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Politique migratoire et instrumentalisation de la question du genre en contexte post-colonial.

Le cas des ’’mariages forcés’’

Sandrine Durand

citation

Sandrine Durand, "Politique migratoire et instrumentalisation de la question du genre en contexte post-colonial. Le cas des ’’mariages forcés’’", REVUE Asylon(s), N°4, mai 2008

ISBN : 979-10-95908-08-1 9791095908081, Institutionnalisation de la xénophobie en France, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article737.html

résumé

Des affaires du voile successives à la promesse faite par Nicolas Sarkozy, au cours de la campagne électorale de 2006-2007, d’octroyer la nationalité française à toute femme étrangère victime de violences conjugales, en passant par la médiatisation à outrance des viols collectifs dans les banlieues populaires et le lancement du mouvement Ni putes ni soumises, la rhétorique d’égalité entre les sexes est devenue une stratégie récurrente de stigmatisation des populations issues de l’immigration post-coloniale. Pierre Tévanian (La République du mépris, 2007, La Découverte) a récemment montré que c’est au nom des valeurs dites ‘’républicaines’’, parmi lesquelles le féminisme tient une place privilégiée, que le racisme contemporain construit les migrants post-coloniaux et leurs descendants en corps durablement étrangers à la nation française. Mais si cette instrumentalisation de la question du féminisme dans l’ordre des discours politiques et médiatiques a attiré l’attention des chercheurs, les travaux portant sur l’institutionnalisation des politiques de lutte contre le sexisme à des fins de contrôle migratoire et/ou de stigmatisation des populations ‘’indésirables’’ demeurent rares. C’est l’axe que nous nous proposons d’explorer, à partir d’observations des actions menées ou envisagées par l’État pour lutter contre les mariages forcés ; actions qui mobilisent notamment les associations féministes, lesquelles sont de plus en plus sollicitées par les pouvoirs publics pour lutter contre un sexisme présenté comme spécifique aux populations issues des anciennes colonies et de leurs descendants.

Depuis le début des années 2000, la question des « mariages forcés » est devenue un enjeu pour l’Etat français qui, via différentes institutions, pilote la lutte contre ce phénomène à l’échelon national. Dans cette optique, des comités de pilotage- ou groupes de travail- contre les mariages forcés ont été constitués dans plusieurs départements sous l’impulsion des Directions Régionales aux Droits des Femmes et à l’Egalité (DRDFE) ou d’autres institutions. Si leur composition peut être sensiblement différente d’un département à l’autre, ils réunissent généralement des institutions et des associations que leurs missions, leurs objectifs ou leur travail de terrain désignent comme partenaires « de fait » dans la mobilisation contre ce phénomène : notamment l’Education nationale, les Conseils généraux, les DDASS, des associations féministes et des associations intervenant auprès de femmes victimes de violences. Loin de nier l’existence de ce phénomène et loin de discuter la nécessité d’un accompagnement pour les femmes menacées ou victimes de mariages forcés, notre contribution interroge les conditions selon lesquelles l’Etat français propose de venir en aide à ces dernières et les dispositifs ou mesures qu’il a envisagés pour prévenir ces situations.

Notre analyse s’appuie sur notre expérience de terrain au sein d’une association féministe qui participe depuis près de cinq ans à un comité de pilotage contre les « mariages forcés » mis en place dans un département de la région Rhône-Alpes. C’est à l’aune des données recueillies dans le cadre de cette observation participante que nous explorons la mobilisation impulsée par l’Etat sur cette question. L’objectif de notre analyse est de rendre compte des représentations qui viennent étayer les dispositifs de lutte contre les « mariages forcés » pilotés par l’Etat et de situer l’impact des mesures législatives adoptées ou envisagées à l’échelon national pour juguler ce phénomène. Par-delà les effets explicitement attendus, il s’agit de donner à voir les enjeux implicites d’une telle mobilisation ainsi que ses conséquences pour les femmes qu’elle prétend vouloir protéger et plus généralement pour les populations issues de l’immigration post-coloniale.

Notre contribution soutient que derrière l’antisexisme de façade qui est mis en avant, les dispositifs et mesures censés juguler le phénomène des mariages forcés nourrissent d’autres desseins. D’une part, ils essentialisent le sexisme qui existe au sein des groupes racialisés, stigmatisant ainsi les populations issues ou descendant-e-s de l’immigration post-coloniale et enferment les femmes de ces groupes dans le rôle de victimes dont ils prétendent vouloir les affranchir. D’autre part, ils contribuent au renforcement de l’arsenal législatif de lutte contre l’immigration en provenance des anciennes colonies.

