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Flux et contre-flux entre l’Espagne et le Sénégal. L’externalisation du contrôle des dynamiques migratoires vers l’Afrique de l’Ouest.

Lorenzo Gabrielli
Lorenzo Gabrielli est doctorant en sciences politiques au CEAN-IEP de Bordeaux, sa thèse porte sur les dynamiques migratoires entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe du Sud, en particulier dans le cas des flux migratoires sénégalais vers l’Espagne. Précédemment, il a travaillé sur le régionalisme en Afrique de l’Ouest et sur la migration comme facteur de (...)

citation

Lorenzo Gabrielli, "Flux et contre-flux entre l’Espagne et le Sénégal. L’externalisation du contrôle des dynamiques migratoires vers l’Afrique de l’Ouest. ", REVUE Asylon(s), N°3, mars 2008

ISBN : 979-10-95908-07-4 9791095908074, Migrations et Sénégal., url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article716.html

résumé

Cet article analyse le processus d’externalisation du contrôle des flux migratoires vers le continent africain. Après avoir esquissé les grandes lignes de l’internationalisation des politiques européennes d’immigration, nous examinerons la première phase d’externalisation du contrôle vers le Maghreb. Nous verrons comment l’Espagne a “découvert” l’Afrique subsaharienne suite au déplacement des routes migratoires. Nous analyserons ainsi les enjeux de la question migratoire dans les relations entre ce pays et le Sénégal pour réfléchir, enfin, sur le marchandage de cette externalisation vers l’Afrique, ainsi que sur ses importants “effets collatéraux”.

Introduction

La question migratoire s’est imposée depuis les années 2000 comme l’un des éléments centraux des relations entre les pays européens et ceux du continent africain, du moins d’une partie d’entre eux [1].

Dans cet article, il s’agira d’analyser les interventions politiques destinées à contrôler les flux migratoires africains vers l’Europe à partir des pays d’émigration. On se réfère ici à la composante extérieure des politiques européennes d’immigration [2], qui se focalise dans un premier moment sur les pays de la rive méridionale de la Méditerranée et par la suite sur les pays d’Afrique de l’Ouest. Cependant, il serait impossible de comprendre cette dynamique d’externalisation du contrôle sans prendre en considération l’évolution récente des dynamiques migratoires ouest-africaines vers l’Europe. En particulier, on fera ici référence uniquement à une partie de ces flux, c’est-à-dire à la composante “terrestre/maritime” qui traverse à la fois le territoire saharo-sahélien pour rejoindre Ceuta et Melilla ou les côtes d’Espagne continentale, et celle plus récente qui part directement des côtes atlantiques africaines pour rejoindre l’archipel des îles Canaries.

Le fait que nous ne prenions pas en compte ici l’analyse des différents facteurs qui déterminent l’action espagnole dans ce champ, ne signifie pas que nous considérons les flux migratoires ouest-africains comme l’élément primaire qui justifie la composante extérieure de la politique d’immigration espagnole. Au-delà du fait que leur poids quantitatif sur le total des flux vers l’Espagne est assez marginal, pour comprendre les motivations du gouvernement espagnol il faut chercher autant dans la scène politique intérieure (les enjeux électoraux et les débats sur la sécurité et l’immigration, le lobbying des professionnels de la sécurité et la visibilité médiatique donnée au phénomène, etc.) que dans celle de l’UE (par exemple, les pressions des pays membres pour le contrôle de la frontière commune). Cependant, l’objectif de la présente recherche est d’analyser la dynamique qui se met en place, hors de l’Espagne et de l’UE, entre les mesures du volet extérieur de la politique migratoire espagnole et les flux migratoires ouest-africains, afin de pouvoir souligner les résultats, les effets collatéraux, ainsi que le caractère éphémère de cette politique.

Une nécessité fondamentale à l’heure d’étudier un phénomène fluide comme la migration est d’éviter le piège d’une analyse statique et d’utiliser une perspective dynamique, en s’inspirant du migration system analysis (Kritz et Zlotnik, 1992). Une telle approche analytique est utile d’abord pour rendre compte des évolutions temporelles des phénomènes étudiés [3]. Si l’on analyse les interactions entre la composante extérieure des politiques d’immigration européennes et les flux migratoires dans le continent africain, il est particulièrement important de comprendre « comment les interactions entre Etats donnent forme aux politiques d’entrée et de sortie » (Kritz et Zlotnik, 1992 : 12). À cet égard, il faut préciser avant tout qu’en analysant la question migratoire dans l’espace euro-africain on se retrouve à la fois dans la configuration complexe des relations de pouvoir et de dépendance dans cet espace.

Dans ce cadre d’interactions, il est également indispensable d’analyser les processus de structuration et de re-structuration des dynamiques migratoires dans lesquels les réseaux migratoires jouent un rôle extrêmement important. Comme le soulignent D. Gurak et F. Caces (1992 : 156), il faut considérer les réseaux migratoires en tant que relations dynamiques et arrangements sociaux variables dans l’espace et dans le temps qui donnent forme à la migration.

Notre étude analysera tout d’abord l’externalisation européenne du contrôle des flux migratoires dans les espaces de transit maghrébins, en examinant comment celle-ci détermine un changement des routes migratoires. Dans ce processus d’adaptation qui se met en place entre politiques et flux migratoires, nous verrons comment l’Espagne est amenée à “découvrir” l’Afrique subsaharienne pour étendre le champ géographique du contrôle. Par la suite, nous focaliserons notre analyse sur le projet espagnol d’externalisation du contrôle des flux migratoires au sud du Sahara, en particulier dans le cas du Sénégal. L’étude de ce cas spécifique, fort intéressant pour ses caractéristiques, est utile pour approfondir l’analyse du volet extérieur des politiques d’immigration contemporaines.

L’internationalisation des politiques européennes d’immigration et l’externalisation du contrôle des flux.

À la différence de la première phase de fermeture des frontières des pays d’Europe occidentale depuis 1973-74, plutôt caractérisée par un caractère unilatéral, la seconde, située autour des années 2000, se définit par une internationalisation croissante des politiques d’immigration. Cette deuxième phase de fermeture, qui suit les reconfigurations des flux migratoires et s’étend aux pays d’Europe du Sud, se caractérise aussi par le fait d’entrelacer de façon croissante la thématique des migrations avec les questions de sécurité (Bigo, 1998). La superposition progressive des champs de la sécurité et des migrations, qui se construit tout d’abord au niveau de la politique intérieure, s’élargit par la suite aussi au niveau de la politique extérieure, avec des conséquences que nous verrons par la suite. L’internationalisation des politiques d’immigration européennes se développe donc dans ce cadre marqué par une focalisation de la question migratoire comme problème sécuritaire.

L’une des raisons de cette internationalisation croissante des politiques d’immigration est bien expliquée par F. Pastore (2005, 355), qui souligne que « face aux difficultés croissantes dans la gestion effective des migrations et dans la rencontre des attentes publiques dans un champ politique politisé et médiatisé de façon grandissante, les Etats montrent une propension croissante à la coopération internationale comme une voie pour recouvrer de la souveraineté  ». En effet, face à la ‘fermeture des frontières’ et faute de mécanismes formels de recrutement de la main-d’oeuvre étrangère, les flux migratoires subsahariens, loin de s’arrêter par décision unilatérale européenne, ont pris le chemin de l’informalité, aussi bien à l’intérieur de l’Europe [4] que dans les espaces de transit [5].

Cette internationalisation des politiques d’immigration se produit au niveau communautaire, dans le cadre de l’Union européenne, mais aussi dans les relations avec les pays tiers. Dans cet article, nous centrons notre analyse principalement sur ce dernier aspect du processus, même si les politiques espagnoles et communautaires sont nécessairement toutes les deux étudiées.

La reformulation des enjeux migratoires dans le cadre des relations avec les pays tiers englobe alors les mesures de politique extérieure comme outil de contrôle et gestion des flux migratoires. En théorie, le volet extérieur des politiques d’immigration européennes se compose de deux différentes approches : l’une, orientée par une logique de long terme, vise les causes de la migration ; l’autre, orientée par une logique sécuritaire à court terme, en vise les effets (Gabrielli, 2004). En pratique, cette dernière approche est sans doute dominante et, pour cette raison, sera prioritairement traitée dans cette étude.

