne recouvrent pas tout à fait la première division. Le premier groupe comprend les femmes d’Égypte et du reste de l’Afrique. Bernier parle de certaines femmes à la beauté si surprenante, « qu’elles effaçaient à mon avis la Vénus du Palais Farnese de Rome [7] » : des femmes à la peau noire, mais au « nez aquilin » et avec une « petite bouche ». Ici, Bernier ne fait pas grand cas de la couleur de la peau.

  • « J’en ai vu à Moka plusieures toutes nues qui étaient à vendre, il ne se peut rien voir de plus beau au monde, mais elles étaient extrêmement chères, vendues trois fois le prix des autres [8]. »

Toutes les femmes auxquelles il fait référence dans son texte sont pour la plupart des esclaves et Bernier établit clairement une cotation du marché de l’esclavage sexuel sur la base d’un critère esthétique. Ainsi, les femmes du Gange, vers Bengale, sont

  • « généralement estimées. Celles du Kachemire encore davantage ; car outre qu’elles sont blanches comme en Europe ; elles ont une douceur de visage et une taille admirable ; aussi est-ce de là que viennent celles qui sont à la Cour Ottomane, et que tous les Grands Seigneurs ont auprès d’eux [9]. »

Enfin l’auteur continue son tour du monde et insiste de nouveau sur l’importation d’esclaves dans certains pays permettant d’améliorer les qualités esthétiques de telle ou telle famille royale ou de tel ou tel peuple :

  • « On ne peut pas dire que les femmes naturelles et originaires de Perse soient belles : cela n’empêche pourtant pas que la Ville d’Hispan ne soit remplie d’une infinité de très belles femmes, aussi bien que de très beaux hommes, à cause de ce grand nombre de belles esclaves qui leur sont amenées de la Géorgie et de la Circassie. Les Turcs ont aussi grand nombre de très belles femmes ; parce qu’outre celles du Pays qui ne sont pas laides, ils ont ces beautés Grecques dont vous avez si souvent ouïe parler, et outre cela une quantité prodigieuse d’Esclaves qui leur viennent de la Mingrelie, de la Georgie et de la Circassie, où de l’aveu de tous les Levantins et de tous les Voyageurs, se trouvent les plus belles femmes du monde [10]. »

La première classification anthropologique moderne en langue française est étroitement liée à des politiques d’amélioration physique des populations par le biais de l’importation de femmes esclaves. Chez Bernier, en effet, sa classification est en grande partie établie sur des critères esthétiques directement issus du barème des prix de vente des femmes de diverses régions du monde, déportées dans le cadre d’un trafic sexuel licite. La distinction raciale de l’humanité est donc fondée sur l’exploitation sexuelle des femmes comprise comme une technologie politique : technologie qui répond à une stratégie militaire relative à la puissance des États – des hommes sains et vigoureux forment une armée forte et résistante –, et à une exigence diplomatique de « rayonnement culturel » – des hommes beaux et de belle stature témoignent d’une supériorité physique et morale sur le reste du monde.

Nombre de savants européens ont construit leur anthropologie sur ces pratiques eugéniques : si l’empire Ottoman importe en nombre des femmes venues du Caucase pour améliorer la beauté de son peuple, cette politique prouve, aux yeux des naturalistes, que ces femmes sont unanimement considérées comme les plus beaux spécimens de l’espèce humaine. À la fin du XVIIIe siècle, Johann Friedrich Blumenbach désignera les principales « variétés humaines » sous le vocable de Caucasiens, Mongoliens, Éthiopiens, Américains et Malais. L’ensemble des hommes à peau blanche, vivant en Europe, étant prétendument issus du Caucase, cette région sera durablement considérée comme le creuset de la beauté et de la perfection humaines [11].

La plupart des spécialistes du racisme ont souligné l’importance du critère esthétique dans les premières classifications anthropologiques fixistes, sans tenter pour autant de comprendre l’attention particulière portée aux femmes. Londa Schiebinger, au contraire, a brièvement relevé l’importance accordée par Bernier à la question de la beauté, en soulignant son intérêt pour les marchés aux esclaves. De la même façon, elle montre que Johann Friedrich Blumenbach s’est largement appuyé sur la beauté attribuée aux femmes des diverses régions du monde pour établir sa classification anthropologique. « Cela ne veut pas dire que la beauté était déniée aux hommes. Dans la mesure, cependant, où l’environnement était réputé déterminer la beauté, les femmes – le sexe le plus délicat et le plus malléable – étaient considérées plus facilement influençables (on disait ainsi que les belles femmes ne pouvaient pas se rencontrer dans les régions où l’eau ou le sol étaient infertiles) [12]. » Effectivement, Bernier remarque que

  • « Les Indiens ont raison de dire qu’il ne se trouve pas de belles femmes dans les Pays où il y a de méchantes eaux, et où la terre n’est pas abondante & fertile. En effet la bonté des eaux et celle de la nourriture contribuent sans doute beaucoup à la beauté. »

Cela étant, Bernier continue en ces termes :

  • « Il n’est pourtant pas généralement vrai que partout où ces deux qualités se rencontrent les femmes y soient toujours belles. Cela dépend encore à mon avis de quelques autres conditions, qui sont que la beauté est plus rare et dispersée par cantons. Elle ne vient donc pas seulement de l’eau, de la nourriture, du terroir et de l’air, mais aussi de la semence qui sera particulière à certaines races ou espèces [13]. »

Autrement dit, selon Bernier, la beauté est également le fait d’une complexion interne dont la semence est l’extrait. Ainsi la physionomie de chaque « race » ou « espèce » serait le signe d’une complexion, dont les caractéristiques esthétiques, physiques et morales se transmettraient d’une génération à l’autre par la semence de chacun des deux parents. Outre le fait que Bernier utilise de façon inédite le terme de « race », appliquant au genre humain ce qui ne désignait que des familles de la noblesse [14], le point déterminant ici est le passage d’un principe de détermination externe – le climat, le pays et ses ressources – à un principe de détermination interne des individus et des populations.