Une combinaison de logiques qui contribue à placer cette mobilisation au-dessus de tout soupçon

La mobilisation de l’Etat sur la question des « mariages forcés » constitue un miroir grossissant de deux logiques actuellement à l’œuvre : l’instrumentalisation de la question du genre et l’institutionnalisation de la stigmatisation des populations issues des anciennes colonies et leurs descendant-e-s. D’où, l’intérêt heuristique de prendre cette mobilisation comme objet d’étude car elle constitue un observatoire privilégié pour saisir comment s’accomplissent ces deux logiques mais aussi comment elles s’articulent et plus précisément comment leur combinaison occulte les enjeux implicites respectifs de chacune d’elles. En effet, la mobilisation de l’Etat sur une question qui touche aux droits des femmes est interprétée, notamment par les associations féministes, comme un signe de reconnaissance pour la cause qu’elles défendent -le sexisme en général- dans un contexte où cette cause est longtemps restée lettre morte au niveau des politiques publiques. De surcroît, lorsque le pilotage de cette mobilisation est confiée à la Direction Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité -branche de l’Etat qui, de par ses missions, est a priori sensible aux rapports de domination et aux minorités sociologiques- cela conduit les acteurs et actrices impliqué-e-s à sous-estimer le risque de stigmatisation inhérent aux actions mises en œuvre par l’Etat pour lutter contre les « mariages forcés ». Ainsi, la dimension institutionnelle de cette mobilisation sur une question de genre, en conférant une légitimité à ladu genre, occulte l’instrumentalisation dont cette dernière est ici l’objet ; et, en situant la ramification de l’Etat qui est mandatée sur l’Egalité en première ligne de cette mobilisation, les discriminations qu’elle occulte, celles qu’elle risque de renforcer, mais aussi celles qu’elle produit en leur apportant une légitimation, se trouvent ainsi reléguées dans le domaine de l‘impensable et sont de fait impensées par les différents acteurs (trices) de terrain officiellement chargé-e-s de lutter contre les « mariages forcés ».

Comme les différentes affaires du voile, les viols collectifs ou les crimes d’honneur survenus dans les banlieues populaires, les mariages forcés ont fait l’objet d’une forte médiatisation au cours de ces dernières années. Alors que les associations féministes et plus généralement les associations mandatées sur la question des violences reçoivent, chaque année depuis plusieurs décennies, des femmes menacées ou victimes de mariages forcés, ce phénomène a brusquement fait irruption dans le champ médiatique et politique, au début des années 2000, comme une préoccupation majeure. Alors que l’ampleur de ce phénomène n’est documentée par aucune enquête scientifique, cette pratique est généralement présentée comme étant très fréquente et en forte augmentation sur le territoire français.

Le chiffre de 70 000 mariages forcés annuels en France a été avancé par le Haut Conseil à l’Intégration (HCI) en 2003 et largement repris [1]depuis. Or, ce chiffre correspond, en réalité, à une estimation du nombre de jeunes femmes étrangères de 15 à 18 ans qui se trouveraient protégées par la modification législative alignant l’âge nubile des filles sur celui des garçons (à savoir 18 ans). Quoiqu’il en soit, il continue à être présenté comme le nombre de mariages forcés contractés annuellement sur le territoire français et retenu comme une donnée quantitative situant l’ampleur inquiétante du phénomène, certain-e-s soutenant même que le nombre de mariages forcés est encore bien plus élevé. Or, malgré l’absence de quantification scientifique du phénomène, on est en droit de qualifier ces estimations d’alarmistes puisque, comme le souligne l’association Pénombre, si 70 000 mariages forcés avaient lieu chaque année en France, cela signifierait que près d’un quart des mariages annuels seraient contractés sous contrainte [2].

L’ethnicisation des mariages forcés et du sexisme comme légitimation de l’infériorisation sociale des populations issues de l’immigration post-coloniale.

L’origine géographique des familles concernées et/ou leur culture arabo-musulmane sont généralement invoquées pour expliquer le phénomène des mariages forcés.

Or, les mariages arrangés, et parfois forcés, ont existé en France et n’ont cessé qu’au cours du XXèmesiècle : cette pratique, qui concernait encore près de 10 % des unions formées dans l’entre-deux-guerres, n’est devenue insignifiante qu’à partir des années 60 [3]donc assez récemment à l’échelle de l’histoire. Mais comme le soulignait déjà très justement Christine Delphy à propos des affaires successives autour du foulard islamique en France, « on oublie notre passé (pas si lointain) avec la même légèreté que nous projetons notre présent sexiste hors de nous, en nous défaussant sur l’Autre… » [4] .

