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Références

Recueil Alexandries

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2006

Marc Bernardot

Le garde et l’interné : essentialisation des catégories et subversion des clivages dans les centres d’internement français de la guerre d’Algérie (1959-1962)

auteur

Marc Bernardot est Professeur de sociologie à Aix Marseille Université (PR1) au département de sociologie (ALLSH) et directeur du Centre méditerranéen de sociologie, de science politique et d’histoire (MESOPOLHIS) UMR 7064 (AMU, SPXAix, CNRS). Il assure la responsabilité de l’axe 2 du MESOPOLHIS "Migrations, mobilités, circulations". Il est référent relations internationales pour le département de sociologie ALLSH AMU. Il a été directeur de la (...)

résumé

Dans le contexte de la guerre d’Algérie, le ministère de l’Intérieur a mis en place plusieurs centres d’assignation à résidence surveillée en métropole destinés à « mettre hors d’état de nuire » les militants algériens. L’étude du fonctionnement de ces centres à partir des archives du ministère permet de montrer les processus sociaux et politiques complexes et ambigus dont ils ont été le théâtre. Ces camps et notamment le principal installé dans le site militaire du Larzac ont certes été le lieu d’expression et d’application concrètes des catégories coloniales racisées de la police et d’une forme d’Etat de police régressif. Mais ils ont constitué dans le même temps un espace d’expression de la contestation de l’ordre colonial, de la subversion de ses clivages traditionnels par les militants assignés et pour finir de leur ré-appropriation de ce système de domination.

à propos

Cet article est une version largement remaniée d’une intervention dans le cadre du programme A.C.I. « Asiles » en 2005. Il a fait l’objet d’une publication dans la revue Travailler - Revue internationale de psychopathologie et de psychodynamique du travail, 2006, 16 : 81-96. Merci à L. Gaignard qui a dirigé ce numéro sur « Racisme et travail » et aux responsables de la revue pour leur autorisation de réédition.

« Les hommes se divisent en internes prisonniers, internés, appréhendés et externes – militaires avec ou sans grade. Les seconds sont des inférieurs et portent l’uniforme, car ils sont au service des internes »,

M. Aub, Manuscrit corbeau, suivi de Le cimetière de Djelfa,

Perpignan : Mare Nostrum, 2002, [1955], trad. de l’espagnol R. Marrast, p. 30

Durant la guerre d’Algérie (1954-1962, la présence en métropole de nombreux Algériens travaillant dans les grands centres urbains et industriels a été perçue par les autorités françaises comme une menace potentielle. Pour lutter contre les activités indépendantistes en métropole [1], le ministère de l’intérieur a eu recours à partir de 1959 à l’internement des militants supposés, raflés indistinctement. Ils ont été placés dans un réseau de camps militaires. Ces centres d’assignation à résidence surveillée (C.A.R.S.) et notamment le principal d’entre eux, installé dans le camp du Larzac en Aveyron, ont été le théâtre d’un conflit intense entre les autorités policières et les assignés. Depuis le camp et plus largement le plateau du Larzac est devenu un site célèbre en raison des manifestations paysannes et écologistes de 1973 contre son extension et il est devenu un symbole de l’alter-mondialisme.

D’une superficie de 3 000 hectares environ, ce camp est situé sur un plateau calcaire culminant à 900 mètres. Le camp est délimité au sud par la route nationale 99 vers Nant et au nord par la nationale 9 vers Millau. Créé par l’armée en 1902 pour servir de site d’instruction d’été, dans un lieu aride et hostile longtemps contrôlé par des ordres militaires (Templiers puis Hospitaliers), ce camp a fait alternativement fonction de camp militaire ou de centre d’hébergement. Il a servi de camp d’accueil de réfugiés espagnols en 1938 puis de base d’entraînement de la légion étrangère et de site d’expérimentation d’armements durant la Seconde Guerre mondiale puis de camp de prisonniers de guerre pour plus de 10 000 soldats allemands entre 1945 et 1948. Enfin, durant la guerre d’Algérie (d’avril 1959 à juillet 1962), le centre du Larzac a été le principal camp d’Algériens en métropole (plus de 3 000 personnes assignées simultanément et près de 10 000 au total), avant d’accueillir en 1962 près de 12 000 réfugiés harkis qui l’appelleront le « plateau des milles tentes ».