Comme le souligne C. Boswell (2003 : 619), ce volet extérieur “à court terme” « inclut des formes de coopération qui essentiellement externalisent les outils traditionnels, tant domestiques que de l’UE, de contrôle des migrations  ». Ainsi, selon V. Guiraudon (2001 : 46), ce qui se met alors en place est un « remote control » des migrations, basé sur l’idée que « une fois les migrants arrivés, il sera plus difficile qu’ils s’en aillent  ».

Le principal moyen de cette délégation de contrôle vers les pays tiers, et de la création conséquente d’une « zone tampon » vis-à-vis des migrations subsahariennes, réside dans la conclusion d’accords bilatéraux et multilatéraux avec les pays de transit et de départ des migrations (Guiraudon, 2001 : 34). Cependant, en pratique les exemples d’une collaboration qui se développe par des canaux informels [6] et plus rapides ne manquent pas (Cassarino, 2007). Ces accords peuvent être exclusivement dédiés à la question migratoire. La thématique peut aussi être introduite dans un cadre plus général, comme dans l’Accord UE-ACP de Cotonou de 2000 [7].

En parallèle à cette internationalisation du contrôle des migrations, des instruments “classiques” de politique extérieure comme l’aide au développement et le commerce sont de plus en plus employés pour atteindre des objectifs en matière de contrôle des flux migratoires. Dans le cadre européen d’une “approche intégrée” de la question migratoire, se produit alors une relation stricte et souvent ambiguë entre ce processus de délégation du contrôle et la conclusion d’accords commerciaux et des concessions d’aide au développement. Dans le cas de l’aide au développement, en particulier, ce type d’utilisation peut soulever la question du ‘détournement’ de ses finalités (Gabrielli, 2007 : 165-166).

Suite aux pressions européennes exercées sur les pays de transit à propos de la question des flux migratoires vers l’Europe, une série de « zones tampon » est donc en train d’être bâtie en Afrique. Les deux piliers de cette construction de zones tampon sont la délégation du contrôle migratoire vers certains pays africains conjointement à une intensification des retours forcés de migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile déboutés. Ce processus se réalise en différentes phases, qui dépendent de la détermination des priorités en matière d’action extérieure, où priment les paramètres de la position d’un pays par rapport aux routes migratoires vers l’UE ou de son potentiel migratoire.

Nous allons ainsi étudier la première étape d’externalisation du contrôle vers les pays maghrébins, et en particulier le Maroc, pour en comprendre les modalités, les outils appliqués de manière récurrente, les formes prises par une telle délégation ainsi que ses conséquences.

La première phase de l’externalisation européenne du contrôle : les espaces maghrébins de transit des migrations ouest-africaines.

Dans le bassin méditerranéen, la dichotomie qui opposait les pays d’émigration à ceux d’immigration s’atténue dans la mesure où les évolutions des dynamiques migratoires sur le continent africain ont transformé les pays de la façade méridionale en zones d’émigration, d’immigration et de transit en même temps (Fargues, 2006 : 15-16).

Ce changement est lié au renouveau des flux transsahariens qui s’intensifient dans la dernière décennie et qui font du Sahara un espace charnière entre plusieurs régions (Marfaing et Wippel, 2003 : 8-10). La revitalisation des routes transsahariennes est strictement liée à leur fonction de « voies d’accès au pôle économique européen  » (Bach, 2003a : 470-474). Ces échanges «  se font en dehors de tout cadre étatique et organisation supranationale  », de manière informelle afin de contourner les législations étatiques (Grégoire et Schmitz, 2000 : 17-18), favorisés par le détournement que les acteurs préposés au contrôle font de leurs fonctions (Bach, 2003b). Les flux migratoires ouest-africains sont bien évidemment une partie intégrante de ce processus, comme le souligne M. Alioua (2005 : 39).

Parallèlement à la transformation du Maghreb en espace de transit se produit ce que D. Perrin (2005 : 60) définit comme « un déplacement de la problématique migratoire  ».

Les pressions politiques et le marchandage européens face aux pays de la façade méridionale de la Méditerranée produisent des changements significatifs dans les pratiques de contrôle des migrations dans la région maghrébine. Ces changements se reflètent dans le cadre juridique relatif aux mouvements de personnes adopté par exemple en Tunisie et au Maroc qui ont introduit durant les dernières années de nouvelles réglementations à l’égard de l’immigration. Ces textes, qui prévoient des peines sévères pour les passeurs et les migrants, ne prévoient pas de normes de protection des migrants étrangers face aux possibles abus à leur égard (Fargues, 2006 : 22). Si les évolutions législatives portant sur les migrations représentent un premier effet des pressions européennes exercées sur les pays de transit, les pratiques de contrôle mises en place par les pays maghrébins en sont un corollaire encore plus significatif. Dans le cas marocain, on peut sans doute souligner que, ces dernières années, il y a eu une augmentation quantitative des poursuites et des interceptions de migrants, nationaux et surtout étrangers [8].

Cette traque de migrants se réalise autant à l’intérieur du pays que dans les zones « classiques » de départ d’embarcations vers les côtes espagnoles que ce soit dans la zone du détroit de Gibraltar que sur les côtes atlantiques faisant face aux Canaries. En effet, le contrôle des côtes, c’est-à-dire des départs d’embarcations de migrants à destination de l’Espagne, constitue un des points principaux des demandes espagnoles et européennes au Maroc en matière de contrôle des flux migratoires sur son territoire.

À la dynamique de déplacement vers les espaces de transit de la poursuite des migrants, s’ajoute un effet domino parallèle dans les expulsions des migrants en transit et parfois, dans la foulée, aussi des résidants subsahariens dans le pays tiers en question. En outre, se produit une re-expulsion de migrants subsahariens, précédemment expulsés par l’Espagne en fonction du fait que le Maroc avait été le dernier point de passage avant l’entrée en territoire européen [9]. Suite aux événements de Ceuta et Melilla de l’automne 2005 qui avaient déchaîné les protestations et les critiques espagnoles concernant le manque de collaboration du gouvernement marocain, les actions marocaines se sont intensifiées. Les expulsions massives de migrants subsahariens effectuées pendant les derniers mois de 2005 du Maroc vers l’Algérie et la Mauritanie en sont un résultat fort évident [10].

L’effet domino est rapide et les autorités marocaines, citées par M. Lahlou (2005 : 8), soulignent que 90% des étrangers arrêtés dans le pays proviendraient de la frontière nord-algérienne, et seulement une minorité viendrait de la Mauritanie, dont la frontière avec le Maroc a été ouverte seulement en février 2002. Les accusations du gouvernement marocain conjointement aux pressions européennes ont généré une vague ultérieure d’expulsions, cette fois de la part du gouvernement algérien [11].

Cependant, les poursuites des étrangers et leur enfermement ne sont pas une exclusivité des pays du Petit Maghreb. La même pratique, suite aux pressions européennes, est appliquée également en Libye, où le régime de Kadhafi a déjà une bonne expérience dans les expulsions périodiques et massives de main-d’oeuvre subsaharienne (Haddad, 2005 : 86-87). Ce pays aurait expulsé 54.000 immigrés en 2004, contre 43.000 expulsions en 2003 [12]. Des camps où sont enfermés les présumés ‘migrants en transit’ ont été installés au sud du pays, précisément dans la commune d’Al Gatrum proche de la frontière avec le Niger et le Tchad [13].

Une autre mesure est particulièrement importante dans la mise en place effective du processus d’externalisation du contrôle des flux migratoires ouest-africains. Il s’agit de l’imposition d’une assistance policière, plus ou moins directe, dans la surveillance des flux migratoires, particulièrement dans le domaine du contrôle des routes maritimes entre l’Afrique et l’UE. Cette assistance peut se concrétiser autant dans la formation des forces policières des pays tiers préposées au contrôle des frontières, que dans l’envoi d’officiers de liaison ou dans la réalisation de patrouilles conjointes le long des routes migratoires informelles les plus empruntées [14]. On aura par la suite l’occasion d’analyser plus précisément le fonctionnement des patrouilles conjointes dans le cas de la Mauritanie et du Sénégal.

Le déplacement des routes comme conséquence de la dynamique d’adaptation des flux migratoires.

