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Quelle conscience postcoloniale française ? L’exemple du débat politique et intellectuel autour de la mémoire coloniale

Noemi Michel
Noémie Michel est assistante de recherche et doctorante en science politique au Laboratoire de recherche sociale et politique appliquée (RESOP) de l’Université de Genève.

citation

Noemi Michel, "Quelle conscience postcoloniale française ? L’exemple du débat politique et intellectuel autour de la mémoire coloniale ", mars 2008, REVUE Asylon(s), N°4, mai 2008

ISBN : 979-10-95908-08-1 9791095908081, Institutionnalisation de la xénophobie en France, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article732.html

résumé

Cet article veut appréhender la construction de la « conscience postcoloniale » qui oriente les réflexions politiques et intellectuelles autour des enjeux liés aux étrangers et aux Français descendant des colonisés. En d’autres termes, je cherche à savoir dans quelle mesure ces réflexions tiennent compte du moment colonial en tant que processus structurant de la société française. Le récent débat autour de l’article de loi qui promeut le « rôle positif » de la colonisation dans les manuels scolaires est éclairant à ce sujet. L’analyse des prises de position des partisans de l’annulation de cet article de loi (historiens, députés, associations de descendants de colonisés etc.) met à jour deux logiques argumentatives distinctes : la logique soutenue par la majorité évacue la place du passé colonial dans la sphère politique ; l’autre met ce dernier au centre. A partir de cette analyse, je souligne la faiblesse d’une « conscience postcoloniale » au sein des constructions intellectuelles autour de l’altérité qui dominent en France. Je discute ensuite des implications de cette faiblesse pour conclure qu’une plus grande conscience de la construction historique de la différence raciale et ethnique apporterait une lecture plus appropriée des questions liées à la mémoire coloniale ou à tout autre enjeu touchant la réalisation effective de l’inclusion politique et de la démocratie

La présence de la différence raciale et ethnique en France est indéniablement liée à son passé colonial. En effet, la majorité des individus qui se caractérisent ou sont caractérisés par cette différence est constituée par des étrangers et des Français descendants des colonisés. Leur altérité est régulièrement thématisée dans la sphère publique française et construite comme un « problème » politique. Au sein de ces constructions discursives, le lien entre la différence ethnique et raciale et le passé colonial français n’est pas toujours établi. Or, ce lien - cet agencement - n’est pas sans conséquences. En effet, la mise en scène d’un problème politique délimite son contexte, articule sa trame, ses enjeux principaux et les caractéristiques pertinentes des acteurs concernés. Cette construction discursive impose un angle de vue qui prédétermine les modes de résolutions théoriques et politiques qui seront proposés par la suite. La manière dont le fait colonial est inséré dans la construction discursive des débats politiques contemporains n’est donc pas anodine. L’objectif de cet article est de saisir la place et le sens assignés au passé colonial au sein de ces débats. Il cherche ainsi à appréhender la construction d’une « conscience postcoloniale » française par l’interrogation suivante : dans quelle mesure les réflexions intellectuelles et politiques autour de la différence tiennent-elles compte du moment colonial en tant que processus structurant de la société française ?

Cette réflexion autour de la « conscience postcoloniale » française est conduite en trois étapes. J’exposerai d’abord brièvement les modalités qui permettent de postuler un véritable retour en force du fait colonial au sein des discours et des pratiques de la France contemporaine. Dans un deuxième temps, j’analyserai l’agencement du débat suscité par la mobilisation autour de l’article de loi sur le « rôle positif » de la colonisation. Cette analyse m’amènera enfin à mettre au jour la faiblesse d’une « conscience postcoloniale » au sein des constructions intellectuelles autour de l’altérité qui dominent en France ainsi qu’à discuter des implications de cette faiblesse pour la réalisation effective de l’inclusion politique et de la démocratie.

Le retour en force du colonial

Le constat d’un « retour en force du colonial » [1] en France est aujourd’hui incontestable. Le passé colonial marque en effet l’actualité politique liée à la présence au sein de la République d’individus caractérisés par une différence ethnique ou raciale : les étrangers et les Français descendants des colonisés. Ce passé s’imbrique dans le présent selon deux modes distincts.