On oppose les mariages arrangés et les mariages d’amour en invoquant la liberté absolue qui présiderait actuellement au choix du conjoint au sein de la société française. On occulte qu’en dépit de l’avènement du mariage d’amour, la formation du couple- dans et hors mariage- reste fortement déterminée par les mécanismes structurels de l’homogamie sociale et des rapports de genre [5]. On occulte également la permanence du rôle joué par la famille dans le choix du conjoint à des fins de préservation ou d’augmentation du capital économique et symbolique dont celle-ci bénéficie [6].

On stigmatise le « communautarisme » [7]que traduirait la volonté de certains parents issus de l’immigration de marier leur fille à un garçon présentant des gages de proximité avec leur origine géographique et/ou leur obédience religieuse, éludant qu’au sein de la société française, la plupart des individu-e-s considère qu’il est préférable de s’unir, officiellement ou non, avec quelqu’un-e de semblable à soi [8]. Si les violences psychologiques et/ou physiques subies par les femmes menacées ou victimes de mariages forcés apparaissent comme l’une des préoccupations des acteurs et actrices chargées de lutter contre le phénomène, celle-ci est loin d’être en réalité la seule.

La question du consentement des jeunes femmes concernées n’est pas toujours tenue pour centrale. Elle est même parfois passée au second plan. Dans le rapport d’enquête [9]tentant une quantification du phénomène sur le département du Rhône, on peut ainsi lire : « Les 52 cas relatés ne sont qu’une très faible estimation du nombre de mariages forcés sur le département : seules les jeunes femmes refusant de vivre une telle situation se sont manifestées. Manquent toutes celles qui ne s’y opposent pas, qui n’ont pas le sentiment de vivre un mariage ’’forcé’’ mais plutôt ’’arrangé’’, celles qui s’y soumettent par méconnaissance de leurs droits et celles qui n’ont pas eu la force de dénoncer un tel fait ». Si l’on peut effectivement faire l’hypothèse d‘une sous-estimation de ce chiffre -les informations ayant été recueillies auprès d’acteurs institutionnels ou associatifs pouvant avoir eu connaissance de cas de mariages forcés, l’exhaustivité n’est pas garantie-, il apparaît ici que ce n’est pas le consentement/non consentement de la jeune femme concernée qui est mobilisé pour déterminer le caractère forcé ou non d’un mariage, puisque pour les rédactrices du rapport, devrait être considéré comme « forcé » un mariage « arrangé » quand bien même la jeune femme « n’a pas le sentiment de vivre un mariage ‘’forcé’’ ». Si mariages forcés et arrangés sont amalgamés, c’est d’une part parce que les deux sont perçus comme opposés au mariage « d’amour » vécu sur le mode de l’enchantement et de l’affranchissement de toute contrainte. C’est donc l’endogamie « communautaire » qui est ici tenue pour un problème. Mais il y a plus. La relégation de la question du consentement au second plan est un procédé courant lorsqu’il s’agit de femmes racialisées. Tout comme au sujet du voile, la signification subjective que les femmes concernées accordent à la pratique en question est négligée parce qu’elles sont perçues comme étant privées des facultés de libre arbitre et de la capacité de faire des choix conscients.

Par ailleurs, alors que les mariages arrangés et forcés ne sont plus forcément pratiqués -ou moins qu’autrefois- dans les pays d’origine des parents qui envisagent d’y avoir recours en France [10], ils sont généralement considérés comme inhérents à une culture définitivement statique à ce propos et comme produits d’une histoire foncièrement étrangère à la société française [11]. Pourtant, à l’instar de l’analyse qu’a fait Christine Delphy [12]des affaires successives autour du voile, la compréhension du phénomène des mariages forcés survenant en France exige que ces derniers soient appréhendés comme des affaires franco-françaises prenant sens au regard de l’exclusion et du racisme dont sont victimes les populations issues de l’immigration post-coloniale et leurs descendant-e-s. Dans un contexte où les discours incitent les filles descendantes de parents immigrés à « s’intégrer » en opérant une rupture avec leur famille et à « s’émanciper » sexuellement avec des hommes du groupe non racialisé, le choix du conjoint constitue un enjeu identitaire fondamental et le vœu des parents que ce conjoint soit membre de leur « communauté » devient intelligible : un mariage dit « mixte » prend le sens d’une validation par la fille de la stigmatisation qui vise les hommes dits « arabes » en les présentant comme moins désirables que les hommes dits « français » [13].