Pour comprendre les modifications des trajets migratoires vers l’Europe, il est nécessaire de rappeler une particularité de la composante ‘terrestre’ des migrations ouest-africaines vers l’Europe. Ces mouvements se déroulent par étape (Lahlou, 2005 : 2 ; Bensaad, 2005b : 18). La programmation du voyage se fait, en pratique, sur la route. A chaque étape, on reçoit des informations à l’égard de la prochaine. Cela permet d’adapter le trajet aux changements conjoncturels de l’environnement politique et policier de la migration.

On peut faire appel ici à la notion de frontière-réseaux, comme limite du réseau cognitif sur lequel repose l’espace des flux, pour comprendre les interactions de ces derniers avec les territoires étatiques et leurs frontières linéaires (Bach, 2003b : 953). La flexibilité des flux migratoires ouest-africains témoigne du rôle clef des réseaux sociaux qui en sont à la base. Sans nous éloigner du centre d’intérêt de l’analyse, il est extrêmement important de rappeler que leur fonction tout au long du chemin migratoire, aussi bien en diffusant des informations qu’en fournissant de l’aide matérielle et humaine, permet un réajustement “en chemin”, au cours du voyage, particulièrement dans ce type de migration par étape. Dans ce processus d’adaptation des flux, un rôle clef est joué également par les différents “intermédiaires du passage”. À côté des mafias de trafiquants, tant décriées dans les discours politiques et la presse, il faut souligner la figure du « passeur subsaharien  », ce « migrant-passeur  » sert de médiateur entre « les nouveaux arrivants et le territoire dans lequel il les introduit  » (Alioua, 2005 : 44-45).

Cependant l’adaptation des parcours migratoires aux changements ‘environnementaux’ n’est pas toujours rapide et les migrants qui sont en route n’ont pas tous la capacité ou la possibilité de se remettre soudainement en marche pour une autre destination. Un bon nombre de migrants restent donc bloqués dans les pays de transit, dans des campements de migrants, ces «  espaces de relégation  » (Bensaad, 2005b : 25) aux alentours des principaux points de passage [15].

Suite au renforcement progressif du contrôle du gouvernement marocain dans la zone du détroit de Gibraltar et sur ses côtes méditerranéennes, les chemins migratoires ouest-africains commencent à se déplacer partiellement vers la côte atlantique marocaine pour se diriger par la suite, par voie maritime, vers les îles Canaries. Les départs sur cette route s’amplifient à la suite de l’intensification du contrôle policier marocain qui se met en place après les événements de Ceuta et Melilla de septembre et octobre 2005. Face aux pressions espagnoles, le gouvernement marocain durcit les dispositifs de contrôle sur son territoire saharien, poussant ainsi les points de départ des embarcations à se déplacer un peu plus au Sud, vers les côtes du Sahara Occidental.

La même dynamique se répète et le Maroc étend son contrôle vers les côtes du territoire saharien. En même temps, de nombreuses routes deviennent inutilisables : comme celles reliant l’Afrique de l’Ouest au Maroc et au Sahara Occidental, celles qui passent par la Mauritanie (Zerouat) pour arriver à El Aaiún (Sahara Occidental), où les migrants passaient le mur miné grâce à la complicité bien rémunérée de certains gendarmes, ou les routes traversant le Mali et le Niger en passant par l’Algérie. Les flux se réorientent alors d’Agadez vers la Libye, pour rejoindre l’Italie, ou directement vers la Mauritanie. Dans ce second cas, la porte d’entrée devient alors le fleuve Sénégal que les migrants ouest-africains passent à la nage ou en pirogues. Une fois croisé le fleuve, les migrants traversent le désert jusqu’à la ville de Nouâdhibou dans l’attente d’embarquer pour les Canaries. Ce déplacement des points de départ maritimes vers le Sud s’illustre par un changement des destinations passant de l’archipel des Canaries et de l’île de Fuerteventura à celles de Grand Canarie et Tenerife [16].

Les évolutions dans les flux migratoires informels produites par le déplacement géographique du contrôle ne se limitent pas à la modification des routes migratoires. En effet, les conséquences du renforcement du contrôle migratoire dans les espaces de transit se répercutent également sur les modalités de voyage.

À la suite du début des captures des conducteurs d’embarcations par la Guardia Civil, la stratégie des trafiquants change dans la mesure où ils perdent une embarcation et où ils doivent dédommager la famille du marin capturé, afin que celui-ci ne dénonce pas les membres de l’organisation [17]. Les conséquences directes sont, premièrement, que le prix du voyage augmente et, deuxièmement, que les migrants eux-mêmes doivent s’arranger pour rejoindre les Canaries. En effet, vu que les trafiquants « ne mettent plus aucun de leurs conducteurs à bord des embarcations à destination de l’Espagne  », pour éviter les risques de naufrage mais surtout ceux d’arrestation (Lahlou, 2005 : 11), les migrants doivent rejoindre les côtes espagnoles à l’aide d’une boussole ou, dans le meilleur des cas, d’un système GPS et de quelques vagues indications.

Parallèlement, se produit une évolution dans les moyens de transport employés par les migrants. Au Sahara Occidental, les filières des trafiquants commencent à construire des pateras "jetables" réalisées en bois marocain, coupé par des charpentiers locaux et assemblé souvent par les migrants mêmes, qui conduiront ensuite les bateaux. Quand les départs se déplacent vers la zone de Nouâdhibou, les embarcations sont le plus souvent des pirogues généralement de bonne qualité auparavant utilisées pour la pêche en Mauritanie et au Sénégal [18].

L’Espagne “découvre” l’Afrique au sud du Sahara.

La dynamique d’ « action et réaction » réciproque entre les mouvements migratoires et les actions de contrôle de flux produit, comme on a déjà eu l’occasion de le voir, à la fois un déplacement géographique des routes et des dispositifs de contrôle. Cette chaîne de réactions a conduit le gouvernement espagnol à “découvrir” la zone subsaharienne d’Afrique, afin de négocier une coopération en matière de migration avec les pays d’où partent les embarcations.

La première étape de cette “découverte” e été la Mauritanie, devenue au début de 2006 un axe privilégié des flux migratoires informels en direction des îles Canaries. Face à l’augmentation du nombre d’embarcations au départ de ce pays, le gouvernement espagnol présente au gouvernement mauritanien, le 15 mars 2006, un plan urgent de coopération qui prévoit la fourniture de moyens de patrouille pour la vigilance de la côte et l’aide pour établir des “centres d’accueil” destinés aux migrants [19]. Parallèlement à la conclusion d’un accord de réadmission de seconde génération, la réadmission directe des migrants partis des côtes de Mauritanie étant un point clef de l’action espagnole, un camp d’accueil est mis en place par des militaires espagnols à Nouâdhibou [20], où les migrants expulsés des Canaries restent dans l’attente d’une expulsion ultérieure.

Suite à l’intensification des arrivées sur les côtes des Canaries, un millier de migrants entre le 12 et le 14 mai 2006, le gouvernement espagnol annonce un renforcement du contrôle aérien et maritime des eaux environnant les îles, le début des opérations de patrouille conjointe avec le gouvernement mauritanien, ainsi qu’un plan de rapatriement des migrants arrivés et interceptés [21].

L’extension du contrôle des flux migratoires aux eaux territoriales de la Mauritanie représente un pas de plus dans l’extension de la vigilance européenne sur le continent africain. Encore une fois, les priorités sont l’extension et l’intensification du contrôle des flux migratoires, toujours assorties d’accords de collaboration en matière de contrôle des migrations et, bien sûr, d’accords, formels ou informels, de réadmission [22].

En même temps, le gouvernement espagnol étend les pressions diplomatiques aux autres pays de l’Afrique de l’Ouest et le président Zapatero envoie publiquement une invitation aux présidents du Sénégal, de la Guinée-Bissau et du Mali, le 16 mai 2006 à Paris, par le biais de son ministre des Affaires Extérieures M. A. Moratinos, en les invitant à « assumer la partie de responsabilité qui leur corresponde dans la gestion des flux migratoires  ». Cette invitation est symptomatique du ton des négociations : le mandataire espagnol prévient ces pays « que tout effort de coopération en matière impulsé par l’UE risque de faire naufrage si la crise actuelle ne s’arrête pas urgemment et en concret en rapatriant les immigrants sans papiers  » [23].

Cependant, les débarquements de ressortissants ouest-africains non seulement continuent, mais s’accroissent, et massivement relayés par les médias, provoquent des pressions sur le gouvernement espagnol autant sur le plan de la politique intérieure qu’au niveau européen.