L’ensemble des critères de classification anthropologique peut être analysé avec Colette Guillaumin comme autant de signes ou de « marques ». Lorsque Bernier parle des différentes « races » d’hommes, il effectue un geste déterminant dans la genèse du racisme. Il abandonne non seulement un système de marques statutaire, conventionnel ou contractuel (le vêtement, la coiffe, le fer rouge, le blason, etc.) par définition réversible, mais également un système de marques culturel ou environnemental (le climat, la nourriture, les régimes politiques, etc.). Il passe ainsi à un système de marques prétendument naturelles, évidentes, existant à la fois indépendamment et antérieurement à celui qui les appréhende [15]. En d’autres termes, il naturalise la « race ». Selon lui, il existe différentes espèces ou races d’hommes sur terre, en raison d’une cause interne qui produit des physionomies aux caractéristiques esthétiques et physiques distinctes. Prise en ce sens, la « race » est comprise comme l’effet du tempérament, du « naturel », et non celui du climat : on ne change pas de « race », en changeant de latitude. En ce sens, on peut dire que Bernier articule sa classification anthropologique autour d’une « unité close endo-déterminée » pour reprendre l’expression de Colette Guillaumin. Cette unité est le tempérament.

En 1719, un voyageur embarqué sur un bateau négrier remarque que les enfants des esclaves africaines naissent blancs et foncent progressivement :

  • « A quoi attribuer ce changement, ou au climat et à l’air du pays, ou au sang et au tempérament de ces hommes. Je vous en laisse le juge, très cher lecteur, et sans vouloir en aucune façon faire passer mon sentiment pour décisif, je dis que ce changement doit plutôt être attribué au tempérament des nègres qu’au climat, et à l’air ; parce qu’en quelqu’autre pays que les nègres engendrent avec des négresses, leurs enfants deviennent également noirs dans la suite, quoi qu’ils naissent blancs ; et les blancs qui engendrent avec des blanches dans les pays des nègres produisent des enfants qui naissent non seulement blancs, mais qui conservent leur même blancheur pendant toute leur vie [16]. »

Ainsi, ce qui marque l’Autre comme différent, n’est plus un ensemble de traits aléatoires ou variables, mais bien une identité génétique, une cause interne.

Au début du XVIIIe siècle, le tempérament apparaît ainsi comme un instrument de naturalisation des différences anthropologiques, condition de possibilité à l’élaboration du concept moderne de race. En ce sens, les auteurs qui investissent le concept de tempérament s’opposent plus ou moins fermement à ceux qui continuent de penser que les différences anthropologiques sont le fait de facteurs extérieurs, au premier rang desquels on trouve le climat. Plus précisément, la tradition inaugurée par Bernier tend à redéfinir le tempérament de telle sorte qu’il puisse s’autonomiser de la théorie du climat. La théorie du climat a certes permis une distinction et une hiérarchisation des peuples, comme en témoigne l’œuvre majeure de Buffon. Toutefois, elle pose un certain nombre de difficultés dès lors qu’il s’agit de différencier et de naturaliser les rapports de pouvoirs entre les peuples, non plus de façon abstraite dans le cadre d’histoires naturelles, mais en contexte colonial.

Buffon s’inspire explicitement de Bernier, notamment sur la question de la beautédes femmes des diverses régions du monde, mais il ne partage pas sa position quant à une division de l’espèce humaine en plusieurs « races » distinctes. Dans le cadre d’une démonstration du monogénisme, Buffon pose que le blanc est la couleur primitive de l’homme. Les autres nuances que l’on remarque chez les différents peuples du monde s’apparentent à une « dégénération », c’est-à-dire à des écarts relatifs à un modèle, à une « empreinte » originaire. La modification des qualités premières de l’espèce, sous l’influence de leur histoire naturelle et, dans le cas des hommes, de leur histoire culturelle et politique, donne lieu aux variétés existantes. Pour Buffon, à la différence de Bernier, la couleur, la stature, la physionomie comme le tempérament ou le « naturel » sont les effets du climat.
Toutefois, le système monogéniste de Buffon n’empêche pas une certaine hiérarchisation des peuples L’homme blanc vivant dans un climat tempéré se rapproche le plus de ce que devait être le « moule » originaire : il est le prototype de l’espèce humaine [17]. Par conséquent, il incarne le mieux l’homme tel que l’a créé la Nature.

  • « Le climat le plus tempéré est depuis le 40e degré jusqu’au 50e, c’est aussi sous cette zone que se trouvent les hommes les plus beaux et les mieux faits, c’est sous ce climat qu’on doit prendre l’idée de la vraie couleur naturelle de l’homme, c’est-là où l’on doit prendre le modèle ou l’unité à laquelle il faut rapporter toutes les autres nuances de couleur et de beauté, les deux extrêmes sont également éloignés du vrai et du beau : les pays policés situés sous cette zone, sont la Georgie, la Circassie, l’Ukraine, la Turquie, d’Europe, la Hongrie, l’Allemagne méridionale, l’Italie, la Suisse, la France, et la partie septentrionale de l’Espagne, tous ces peuples sont aussi les plus beaux & les mieux faits de toute la terre [18]. »

Selon Buffon, le climat est le principe premier de variabilité de l’espèce humaine, suivent le régime et les mœurs, qui sont des facteurs déterminants mais qui dépendent dans une large mesure du premier. Comme l’écrit Michèle Duchet, « la beauté des corps, l’harmonie des visages, sont les signes visibles d’une parfaite adéquation entre le milieu et l’espèce. L’homme n’est pleinement homme que sous certaines latitudes : un vocabulaire emprunté à l’esthétique reflète un équilibre biologique, et les qualités de l’esprit vont de pair avec ces heureuses dispositions du corps [19]. » La conséquence ultime de l’histoire naturelle de Buffon n’est-elle pas que les Européens sont condamnés à dégénérer dans les colonies d’Amérique ? Dans quelle mesure le climat de la « Zone Torride » n’est-il pas le tombeau du beau « naturel » des hommes blancs, modèle de l’humanité ? Or cette dégénération s’accompagnera nécessairement d’une certaine dégénérescence morale des Européens transportés sous des latitudes brûlantes puisque selon Buffon lui-même les habitants de ces zones sont moralement dépravés, impudiques et plus enclin à la débauche.