Le regroupement préventif dans des camps vise, selon un objectif traditionnel de l’Etat vis-à-vis des populations migrantes, à permettre à la police de trier le « bon grain de l’ivraie » (Rygiel 2004), en l’occurrence de distinguer les « rebelles » qu’il lui faut « mettre hors d’état de nuire » des « Français musulmans d’Algérie », susceptibles d’être « réintégrés ». Pourtant, malgré des conditions de détention très dures, les internés militants parviennent à reconstituer une organisation clandestine à l’intérieur du camp qui devient à la fois l’adversaire et l’interlocuteur de la direction du camp.

Cet article est basé sur l’étude d’archives du ministère de l’Intérieur (direction de la Sûreté nationale essentiellement) relatives au centre de Larzac consultées par dérogation (*) au centre d’archives contemporaines (CAC) de Fontainebleau. Il s’intègre dans une réflexion entamée en 2000 visant à établir une sociologie historique de l’internement et à estimer la place de ce dispositif administratif dans les transformations contemporaines de l’Etat.

Nous analysons ici l’usage des catégories d’action de la police dans le cadre du centre d’internement du Larzac, dont nous avons étudié par ailleurs le fonctionnement et les populations successives (Bernardot 2005 a, 2004). Nous mettons en évidence le processus d’essentialisation des internés ainsi que la subversion du rapport colonial à l’œuvre dans le centre.

ESSENTIALISATION ET DIFFERENCIATION

L’espace du camp d’internement est propice à l’élaboration de catégorisations naturalisant et essentialisant l’altérité. Deux figures émergent notamment dans le cas du centre de Larzac. L’une est celle de « l’ennemi irréductible » [2] qui puise à la fois dans l’imaginaire des Croisades et dans des représentations ensauvagées voire animalisées de l’autre. Elle s’oppose, tout en étant la face retournée de la même carte, à la perception collective typique du discours colonial racisé et infériorisant du « milieu indigène Nord-africain ».

L’ennemi irréductible

Une série de termes employés par les services de police du camp de Larzac illustre la démarche de criminalisation des militants indépendantistes. Différentes notes mentionnent en effet la présence dans le centre d’assignés d’ « Algériens particulièrement impliqués » dans la lutte de libération. Les documents évoquent indifféremment les « durs », les « irréductibles », les « irrécupérables », les « fanatiques », les « rebelles ». Ces militants constituent aux yeux de la hiérarchie policière ceux qu’il faut absolument neutraliser. Identifiés comme des ennemis politiques, ils sont dans le même temps ravalés au rang de criminels de droit commun et présentés comme incontrôlables. Le caractère résolu de ces hommes justifie pour les autorités la réaction de la police et en particulier la constitution de camps, seuls à même d’après elles de protéger efficacement la société.

« L’irréductible » renvoie d’après nous dans le discours de cette période d’abord à la figure de l’adolescent indigène réfractaire, défiant l’autorité paternelle et nationale puis qui s’affranchit irrémédiablement du giron colonial. L’internement administratif ne peut briser finalement ces assignés qui ne doivent de garder la vie sauve qu’au fait d’être internés en métropole, sous le contrôle potentiel d’une opinion publique. Dans les départements algériens, qui sont alors le théâtre principal du conflit, ils pourraient être victimes d’exécutions sommaires lors d’une « corvée de bois » [3], comme cela a pu être le cas aux camps de Palestro ou de Maatkas par exemple (Barrat et Barrat 2001 : 24). Tout en eux incarne le défi à l’autorité de l’Etat, défi dans l’attitude et détermination dans le regard comme celui d’Ahmed Benchérif, chef de l’ALN, capturé et photographié en 1961 [4]. Plus le temps passe, plus ils symbolisent pour le personnel du camp [5] l’irrésistible arrachement de l’Algérie à la nation française (Gallissot 2004 : 83).

Les cadres politiques formés à la clandestinité sont minoritaires au centre d’assignation et les renseignements généraux cherchent à les repérer dans la masse des arrivants. Au fur à mesure des interrogatoires, ils sont isolés puis expulsés vers les départements algériens. La manière dont l’administration les décrit est révélatrice de cette perception d’une altérité radicale. Ce sont des « fanatiques », désignés sur les fiches des R.G. comme des internés « Z » ou « très dangereux ». Cette image du fanatisme renvoie implicitement à la figure légendaire du Sarrasin, envahisseur et pilleur, incarnation de la cruauté (Basset 1998). Si le centre d’assignation a été conçu pour les identifier, leur présence rend impossible le fonctionnement régulier et normalisé de l’institution internementale. Pourtant il semble que cette figure indomptable gagne progressivement du crédit et du prestige auprès des gestionnaires du camp eux-mêmes selon un processus de fascination analysé par C. Guillaumin (2002 : 50). Ces derniers les craignent car ils se voient délégitimés et remis en cause vis-à-vis des internés par ces meneurs d’hommes. Affranchis de la tutelle coloniale ces militants reprennent en effet du prestige fantasmatique du Mahdi [6] et du combattant du désert aux yeux de leurs compagnons. Ces ennemis irréductibles deviennent des concurrents pour le contrôle effectif de l’ensemble des internés, plus dangereux que les caïds dans les prisons, parce qu’ils peuvent jouer avec les symboles. Cet insoumis se présente comme un double des autorités françaises dont il conteste la suprématie.