Face à la crise des pirogues [24], le gouvernement espagnol réagit en présentant, à la fin juin, un plan d’action pour l’Afrique subsaharienne, le “Plan África 2006-2008” [25] afin de créer une impulsion significative de la politique étrangère espagnole vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne. La question des migrations fait bien évidemment partie des différentes thématiques abordées. La partie introductive parle en termes généraux d’impulser la coopération pour réguler de façon adéquate les flux migratoires provenant de la région subsaharienne et pour combattre le trafic de personnes. Et pourtant, dans le cadre des mesures spécifiques, le gouvernement veut rendre plus souples les processus de rapatriement immédiat des migrants rentrés irrégulièrement en Espagne.

Sur le plan bilatéral, la priorité est donnée à la conclusion d’une série d’accords de coopération migratoire et de réadmission avec des pays prioritaires à cet égard, c’est-à-dire le Sénégal, Mali, Ghana, Cameroun, Côte d’Ivoire, Cap-Vert, Guinée Conakry et Gambie (l’Espagne ayant déjà signé des accords avec le Nigeria et la Guinée-Bissau). Afin de réaliser ses objectifs, le gouvernement mutiplie les voyages, visites et contacts politiques de haut niveau, et augmente substantiellement la présence institutionnelle espagnole en Afrique de l’Ouest par l’ouverture de nouvelles ambassades, au Mali et au Cap-Vert, et l’envoi permanent d’une dizaine de diplomates dans la région. Dans ce cadre, l’Espagne commence une « offensive diplomatique » dans les pays d’Afrique subsaharienne, et en particulier en Afrique de l’Ouest, pour établir des contacts directs et permanents avec les pays d’origine des migrants mais surtout avec ceux de dernier transit. Sur le plan multilatéral, le gouvernement continue sur la lancée des rencontres de haut niveau, comme la Conférence ministérielle euro-africaine de Rabat du juillet 2006.

Parallèlement à ce plan d’action politique en direction du gouvernement mauritanien, l’Espagne a également exercé des pressions au niveau multilatéral pour inciter l’UE à se mobiliser, chercher un support politique, diplomatique, et surtout matériel, et ainsi impulser des activités de patrouille conjointe dans le cadre de l’agence Frontex. Les résultats ne se sont pas fait attendre : le 20 juin 2006, lors d’une réunion à Madrid, l’agence Frontex communique la mise en place, dès juillet, de l’opération Hera dans les eaux atlantiques entre les îles Canaries et la Mauritanie, le Sénégal et le Cap-Vert, sous coordination de la Guardia Civil et de la Policía Nacional [26]. L’objectif est à la fois de dissuader les candidats au départ et d’intercepter les embarcations qui ont déjà quitté les côtes ouest-africaines pour renvoyer leurs passagers. L’opération s’appuie sur un réseau d’officiers de liaison espagnols, français et portugais détachés en terre africaine, ainsi que sur un groupe de fonctionnaires de l‘UE basé à Tenerife pour collaborer à l’identification des migrants. Cependant, à l’époque, le seul pays à donner son accord est la Mauritanie. Par la suite viendront s’ajouter le Cap-Vert et le Sénégal.

Ceci résulte de la mise en place du dispositif de contrôle des migrations sur le territoire et dans les eaux mauritaniennes qui a eu pour effet de déplacer au Sénégal [27] une partie substantielle des départs vers les Îles Canaries. À la suite d’une série d’interceptions aux Canaries de pirogues “sénégalaises”, commence alors un long bras de fer politique et diplomatique entre l’Espagne et le Sénégal pour la réadmission de ses ressortissants arrivés aux Canaries par voie maritime et, parallèlement, pour l’acceptation d’un contrôle des eaux sénégalaises, dans le cadre du plan de patrouilles conjointes de l’agence Frontex de l’UE.

L’enjeu migratoire dans les relations entre le Sénégal et l’Espagne : chronique d’une négociation.

L’irruption de la question migratoire dans les relations entre l’Espagne et le Sénégal est à l’origine d’un changement sensible dans les rapports entre les deux pays. Si l’on analyse les relations institutionnelles antérieures, et que l’on s’intéresse, par exemple, aux visites officielles entre les deux pays, la question principale à l’ordre du jour était la pêche, en particulier les accords octroyant aux armateurs espagnols le droit d’exploitation des eaux territoriales sénégalaises [28]. Une évolution progressive dans la relation est déterminée par l’arrivée des ressortissants sénégalais aux îles Canaries. Un développement plutôt radical des rapports entre l’Espagne et le Sénégal se produit donc à partir de la « crise des pirogues ».

Il est utile ici de parcourir la chronologie des négociations entre les deux pays pour souligner les différentes questions soulevées par les deux parties.

Début juin 2006, au début des opérations de patrouille dans les eaux mauritaniennes, les deux pays signent un accord au sujet du rapatriement de 623 citoyens sénégalais arrivés aux Canaries et identifiés par les fonctionnaires sénégalais déplacés pour l’occasion sur ces îles [29]. Le secrétaire d’Etat espagnol Bernardino León confirme à la presse, alors qu’il est encore à Dakar pour sa première rencontre avec le président sénégalais Abdoulaye Wade, qu’un compromis est trouvé entre les deux pays pour procéder aux rapatriements. Une décision confirmée par le président du gouvernement espagnol J. L. Rodriguez Zapatero, dans sa déclaration au Congrès des députés [30]. Ces opérations ne sont pas encadrées par un accord officiel. En effet, selon B. León celui-ci « ne semble pas nécessaire  » puisque la signature de ce type d’accords « n’est pas une condition sine qua non  » étant donné que « avec le Sénégal se produisent des rapatriements depuis un certain temps » et que « sans avoir un accord avec le Sénégal, les rapatriements commencent aujourd’hui même  » [31].

Ainsi, un premier avion transportant 99 personnes s’envole pour Dakar, mais le président Wade décide immédiatement de suspendre les opérations, à cause des conditions de rapatriement « déplorables », les sénégalais refoulés ayant été « menottés et trompés », comme l’évoque le communiqué présidentiel à l’ambassade espagnole au Sénégal [32]. En effet, les sénégalais rapatriés avaient protesté énergiquement après leur arrivée à Dakar car ils n’étaient pas au courant de leur rapatriement (certains croyaient être transportés à Malaga [33]). Ce fait, rapidement relayé par les médias sénégalais, a suscité immédiatement des protestations sociales qui ne sont pas étrangères à la décision du gouvernement sénégalais.

Les vols n’ont repris que le 19 juin, suite aux entretiens du ministre sénégalais de l’Intérieur, Ousmane Ngom, à Madrid avec les autorités espagnoles qui, pour preuve de leur “bonne volonté”, ont octroyé trois jours auparavant, le 16 juin, un crédit de 20 millions d’euros d’aide au développement pour le Sénégal. En répondant à la demande des autorités sénégalaises d’opérer « de manière responsable » et « non sur la place publique », les expulsions se déroulent en effet dans le secret et en pleine nuit. Entre le 19 et le 24 juin ont lieu sept vols pour rapatrier 189 migrants sénégalais, auxquels les policiers espagnols donnent 300 euros chacun pour leur permettre « de commencer à refaire leur vie » [34].

À propos des deux autres volets prioritaires : la vigilance des côtes sénégalaises et l’établissement de quotas d’immigration en Espagne pour les Sénégalais, les autorités espagnoles choisissent « d’étudier sérieusement  » la seconde question, au moment où le ministre sénégalais annonce l’accord de coopération pour débuter les opérations de patrouille de Frontex dans ses eaux territoriales, tout en rappelant le manque de moyens de son pays. À cet égard, tant les autorités espagnoles que l’UE se déclarent prêtes à appliquer le même modèle d’aide proposé auparavant au gouvernement mauritanien.

Le 12 septembre 2006, le ministre de l’Intérieur sénégalais Ousmane Ngom annonce l’offre de 20 millions d’euros faite par le gouvernement espagnol laquelle pourrait servir au plan Reva [35] (retour des émigrés vers l’agriculture) du président Wade.