Dans le texte sur la Variété dans l’espèce humaine, on trouve de nombreuses remarques sur les femmes des diverses régions du monde – remarques pour la plupart empruntées aux traités ou aux récits de voyages sur lesquels s’appuie l’auteur. Toutes ces considérations sur les femmes sont relatives à leur sexualité : soit elles ont trait aux objets que ces femmes jugent les plus désirables, soit aux attitudes qu’elles et leurs compagnons ont par rapport à la sexualité. À quelques exceptions près, en dehors des femmes des pays dits « tempérés », Buffon insiste sur la laideur des habitantes de certaines régions ou sur leur lascivité et leur manque de pudeur. Parlant des « Bengalois », il écrit par exemple : « Les femmes sont beaucoup moins chastes, on prétend même que de toutes les femmes de l’Inde ce sont les plus lascives [20]. » À Pondichéry, les femmes du peuple ont plusieurs amants, et « les bourgeoises n’ont qu’un mari mais elles s’abandonnent aux étrangers sans que leur mari n’ait rien à dire [21] ». Les Lapons n’ont aucune pudeur : « Ils offrent aux étrangers leurs femmes et leurs filles, et tiennent à grand honneur qu’on veuille bien coucher avec elles [22] » ; idem chez les Égyptiens [23] et les habitants du « Cap-Vert [24] » qui prostituent leurs femmes et leurs filles. Ou bien les femmes sont lascives et se donnent volontiers, ou bien ce sont les hommes qui les offrent. Dans ce dernier cas de figure, comment interpréter un tel geste ? Pour Buffon, il est clair que c’est là, de la part de ces peuples, un aveu de leur propre laideur : en offrant leurs femmes, les Lapons reconnaissent la beauté des « étrangers » — autrement dit, des Blancs. Cette coutume étrange consistant à offrir leurs femmes

  • « et d’être fort flatté qu’on veuille bien en faire usage, peut venir de ce qu’ils connaissent leur propre difformité et la laideur de leurs femmes, ils trouvent apparemment moins laides celles que les étrangers n’ont pas dédaignées : ce qu’il y a de certain, c’est que cet usage est général chez tous ces peuples, qui sont cependant fort éloignés les uns des autres, et même séparés par une grande mer, et qu’on le retrouve chez les Tartares de Crimée, chez les Calmuques, et plusieurs autres peuples de Sibérie et de Tartarie, qui sont presque aussi laids que ces peuples [25] ».

Buffon montre donc qu’il existe une norme universelle du Beau partagée par toute l’humanité : ce qui tend doublement à prouver son unité. Premièrement tous les hommes possèdent le même sens de la beauté ; pour preuve, même les peuples les plus laids sont disposés à reconnaître leur laideur et sont honorés que des hommes mieux faits désirent leurs femmes. Deuxièmement la laideur des peuples des climats non tempérés est bien l’effet d’une « dégénération » ; dégénération que ces populations tentent presque instinctivement de pallier, en se mélangeant à de beaux hommes. Ainsi, en parlant des habitantes noires du « Cap-verd », Buffon écrit qu’elles

  • « sont ordinairement très-bien faites, très-gaies, très-vives et très-portées à l’amour, elles ont du goût pour tous les hommes, et particulièrement pour les Blancs qu’elles cherchent avec empressement, tant pour se satisfaire, que pour en obtenir quelque présent ; leurs maris ne s’opposent point à leur penchant pour les étrangers, et ils n’en sont jaloux que quand elles ont commerce avec des hommes de leur nation, ils se battent même souvent à ce sujet à coups de sabre ou de couteau, au lieu qu’ils offrent souvent aux étrangers leurs femmes, leurs filles ou leurs sœurs, & tiennent à honneur de n’être pas refusés [26] ».

Il y a dans le texte de Buffon, une tendance à déviriliser subtilement les peuples qu’ils jugent peu policés. Ces hommes qui « offrent souvent aux étrangers leurs femmes, leurs filles, ou leurs sœurs », font à la fois l’aveu de leur laideur, mais aussi de leur incapacité à satisfaire sexuellement leurs lascives compagnes. Cette tendance à la dévirilisation des hommes et à l’érotisation outrancière des femmes a pour conséquence de les exclure des définitions normatives de la masculinité et de la féminité, telles qu’elles fonctionnent dans la société européenne.

Les études post-coloniales ont très largement démontré comment dans l’Inde coloniale, par exemple, la construction de la masculinité a revêtu une très grande importance ; elle a été un instrument permettant d’entériner symboliquement le rapport d’oppression instauré par les Anglais à l’égard des colonisés. L’omniprésence des discours très fortement centrés sur la sexualité a permis de déprécier durablement le Bengali Babu, considéré comme lascif, indiscipliné et efféminé, alors que l’Anglais, par contraste, était présenté comme actif, courageux, vigoureux et chevaleresque et, par conséquent, légitime à gouverner [27].

Selon un même processus discursif, les discours des naturalistes ont justifié l’exploitation sexuelle des femmes et l’humiliation des hommes esclaves ou indigènes dans les sociétés coloniales françaises : en considérant les femmes noires ou indiennes comme des femmes qui n’étaient pas sexuellement satisfaites par leurs compagnons « naturels », ils jugeaient les hommes incapables de satisfaire sexuellement leurs propres femmes voire heureux de les céder aux étrangers. Une telle rhétorique a servi de justification idéologique à l’exploitation sexuelle systématique des femmes esclaves colonisées par les Européens. Elle a permis de tenir ces femmes pour seules responsables de l’initiative sexuelle, préservant pour une part leur violeur de l’accusation de « débauché ». L’érotisation des femmes est ainsi l’une des conditions de possibilité de la dévirilisation des hommes. Ce processus de dévirilisation participe de l’infériorisation de ces hommes, selon une technique politique – à la fois discursive et pratique – qui use du rapport de genre et de la sexualité pour produire et figurer du pouvoir [28].

Mais la sexualité ne figure pas seulement du pouvoir, elle assure aussi la pérennité d’un rapport de force. Ainsi lorsqu’il parle des nations peu regardantes sur la fidélité de leurs femmes, ou qui les prostituent, Virey remarque qu’il s’agit particulièrement des peuples d’Afrique et d’Inde [29] – les deux zones les plus touchées par l’esclavage. Or, cette intimité sexuelle entre dominants et dominées représente un atout politique majeur pour les colons :

  • « Sur les côtes de Guinée, […] les négresses découvrent aux hommes auxquels elles s’attachent, les perfidies que les naturels machinent souvent contre les étrangers [30]. »

Déjà dans les années 1750, Thibault de Chanvalon rapportait de son Voyage en Martinique que « le gouvernement doit [aux Négresses] d’avoir découvert une conspiration générale qu’avaient formée les Nègres de la Martinique [31] ». En véhiculant cette idée de collaboration des femmes esclaves et le prétendu récit de leur trahison, le discours raciste a considérablement miné le rapport de genre.