« Le Nord-africain » et son milieu

La fraction la plus importante de la population du camp est composée d’Algériens raflés, qui attendent leur élargissement pour pouvoir retrouver leur famille et reprendre leur travail. Ces « Nord-africains », perçus comme un ensemble indifférencié, correspondent parfaitement aux routines et à la culture des différents services de police qui ont exercé en Algérie ou outre-mer. Le migrant de travail, réduit ici à l’oisiveté, est censé rester en métropole employé dans les usines, les mines et sur les chantiers. Tous les stéréotypes habituels pour décrire la « mentalité nord-africaine » sont présents dans les discours des autorités. La direction du camp finit par se préoccuper essentiellement de cet usager, considérant que les internés proprement politiques ne sont pas l’objet normal de son action [7]. Ceux-ci sont doublement confinés dans un camp du camp, alors que le Nord-africain est pris en charge par une politique de gestion et d’animation, selon une démarche paternaliste traditionnelle.

L’un des enjeux émergents dans la gestion du centre d’assignation tient donc à l’identification, à la définition et à la différenciation des assignés. Les différentes locutions utilisées pour désigner les Algériens ciblés par la politique de répression finissent par dessiner un personnage ambigu et changeant. Une note de la Sûreté nationale sur les centres d’assignation montre bien la difficulté éprouvée par les pouvoirs publics pour « fixer » la définition de l’interné :

  • « La loi du 26 juillet 1957 et l’ordonnance du 7 octobre 1958 répondent à un but précis : neutraliser les personnes dangereuses pour la sécurité publique. Cet objectif est atteint à partir du moment où celles-ci sont assignées à résidence dans un centre. Toutefois, le rassemblement d’un nombre important de tels individus pose aux autorités responsables deux problèmes essentiels : éviter que certains éléments ne reconstituent à l’intérieur du centre une organisation anti-nationale et imposent à la masse une discipline en marge de l’autorité officielle ; meubler l’oisiveté des assignés. » [8] (C’est nous qui soulignons)

Arrêtons-nous sur la synecdoque « élément » utilisée pour désigner les internés. Elle exprime une appréhension réifiée d’un tout constitué de pièces identiques et indifférenciées qui lui appartiennent et qui n’existent qu’à travers lui. Ce ne sont pas les caractéristiques individuelles qui justifient l’arrestation préventive, par rafle, et le placement dans un camp. Les individus internés le sont sur la base de la « présomption suffisante d’une menace pour l’ordre public », c’est-à-dire d’une supposée sympathie ou appartenance à un mouvement rebelle, en raison de leur condition repérable de migrants coloniaux. D’autres métaphores biologiques comme celle de « milieu », témoignant de la perception policière d’une régénération spontanée et virale d’une « organisation anti-nationale » à partir de foyers de contagion dans une masse neutre, sont à l’œuvre dans l’emploi du terme d’ « élément ». La connotation également naturaliste, climatique et écologique, du terme, est à rapprocher de l’expression de « milieu naturel » (que l’on retrouve dans la formule policière consacrée de pénétration du milieu) mais aussi politique car elle renvoie aux cadres de la lutte moderne contre les guérillas, censées évoluer « comme des poissons dans l’eau » au sein de la population civile. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que le « milieu » constitue une notion inaugurale et centrale à la fois de la science moderne et des biopolitiques (Canguilhem 1989 : 129, Foucault 2004 : 22). L’opération d’essentialisation est par ailleurs un procédé classique de la pensée raciste (Guillaumin 2002) et en particulier à l’œuvre dans le rapport aux minorités migrantes coloniales (Sayad 1993).