Les pressions espagnoles sur le gouvernement sénégalais portent leurs fruits puisque ce dernier met en place des contrôles policiers dans les principaux points de départ, ainsi que des opérations d’infiltration [36]. Ces mesures, dans un premier temps, déplacent les départs un peu plus au sud du pays, de Saint Louis vers Dakar et encore plus au sud dans la région de M’bour. Par la suite, les points d’embarquement des candidats à l’émigration se déplacent de la zone de M’bour vers la région de Casamance, située au sud de la Gambie, et plus particulièrement entre la ville de Ziguinchor et la zone côtière méridionale, et vers la frontière avec la Guinée-Bissau. Une partie des départs se déplacent ensuite encore plus au sud, sur les côtes de Guinée-Bissau.

Entre-temps, la diplomatie espagnole s’active pour conclure la signature d’un accord avec le gouvernement sénégalais, vu notamment que ce dernier venait de souscrire avec la France, le 23 septembre, un accord sur la gestion concertée des flux migratoires [37]. Cependant, lors de sa visite du 10 octobre 2006 à Dakar, le ministre espagnol des Affaires Extérieures, M. A. Moratinos, doit prendre acte de la décision des autorités sénégalaises de différer la signature d’un tel accord et déclare qu’il espère que cela pourra être réalisé au début de l’année 2007, quand le président A. Wade se rendra en visite officielle en Espagne [38]. Selon certaines sources [39], pendant cette visite, le ministre espagnol aurait annoncé l’intention du gouvernement espagnol d’ouvrir des canaux formels de migration vis-à-vis du Sénégal, ainsi qu’il aurait signé un accord de coopération pour lequel l’Espagne se compromettrait à apporter une aide annuelle de 15 millions d’euros pendant les prochains cinq ans.

Le temps des amitiés sur l’axe hispano-sénégalais.

Le 5 décembre 2006 le président du gouvernement espagnol J.L. Rodríguez Zapatero se rend en visite à Dakar. Il s’agit de son premier voyage en Afrique et la première visite officielle d’un président du gouvernement espagnol dans la région depuis une quinzaine d’années. Pendant cette visite, le président Zapatero, accompagné des ministres des Affaires Extérieures, M.A. Moratinos, du Travail, J. Caldera, et de la Justice, J.F. López Aguilar, rencontrent le président A. Wade afin d’avancer dans la mise en place d’accords de rapatriement et de coopération migratoire, dans la lignée de ceux conclus avec d’autres pays de la sous-région.

Lors de leur conférence de presse conjointe, les deux présidents déclarent avoir rejoint un accord à l’égard de la migration des ressortissants sénégalais, « un accord qui est immédiatement appliqué à la satisfaction des deux pays  » et « une affaire solutionnée par les ministres  » selon les mots du mandataire sénégalais [40]. Dans cette occasion, le président Zapatero annonce la signature d’une série d’accords : un “Mémorandum d’entente” sur les relations bilatérales qui implique un renforcement du dialogue politique, de la coopération au développement et de la coopération intégrale en matière de migration, et la signature d’un Accord cadre de coopération migratoire concernant tant la « gestion des flux » que l’encouragement de la migration légale.

Les deux présidents, qui partagent le souhait de renforcer les voies légales de la migration de travail, soulignent également le fait que les Sénégalais qui veulent se rendre travailler en Espagne devront le faire, dorénavant, de façon « organisée » et « ordonnée ». À cet égard, une déclaration sur la gestion des flux migratoires réguliers est signée, le gouvernement espagnol s’engage à développer les mécanismes adéquats pour recruter la main d’œuvre sénégalaise à sa source. Cependant, par rapport à l’annonce de 4000 permis pour des travailleurs sénégalais, fait par le président Wade quelques mois plus tôt, le président du gouvernement espagnol se contente de déclarer que les nécessités de main d’œuvre de l’économie espagnole seront déterminées par le ministre compétent dans la période à venir.

Dans cette déclaration, le président Zapatero, qui souligne que « l’Espagne a vécu trop de temps sur les épaules à l’Afrique » [41], énonce le renforcement de l’action vis-à-vis de l’Afrique sub-saharienne dans le cadre des lignes phares tracées par le Plan África qui prévoit une dotation de 450 millions d’euros pour l’année 2006, dont 35 destinés au Sénégal. Les deux pays s’engagent également à prolonger de six mois, à partir du 1er janvier 2007, l’activité de patrouille de l’agence Frontex. L’Espagne aurait également proposé la création d’un centre national de sauvetage maritime et un centre de gestion migratoire en collaboration avec l’Organisation Internationale du Travail.

En outre, un accord en matière de protection des mineurs non accompagnés est désormais signé, dans lequel le gouvernement sénégalais s’engage à identifier les mineurs et leurs familles dans un terme de vingt jours, afin de procéder ensuite à leur « réinsertion » dans le contexte d’origine.

Dans ce cadre enfin, J.F. Lopez Aguilar et cheikh Tidjane Sy, ministres de la Justice des deux pays, signent un accord de coopération en matière de lutte contre la délinquance, dans lequel il est prévu un échange d’informations, une entraide dans les investigations et l’exécution d’actions coordonnées, coopération policière incluse, pour la poursuite de la délinquance organisée [42]. Cet accord, qui vise principalement la collaboration dans le démantèlement des réseaux clandestins à destination des îles Canaries, s’inscrit dans la même ligne des engagements signés précédemment avec la Mauritanie.

Presque six mois plus tard, le 22 juin 2007, Ousmane Ngom et Alfredo Pérez Rubalcaba, ministres de l’Intérieur du Sénégal et de l’Espagne, signent une déclaration de prolongation des opérations de patrouille conjointes dans le cadre de Frontex, renouvellées pour une nouvelle période de douze mois, jusqu’au 30 juin 2008. Des résultats sont affichés à cette occasion, tels la diminution importante des arrivées aux Canaries, passées de 901 embarcations et 35.488 passagers, en 2006, à 101 embarcations et 4.304 passagers, de début 2007 au 15 juin 2007 [43]. L’entente entre les deux pays apparaît désormais solide, le ministre espagnol a notamment déclaré : « l’année dernière, quand je suis venu au Sénégal, on était l’un face à l’autre. Aujourd’hui, on est l’un à côté de l’autre  » [44].

L’externalisation vers l’Afrique du contrôle des flux migratoires, son marchandage et ses “effets collatéraux”.

La question des migrations subsahariennes vers l’UE n’est pas seulement un enjeu européen, dans la mesure où les pays de transit, en premier lieu ceux du Maghreb, jouent de leur rôle de « supplétifs de la répression » comme une sorte de « rente géographique », « un moyen de marchandage avec les pays européens  » (Bensaad, 2005a : 8). Ces gouvernements font usage de la question migratoire comme outil de politique extérieure vis-à-vis de l’Europe.

Ce n’est donc pas un hasard si certains pays de transit, comme la Maroc et la Libye, demandent une aide financière ainsi qu’un support technologique/militaire pour mettre en pratique leurs bonnes intentions de contrôle des migrants en transit (Bensaad, 2005 ; Haddad, 2005).

Cette dynamique, dans laquelle en parallèle à une émergence migratoire se produit une demande d’aide des pays de transit des flux migratoires, s’est reproduite également en Afrique subsaharienne, tant dans le cas de la Mauritanie que du Sénégal et de Guinée-Bissau.

Dans le cas sénégalais, la négociation du contrôle des flux migratoires avec l’Espagne représente pour le gouvernement Wade un enjeu fort attractif, au plan des aides monétaires promises, mais également chargé de risques, notamment face aux réactions de l’opinion publique, notamment en période électorale. D’ailleurs, le cas du Sénégal témoigne de la façon dont un pays tiers se positionne dans les négociations avec l’UE. La priorité accordée en termes de collaboration est radicalement différente si ce pays est un espace de dernier transit ou simplement un foyer d’émigration. Ce changement de poids politique des pays tiers se produit lorsque apparaît une mutation soudaine des routes migratoires et un pays de départ devient ainsi un dernier espace de transit.