Du tempérament de sexe au tempérament de race :

HAUT DE PAGE

Dès le XVIIIe siècle, la sexualité devient un instrument majeur des rapports de pouvoir à l’œuvre dans l’entreprise coloniale. Lorsque Buffon veut stigmatiser le caractère dégénéré des « sauvages » Américains, il s’attache surtout à montrer combien

  • « le Sauvage est faible et petit par les organes de la génération ; il n’a ni poil, ni barbe, ni nulle ardeur pour la femelle [32] ».

La rhétorique tourne autour de la jeunesse de ce peuple et donc, dans une certaine mesure, de son manque de virilité. Buffon est persuadé que le peu de diversité dans les us et coutumes, ainsi que l’absence de ruines ou de monuments, tend à prouver que les Indiens sont récemment arrivés sur ce continent. Cette question est cruciale : Buffon précise lui-même que les Indiens d’Amérique vivant sous la même latitude que la « Zone Torride » — ce que nous appellerions aujourd’hui l’Equateur -, devraient, sous l’effet du climat, avoir la peau noire. Or, ce n’est pas le cas. Ce peuple infirme-t-il le monogénisme de Buffon ? Au contraire, selon Buffon des éléments probants montrent que les Indiens ne séjournent pas depuis longtemps sur cette terre et que l’effet du climat n’est pas encore parvenu à son ultime conséquence : la progressive noirceur de leur peau [33]. Il est donc fort probable que ce peuple se soit constitué à partir d’individus échappés d’Europe ou d’Asie [34]. Les Indiens d’Amérique sont un peuple qui n’est qu’au premier stade de son histoire : le naturaliste les voit comme des enfants aimables et très peu libidineux, ce qui expliquerait pourquoi les Indiens, hommes efféminés parce qu’à peine sortis de l’enfance de leur civilisation, se sont laissés massacrer sans opposer aucune résistance. Cette prétendue absence de résistance des Indiens est un lieu commun de la littérature des Lumières.

En 1768, dans ses Recherches philosophiques sur les Américains, Pauw s’oppose à Buffon sur la question de la datation du peuplement du continent Américain [35]. Peuple naïf et enfantin ou héritiers d’une histoire politique et culturelle au faste légendaire, Pauw considère que les Indiens sont une « espèce dégénérée ». Qu’est-ce qui lui permet d’affirmer cela ? Exactement les mêmes éléments qu’utilisait Buffon pour caractériser les Américains : ils sont imberbes, frêles et très peu libidineux – Pauw insiste également sur « la petitesse de l’organe et la longueur du scrotum qui était excessive chez quelques-uns [36] ». Or pour qualifier l’ensemble de ces caractères de Pauw n’hésite pas à utiliser le terme de « tempérament », absent du texte de Buffon. Ainsi, à propos des Indiens imberbes, il écrit :

  • « Charlesvoix [37] prétend que le sang des Indiens occidentaux, étant moins impregné de sel et plus limpide que le notre, occasionne naturellement ce phénomène : nous ferons voir au contraire, que c’est l’effet de l’humidité de leur constitution, et qu’ils sont imberbes pour la même raison que les femmes le sont en Europe, et dans les autres parties du monde : leur peau est chauve, parce que leur tempérament est extrêmement froid [38] ».

Pauw place donc clairement la spécificité physique des Indiens, non pas dans leur sang – ce qui est la thèse de Charlesvoix – mais, bien dans leur tempérament, dans leur complexion physiopathologique. En ce milieu du XVIIIe siècle, le sang renvoie à l’ancienne définition de la « race » ou de la « nation », définition généalogique qui renvoie à l’idée nobiliaire de famille. Au contraire, Pauw présente le tempérament comme une explication novatrice, car il lui permet de caractériser des groupes humains qui transcendent les familles ou les nations. Dans cette perspective, le tempérament, tel qu’il est communément en usage pour penser la différence sexuelle, s’avère particulièrement opératoire pour penser la différence raciale.

Lorsque De Pauw rapproche les Indiens des femmes, il ne s’agit pas d’une analogie entre différence sexuelle et différence de raciale, mais bien de l’assimilation d’une population au tempérament féminin, au « naturel » des femmes, afin de marquer sa différence et son infériorité. En d’autres termes, la racialisation des Indiens consiste en leur effémination. L’auteur poursuit :

  • « Le peu d’inclination, le peu de chaleur des Américains pour le sexe, démontrait indubitablement le défaut de leur virilité et la défaillance de leurs organes destinés à la régénération : l’amour exerçait à peine sur eux la moitié de sa puissance : ils ne connaissaient ni les tourments, ni les douceurs de cette passion, parce que la plus ardente et la plus précieuse étincelle du feu de la nature s’éteignait dans leur âme tiède et phlegmatique. La masse de leur sang était certainement mal élaborée, puisque dans plusieurs endroits, les hommes faits & les adultes avaient du lait dans leurs mamelles [39]. »

Ici, la référence au sang intervient clairement dans le cadre d’une argumentation qui recycle la pensée humorale. Dans la tradition médicale empreinte d’aritstotélisme, le tempérament flegmatique, froid et humide, rend la coction de sang en sperme difficile ou impossible et ne parvient qu’à produire des règles ou du lait – incapacité naturelle fondatrice de la différence sexuelle [40]. Pauw ne dit pas que les Indiens n’ont pas le même sang que les Européens, mais plutôt que les Indiens ne sont pas de la même espèce que les Européens, car ils ont le même tempérament que les femmes : le lait qui coule de leurs seins est la preuve qu’ils sont réglés, qu’ils souffrent des mêmes pléthores qui affectent les femmes. C’est donc la non-participation à la norme de la virilité qui les exclut de l’espèce supérieure que sont les Européens. L’en dehors de cette norme de la virilité européenne est, ou bien, la féminité – l’absence de virilité –, ou bien, la bestialité – une virilité sauvage, brute. Dans le cas des Indiens, Pauw n’hésite pas écrire :