Premièrement, après des décennies marquées par le silence et le tabou, certains n’hésitent pas à exprimer publiquement un sentiment de nostalgie ou de fierté face au passé colonial. Ces acteurs publics, présents dans l’ensemble de l’échiquier politique, veulent recycler « la geste réputée grandiose d’une France forte conquérante et généreuse » [2] par des politiques mémorielles dédiées à la gloire de la colonisation française. Cependant, ce passé n’est pas uniquement rappelé sous la forme de déclarations et de commémorations positives, il s’immisce aussi au sein des pratiques. Des chercheurs et des acteurs politiques remarquent en effet des similitudes entre les modes de gestion de l’altérité issus du système colonial et certaines pratiques socio-politiques actuelles, notamment dans leur dimension idéologique. La rhétorique de la « mission civilisatrice », qui a associé l’entreprise coloniale à l’entreprise de civilisation, à la grandeur et à la générosité spécifiques à la France, est par exemple mobilisée pour justifier les interventions militaires contemporaines au sein des anciennes colonies. [3] La doctrine de la hiérarchie des races et des civilisations – dont la consécration juridique a été démantelée lors des décolonisations – semble se retrouver au sein des logiques de différenciation entre les citoyens français « de souche » et les citoyens « issus de l’immigration ». Ainsi, ces derniers sont souvent qualifiés par un « déficit d’intégration » en raison de leur différence culturelle, religieuse ou encore de la civilisation (inférieure) dont ils sont les héritiers. [4] Ces exemples indiquent que les pratiques socio-politiques actuelles sont expliquées – soulignons-le : de manière non linéaire, complexe et partielle – par l’héritage de la colonisation. [5] Or, bien que l’entreprise coloniale ait été désavouée au nom des principes de la République, une grande partie des représentants politiques de cette même République ne paraît pas s’alarmer des manifestations contemporaines de ce passé. Ce mode d’imbrication du passé colonial tant au sein du discours que des pratiques actuelles correspond donc à une dynamique non critique du « retour en force du colonial ».

Deuxièmement, la colonisation française connaît aussi un mode d’imbrication critique au sein des discours et des pratiques contemporains. Pour pallier à la méconnaissance collective de l’histoire coloniale, plusieurs chercheurs effectuent un travail de documentation conséquent. Dans la lignée de la pensée anticoloniale développée dans les années soixante par des penseurs tels qu’Albert Memmi, Aimé Césaire ou encore Frantz Fanon, les récentes recherches démontrent la violence et l’injustice inhérentes au projet colonial français. [6] Dans la même perspective, des acteurs collectifs, qui regroupent en majorité des descendants des colonisés, tels que les Indigènes de la République, le CRAN ou encore le collectif Devoir de Mémoire, revendiquent la reconnaissance de leur vision de la colonisation et de leur souffrances passées par le biais de politiques mémorielles. Ces retours historiographiques et mémoriels alimentent parallèlement un effort d’insertion critique de la colonisation au sein des réflexions sur la société française actuelle. L’objectif est de mettre en lumière les manifestations contemporaines de ce passé, dont certaines ont été citées plus haut. Il s’agit en d’autres termes de mettre en avant le caractère structurant du moment colonial, c’est-à-dire son caractère incontournable pour la compréhension des pratiques socio-politiques actuelles, notamment lorsque celles-ci concernent les modes de gestion de l’altérité ethnique et raciale en France. L’exigence de connaissance et de reconnaissance de la France contemporaine en tant que société postcoloniale s’articule de même au sein d’une partie de la mobilisation contre les discriminations raciales et ethniques ainsi qu’au sein de certaines revendications pour l’égalité et la citoyenneté effectives. Ce nouvel élan explique d’ailleurs en grande partie la valorisation récente de courants de recherche ancrés dans le monde anglo-saxons depuis deux décennies tels que les postcolonial studies, et les ethnic and racial studies. [7]

Le constat d’un « retour en force du colonial » – explicite ou implicite – dans les pratiques et les discours en France est donc indéniable. Reste cependant ouverte la question de savoir lequel des deux modes d’imbrication de ce passé dans le présent, décrits ci-dessus, s’impose au sein des pratiques et des discours. Le fait colonial fait-il son retour en France avant tout de manière critique et réflexive dans le but d’éviter la réapparition des écueils du passé pour mieux penser un présent démocratique et inclusif ? Au contraire, ne se rappelle-t-il pas à nous sous une forme non critique qui contribue au durcissement de la politique migratoire et de la gestion de la différence raciale et ethnique ? [8] Le récent débat qui porte précisément sur la mémoire coloniale constitue sans doute le débat clé qui a favorisé et influencé les modalités du « retour en force du colonial ». Son objet, sa durée, sa résonance publique ainsi que la variété des acteurs qui y ont pris part en font un cas d’analyse pertinent pour saisir la « conscience postcoloniale » française. En effet, il semble évident qu’un débat qui interroge la mémoire coloniale publique puisse nous informer sur la place et le sens assignés au fait colonial non seulement au sein de ce débat précis, mais aussi dans les constructions discursives des problèmes politiques autour de l’altérité en général.

Le récent débat autour de la mémoire coloniale

Le débat autour de la mémoire coloniale est déclenché en février 2005 lorsque l’Assemblée nationale française adopte un projet de loi intitulé « Reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. » [9] Lors des débats parlementaires, le sous-amendement à l’article 4 suivant proposé par le député UMP Christian Vanneste est adopté à l’unanimité : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer (…) ». [10] L’adoption de cet article marque le début d’une véritable controverse publique. Elle s’illustre par exemple au travers de la mobilisation de groupes d’historiens dont les pétitions remportent un vif succès ou par les manifestations populaires dans les départements d’outre-mer (celles-ci ont d’ailleurs poussé Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, à annuler une visite officielle). Ces réactions poussent un groupe de députés socialistes à déposer une proposition d’abrogation de l’article de loi controversé qui est rejetée par la majorité de l’Assemblée nationale le 29 novembre 2005. Ce rejet semble intensifier la polémique autour du passé colonial dans un contexte politique particulier : émeutes en banlieues, sommet franco-africain et retardement de la signature du traité d’amitié franco-algérien. En janvier 2006, le président Chirac déclenche alors le processus d’annulation de l’article de loi contesté. Il saisit le Conseil constitutionnel qui déclare que l’alinéa controversé est de nature « réglementaire ». Cela permet au premier ministre Villepin de demander son abrogation par décret. [11] L’article de loi qui a mobilisé une large palette d’acteurs publics durant près d’une année ne figure ainsi plus dans le texte de loi.