Les “accords migratoires” espagnols en Afrique de l’Ouest représentent sans doute une nouvelle étape dans l’externalisation du contrôle des flux migratoires dans le continent. L’extension géographique de la zone tampon est le fruit des intenses interactions qui se produisent entre les politiques d’immigration et les dynamiques migratoires dans les espaces de transit. Plusieurs considérations émergent de la série d’actions et de réactions qui se produisent entre les dynamiques politiques, d’un côté, et celles des flux, de l’autre. D’abord, le processus de reformulation continuelle des actions politiques et policières se limite à son champ d’action géographique sans réexaminer sa logique de base. En parallèle, la grande capacité des flux migratoires de s’adapter aux changements de l’environnement politique et policier qui les entoure, souligne le caractère éphémère et la faible utilité des politiques d’immigration sécuritaires, orientées vers le court terme et excessivement focalisées sur les composantes répressives et de contrôle. Paradoxalement, cette même inefficacité dans le contrôle des flux migratoires extrêmement fluides fournit les justifications rationnelles pour implanter ou étendre ultérieurement la délégation du contrôle migratoire. D’après P. Andreas, on est en présence d’une « escalatory self-reinforcing dynamic », dans laquelle le renforcement du contrôle provoque une réponse des flux qui rend “nécessaire“ une ultérieure action de contrôle (Lutterbeck, 2006 : 60-77).

Nonobstant l’inefficacité des politiques de maîtrise des flux, il faut souligner que cette dynamique circulaire de “poursuites” entre les flux migratoires et les dispositifs de contrôle laisse des traces visibles sur les espaces continentaux africains.

Premièrement, une nouvelle zone tampon se construit sur la côte atlantique du continent africain, s’ajoutant à celle déjà en place sur le rivage méridional de la Méditerranée. Deuxièmement, parce que cette chaîne de déplacements des flux et des dispositifs de contrôle transforme certains pays d’Afrique subsaharienne en zones de transit. La création de ces nouveaux limes au sud de l’UE est à l’origine de nombreuses conséquences dans le panorama politique et humain du continent africain. Du point de vue politique, l’action européenne détermine l’entrée progressive de la question migratoire sur la scène politique de ces pays. Des changements conséquents se produisent vis-à-vis des conditions des migrants, réels et potentiels, dans le pays de transit, aussi bien dans le cadre juridique, les pratiques de contrôle que les politiques de visas. Ces évolutions poussent toujours plus dans l’informalité les flux migratoires. Du point de vue humain, cela augmente les risques des violations des droits à l’égard des migrants potentiels ; les espaces de rassemblement des migrants en attente du passage vers l’Europe devenant souvent le théâtre d’opérations extrêmement musclées de la part des forces de l’ordre des pays de transit voulant montrer leur ’bonne volonté’ dans le contrôle des flux ouest-africains [45].

Il faut enfin souligner que l’extension géographique du contrôle et de la militarisation progressive des frontières, tant du point de vue de la technologie des instruments de contrôle utilisés que de celui des officiers qui les contrôlent, produit à l’égard des flux migratoires informels un processus d’optimisation des obstacles naturels sur l’axe euro-africain [46]. Une telle stratégie de contrôle, propre à un conflit de basse intensité faisant usage de la violence comme un instrument de dissuasion de l’immigration (Nagengast, 1998), déplace les flux migratoires informels vers des zones où la vigilance est inférieure mais où les distances plus longues, et les conditions géographiques et climatiques plus dangereuses, devraient représenter un obstacle et constituer un élément de dissuasion.

Le nombre important de morts aux frontières de l’UE, aussi bien dans les eaux du détroit de Gibraltar que dans l’Atlantique et le Sahara, souligne de façon macabre les coûts de cette stratégie en termes de vies humaines [47].

Le fait que le nombre de victimes augmente, en parallèle au renforcement et à l’extension du contrôle, semble supporter l’idée que les politiques de contrôle des frontières, mises en place officiellement pour éviter les morts de migrants, causent en réalité une augmentation du nombre de décès. Nous partageons l’idée de T. Spijkerboer (2007 : 139) selon laquelle les « coûts humains » des politiques de contrôle des frontières de l’Union Européenne devraient être pris en compte lors qu’on discute de leurs résultats. Si à ces “effets secondaires ou collatéraux” extrêmement néfastes, on ajoute l’incapacité de ces mesures à arrêter les flux subsahariens informels [48], il nous paraît nécessaire de reconsidérer en profondeur les logiques qui sont à la base des actuelles politiques d’immigration dans les pays européens.

Si l’on revient au cas hispano-sénégalais, la promesse du président Zapatero d’ouvrir des canaux formels d’immigration pour quelques milliers de citoyens sénégalais, pourrait faire penser que les pays européens ont pris conscience que, faute de canaux formels pour émigrer, les flux informels de migrants ne peuvent se réduire. Pour évaluer si cette promesse, qui pour le moment semble avoir plus une valeur symbolique qu’effective, représente réellement le début d’un changement, il faudra examiner le nombre de visas qui seront réellement donnés. Il faudra également vérifier comment le Sénégal gérera ces quotas qui peuvent constituer un recours important sur le plan politique intérieur. Il y a là le risque que la thématique soit utilisée plutôt comme monnaie d’échange, comparativement au cas de l’aide au développement, employée comme outil de négociation dans la délégation du contrôle et non pensée comme une finalité politique en soi, capable de réduire les flux sur le moyen/long terme.

En suivant les considérations de D. Kohnert (2007 : 19), qui souligne une double responsabilité des pays européens vis-à-vis de l’existence d’une pression migratoire sur le continent africain, d’un côté en supportant des régimes corrompus et autocratiques, de l’autre, pour les résultats de leurs « politiques commerciales extérieures égoïstes  », on pourrait étendre la nécessité d’un changement d’orientation à toute la politique européenne vis-à-vis de l’Afrique.

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NOTES

[1] Pour un cadre général de l’enjeu ‘migration’ dans les relations euro-africaines voir Gabrielli (2007).

[2] En suivant T. Hammar (1985), le terme politique d’immigration se réfère à la régulation des flux migratoires, au contrôle des étrangers et des frontières. À ces catégories s’ajoute toute disposition légale et administrative utilisée pour la sélection, l’admission et l’entrée des citoyens étrangers sur le territoire d’un Etat, ainsi que les dispositions relatives au rejet, au rapatriement et à l’expulsion des étrangers.

[3] Comme le soulignent M. Kritz et H. Zlotnik (1992 : 2) un processus migratoire « changes over time as ’push-and-pull’ factors evolve in those countries, as feedback and adjustments stemming from the migration process itself alter conditions in them, and as other ties and interactions between countries introduce new constraints or stimuli ». Pareillement J. Fawcett (1989 : 672) rappelle que « a change in any part of the system will be matched by an adjustment elsewhere in the system ».

[4] Au niveau intérieur, la principale conséquence des politiques de fermeture de l’espace européen est représentée par l’augmentation du nombre de migrants présents irrégulièrement sur le territoire de l’UE. En analysant les données des processus extraordinaires de régularisation, et sans considérer les mécanismes permanents, entre le début des années 1980 et 2005, on compte plus de trois millions de sans-papiers en Espagne, France, Grèce, Italie et Portugal (Levinson, 2005 : 77-84). Pour avoir un bilan complet, il faut ajouter à ce chiffre plus d’un million de régularisations réalisées en Espagne (plus de 500.000), en 2005, et en Italie (également plus de 500.000) en 2005-2006.

[5] Cela détermine un élargissement parallèle et progressif du marché du passage et du trafic de personnes, particulièrement rentable et relativement peu risqué. Comme le souligne à propos du cas marocain A. Belguendouz (2002 : 47), l’arrivée des premières pateras sur les côtes espagnoles coïncide avec l’introduction, en 1991, en Espagne de l’obligation de visa pour les citoyens marocains. Dans un cadre plus général, voir le travail de E. U. Savona (1996).

[6] À titre d’exemple, on peut citer le cas de la collaboration entre l’Italie et la Libye, à l’égard duquel S. Liberti souligne que le contenu des accords migratoires entre les deux pays, publiquement annoncés par l’ancien premier ministre italien S. Berlusconi en 2004 et 2005, reste encore inconnu. Voir S. Liberti. 2006. “L’esodo a ritroso dei clandestini del Sahel “, SIDINT–Reportage, http://www.sidint.org/migration/html /publications.html, p. 4.

[7] Le volet 13 de l’accord entre l’UE et les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, est dédié à la question migratoire et prévoit pour les pays ACP l’obligation d’accepter le retour et la réadmission de leurs citoyens présents sur le territoire d’un état membre de l’UE, ainsi que des migrants originaires des pays tiers ayant transité sur leur territoire juste avant de rentrer dans l’UE, sur demande de l’état membre en question et sans formalités ultérieures.