  • « Je suis donc persuadé que l’humidité du tempérament causait, dans les habitants du nouveau Monde, ce vice qui devait influer, comme il est aisé de le comprendre, sur leurs facultés physiques et morales. Aussi peut-on dire que les hommes y étaient plus que femmes, poltrons, timides & peureux dans les ténèbres, au-delà de ce qu’on peut s’imaginer [41]. »

Selon Nancy Leys Stepan l’analogie scientifique entre « sexe » et « race » est déterminante à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle : « Par analogie avec les prétendues races inférieures, les femmes, le déviant sexuel, le criminel, le pauvre des villes, et le fou, sont d’une manière ou d’une autre construits comme des races biologiques “à part”, dont les différences avec l’homme blanc, et leur ressemblance entre elles, “expliquent” leur position différente et inférieure dans la hiérarchie sociale [42]. » Mais Pauw établit bien plus qu’une analogie. Lorsqu’il met en relation la différence sexuelle et la différence raciale, il ne conclut pas simplement à une identité de rapport – les Indiens sont aux Européens ce que les femmes sont aux hommes. Dans sa pensée, non seulement les Indiens sont aux Européens ce que les femmes sont aux hommes ; mais, plus encore, ils sont littéralement assimilés physiologiquement aux femmes. En attribuant aux Indiens un tempérament flegmatique, qui induit des traits psychologiques et physiopathologiques typiquement féminins, Pauw suppose que les Indiens ne sont pas « comme » des femmes mais qu’il s’agit d’êtres féminins. Ce qui intéresse Pauw ici, c’est de montrer que les Indiens sont dégénérés ; or, le tempérament féminin étant réputé faible et maladif, il permet d’affirmer que les Indiens ont le plus grand mal à se reproduire. Ils ont également le même type de maladies que les femmes, c’est-à-dire des formes de rétention d’humeur pituiteuse et maligne qui infectent tout le corps, comme le mal vénérien, que la plupart des médecin considère originaire des Amériques [43].

S’appuyant sur la tradition misogyne aristotélicienne, Pauw considère que les Indiens, tout comme les femmes, ont un tempérament froid et pathogène responsable de leur faible fécondité, voire de leur stérilité. Fidèle à cette tradition selon laquelle la semence masculine est le principe formel de la génération, Pauw peut affirmer que, en l’absence de virilité, la population Américaine diminue et s’affaiblit constamment, ce pour quoi il la qualifie de « dégénérée ».

Joyce E. Chaplin a parfaitement montré comment pour les médecins et les philosophes de l’Âge classique la question des maladies et du déclin de la population des Indiens est au coeur de la genèse d’une définition raciale de l’humanité. Vers la fin du XVIIe siècle, Anglais et Français établis aux Amériques considèrent que les natifs sont moins résistants aux maladies que les Européens et que cette faiblesse est le fait d’une complexion pathogène, d’une faiblesse constitutive et interne. Au contraire, en dépit du changement de climat et de la dureté des conditions de vie dans la « Zone Torride », les colons semblent garder leur « beau » tempérament. « En appliquant le langage de la philosophie naturelle à l’épuisement américain et à la vigueur anglaise, les colons ont défini un nouvel idiome : l’importante variation humaine en Amérique du Nord n’est pas due à un environnement externe mais bien aux corps eux-mêmes de ces peuples Européens et Indiens [44]. » Au-delà de la seule affirmation d’une différence prétendument naturelle (un élément contingent comme le climat ou les mœurs pourrait très bien produire à terme des différences à ce point incorporées qu’elles deviendraient « naturelles »), le tempérament suppose que la différenciation est interne au corps lui-même.

On comprend mieux dans ces conditions à quel point Pauw s’oppose à Buffon, et à l’ensemble des partisans de la seule théorie du climat, ce qui explique pourquoi Pauw non seulement emploie la notion de tempérament, mais l’utilise telle qu’elle a été thématisée pour fonder la domination d’un sexe sur l’autre. Par ce choix, il veut clairement se distinguer de la position de Buffon qui s’inscrit dans une tradition hippocratique et plus largement politique, selon laquelle c’est le climat qui produit les variations les plus importantes dans l’espèce humaine. L’immense apport de la notion de tempérament est donc de minimiser l’influence de la température de l’air sur la nature du corps et des peuples et, plus largement, l’influence des caractères acquis sur les générations futures. Le tempérament est désormais compris comme le principe premier, stable de détermination et de distinction physique et psychologique de l’humanité.

Pauw utilise le concept de tempérament tel qu’il fonctionne pour définir la différence sexuelle afin de définir une différence raciale entre les populations et partant des tempéraments de race. En ce sens, il sous estime sciemment la transmission des caractères acquis. Il conteste, par exemple, l’idée selon laquelle l’absence de pilosité des Indiens serait l’effet d’une coutume ancestrale qui a modifié leur apparence physique. Selon Pauw, l’argument ne fonctionne pas, puisque les enfants des « sauvages » naissent poilus et perdent ce duvet au bout de quelques jours.

  • « Cette observation doit donc prouver le ridicule des écrivains qui ont assuré que les premiers habitants de l’Amérique étaient, à force de se dépiler, parvenus à rendre héréditaire, dans leurs descendants, cette défectuosité artificielle dans son origine. Je dis que cette espèce d’opinion est ridicule, parce que les mutilations violentes qu’essuient les parents ne se transmettent nulle part à la postérité, comme on en apportera des preuves bien convaincantes, en traitant de la Circoncision : quelque répétées que puissent être ces amputations pendant un nombre infini de filiations, la nature triomphe, reste immuable, et ne condescend pas aux caprices de ceux qui prétendent l’asservir [45]. »

L’auteur rejette totalement la notion d’hérédité des caractères acquis par le biais des mœurs et des coutumes. L’explication des modifications physiques ou physiopathologiques survenues au cours des générations s’appuie presque exclusivement sur les phénomènes de métissage des populations. Si l’on voit des Indiens avec un duvet au-dessus de la lèvre supérieure, c’est la conséquence de leur mélange avec « des Européens », des « Nègres, des Mulâtres, et des Hybrides de toute espèce [46] ». Au reste, l’absence de barbe des Indiens
« loin d’être une preuve de vigueur et de vaillance, est au contraire l’empreinte de la faiblesse, et cette faiblesse tenait plus au climat et au tempérament de ces nations en général, qu’aux mœurs et à la façon d’exister et de se nourrir de chacune d’elles en particulier [47] ».