Attardons-nous brièvement sur le discours de la Droite qui a conduit à l’inscription des mots « rôle positif de la présence française outre-mer » dans un texte législatif et qui a justifié leur maintien lors de la deuxième étape du débat parlementaire neuf mois plus tard. On peut clairement l’identifier comme une manifestation discursive de la dynamique du retour non critique du passé colonial. En effet, la Droite veut consacrer juridiquement son interprétation positive de la colonisation : lors des débats parlementaires, elles fait un usage majoritaire de termes tels que « œuvre », « présence », « aventure » ou encore « épopée » en lieu et place du terme usuel « colonisation ». Cette entreprise est considérée comme « positive », « humaine » ou encore « civilisatrice ». Dans la même logique, les faces négatives de la colonisation sont soit niées, comme on peut le voir dans cet extrait de l’intervention de Lionel Luca : « (…) la France n’a jamais asservi les peuples qu’elle a dirigés et l’armée française n’a jamais été une armée de tortionnaires, comme certains, complaisamment, veulent le faire croire (…) » [12] ; soit minimisés comme dans l’extrait de l’intervention du député UMP Georges Fenech : « La colonisation a ses parts d’ombres également – la dépossession des indigènes de leurs terres et leur soumission notamment –, mais reconnaissez, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, que, au fil des générations, cette colonisation conquérante, qui, forcément, s’est accompagnée d’exactions, a fait des victimes et entraîné des souffrances, a laissé la place à une présence, une fraternité, une égalité entre toutes les communautés qui vivaient dans ces pays. » [13]

Comment interpréter la suppression des mots représentatifs de cette thématisation non critique (voire même apologétique) du passé colonial ? Comment définir la forte mobilisation qui a conduit à cette annulation ? Témoignent-t-elles d’un tournant majeur, à savoir de la consécration du mode d’imbrication critique du fait colonial dans le présent ? Cette victoire des partisans de l’annulation de l’article 4 correspond-elle aussi à un tournant quant aux réflexions plus générales autour de la présence de la différence ethnique et raciale en France ? Peut-on en déduire qu’elles sont dorénavant sous-tendues par une forte « conscience postcoloniale » ? Le simple fait de l’annulation de l’alinéa controversé ne suffit pas à établir précisément la place et le sens que le fait colonial occupe au sein de l’agencement des « problèmes » liés à la présence de l’altérité en France. Il convient de ce fait d’examiner de plus près l’argumentation mobilisée tout au long de la controverse par les tenants de l’annulation de l’article 4.

Contre le « rôle positif » de la colonisation : deux logiques argumentatives

Que peut-on dire des arguments qui s’imposent pour la suppression des mots « rôle positif de la présence française outre-mer » - mots qui ont pourtant été eux-mêmes consacrés à deux reprises par la majorité de l’organe législatif ? Comment ces arguments nous informent-ils au sujet de la « conscience postcoloniale » française ?

Ces arguments se retrouvent dans un corpus relativement hétérogène. Malgré cette hétérogénéité, due à la grande variété des acteurs publics qui se mobilisent, deux logiques argumentatives bien distinctes s’affirment à l’encontre de l’article 4. [14] Chacune de ces logiques est portée par des arguments différents. Ceux-ci créent un agencement. Et cet agencement, tout en assignant une place et un sens au fait colonial, mobilise des conceptions particulières de la différence ethnique et raciale. En d’autres termes, ces rhétoriques sont portées par deux constructions différentes de la « conscience postcoloniale ». Bien que chacune d’elles ait connu une certaine visibilité dans le débat, l’analyse indique que seule une de ces rhétoriques articule les arguments qui ont justifié de manière décisive l’annulation de l’article controversé.