C’est sur la base de ces catégories ethnico-politiques imprécises que les gestionnaires définissent des fonctions et missions différentes selon les populations ainsi classées – ennemi irréductible à repérer et expulser du centre, opposant politique à retenir à l’écart et à contingenter dans un sous espace séparé, travailleur immigré à protéger de l’influence négative des deux autres et à rééduquer avant de le renvoyer au travail à la fin des « événements ». Certes, le centre est initialement un lieu de regroupement et de mise à l’écart de civils ennemis mais aussi d’identification et d’expulsion de leurs leaders vers le lieu des hostilités et les tribunaux en Algérie les exposant à une éventuelle condamnation à mort, légale cette fois. Il devient ainsi l’espace permettant d’effectuer une sélection entre les bons travailleurs coloniaux et les mauvais indépendantistes indigènes, pour pouvoir s’occuper des premiers avec bienveillance et sollicitude. Lorsque le directeur du centre considère qu’il a réussi à isoler puis transférer les « éléments perturbateurs », il veille jalousement à y maintenir la cohésion comme le ferait un gestionnaire de logement collectif ou un maire.

C’est ce qu’il explique à sa hiérarchie de la direction de la Sûreté nationale en réaction à l’envoi de nouveaux assignés :

  • « Les dimensions du centre du Larzac, la complexité de son infrastructure et le nombre élevé d’assignés qui s’y rendent, le désigne comme centre de regroupement pour résidents stables et sans agressivité excessive. Cette vocation normale devrait permettre à la direction une sélection constante pour les transfèrements rapides dans un camp disciplinaire des éléments perturbateurs qui se manifesteraient. » [9]

LA SUBVERSION DES CLIVAGES

Le regroupement de milliers d’internés dans le centre, pour efficace qu’il soit dans le cadre de la lutte contre le F.L.N., confronte l’administration à des contraintes telles qu’elles l’obligent à amender ses catégories et à modifier ses objectifs initiaux. On peut même faire l’hypothèse que le centre d’internement devient le théâtre de la subversion et du retournement du contre-type [10] indigène par les internés qui, morts ou vifs, sapent les symboles de la domination coloniale.

Un impensé ethnique ressurgit de part et d’autre des barbelés

Les premières catégories utilisées pour désigner les internés sont de type sécuritaire. Mais plus le camp s’installe dans la routine, plus les modes ethniques et racistes de désignation gagnent du terrain. Les catégorisations ethniques se présentent d’abord sous des formes détournées et « ambiguës » (E. Balibar et I. Wallerstein 1997, G. Gosselin 2001). C’est le cas dans une note d’un préfet au directeur du centre qui évoque le « transport à leur domicile antérieur des Français de souche algérienne indigents libérés du camp du Larzac » [11]. L’indigent constitue une catégorie classique de l’Algérien en métropole du point de vue des services préfectoraux, le Français musulman d’Algérie (F.M.A.) salarié, étant, à l’inverse, censé être pris en charge par le ministère du Travail pour l’emploi et la résidence (Bernardot 1999).

Cette accumulation de définitions et de désignations concurrentes des assignés génère des luttes incessantes pour imposer leur appréhension et leur système de classement entre les tenants des critères politiques et policiers de caractérisation et ceux qui proposent ou réclament des critères ethniques, perpétuant ainsi la lutte des classements à l’œuvre dans l’espace colonial français. Ce conflit concerne non seulement les autorités mais aussi les internés eux-mêmes. Ainsi dans une note de 1960 le directeur du centre rappelle son refus de tout regroupement suivant les origines ethniques (Kabyles/Arabes) alors qu’il est réclamé par le conseiller social qui tente de se faire l’écho de certaines revendications des internés en la matière. Il argue que les critères d’origine ethnique sont « en contradiction avec les sélections précédentes et sans effets favorables ». [12] Il adopte ainsi ce qu’on pourrait appeler une position républicaine, mais à l’échelle du camp. La question de l’origine se pose fréquemment à l’occasion de la mise en contact éventuelle des internés avec d’autres « Français d’Algérie ». Il se peut que ce soit des militaires lors de l’arrivée à Larzac d’une compagnie du 2e RAMA stationnée à Castres qui comprend dans son effectif six « musulmans français d’Algérie ». Le directeur recommande alors « de ne pas les mettre en faction  » [13] pour éviter toute rencontre avec les internés. Il se peut aussi qu’il s’agisse des personnels vacataires pour l’entretien, la direction du camp n’acceptant pas explicitement dans ce cas les embauches d’Algériennes par crainte de possibles « provocations ».