Mais là encore, le climat doit être compris comme une cause secondaire de modification des populations, et bien moins active que le tempérament.

  • « Il s’ensuit naturellement qu’ils [les Indiens] devaient ne point avoir de barbe, mais d’immenses chevelures : en effet on n’a pas trouvé d’homme au nouveau Monde dont les cheveux ne fussent longs, lisses et très-épais, comme ceux des femmes : on n’y a pas vu de peuplade peut-être point un seul individu à cheveux bouclés, crépus ou lanugineux, ce qui indique que les hommes, même sous l’Equateur, avaient un tempérament aussi humide que l’air, et la terre où ils végétaient [48]. »

Toutefois, le point déterminant qui permet à l’auteur de minimiser l’influence du climat au profit de celle du tempérament est la question des maladies. La maladie exprime le tempérament des individus (une personne sujette aux pneumonies est flegmatique, une personne sujette aux douleurs abdominales est bilieuse, etc.), elle permet de classer les prédispositions de chacun. Or, au début de la colonisation, les premiers médecins et voyageurs redoutent le climat des Amériques, les maladies ou les altérations qu’il peut causer au corps. On s’inquiète des effets de la « transplantation » sur les planteurs européens, ainsi que sur les armées et les forces chargées du maintien de l’ordre dans les villes, les ports ou les habitations. Pour les colons comme pour les esclaves, le corps médical préconise un temps d’adaptation et d’acclimatation. Dans le cas des Indiens, le fait qu’ils soient décimés par les maladies, la plupart introduites et répandues par les Européens, est progressivement interprété, non pas comme la conséquence du bouleversement de leurs conditions de vie, mais comme l’effet d’une complexion particulièrement pathogène. En d’autres termes, si chaque population possède un tempérament qui dépend de son climat natal et qui lui est accordé, comment comprendre que les Indiens aient une capacité d’adaptation moindre ? Pourquoi ont-ils un tempérament naturellement défaillant et sujet à de nombreuses affections ?

Pour Pauw, ce n’est pas le climat dans lequel ils vivent qui est morbide, mais eux-mêmes : pour preuve, dans le même climat, les Européens survivent mieux que les Indiens. À la fin du XVIIIe siècle, les colons et les planteurs des Amériques seront d’ailleurs enclins à affirmer que si les Indiens sont également victimes du climat, cela prouve qu’ils sont eux-mêmes des colons et non les « véritables » natifs de ce continent. Le « Nouveau Monde » est alors perçu comme un monde à la recherche de ses résidents « naturels » : au moment de la construction d’une identité américaine indépendante des Vieilles Nations, les colons européens pourront se présenter comme les « vrais Américains », les occupants les plus légitimes de ces étendues de terres « vierges » qu’ils sont en droit de s’approprier, puisqu’ils ont une meilleure résistance physique que les Indiens au climat américain [49].

Les Recherches philosophiques de Pauw permettent de prendre la mesure de l’intérêt que pouvait revêtir le concept de tempérament au moment de la constitution des classifications anthropologiques. L’emploi de ce terme est relativement passé inaperçu auprès des commentateurs contemporains qui ont souvent trop privilégié la seule question de la couleur, alors même que le débat sur la variété humaine au XVIIIe siècle fait intervenir plusieurs candidats à la « biologisation » de la race [50]. Pourtant, en 1766, dans son Systema Naturae [51], le naturaliste Linné fonde sa division de l’humanité sur le concept de tempérament. Ainsi, lorsque qu’il établit son tableau des variétés humaines, c’est bien à partir d’une division humorale entre les hommes qu’il fonde son essentialisme racial. Le tempérament permet d’établir une différenciation interne entre les peuples qui rejette ou minimise le déterminisme environnementaliste au profit d’une causalité physiopathologique établissant des identités de groupes ou de types humains.

L’humanité est divisée en cinq groupes chez Linné, qui définit les Américains comme colériques, les Européens comme sanguins, les Asiatiques comme mélancoliques, les Africains comme lymphatiques ; à ces quatre grands types, il en rajoute un cinquième composé de toutes sortes de monstres, dont les Hottentots. Tout y est distribué selon les règles de l’art : chacun des quatre tempéraments correspond à une physionomie caractéristique (le système pileux est l’une de ces grandes caractéristiques), des penchants psychologiques ou un caractère et des capacités intellectuelles. Chez Linné, les Américains ont un tempérament bilieux, « cholérique », les Européens sont sanguins, les Asiatiques mélancoliques. Et ce sont les Africains qui sont flegmatiques.

Il a fallu un siècle pour que se mette en place un discours raciste. Un siècle, au cours duquel le concept de race a acquis une signification nouvelle, supplantant la religion, la morale ou les mœurs jusqu’alors tenus pour les premiers facteurs de différenciation et de hiérarchisation des peuples et des nations.

Le tempérament a permis d’opérer ce processus de naturalisation des différences anthropologiques, au fondement de la définition moderne de la race. L’histoire du concept de tempérament, le fait qu’il ait efficacement produit et maintenu la différenciation sexuelle des corps et leur hiérarchisation, l’a transformé en outil idéal au moment de l’intensification de la colonisation et de la traite négrière. Idéal car il renferme l’idée d’un principe endogène de différenciation et de discrimination articulé aux catégories du sain et du malsain. En ce sens le tempérament peut être défini comme un schème, comme une notion-outil, il fournit la règle d’application des catégories politico-historiques que sont le sexe ou la race. Autrement dit, à l’Âge classique, le tempérament a non seulement permis de conceptualiser le sexe et la race, mais il a également permis de définir à qui s’appliquaient en priorité ces catégories : les femmes, les Indiens, les esclaves… Il s’agit donc d’un schème cognitif et discursif qui participe d’un dispositif de pouvoir. La fabrication d’un tempérament de race sur le modèle d’un tempérament de sexe sert non seulement l’idéologie esclavagiste qui se développe au cœur des Lumières européennes, mais aussi un rapport de force éminemment violent, une domination plantocratique précaire, à l’œuvre dans les colonies françaises.

NOTES

[1] Voir Léon Poliakov, Le Mythe aryen. Essai sur les sources du racisme et des nationalismes, Calmann-Lévy, Paris, 1971, et « Brève histoire des hiérarchies raciales », Le Genre humain, 1981, p. 72.