La logique majoritaire : entre neutralité et prudence

Une première logique argumentative est reconstruite à partir des pétitions de deux groupes d’historiens, des interventions de la majorité des députés de la Gauche et d’une minorité de députés UDF – celles-ci ont eu lieu lors de la deuxième étape du débat parlementaire autour de la loi sur le « rôle positif » de la colonisation [15] –, des prises de paroles publiques de certains intellectuels ainsi que des déclarations décisives de Jacques Chirac et Dominique de Villepin. Deux arguments centraux sont mobilisés à l’encontre de l’article de loi controversé. Un premier argument peut être reformulé comme suit : l’Etat ne doit pas promouvoir publiquement une interprétation du passé qui traduise une identité culturelle et une vision du bien particulières. Cet argument renvoie au principe de neutralité de contenu de la doctrine libérale. [16] Dans le contexte français, cette position neutraliste est portée par un ensemble de principes républicains. La pétition intitulée « Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle » et défendue par un groupe d’historiens spécialistes de la colonisation tels que Claude Liauzu et Gilbert Meynier évoque certains de ces principes : « Il faut abroger d’urgence cette loi parce qu’elle impose une histoire officielle, contraire à la neutralité scolaire et au respect de la liberté de pensée qui sont au cœur de la laïcité. » [17] La même interprétation des principes tels que la « neutralité scolaire » ou la « laïcité » conduit les députés de la Gauche à considérer cet article de loi comme « juridiquement inopérant ». [18] Mais c’est sans doute le groupe des dix-neuf historiens signataires de la pétition « Liberté pour l’Histoire » et le groupe de vingt-cinq intellectuels signataires de l’appel à la « Liberté de débattre » qui insistent le plus sur l’argument de la neutralité. En effet, ceux-ci ne demandent pas uniquement l’annulation de l’article 4, mais appellent aussi à la suppression de l’ensemble des lois mémorielles : la loi sur le « rôle positif », la loi Gayssot qui réprime la contestation du génocide du peuple juif, la loi qui reconnaît le génocide arménien ainsi que la loi Taubira qui reconnaît la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité. [19] Selon le groupe des historiens, parmi lesquels figurent Pierre Nora, Paul Veyne ou encore Elisabeth Badinter, « l’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant. (…) Dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’Etat, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire. » [20] En dénonçant la politique de l’histoire dans sa globalité, ces acteurs publics ne se prononcent pas sur la question de la bonne interprétation de la colonisation, car celle-ci doit être débattue dans la sphère scientifique et non dans la sphère étatique.

On formule le deuxième argument de la manière suivante : l’Etat doit éviter ou limiter l’usage public et officiel de mots vecteurs d’une certain sens au sujet du passé si ceux-ci sont sources de conflits. C’est cet argument qui a été le plus saillant dans le cadre de l’annulation de l’article 4. Ses défenseurs mettent en avant le potentiel hautement conflictuel du contenu de cet article. A un niveau international, le groupe socialiste considère que cet article de loi est « diplomatiquement dévastateur », [21] notamment en raison de la menace qu’il fait peser sur la signature à venir du traité d’amitié franco-algérien. A un niveau national, ce même article attise la « guerre des mémoires » dans un climat politique tendu et marqué par les émeutes en banlieues, comme le montre par exemple cet extrait de la pétition, déjà évoquée plus haut, des historiens spécialistes de la colonisation : « Il faut abroger d’urgence cette loi (…) parce qu’elle légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdits de tout passé. » Ce même raisonnement prudentiel conduit le président et le premier ministre à enclencher le processus d’annulation de l’article contre la volonté du législateur. Alors qu’il a été le premier à évoquer l’idée d’un « rôle positif » de la colonisation dans une déclaration officielle neuf ans auparavant, [22] Jacques Chirac annonce le 9 décembre 2005 dans une déclaration solennelle au sujet de l’article 4 : « (…) il suffit de peu de choses pour que l’histoire devienne un ferment de division, que les passions s’exacerbent, que les blessures du passé se rouvrent. » Il considère plus tard que l’article 4 doit être réécrit « afin de parvenir à une rédaction qui rassemble et apaise les esprits ». [23] L’article 4 est immédiatement retiré après cette décision.

Quelle construction de la « conscience postcoloniale » se cache derrière cette logique argumentative ? Il convient d’abord d’interroger la place et le sens conférés au fait colonial au sein de cet agencement argumentatif. La promotion de la neutralité gouvernementale et l’insistance portée sur la prudence attribuent une place très marginale au fait colonial dans un débat dont il est pourtant censé être l’objet. En effet, le contenu de la loi – le « rôle positif » – est à peine thématisé. Certains députés socialistes ou communistes dénoncent son caractère peu objectif et soulignent que l’histoire coloniale comporte aussi des aspects négatifs. [24] Cependant, cette dénonciation n’a pas pour objectif de remplacer l’interprétation positive de la colonisation imposée par la Droite par une autre interprétation officielle. A l’instar des intellectuels cités plus haut, la Gauche estime en effet que la promotion du sens légitime de la colonisation peut se faire publiquement au sein de la sphère académique ou scientifique, mais non dans la sphère politique. L’extrait de l’intervention du député socialiste Bernard Dérosier illustre bien cela : « Convenons (…) que, si nous sommes législateurs pour écrire la loi, nous n’avons pas, à quelques exceptions près, toutes les compétences du sociologue, du philosophe ou de l’historien, qui peuvent, en vertu de leur formation, créer la réflexion et participer à l’écriture de l’histoire. » [25]