En revanche les internés usent à plusieurs reprises, dans les documents saisis ou dans les contacts avec la direction, de qualificatifs ethniques. Il semble que ces derniers structurent même des clivages au sein du camp. En effet l’organisation F.L.N., un temps unique, éclate à l’occasion de l’arrivée de nouveaux militants dix-huit mois environ après l’ouverture du centre. La première querelle d’importance entre les internés est déclenchée en octobre 1960 par une soixantaine « d’Arabes », qui demandent à la direction du camp à être, en tant que tels séparés du reste des hommes. Ils reprochent aux « Kabyles » de monopoliser les postes au sein de l’organisation intérieure du camp. Mais d’autres tensions apparaissent bientôt, qui opposent « les Oranais et les Djidjelliens, les Parisiens et les Marseillais ou les Lyonnais » [14], fractionnant toujours un peu plus la population. On peut d’ailleurs penser que l’espace spécifique du camp participe au brouillage de l’affirmation identitaire, habituellement centrale dans les mouvements nationalistes (Anderson 1996). La direction participe à ce morcellement, ce « rabattement » (Amselle 1996 : 95), en instrumentalisant à l’occasion ces fractures ethniques et géographiques dans la meilleure tradition coloniale lorsqu’elles correspondent à ses objectifs.

Le fantôme du concentrationnaire ou quand l’ennemi devient une victime

A l’opposé de l’irréductible une autre figure apparaît peu à peu dans le centre d’assignation. C’est celle de l’interné à bout de forces physiques et mentales. Les mauvaises conditions de vie dans le camp et le harcèlement quotidien par les gardiens et la hiérarchie F.L.N. provoquent une dégradation de l’état de santé d’une partie des internés. Simultanément les autorités développent toujours plus la prise en charge sanitaire et sociale des malades et des indigents du camp. Les internés jouent d’ailleurs sur cette prise en charge humanitaire en déclenchant plusieurs grèves de la faim, caractéristiques d’une mobilisation « jusqu’au-boutiste » où ils se servent de leur propre corps comme enjeu. Le nombre des malades psychiatriques augmente tout au long du fonctionnement du centre de même que les suicides et les tentatives de suicides. L’appréhension de la folie indigène et les catégories nosologiques spécifiques pour la désigner ne sont pas nouvelles. La police, comme les services sanitaires, ont une expérience de la « sinistrose » arabe (Douville 1985 : 64, Sayad 1999 : 266). Une partie de la psychiatrie moderne s’est développée à partir de ces cas en collaboration avec la police ayant développé des activités spécialisées pour faire face aux dégâts de l’acculturation.

Pour contrôlée qu’elle soit, cette dégradation de l’état de santé des internés réveille, notamment à l’occasion de leur transfert dans des hôpitaux psychiatriques, les souvenirs collectifs du passé internemental du plateau et de la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs articles de presse s’inquiètent ou dénoncent la présence dans le centre d’hommes « squelettiques ». Ces internés fantomatiques aux corps décharnés s’étant évadés de l’oppression par la folie et la maladie font irruption dans et hors du centre. Comme nous avons pu le montrer pour le centre d’hébergement et d’accueil d’urgence humanitaire (C.H.A.U.H.) de Sangatte (Bernardot Deguines 2003), la population environnante est confrontée à sa « mémoire du sol » selon la formule de J. Besson (2004), en raison de l’existence du centre d’internement, à des souvenirs collectifs des précédents usages du camp, (notamment lorsqu’il a accueilli en 1938 des réfugiés espagnols et en 1945 des prisonniers de guerres allemands dont près d’une centaine sont enterrés sur place). La présence d’hommes, en très mauvaise santé et présentant les signes corporels du concentrationnaire crée un malaise parmi la population environnante.

Car pour secret qu’il soit censé être, le centre d’internement est néanmoins en contact avec l’extérieur. Nous pouvons même dire qu’il forme ici un espace tenu ou mis au secret qui le reste même après la révélation de son existence sans doute parce qu’il participe à la socialisation collective (Simmel 1976 : 283). Tout dans les documents consultables sur le centre du Larzac met en évidence les effets des relations sociales et économiques de la collectivité internée avec son environnement. Pour paraphraser F. Davoine et J.-M. Gaudillière (2004 : 17) l’internement constitue un phénomène dont on ne peut parler mais qu’on ne peut pas taire. D’un point de vue matériel, les internés sont aussi en contact avec l’extérieur car ils s’avèrent être des consommateurs (de pain et de viande notamment en grande quantité), et des administrés (le maire du village voisin de la Commanderie célèbre des mariages, signe des reconnaissances de paternité, et des attestations de résidences pour l’attribution d’allocations) même s’ils ne sont plus de travailleurs comme auparavant. La question se pose enfin de la gestion du corps de l’ennemi, à la fois le corps vivant et visible qui traverse le plateau du Larzac et le corps malade ou mort susceptible de souiller la terre des ancêtres. L’interné est en interaction permanente avec le territoire environnant et en particulier avec sa carte imaginaire, symbolique et mémorielle (Bernardot 2005 b).