[2] François BERNIER, « Nouvelle division de la Terre par les différentes especes ou races d’hommes qui l’habitent, envoyée par un fameux voyageur à M. l’abbé de la *** à peu près en ces termes », Journal des Sçavans, 1684, p. 133.

[3] Cette idée est combattue par Buffon, dans la mesure où elle constitue le contre-argument classique du monogénisme.

[4] Steinberg, La Confusion des sexes : le travestissement de la Renaissance à la Révolution, p. 285. Pour illustrer son propos, elle cite Pierre Petit : « Naturellement dans les lieux où les hommes sont d’une constitution moins parfaite, on ne peut pas si bien distinguer les mœurs et les inclinations naturelles des femmes avec celles des hommes des mêmes pays », Traité historique des Amazones, tome I, p. 181, cité in ibid., p. 185. Les filles et les garçons des paysans français ou même des peuples du Nord sont quasiment identiques et peuvent à peine se distinguer, regrette Petit.

[5] Voir, par exemple, Le Bon, Lois psychologiques de l’évolution des peuples, 1894.

[6] Bernier, « Nouvelle division de la Terre par les différentes especes ou races d’hommes qui l’habitent, envoyée par un fameux voyageur à M. l’abbé de la *** à peu près en ces termes », p. 136.

[7] Ibid., p. 137.

[8] Ibid.

[9] Ibid., p. 138-139.

[10] Ibid., p. 139.

[11] Johann Friedrich Blumenbach, De Generis humani varietate nativa, Vandenhoeck, Gottingen, 1776. Voir l’excellent article de H. J. Augstein, « From the land of the Bible to the Caucasus and beyond », dans Waltraud Ernst (dir.), Race, Science and Medicine, 1700-1960, Routledge, New York, 1999, p. 59-79.

[12] Londa Schiebinger, Nature’s Body, Beacon Press, Boston, 1993, p. 126.

[13] Bernier, « Nouvelle division de la Terre par les différentes especes ou races d’hommes qui l’habitent, envoyée par un fameux voyageur à M. l’abbé de la *** à peu près en ces termes », p. 138.

[14] Sur ce point, voir Pierre H. Boulle, « François Bernier and the originis of the modern concept of race », dans Sue Peabody et Tyler Stovall, The Color of Liberty. Histories of Race in France, Duke University Press, Durham, 2003, p. 11-27.

[15] Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste (1972), Gallimard, coll. « Folio essais », Paris, 2002, p. 331 sq.

[16] N., M., Voyages aux côtes de Guinée et en Amérique, Amsterdam, 1719, p. 149-150. C’est moi qui souligne.

[17] « Il y a dans la nature un prototype général dans chaque espèce, sur lequel chaque individu est modelé, mais qui semble, en se réalisant, s’altérer ou se perfectionner par les circonstances en sorte que, relativement à certaines qualités, il y a une variation bizarre en apparence dans la succession des individus, et en même temps une constance qui paraît admirable dans l’espèce entière. Le premier animal, le premier cheval, par exemple, a été le modèle extérieur et le moule intérieur sur lequel tous les chevaux qui sont nés, tous ceux qui existent et tous ceux qui naîtront ont été formés », Georges Louis Leclerc Buffon, Histoire naturelle générale et particuliere : avec la description du Cabinet du Roy, IV, p. 225.

[18] Buffon, Histoire naturelle générale et particuliere : avec la description du Cabinet du Roy, III, p. 528. Il s’agit de la conclusion à laquelle Buffon voulait parvenir. « Si nous examinons maintenant ceux qui habitent sous un climat plus tempéré, nous trouverons que les habitans des provinces septentrionales du Mogol & de la Perse, les Arméniens, les Turcs, les Géorgiens, les Mingréliens ; les Circassiens, les Grecs & tous les peuples de l’Europe, sont les hommes les plus beaux, les plus blancs & les mieux faits de toute la terre, & que quoiqu’il y ait fort loin de Cachemire en Espagne, ou de la Circassie à la France, il ne laisse pas d’y avoir une singulière ressemblance entre ces peuples si éloignés les uns des autres, mais situés à peu près à une égale distance de l’équateur », p. 433.

[19] Michèle Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières : Buffon, Voltaire, Rousseau, Helvétius, Diderot, 1971, Albin Michel, Paris, 1995, p. 255-256.

[20] Buffon, Histoire naturelle générale et particuliere : avec la description du Cabinet du Roy, III, p. 412.

[21] Ibid., p. 413.

[22] Ibid., p. 376.

[23] Au contraire des Arabes, fort jaloux, les « Égyptiens qui sont si voisins des Arabes, qui ont la même religion, et qui sont comme eux soumis à la domination des Turcs, ont cependant des coûtumes fort différentes de celles des Arabes ; par exemple, dans toutes les villes et villages le long du Nil on trouve des filles destinées aux plaisirs des voyageurs, sans qu’ils soient obligés de les payer ; c’est l’usage d’avoir des maisons d’hospitalité toûjours remplies de ces filles, et les gens riches se font en mourant un devoir de piété de fonder ces maisons & de les peupler de filles qu’ils font acheter dans cette vûe charitable : lorsqu’elles accouchent d’un garçon, elles sont obligées de l’élever jusqu’à l’âge de trois ou quatre ans, après quoi elles le portent au patron de la maison ou à ses héritiers qui sont obligés de recevoir l’enfant, et qui s’en servent dans la suite comme d’un esclave », ibid., p. 427. Cette prostitution « coutumière » est différente du commerce des femmes à proprement parler.

[24] Ibid., p. 457.

[25] Ibid., p. 377.

[26] Ibid., p. 457-458. Pour d’autres auteurs, les hommes des pays chauds sont au contraire extrêmement jaloux, caractère lié au tempérament des femmes, réputées « plus amoureuses » sous les climats chauds, d’où les harems surveillés par des eunuques. Voir par exemple Julien-Joseph Virey, De la femme, sous ses rapports physiologique, moral et littéraire, 1823, chez Crochard, Paris, 1825, p. 37. Toutefois, le même auteur écrit quelques pages plus loin : « C’est aussi parmi la race mongole qu’on trouve des exemples de femmes présentées à des étrangers pour en jouir, même sous des climats chauds où règne d’ailleurs la jalousie, comme au Pégu, à Siam, au Tonquin, à Camboye, à la Cochinchine, à la terre d’Iesso ; mais surtout chez les Tchoutschis et les Koriaques sédentaires, les propres maris offrent leurs épouses, et ce serait leur faire injure que de ne pas les accepter », ibid., p. 42.