On en vient ensuite à s’interroger au sujet de la conception de la différence ethnique et raciale qui est mobilisée au sein de cet agencement. Celui-ci instaure une relation purement instrumentale entre les individus ou groupes porteurs de ces différences et la question du passé colonial. En mobilisant ce passé uniquement en vue d’asseoir les intérêts de leur communauté et de conforter celle-ci dans une « posture victimaire », ces acteurs favorisent, selon l’expression de Pascal Bruckner, « une véritable guerre civile des mémoires incompatibles les unes avec les autres ». [26] Ainsi, l’articulation du passé colonial et de la mobilisation publique de la différence ethnique et raciale est conçue comme une réelle menace. Selon Bruckner, le danger est en effet que le pays se réduise à une « agglomération de tribus black, beure, gitane, antillaise, corse, basque, homosexuelle etc…unies par leur dissensions réciproques et en appelant à l’Etat comme à une simple instance de médiation. » [27] Ces communautés fermées et figées qui présagent la désintégration de l’espace civique républicain ne peuvent pas dans cette logique être considérée dans leur profondeur historique.

A la lumière de ces développements, comment qualifier la « conscience postcoloniale » qui oriente cette logique argumentative majoritaire ? On a vu qu’au sein de cette rhétorique, la place du fait colonial est marginale et son sens est peu questionné, voire même complètement déconnecté de la question de la différence ethnique et raciale – conçue comme figée, essentialisée, et menaçante. On peut donc considérer qu’elle est portée par une « conscience postcoloniale » faible.

La logique minoritaire : entre blessure et appel à la (re-)connaissance

La mobilisation à l’encontre de l’article controversé se fait aussi sur la base d’une autre logique argumentative. Cette rhétorique est principalement portée par les descendants des colonisés. Ce groupe comprend les autorités et les populations des anciens Etats colonisés, les immigrés originaires d’Etats anciennement colonisés ou encore la population résidant dans les départements d’Outre-mer ou immigrée en métropole. [28] Il regroupe des acteurs de l’arène politique institutionnelle tels que les députés Christiane Taubira et Victorin Lurel ou encore le maire de Fort-de-France, Serge Lechtimy, ainsi que des acteurs de la sphère publique large dont les positions sont relayées en grande partie par les médias. On trouve parmi ces derniers des intellectuels tels que Patrick Chamoiseau, Edouard Glissant ou encore Aimé Césaire, mais surtout des acteurs collectifs tels que le CRAN, le Collectif Devoir de Mémoire ou encore les Indigènes de la République dont la mobilisation a fait couler beaucoup d’encre dans le débat.

La logique argumentative des descendants des colonisés est portée par un argument central que l’on peut formuler de la manière suivante : L’Etat français ne doit pas, pour des raisons morales, faire usage de mots vecteurs d’une interprétation positive au sujet du passé colonial, car cela humilie ou blesse certains individus ou groupes vivant sur son territoire. En niant ou en méconnaissant leur mémoire, les mots « rôle positif de la présence française outre-mer » blessent les descendants des colonisés. Ne pas retirer cet article et ces mots fait preuve d’un manque de solidarité à leur égard et tend même à les humilier. Lors des débats à l’Assemblée nationale, le député Victorin Lurel s’insurge contre les argumentations en faveur de l’article 4 et exprime ce sentiment de blessure : « (…) en entendant certaines interventions, je suis meurtri, endolori, triste (…) Fils de colonisé, je suis en effet estomaqué par la teneur des propos venant de la droite de cet hémicycle. » [29] D’après cette logique argumentative, la blessure est causée par le fait que l’assignation d’un sens positif au passé colonial nie l’histoire d’une domination collectivement vécue ou transmise par la mémoire familiale. En d’autres termes, cette interprétation positive méconnaît ou ignore les structures coloniales – légales ou symboliques – qui ont érigé la hiérarchie des races et des civilisations en principe organisateur et justifié la violence et la domination à l’encontre des colonisés. L’argumentation mobilisée par la rhétorique des descendants des colonisés cible ainsi directement l’interprétation de la colonisation consacrée par l’article 4 et veut démontrer son caractère falsificateur et négationniste afin d’y opposer une autre interprétation. Les propos du maire de Fort-de-France, Serge Lechtimy vont par exemple dans ce sens : « La dynamique du principe colonial s’appuie sur la supériorité du colonisateur, la violation de la souveraineté, l’assujettissement du peuple, les humiliations, les assassinats, le Code noir. Aucun aspect positif n’est pertinent à côté de cela. On ne peut pas vanter les mérites des médecins de brousse s’ils accompagnent un processus d’extermination. » [30]

Quelle construction de la « conscience postcoloniale » peut-on dégager de cet agencement rhétorique minoritaire ? Interrogeons-nous d’abord sur la place et le sens que cette logique argumentative assigne au fait colonial. A l’opposé de la rhétorique neutraliste et prudentielle présentée plus haut, cette rhétorique-ci concentre sa contestation sur le contenu de l’article 4. Les descendants des colonisés placent la question de l’interprétation de ce passé au centre de leur argumentation et en font une question éminemment politique. Ainsi, dans l’extrait qui suit, le collectif Devoir de mémoire appelle à un travail de mémoire avant tout au sein de la sphère politique : « C’est aussi un appel à la responsabilité politique des élus de la République, en charge de notre société, dont on pourrait attendre qu’ils soient en avance sur les mentalités, qu’ils soient les premiers à reconnaître, considérer l’Histoire, ses conséquences et à agir en terme d’éducation nationale, économique, politique et sociale. » [31]