LE SYNDROME DE L’INTERNEMENT

Tout comme la population dans l’environnement du centre d’internement, le personnel de garde est affecté par son activité répressive et confinée. Parallèlement à l’augmentation du nombre des internés, le recrutement connaît aussi une diversification et une complexification constante des fonctions et des filières. Progressivement certaines composantes des employés paraissent entrer en résonance avec la population internée. C’est le cas par exemple des militaires musulmans, du personnel vacataire immigré notamment féminin [15] et plus généralement des compagnies républicaines de sécurité (C.R.S.) et des soldats ayant fait un séjour en Algérie. La pérennité relative du centre (plus de trois ans de fonctionnement continu comme lieu d’internement) suscite des effets d’exposition et de confrontation multiples des assignés avec des techniciens de l’internement et des collaborateurs du centre. Après deux années de fonctionnement en isolat, le centre s’entrouvre aux visites des avocats et des familles d’internés. Les durées d’internement de certains d’entre eux s’allongent et les relations avec les gardes se routinisent et se rapprochent de celles qui existent dans le monde carcéral. Lieu fondamentalement répressif dans les premières années le centre d’assignation devient progressivement une petite agglomération de plus de 4 000 habitants dotée d’une double administration typiquement coloniale. On peut trouver en effet dans le camp une poste et une banque des internés, des salles de cours et une bibliothèque, une polyclinique dispensant jusqu’à 35 000 consultations par an, plusieurs salles de prières et des muezzins.

La gestion du centre d’assignement expose parfois les policiers et les militaires aux mêmes affections que les assignés. C’est le cas lors d’une violente épidémie de grippe qui touche durant l’hiver 1959 sans discrimination les deux contingents au point de provoquer un sérieux problème de sécurité à la direction. Un tiers environ du personnel à sa disposition est alité et ne peut assurer ses fonctions. L’autre question anthropologique primordiale est celle qui touche au partage des espaces sanitaires. Le mauvais équipement du camp militaire et la forte hausse de densité d’occupation imposent des contacts fréquents et des usages partagés de certains espaces et notamment des latrines ce qui provoque des plaintes de la part des C.R.S.

  • « En raison de leurs emplacements, les lieux d’aisance sont utilisés par la C.R.S. 173, une partie de la 121, la section d’intervention et le personnel du camp. Les assignés transférés les utilisent dès leur arrivée et les laissent dans un état lamentable les rendant le plus souvent inabordables. » [16]

Le camp, comme frontière déplaçable, est pensé pour séparer et expulser. Il oblige néanmoins certains à être sur les lignes internes qui retranchent de l’ennemi au risque de la souillure (Douglas 2004 : 169 et s., 2005 : 130 et 144). Les conditions de vie des fonctionnaires se dégradent et les tensions entre services de police concurrents sont fréquentes. De surcroît, même divisés et traqués par les services de renseignements du camp, les assignés ne cessent de se mobiliser pour réclamer des améliorations des conditions de vie et une plus grande autonomie. Pour faire pression sur les autorités, les internés utilisent un répertoire d’action visant à marquer leur non appartenance à la nation française. En 1959 un Algérien provoque l’hilarité de ses camarades lors du passage d’un brigadier en appelant à haute voix un petit chien : « viens, mon petit De Gaulle, fais le beau ! », puis le faisant mettre sur le dos, « te voilà le ventre à l’air mon petit De Gaulle ». [17] Ils se présentent à l’appel en restant silencieux à l’énoncé de leur matricule. Ils expriment symboliquement l’existence d’une république algérienne indépendante en commémorant le 5 juillet 1830, date de l’intervention des Français en Algérie et le 8 mai 1945 l’anniversaire du soulèvement du Constantinois. Ils chantent aussi souvent que possible la Kassama, hymne de la révolution algérienne, et refusent, malgré le froid, de porter des capotes militaires trouées des militaires français morts en Algérie. Ces formes de mobilisation sont d’autant plus humiliantes qu’elles émanent d’un groupe érigé en contre-type (c.f. supra) et conçu comme un adolescent ingrat à corriger tel le Caliban indigène de O. Mannoni (1950 : 103) dressé par un Prospéro colonial et paternaliste.