[8] Selon D. Perrin (2005 : 71), les interpellations d’étrangers sur le territoire marocain sont passées de 1650, en 2000, à 2441, en 2002, pour atteindre le chiffre de 65.000 en 2003, avec le démantèlement de 1200 réseaux de passeurs. Selon le rapport du CARIM qui reprend les données du Ministère de l’Intérieur marocain, l’évolution des interceptions de migrants clandestins a été la suivante : 24409 en 2000 (9.353 nationaux et 15.056 étrangers), 26.427 en 2001 (13.327 nationaux et 13.100 étrangers), 31.397 en 2002 (16.034 nationaux et 15.363 étrangers), 36.344 en 2003 (12.493 nationaux et 23.851 étrangers), 26.605 en 2004 (9.353 nationaux et 17.252 étrangers).

[9] A la suite des attentats de Casablanca de mai 2003, le gouvernement marocain a procédé à l’arrestation et à l’expulsion de ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne (Perrin, 2005 : 71). Le 23 septembre 2004, en même temps que le porte-parole du gouvernement marocain se félicitait du fait qu’un rapport de l’administration des États-Unis avait signalé les bons résultats de son pays dans la lutte contre l’immigration, les forces de l’ordre de ce pays arrêtaient 603 subsahariens, dont 503 seulement dans la ville de Rabat, « pour les acheminer directement par autocars réquisitionnés vers Oujda et les expulser vers l’Algérie, sans même les présenter à justice. » (Belguendouz, 2005 : 183).

[10] Selon le quotidien algérien El Watan (11 octobre 2005), à peu près de 1200 migrants sénégalais et maliens sont rapatriés par le gouvernement marocain après le 10 octobre depuis la ville de Oujda. Selon la même source, centains d’autres « migrants en transit » ont été conduits au sud du pays et de là déposés aux frontières avec l’Algérie (secteurs désertiques d’Assa et Zag, à une centaine de km de Guelmin) et la Mauritanie (près de Smara Beggari). Le même quotidien (18 octobre 2005) rappelle que le Ministre espagnol des Affaires Etrangères était en visite entre le 10 et le 12 octobre à Rabat. Voir aussi le document du réseau Migreurop, Le livre noir de Ceuta et Melilla, juin 2006.

[11] Début décembre 2005, les forces de sécurité algériennes démantelaient un campement de migrants, près de Maghnia, utilisé comme point de passage vers le Maroc, à Oujda. A la suite de cette opération, environ 1500 ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne sont arrêtés, dont un premier groupe d’environ 600 personnes est expulsé, le 4 décembre, aux frontières avec le Mali et le Niger (El Watan, 5 décembre 2005).

[12] À l’égard des pratiques libyennes de contrôle des flux migratoires, voir le rapport très détaillé de Human Rights Watch, Libya. 2006. Stemming the Flow. Abuses Against Migrants, Asylum Seekers and Refugees, septembre 2006, Vol. 18, n° 5(E).

[13] Dans ce camp seraient retenus les migrants subsahariens expulsés par l’Italie, ainsi que ceux arrêtés en Libye, avant d’être une nouvelle fois expulsés volontairement (en se payant le voyage) vers Dirkou, ville du Niger au milieu du Ténéré. Voir F. Gatti. 2005. “L’ultimo viaggio dei dannati del Sahara”, L’Espresso, n° 11, 24 mars 2005, pp. 32-40. Voir également F. Gatti. 2007. Bilal. Il mio viaggio da infiltrato nel mercato dei nuovi schiavi, Milano, Rizzoli.

[14] Le Maroc, la France et l’Espagne ont proposé, de manière informelle, la création d’un réseau de coopération policière et judiciaire afin de renforcer les liens et les actions existant dans le cadre d’une gestion “conjointe” et “intégrale” des migrations, en échange d’une aide importante dans la mise en place de systèmes électroniques de vigilance (Le Matin, Maroc, 10 septembre 2005). La coopération du Maroc dans la lutte contre la migration clandestine est utilisée comme exemple pour pousser l’ensemble des pays de l’UE à supporter les initiatives de coopération dans le bassin méditerranéen.

[15] Dans le cas du nord marocain, des camps sont présents dans la forêt de Bel Younech, la province de Tétouan (aux environs de Ceuta), et la forêt de Gourougou, dans la province de Nador (près de Melilla), mais également à Tanger (camp de Messanana). Au sud du pays, des campements de migrants en transit existent aux alentours des villes de Tarfaya et Laâyoune, deux points d’embarquement en direction des îles Canaries (Belguendouz, 2005 : 182-183).

[16] Pendant la phase des départs de la côte marocaine et du Sahara Occidental, la destination privilégiée était l’île de Fuerteventura, la plus proche de la côte marocaine, où, en 2002, 470 embarcations de migrants ont été interceptées. Par la suite, cette île (239 bateaux interceptés en 2004, 69 en 2005) est supplantée par l’île de Gran Canaria (36 bateaux en 2004 et 107 en 2005), plus au Sud et directement sur la route que suivent les bateaux pour éviter le contrôle côtier marocain. L’île de Tenerife, où les interceptions des bateaux étaient passé de 2 à 17 entre 2004-2005, a été le point focal des débarquements des migrants lors des importantes vagues de la première moitié de 2006. Source : Ministerio de Trabajo y Asuntos Sociales, 2006, « Balance de la Secretaría de Estado de Inmigración y Emigración de las embarcaciones interceptadas en 2005 », Nota de prensa, 5 janvier 2006, http://www.mtas.es/periodico.

[17] El País, “El salto de la patera a la piragua”, 13 février 2006.

[18] Les embarcations les plus récentes mesurent entre 12 et 18 mètres de long pour 2 mètres de large et sont équipées d’un moteur de 40 chevaux. Elles peuvent transporter entre 60 et 90 personnes. Ces pirogues sont restées apparemment inutilisées, dans le cas mauritanien, depuis le coup d’Etat de 2005, quand dans le pays le secteur de la pêche s’est effondré (La Vanguardia, 18 mars 2006). Tandis que la première patera arrivée aux Canaries en 1994 était une petite barque en bois, utilisée par les pécheurs marocains, des dimensions d’approximativement 5 mètres de long pour 1,5 mètres de large et équipée avec un petit moteur.

[19] El País, 15 mars 2006.

[20] Quelques jours après, le Conseil des Ministres de l’Extérieur de l’UE décide de destiner 2 millions d’euros d’aide humanitaire et sanitaire à la Mauritanie, dans le cadre d’un plan d’action rapide de l’UE (El País, 24 mars 2006).

[21] El País, 14 et 15 mai 2006.

[22] Ces accords se divisent en deux typologies : certains (de première génération) prévoient la réadmission exclusive des migrants du pays signataire ; d’autres (de seconde génération) prévoient aussi la réadmission des migrants d’autres pays tiers qui ont transité dans le pays signataire juste avant d’entrer sur le territoire de l’UE.

[23] El País, 17 mai 2006, “Zapatero insta a los presidentes de Senegal, Malí y Guinea a aceptar las repatriaciones”.

[24] On se réfère à l’arrivée croissante de plusieurs embarcations en provenance principalement des pays d’Afrique subsaharienne et en premier lieu transportant des Sénégalais, qui prenaient le départ directement des côtes ouest-africaines depuis mai 2006. En particulier, au mois de mai 2006, arrivent aux Canaries 4.792 personnes, soit presque autant que les mois précédents (4.157) selon El País, 1 juin 2006. En 2006 ont été interceptés 39.225 migrants qui essayaient d’arriver en Espagne contre 18.228 personnes et 1.111 embarcations l’année précédente. El País, 8 janvier 2008.

[25] Ministerio de Asuntos Exteriores y Cooperación. 2006. Plan África 2006-2008, Madrid, MAEC-DG Comunicación Exterior. Ce plan ne représente qu’une prise de conscience partielle de l’Afrique subsaharienne, dans la mesure où l’Espagne était déjà présente sur le plan économique. Par contre, il est vrai que jusque là le poids politique espagnol dans le continent n’était pas considérable, la présence des représentations espagnoles dans le continent était discontinue et négligeait les pays stratégiquement marginaux pour ses intérêts.