Il convient ensuite de mettre à jour la conception de la différence ethnique et raciale qui est mobilisée par l’argumentation des descendants des colonisés. Dans une perspective opposée à la rhétorique majoritaire présentée auparavant, la place centrale accordée au fait colonial dans cette logique argumentative-ci explicite une véritable connexion entre ce passé et la présence contemporaine d’individus caractérisés par une différence raciale ou ethnique. La rhétorique des descendants des colonisés construit ainsi une acception alternative de la différence : celle-ci est ouverte et historiquement construite. Elle est mobilisée par des groupes sociaux formés d’individus qui ont connu et connaissent des expériences subjectives collectivement transmises et partagées en raison de leur appartenance ethnique et raciale. A l’opposé de la logique majoritaire qui thématise la « guerre des mémoires » comme menace pour la cohésion républicaine, cette logique évoque le « devoir de mémoire » comme point de départ d’une meilleure inclusion politique des minorités raciale et ethniques. Le collectif Devoir de mémoire évoque par exemple un « devoir de mémoire » vis-à-vis de « tous les français d’aujourd’hui reconnus dans leurs différentes composantes identitaires. » La connaissance et la reconnaissance du passé colonial constituent les conditions sine qua non qui permettent de libérer effectivement la différence raciale et ethnique des structures discriminantes et essentialisantes auxquelles elles sont historiquement rattachées. A la position prudentielle, cette logique oppose une position normative, dans le sens où elle met en scène le fait colonial et l’articulation publique de la différence ethnique et raciale aux côtés (et non à l’opposé) de principes de la République tels que l’égalité, l’inclusion politique et la liberté.

Comment qualifier la « conscience postcoloniale » qui oriente la logique argumentative des descendants des colonisés ? On a vu qu’au sein de cette rhétorique, le fait colonial occupe une place centrale, la question de son sens est considérée comme hautement politique et est connectée à la présence contemporaine de la différence ethnique et raciale - conçue comme historiquement construite et ouverte. Cette logique est donc orientée par une « conscience postcoloniale » forte.

Vers une conscience postcoloniale française

On a vu que le simple fait de l’annulation de l’article consacrant le « rôle positif » de la colonisation ne suffisait pas à postuler la domination en France d’un retour critique du passé colonial. Quelles conclusions peut-on tirer de l’examen du processus argumentatif – porté par les deux rhétoriques exposées plus haut – qui a abouti à cette annulation ? Témoigne-t-il de la domination d’une imbrication critique et réflexive du passé colonial au sein des pratiques et des discours actuels ? La réponse est sans aucun doute négative. En effet, la logique argumentative qui domine la mobilisation contre l’article 4 et pousse les membres de l’exécutif à le supprimer est manifestement portée par la peur. Elle évacue le passé colonial du débat et ne questionne pas son sens. C’est donc une logique orientée par une faible « conscience postcoloniale » qui oriente un débat au sein duquel le fait colonial est pourtant censé constituer l’objet central. A partir de ce constat, on peut sans trop de doutes avancer que la majorité des réflexions autour de l’altérité ne considère pas le moment colonial comme un processus structurant de la société française contemporaine.

On peut légitimement se demander si l’argumentation portée majoritairement par les historiens, les députés de la Gauche et l’exécutif français ne contribue pas indirectement à favoriser la dynamique du retour non critique du fait colonial au sein des pratiques et des discours contemporains. En effet, assigner au fait colonial une non place et un non sens dans le cadre de la sphère politique ne s’oppose pas véritablement à la logique de nostalgie et de fierté soutenue par les députés de la Droite, mais aussi par une grande partie de la population française selon un sondage du Figaro. [32] De plus, la déconnexion entre ce passé et la conception de la différence ethnique et raciale présente dans la société française ne procure pas les outils intellectuels et politiques qui permettraient de problématiser et d’éviter le retour de modes de gestion coloniaux – donc discriminatoires – de l’altérité.

La configuration politique et intellectuelle orientée par une « conscience postcoloniale » faible ne constitue-t-elle pas elle-même un processus discriminatoire ? Elle s’apparente en effet à un processus de définition des discours et des revendications « publiquement acceptables » et donc « politiquement lisibles ». [33] Celui-ci définit comme « dangereuse » et « anti-républicaine » ¬– comme « publiquement inacceptable » et « politiquement illisible » –toute mobilisation publique de la différence ethnique et raciale. Il exclut ainsi d’office du débat tout acteur portant sa particularité sur la scène publique. Cette éviction pose de sérieux problèmes en termes d’inclusion et de démocratie. Un débat autour de la colonisation qui évacue la question de son interprétation et déconsidère a priori une grande partie des acteurs concernés par cet épisode historique peut-il être qualifié de débat inclusif et égalitaire ? De même, peut-on considérer comme démocratique tout débat qui construit la différence comme un « problème » sans réellement problématiser les modalités sociales et historiques de la présence de cette différence ?