Le directeur du centre considère « qu’il est inadmissible que l’autorité française perde la face vis-à-vis des assignés. Il devient impossible de les administrer avec paternalisme » [18]. Les formes de résistance passive des assignés provoquent en effet un stress croissant dans le personnel de garde, proche de celui décrit par A. Becker pour les Allemands occupant Lille dans les années 1914-1918 (2003 : 40). Les interrogatoires poussés, menés par le service des renseignements généraux (R.G.), génèrent des perturbations psychiques au sein du personnel plus « passif » qui peut se sentir mis en cause dans sa virilité (Branche 2004 : 111), dans son identité à venir de civil (Godard 2003 : 134 et suiv.) ou plus globalement dans son rapport à un Etat devenu régressif [19].

Le centre d’internement censé être le laboratoire de la dissolution du F.L.N. et de la soumission des internés s’avère être le lieu de la remise en question de l’identité nationale et républicaine. Expression radicale de la domination impériale et du primordialisme colonial (Appadurai 2005 : 205), le camp donne pourtant prise au quotidien à la subversion des catégories habituelles d’appréhension de cette vision du monde. Il permet aux autorités de combattre en dehors de l’Etat de droit la revendication indépendantiste en retranchant les militants de la société et en les plaçant dans un espace confiné. Mais celui-ci est le théâtre d’une identification nationale de remplacement, certes factice et parfois violemment caricaturale ou pathologique au sens tant psychanalytique (McDougall 2004 : 325) que politique (Hobsbawm 1993 : 52, Appadurai 2005 : 218). Comme le dit le directeur du centre abusé et désabusé à la fois : « En voulant éliminer des individus suspects on a institué un séminaire FLN, une colonie de l’Algérie libre. » [20]

BIBLIOGRAPHIE :

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Appadurai Arjun, (2005), Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, [1996] (trad. F. Bouillot).

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Barrat Denise et Barrat Robert, (2001), (textes et documents réunis par), Algérie, 1956, livre blanc sur la répression, La Tour d’Aigues, Alger, Edition de l’aube.

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Titre : Le garde et l’interné : essentialisation des catégories et subversion des clivages dans les centres d’internement français de la guerre d’Algérie (1959-1962).
Résumé : Dans le contexte de la guerre d’Algérie, le ministère de l’Intérieur a mis en place plusieurs centres d’assignation à résidence surveillée en métropole destinés à « mettre hors d’état de nuire » les militants algériens. L’étude du fonctionnement de ces centres à partir des archives du ministère permet de montrer les processus sociaux et politiques complexes et ambigus dont ils ont été le théâtre. Ces camps et notamment le principal installé dans le site militaire du Larzac ont certes été le lieu d’expression et d’application concrètes des catégories coloniales racisées de la police et d’une forme d’Etat de police régressif. Mais ils ont constitué dans le même temps un espace d’expression de la contestation de l’ordre colonial, de la subversion de ses clivages traditionnels par les militants assignés et pour finir de leur ré-appropriation de ce système de domination. Mots clés : Guerre d’Algérie, police, internement, domination coloniale.
Mots clés : Internement, camp, guerre d’Algérie, police, contretype, Etat régressif

Title : The Guard and the Inmate : The Essentialization of Categories and Subversion of Splits in the French Internment Camps of the Algerian War
Summary : In the context of Algerian War, the Ministry of Interior put in place, in metropolitan France, several centres of assignation for under house arrest, intending for preventing Algerian militants from “doing harm”. The study of the functioning of these centres, based on archives of the Ministry, allows to show the social and political processes were complex and ambiguous. The main camp settled in the military of Larzac, was a scene of concrete expressions and applications of colonial and racists categories of the police and the form of regressive police state. But in the same time, these camps constituted a space of expression for the protestation of the colonial order, for the subversion of its traditional splits by the militants who were assigned and for their self appropriation of this system of domination.
Keywords : Internment, camp, Algerian War, police, dupe, regressive state

NOTES

[1] Le ministère obtient en 1957, l’extension de ses pouvoirs discrétionnaires aux Algériens vivant en France. Puis, à la suite des actions du F.L.N. en métropole en août 1958, sont autorisés l’internement administratif ou l’assignation à résidence des « personnes dangereuses pour la sécurité publique, en raison de l’aide matérielle, directe ou indirecte, qu’elles apportent aux rebelles des départements algériens ». Les camps sont légalement interdits mais des centres d’internement sont créés par décret et ordonnance. La police peut alors recourir à l’internement. Plus de 14 000 indépendantistes supposés seront internés dans un réseau de centres d’assignations à résidence surveillée formant un dispositif répressif parallèle non pris en compte dans les statistiques de la détention.