[26] El País, “Europa intentará interceptar a los ’sin papeles’ en aguas de tres países africanos”, 21 juin 2006. La mission repose sur les subventions conjointes du budget de l’agence Frontex, 1,3 millions d’euros, et les fonds Argo de la Commission européenne, 2,7 millions. L’Espagne apporte deux bateaux, la patrouille Río Duero et le bateau de vigilance Petrel I, déjà détachés en Mauritanie, et un hélicoptère, pendant que l’Italie apporte un bateau, un avion et la France un autre bateau. Il y a eu trois opérations Hera dans les eaux atlantiques environnant les îles Canaries au cours de l’année 2006. On se réfère à l’opération HERA I (105 jours de mission d’identification des migrants), l’opération HERA II (127 jours d’opérations de patrouille avec la participation de 3 bateaux, un hélicoptère et 2 avionnettes) et l’opération HERA III (60 jours d’opérations de patrouille avec 3 bateaux, 1 hélicoptère et trois avionnettes). Pour plus d’informations sur ces opérations, voir FRONTEX, (sans date), Information on the activities of Frontex during the years 2006 and 2007, Background Note - To the attention LIBE Committee of the European Parliament : 2-3.

[27] Dans un premier temps les départs se sont effectués de la partie septentrionale de la côte atlantique de ce pays, c’est-à-dire des environs de la ville de Saint Louis, près de la frontière avec la Mauritanie. Les bateaux suivaient un trajet parallèle à la côte mauritanienne jusqu’aux environs de Nouâdhibou, puis prenaient la mer ouverte en direction de Tenerife ou Gran Canaria.

[28] Jusqu’à la crise “de los cayucos”, sur la totalité de huit visites officielles effectuées dans les dis ans précédents par les représentants des deux pays en Espagne ou au Sénégal, on comptabilise trois déplacements des respectifs Ministres de la pêche (Oumar Sarr, le 19 septembre 2000 à Madrid ; Miguel Arias Cañete, du 8 au 11 décembre 2000 à Dakar ; Cheick Saadibou Fall, le 15 novembre 2001 à Madrid). Les autres visites officielles, mises à part la visite du président Abdoulaye Wade, le 29 novembre 2004 à Madrid accompagné par certains de ses ministres et patrons d’entreprises, et la visite non-officielle de la reine Sofia, en avril 2006, concernent plutôt les relations entre le gouvernement autonome de l’archipel des Canaries et le Sénégal, en particulier le commerce et les infrastructures.

[29] En effet, le gouvernement sénégalais coopère avec l’Espagne dans les tâches de reconnaissance de ses ressortissants présents dans les centres de rétention des îles Canaries avant de procéder au rapatriement.

[30] El País, “Zapatero confía en frenar a los ‘sin papeles’ mediante repatriaciones”, 1er juin 2006.

[31] El País, “Senegal acepta la repatriación de más de 600 inmigrantes retenidos en Canarias”, 1er juin 2006.

[32] El País, “Senegal suspende la repatriación de inmigrantes y denuncia que se les ha maltratado”, 1er juin 2006, http://www.elpais.com (page visitée le même jour).

[33] Ce fait est confirmé par le secrétaire général d’un syndicat de police (SUP), dont le témoignage a été reporté par El País, “Un sindicato policial afirma que a los senegaleses no se les informó de su destino”, 4 juin 2006.

[34] El País, “El Gobierno repatría en secreto a 189 inmigrantes procedentes de Senegal”, 27 juin 2006.

[35] Voir El País, “Senegal acepta la repatriación de más de 600 inmigrantes retenidos en Canarias”, 1er juin 2006. Le projet Reva du gouvernement sénégalais prévoit, paradoxalement, le retour des migrants sénégalais présents en situation régulière en Espagne et en Europe pour contribuer à développer l’agriculture. Le Conseil des Ministres du gouvernement espagnol a modifié, le 17 novembre 2006, les conditions du crédit, qui avait été officiellement concédée le 16 juin de la même année, pour permettre de financer le plan Reva. Il faut préciser que la moitié du crédit est consacrée au financement d’exportation de biens et services espagnols tandis que l’autre moitié peut servir à financer de grands projets de développement (contrairement aux petits projets de développement précédemment prévus). Ministerio de Industria Turismo y Comercio, nota de prensa, 17 novembre 2006.

[36] Selon des informations reportées dans la presse (El País, « Espías en los cayucos », 17 septembre 2006), le Ministère de l’Intérieur sénégalais aurait incité la police de St. Louis à mettre en place un dispositif de vigilance spéciale, composé par une vingtaine d’agents. La moitié d’eux patrouillerait sur les principaux points de départ des pirogues qui peuvent être atteints par la route ou par des sentiers. L’autre moitié des agents, en civil, auraient pour objectif de s’infiltrer auprès des migrants potentiels pour prendre contact avec les organisateurs des départs et ainsi déjouer les départs et incriminer les responsables.

[37] Le Soleil (Dakar), 25 septembre 2006. Cet accord, signé lors d’une rencontre entre le ministre sénégalais de l’Intérieur Ousmane Ngom et son homologue Nicolas Sarkozy, au-delà des mesures sécuritaires, parmi lesquelles on peut noter le retour des sénégalais en situation irrégulière, comporterait également une amélioration de la situation des émigrés sénégalais dans l’hexagone ainsi qu’un renforcement de la coopération entre les deux pays.

[38] Hoy Digital, “Senegal aplaza al 2007 la firma de un acuerdo global sobre el control migratorio“, 11 octobre 2006.

[39] Selon l’agence de presse Afrol News, 5 décembre 2006.

[40] Allocution du président du Sénégal Abdoulaye Wade, conférence de presse conjointe du président de la République de Sénégal et du président du gouvernement espagnol, Dakar, 5 décembre 2006.

[41] Allocution du président du gouvernement espagnol José Luís Rodríguez Zapatero, conférence de presse conjointe du président de la République de Sénégal et du président du gouvernement espagnol, Dakar, 5 décembre 2006.

[42] Agence de presse Afrol News, “López Aguilar firma en Dakar un acuerdo de cooperación en materia de lucha contra la delincuencia con Senegal”, 5 décembre 2006. Un programme de coopération judiciaire avait été déjà signé par les deux ministres le 30 octobre 2006 à Dakar, orienté, d’un côté, à donner une sécurité juridique aux investisseurs espagnols en Sénégal, et, de l’autre, à permettre l’extradition et le transfert de personnes condamnées.

[43] Quotidien Le Soleil (Sénégal), Samedi 23 Juin 2007.

[44] Ibidem.

[45] Dans le cas marocain, des attaques importantes et assez violentes à l’égard des personnes qui résidaient dans ces camps ont été menées le 21 juillet 2002 à Bel Younech, le 25 février 2004 à Gourougou (deux victimes nigériennes) et le 24 avril 2004, lors de la visite du Premier Ministre espagnol, J. L. Zapatero, au Maroc (Belguendouz, 2005 : 182). À cette dernière occasion, le camp de Gourougou à été incendié et totalement détruit, en même temps que huit personnes ont été blessées, 116 arrêtées et environ 500 personnes se sont retrouvées sans toit ni nourriture. Un exemple clair des pratiques d’expulsion du gouvernement marocain est fourni par J. Valluy, 2007, "Rafles de subsahariens au Maroc à Noël 2006 - Rapport à l’association Migreurop", Programme A.S.I.L.E - Retours de terrain, 6 janvier, http://www.univ-paris1.fr/ IMG/VALLUY060107.doc. À l’égard du cas libyen, voir le rapport de HRW, 2006, "Libya : Stemming the Flow. Abuses Against Migrants, Asylum Seekers and Refugees", Volume 18, n°5(E), septembre.

[46] A l’égard de ce concept, voir Alonso Meneses G. 2002. “Violencias asociadas al cruce indocumentado de la frontera México - EE. UU.”, in Actas del IX Congreso de Antropología de la FAAEE, Barcelona.

[47] À cet égard, une évaluation de l’organisation United chiffre en 8855 le nombre de victimes documentées entre janvier 1993 et février 2007, auxquelles il faut ajouter les personnes disparues dans les espaces sahariens et dans les eaux atlantiques. United, 2007, “List of 8855 documented refugee deaths through Fortress Europe”.

[48] Selon des données officielles, jusqu’au 30 novembre 2007 sont 17.038 les migrants qui sont arrivés sur les côtes espagnoles, dont 11.565 aux îles Canaries, peu moins de 5000 dans la zone du détroit de Gibraltar et presque 600 entre la zone d’Alicante, Murcie et les îles Baléares. Voir El País, 2 janvier 2008. Il est évident que, nonobstant une diminution des chiffres respect à l’année précédente, le phénomène existe toujours.