Ces interrogations appellent à un changement des termes du débat autour de l’altérité en France. Ce ré-agencement devrait être guidé par une véritable « prise de conscience postcoloniale ». Une plus grande conscience de la construction historique de l’altérité raciale et ethnique favoriserait l’inclusion politique des individus identifiés par cette altérité. En rendant la différence « publiquement acceptable » et « politiquement lisible », cette construction discursive alternative doterait les étrangers et les descendants des colonisés de plus de crédit politique et leur accorderait de ce fait un accès plus égalitaire au débat. Elle valoriserait de plus les formes d’ « être-au-monde » et d’ « agir politique » des groupes sociaux marqués par une marginalisation historique et sociale. En d’autres termes, elle nourrirait la pensée républicaine et le renouvellement de la démocratie de leur mode de résistances subversives, des particularités de leur position décentrée et de leur système de signes fait d’emprunts et d’hybridations culturelles. [34]

Bibliographie

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Documents officiels

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Assemblée nationale, JO n° 13 (2005), Session ordinaire de 2004-2005, Compte rendu intégral, 2e séance du jeudi 10 février 2005 : 1040-1058 et 1063-1065, www.legifrance.gouv.fr

Assemblée nationale, JO n° 99 (2005), Session ordinaire de 2005-2006, Compte rendu intégral des séances du mardi 29 novembre 2005 : 7591-7626, www.legifrance.gouv.fr

Déclaration du président de la République à propos de la loi du 23 février 2005,

ICI , dernière consultation le 17.10.2007

Conseil Constitutionnel, Décision n°2206-203 L-31 janvier 2006, http://www.conseil-constitutionnel...., dernière consultation le 15.09.2007

Sites internet

Appel des Indigènes de la République, http://www.indigenes-republique.org, dernière consultation le 20.10.2007

Collectif Devoir de Mémoire, http://collectifddm.free.fr/collect..., dernière consultation le 26.10.2007

Le Cran, http://www.lecran.org/, dernière consultation le 20.10.2007

Pétition « Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle », http://www.algeria-watch.org/fr/art..., dernière consultation le 06.09.2007

Pétition « Liberté pour l’Histoire » http://www.histoire.presse.fr/petit..., dernière consultation le 26.10.2007

NOTES

[1] Je me réfère à l’expression de Chrétien (2006 : 177)

[2] Le Cour Grandmaison (2005 : 131)

[3] Voir Bancel, Blanchard et Vergès (2003 : 131)

[4] L’héritage colonial de ces logiques de différenciation est notamment analysé par Sayad, voir à ce sujet la synthèse de Bouamama (2006 : 57)

[5] Pour donner l’exemple de la réutilisation explicite d’un outil de contrôle issu de la colonisation, on pourrait encore évoquer les révoltes des banlieues d’octobre 2005. Lors de ce soulèvement, porté principalement par des jeunes français dits « issus de l’immigration » – que l’on pourrait sans doute aussi qualifier comme « issus de la colonisation » – l’état d’urgence est proclamé au nom d’une loi datant de la guerre d’Algérie. Voir à ce sujet l’article de Balibar (2007 : 47-71)

[6] Voir par exemple Bancel, Blachard et Vergès (2003), Blanchard, Bancel et Lemaire (2005) ou encore Weil et Dufoix (2005)

[7] Qualander et Héricord soulignent la « difficulté pérenne en France d’interroger l’articulation entre République et colonisation autrement que comme une étrange autant que marginale et malheureuse contradiction » (2006 : 31) Les publications récentes en français d’ouvrages clé des postcolonial studies et des ethnic and racial studies indiquent peut-être l’avancée d’un déblocage idéologique et intellectuel.

[8] Ce durcissement des modes de gestion de l’altérité s’illustre par exemple par la création du Ministère de l’immigration et de l’identité nationale, par la hausse des quotas d’expulsion des étrangers ou encore par le débat autour de l’introduction des tests ADN pour le regroupement familial.

[9] Ce projet fait suite à des textes de lois jugés insuffisants et à des années de débats autour du problème d’intégration et de reconnaissance des Français rapatriés d’Algérie et des Algériens ayant combattu aux côtés de l’armée régulière française lors de la guerre d’Indépendance, les « Harkis ». Dans une première partie, la loi accorde une grande place à l’expression d’une reconnaissance symbolique de la part de la Nation envers l’ensemble des acteurs qui ont participé à l’« œuvre » de la France au sein de tous ses anciens territoires coloniaux tandis qu’une deuxième partie aborde les détails techniques d’indemnités et d’allocations diverses touchant plus précisément les Harkis et les Pieds noirs.

[10] Voir l’Historique de l’article 4 publié par le Conseil Constitutionnel (2006 : 4). Il faut noter que la qualification positive de la colonisation est apparue à partir de 2003 dans plusieurs projets de loi de la Droite française qui n’ont pas abouti. Voir à ce sujet l’article Jean-Pierre Thibaudat (2005).