[2] Nous utilisons les guillemets pour les expressions tirées des archives. Les sources exactes sont mentionnées pour les citations seulement.

[3] Cette expression est la manière euphémisée de désigner les procédés d’exécutions d’Algériens arrêtés par l’armée française. Ils étaient abattus lors de mises en scène de corvées durant lesquelles ils étaient accompagnés par leurs bourreaux à l’écart des lieux de détention.

[4] Photographie de Marc Garranger, octobre 1961.

[5] Il y a en 1961 une centaine de policiers qui font fonctionner le centre. Par ailleurs plusieurs services complètent l’organisation, comme un service social, un service médical, une antenne des renseignements généraux, un service vétérinaire (pour les chiens de garde). Environ 350 C.R.S. renforcés par 450 militaires assurent la surveillance externe du centre. Par ailleurs des entreprises de la région interviennent en permanence dans le centre (commerces alimentaires, artisans du bâtiment…).

[6] Le mahdi est en Islam l’envoyé d’Allah qui doit venir à la fin des temps pour poursuivre la mission du prophète Mahomet.

[7] La croissance démographique rapide du camp (de quelques centaines d’assignés en 1959 à plus de 2 800 en mars 1960) entraîne la constitution d’une ville de plusieurs milliers d’habitants. Car, pour répondre aux nombreuses exigences de la vie quotidienne dans le centre, les autorités développent une organisation élaborée. La gestion est basée sur les principes de l’hygiénisme coercitif et paternaliste, appliqué depuis le début du XXe siècle aux migrants coloniaux présents en métropole. Mais dans les conditions du camp militaire toutes les tâches quotidiennes prennent une dimension critique et épuisante pour le personnel comme pour les internés. L’appel et l’identification des ces derniers tout comme les questions alimentaire, sanitaires, sociales et occupationnelles génèrent des problématiques complexes. La direction opte rapidement pour une délégation très importante de certaines tâches à l’organisation des assignés.

[8] Instruction concernant l’organisation et la surveillance des centres d’assignation. Direction générale de la sûreté nationale, 12 janvier 1960, CAC*, MI 1977 381, art. 11.

[9] Note du directeur du centre au directeur général de la sûreté nationale, 14 octobre 1960, CAC* MI 1977 0381, art. 12.

[10] Le contre-type est la systématisation, durant la période contemporaine, des figures de parias servant de contre-exemple au stéréotype masculin occidental de grandeur et de perfection. (Mosse, 1997 : 69)

[11] Note de l’Igame (inspecteur général en mission extraordinaire) au directeur du CARS, 23 avril 1960, CAC* MI 1977 381, art. 12.

[12] Note du directeur du CARS au préfet de l’Aveyron, 26 mars 1960, CAC* MI 1977 0381, art. 11.

[13] Note du directeur du CARS au directeur du service d’assignation à résidence, 29 juin 1961, CAC* MI 1977 381, art. 12.

[14] Note du directeur du CARS au directeur du service d’assignation à résidence, 19 juillet 1961, CAC* MI 1977 0381, art. 12.

[15] La population internée est composée exclusivement d’hommes. Les femmes suspectées et condamnées pour soutien à la rébellion sont incarcérées dans les prisons pour femmes.

[16] Lettre du commandant des C.R.S. au directeur du CARS, 8 mai 1959, CAC* MI 1977 0381, art. 12.

[17] « Incident avec les C.R.S. », 19 septembre 1959, CAC MI 1977 381 art. 12*.

[18] Ibid

[19] On peut en effet considérer que le recours systématique à l’internement administratif représente en tant que remise en cause de libertés fondamentales une régression dans le processus de longue durée de pacification de l’espace public et de préservation de l’individu. (Elias 1985 1991, Mosse 1997 2003). La mise en place de ces espaces d’internement hors norme participe de cette régression au regard du mouvement de modernisation engagé par l’Etat depuis la fin du XIXe siècle (Bernardot 2005 c).

[20] Directeur du CARS à l’Igame, 20 novembre 1959, CAC MI 1977 381 art. 11*.