[27] Mrinalini Sinha, Colonial Masculinity : The « manly Englishman » and the « Effeminate Bengali » in the Late Nineteenth Century, Manchester University Press, Manchester, 1995, ainsi que les travaux majeurs d’Anne McClintock, Imperial Leather, Routledge, New York, 1995 et d’Ann Laura Stoller, Race and the Education of Desire : Foucault’s History of Sexualité and the Colonial Order of Things, Duke University Press, 1995 et Carnal Knowledge and Imperial Power : Race and the Intimate in Colonial Rule, University of California Press, 2002.

[28] Voir Joan W. Scott, « Genre : une catégorie utile d’analyse historique », Le Genre de l’histoire, les Cahiers du GRIF, n°37-38, 1988, p. 125-153.

[29] Virey, De la femme, sous ses rapports physiologique, moral et littéraire, p. 151.

[30] Ibid., p. 152.

[31] Jean-Baptiste Mathieu Thibault de Chanvalon, Voyage à la Martinique, 1763, édition par Monique Pouliquen, Karthala, Paris, 2004, p. 95.

[32] Buffon, Histoire naturelle générale et particuliere : avec la description du Cabinet du Roy, IX, p. 104. Ces considérations sur la virilité des Indiens d’Amérique ne sont pas isolées. Virey écrit : « Les Américains passent en général pour être très froids ; car la difficulté de vivre sans agriculture, et du secours seul de la chasse ou de quelques racines agrestes, affaiblit extrêmement leur constitution ; aussi les femmes, dit-on, savent exciter leur ardeur par des applications d’insectes ou de végétaux stimulants sur leurs organes flétris et énervés. Les tribus de l’Amérique sptentrionale, les Iroquois, regardent l’amour comme un sentiment au-dessous d’un guerrier, et qui ne peut que l’amollir. Plusieurs d’entre eux sont peu jaloux ; les forts Patagons mêmes laissent librement les étrangers avec leurs femmes », Virey, De la Femme, sous ses rapports physiologique, moral et littéraire, p. 54. Virey remarque aussi les grandes disparités dans les normes de beauté entre les peuples et insiste de nouveau sur l’absence de virilité de tel ou tel, par exemple : « Les femmes des Salives, sauvages les plus vains et efféminés de la Guiane, font la toilette de leurs maris », ibid., p. 55.

[33] La théorie du climat n’est donc pas renversée. La naissance du peuple américain renvoie à la « querelle du Nouveau Monde », entretenue par la découverte des monuments Incas, signes d’une magnificence civilisationnelle : « Comment concilier en effet la grandeur de l’ancien Pérou et de l’ancien Mexique avec tout ce qu’on sait par ailleurs du continent et de l’homme américains. D’où la tentation de récrire entièrement l’histoire de l’Amérique, ou plutôt d’écrire celle de l’Amérique précolombienne, en partant non plus des récits des conquérants, mais des données fournies par l’histoire naturelle », Michèle Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières : Buffon, Voltaire, Rousseau, Helvétius, Diderot, p. 201.

[34] Buffon, Histoire naturelle générale et particuliere : avec la description du Cabinet du Roy, III, p. 493.

[35] « Je crois qu’on me saura gré de ne toucher ici à aucune hypothèse sur l’origine de la population du nouveau continent : je me contenterais de dire qu’il n’y a pas de vraisemblance dans le sentiment d’un auteur moderne qui accorde à peine six cents ans au genre humain en Amérique », Cornélius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, 3 vol., Chez George Jacques Decker, Berlin, 1768, I, p. 29-30.

[36] Ibid., p. 37-38. Le gonflement du membre génital n’est pas un « caractere imprimé par la nature, mais un effet de l’art », p. 38 et p. 63-64.

[37] Pierre-François-Xavier Charlevoix, Histoire de l’isle espagnole ou de S.Domingue…, 2 vol., Chez H.-L. Guérin, Paris, 1730-1731.

[38] Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, I, p. 38.

[39] Ibid., p. 42.

[40] « Si le tempérament des femmes n’était point & plus flasque & plus humide que celui des hommes, elles se trouveraient hors d’état d’allaiter leurs enfants », ibid., p. 44.

[41] Ibid., p. 43. S’ensuit une déduction du caractère des Indiens qui, comme les femmes, sont d’un « génie borné », « vindicatifs », etc. La comparaison est longuement travaillée par l’auteur et se poursuit sur plusieurs paragraphes : « Les Américains avoient toutes ces qualités, qui résultaient nécessairement de leur tempérament : ils devaient encore leur longue vie à cette tiédeur de leur constitution, qui fait aussi excéder, parmi nous, l’âge des femmes en raison de celui des hommes : toutes les parties cartilagineuses & osseuses de leur machine, étant continuellement rafraîchies & humectées, se durcissent plus tard, & durent par conséquent plus longtemps », ibid., p. 45.

[42] Nancy Leys Stepan, « Race and gender. The role of analogy in science », dans Sandra Harding (dir.), The « Racial » Economy of Science. Toward a Democratic Future, Indiana University Press, Bloomington, 1993, p. 361.

[43] Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, p. 47-48.

[44] Joyce E. Chaplin, « Natural philosophy and an early racial idiom in North America : comparing English and Indian bodies », The William and Mary Quarterly, 54, 1997, p. 230-231.

[45] Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, p. 40.

[46] Ibid.

[47] Ibid., p. 41.

[48] Ibid., p. 53.

[49] Voir Chaplin, « Natural Philosophy and an Early Racial Idiom in North America : Comparing English and Indian Bodies », p. 251-252.

[50] À l’exception du remarquable travail de Roxann Wheeler, The Complexion of Race : Categories of Difference in Eighteenth-Century British Culture, University of Pennsylvania Press, 2000, qui souligne la complexité du processus de formation du concept moderne de race au xviiie siècle.

[51] Système que Buffon considérera comme une taxinomie n’étant en rien fidèle à l’ordre de la nature. Sur la querelle entre Buffon et Linné, voir Phillip R. Sloan, « The Buffon-Linnaeus controversy », Isis, 67, n° 3, 1976, p. 356-375 et Patrick Tort, La Raison classificatoire, Aubier, Paris, 1989.