[11] Voir la Décision n°2006-203L-31janvier 2006, du Conseil Constitutionnel sur http://www.conseil-constitutionnel...., dernière consultation le 15.09.2007 Un nouveau texte de loi est en vigueur depuis février 2006, voir http://www.legfrance.gouv.fr/textec...

[12] Extrait du JO n°60 (2004 :4831)

[13] Extrait du JO n°99 (2005 : 7617 – 7618).

[14] Je synthétise ici un ensemble d’analyses plus poussées du débat autour de la mémoire coloniale française menées dans le cadre de recherches antérieures.

[15] Lors des premiers débats parlementaires autour de l’ensemble du projet de loi, les députés de Gauche ne contestent à aucun moment l’amendement de l’article 4 qui fait apparaître les mots « rôle positif ». Ils consacrent la majorité de leurs interventions autour des questions de réparations matérielles pour les Harkis. Leur proposition d’abrogation de l’article 4 intervient dans un deuxième temps en novembre 2005, à un moment politique agité et stratégique, à savoir dans un climat d’émeutes des banlieues et de crise diplomatique avec l’Algérie.

[16] Levy formule ce principe de la manière suivante : « Liberal neutrality requires that the state avoid official symbolism, which necessary elevates some substantive claims about cultural communities and their worth over others. » (2000 : 232)

[17] Ces historiens récoltent un millier de signatures en trois semaines, ce qui contribue à faire démarrer le débat public autour de l’article 4. Pétition consultable sur http://www.algeria-watch.org/fr/art...

[18] Extrait du JO n°99 (2005 :7591)

[19] Au sujet de la mobilisation des historiens dans le débat sur la mémoire coloniale, voir Garibian (2006 : 158-173)

[20] Cette pétition lancée dans la rubrique « Rebond » de l’édition de Libération du 13 décembre 2005 est disponible sur le lien http://www.histoire.presse.fr/petit...

[21] Extrait du JO n°99 (2005 : 7591)

[22] Le 11 novembre 1996, Jacques Chirac déclare en effet au sujet de la présence française en Algérie : « […] il convient de rappeler l’importance et la richesse de l’œuvre que la France a accomplie là-bas et dont elle est fière. » Cité par Le Cour Grandmaison (2005 :125)

[23] Déclaration du président de la République à propos de la loi du 23 février 2005, DOC

[24] Voir par exemple l’extrait suivant de l’intervention du député socialiste Michel Liebgott : « Notre société comporte en effet des aspects positifs mais aussi négatifs. Il en est de même de notre histoire. Nous ne nions pas que des progrès aient pu être apportés en matière de scolarité, de santé, d’infrastructures mais nous ne pouvons pas non plus faire une croix sur les aspects négatifs, faits, malheureusement, de travaux forcés, de sang, de larmes mais aussi de morts. » (JO n°99, 2005 : 7612-7611) Il faut néanmoins souligner l’exception des interventions des députés d’Outre-Mer Christianne Taubira et Victorin Lurel qui défendent la promotion étatique active d’un sens strictement négatif de la colonisation française.

[25] Extrait du JO n°99 (2005 : 7591)

[26] Bruckner (2006 : 164)

[27] Bruckner (2006 : 167)

[28] Pour rester dans les délimitations imposées par la problématique de cet article, je ne reconstitue ici que la position des personnalités et associations publiques qui s’expriment dans l’espace étatique français.

[29] Extrait du JO n°99 (2005 : 7603)

[30] Cité par Van Renterghem (2005)

[31] http://collectifddm.free.fr/collect...

[32] Selon un sondage réalisé par le CSA et Le Figaro, l’approbation par 64% des Français de cet article de loi dépasse les clivages politiques : « Les sympathisants du parti majoritaire, l’Union pour un mouvement populaire (UMP), sont 79% à approuver le texte. Ceux de l’Union pour la démocratie française (UDF) sont aussi dans l’ensemble favorables à cet article de loi, même s’ils sont sensiblement moins nombreux (60%). (…) Les sympathisants socialistes sont 55% à approuver la formulation de la loi, ceux des Verts sont 59% et ceux des communistes 68%. » (Gas, 2005 : 1)

[33] Je me réfère aux raisonnements et expressions développés par Butler (2004 ). Selon elle, l’Etat joue un rôle primordial dans ce processus de régulation du langage public. Il « produit en fait activemetn le domaine du discours publiquement acceptable », dans la mesure où « il trace la ligne de démarcation entre les domaines du dicible et de l’indicible et conserve le pouvoir d’établir et d’entretenir cette ligne de démarcation conséquente. » (2004 : 127-128)

[34] Je me réfère en partie à Françoise Vergès, celle-ci avance en effet le raisonnement suivant : « La démocratie est pluraliste et non moniste, ceux qui ont hérité du monde colonial, par leur expérience de la double conscience, du multilinguisme, du plurireligieux et du pluriethnique, ont une contribution importante à apporter à la relation entre démocratie et différence culturelle. » (2005 : 90) Ces raisonnements sont aussi développés par Achille Mbembe (2006 : 120 -131)