Les immigrés post-coloniaux et leurs descendants n’ont pas, loin s’en faut, le monopole des violences envers les femmes [14], ni celui du contrôle spécifique de la vie affective et sexuelle des filles et des femmes [15]. Par conséquent, il n’y a pas lieu de considérer le sexisme et les violences vécues par certaines migrantes post-coloniales ou leurs descendantes comme des situations exceptionnelles, ni comme un fléau concernant spécifiquement les populations originaires des anciennes colonies. Pourtant, le ciblage spécifique des mariages forcés et le traitement particulier dont ils font l’objet confèrent à ce phénomène un statut d’exception, le désigne - avec le voile et la polygamie- en tant que figure emblématique du sexisme et relègue ainsi à l’arrière plan (voire aux oubliettes !) l’asymétrie des rapports hommes-femmes au sein de la société française « blanche » [16]. Cette logique, qui exonère cette dernière de considérer le sexisme dont elle est porteuse, participe de l’« orientalisme » défini par Edward Saïd en tant que processus « d’altérisation » consistant à utiliser le principe du respect des femmes pour plaider la supériorité culturelle occidentale [17]et stigmatiser les populations issues de l’immigration post-coloniale ainsi que leur descendant-e-s.

Certes, le sexisme que subissent les femmes issues de l’immigration et leurs descendantes revêt une spécificité mais, contrairement aux représentations dominantes, celle-ci n’est pas imputable au « sur-sexisme » supposé des hommes de leur « communauté » : elle est liée à la dévalorisation spécifique que subissent les garçons et les hommes des groupes racialisés qui induit un renforcement de l’asymétrie des rapports hommes-femmes au sein de ces groupes et participe à la genèse d’un sexisme identitaire [18].

Aussi, les actions qui isolent les mariages forcés [19]autres formes de violences dont sont victimes les femmes, donnent à penser ce phénomène comme une survivance archaïque d’un sexisme qui n’aurait plus cours dans la société française « blanche ». En cela, elles contribuent à stigmatiser les hommes issus de l’immigration post-coloniale et leurs descendants et à construire la culture arabo-musulmane, altérisée, naturalisée et essentialisée, comme une culture déviante. Si la figure du « garçon arabe » [20]violeur et voileur enferme dans le stéréotype sexiste les descendants masculins d‘immigrés en provenance des pays arabo-musulmans, c’est à l’encontre de la première génération d’immigrés que celle du « père arabe » qui « marie ses filles de force » apparaît comme une « étiquette » [21]fabriquée avec succès par « les entrepreneurs de morale ». Il en est ainsi de toutes ces générations d’hommes « étiquetés » comme étant particulièrement oppresseurs envers leurs femmes. Or, une telle stigmatisation a un double effet : celui d’une part d’apporter une légitimation implicite à l’infériorisation sociale de l’ensemble des personnes issues de l’immigration post-coloniale en produisant un « racisme respectable » [22] ; celui, d’autre part, de comporter le risque d’une exacerbation du sexisme subi par les femmes que les actions menées prétendent officiellement vouloir protéger. [23]

Des mesures législatives sans impact notoire sur le phénomène, mais potentiellement efficaces pour faire obstacle au séjour des étranger-e-s sur le territoire français.

Outre l’audition préalable des deux futurs conjoints - afin de s’assurer de leur consentement - et l’allongement à cinq ans du délai de recevabilité de la demande en nullité du mariage, la loi du 4 avril 2006 a introduit une autre modification dans la législation française que l’Etat a largement mise en avant, la présentant comme le d’empêcher les mariages forcés. Il s’agit de l’élévation de l’âge au mariage à 18 ans, pour les deux sexes. S’il faut incontestablement y voir une mesure importante pour la société française, son adoption, et la manière dont la loi elle-même a été légitimée, appellent deux remarques importantes. Dans la mesure où elle situe femmes et hommes sur un pied d’égalité au regard du mariage, mettant ainsi fin à un traitement discriminatoire qui assignait précocement les femmes à la conjugalité, cette loi peut être considérée comme une correction bienvenue du sexisme de la législation française. Or, ce n’est absolument pas de cette manière que celle-ci a été justifiée. Ni dans le texte du projet de loi adopté par le Sénat [24], ni dans le champ médiatique [25], ni enfin dans les discours des actrices de la Délégation Régionale aux Droits des Femmes, cet aspect n’a été tenu pour central.

Alors qu’elle aurait pu apparaître comme l’occasion de rompre avec une législation sexiste vieille de deux siècles [26], alors qu’elle aurait pu être justifiée par le refus de cantonner les femmes, « musulmanes » ou non, « immigrées » ou non, dans le rôle prioritaire d’épouse et de mère, la modification de la législation a été légitimée au regard de la seule lutte contre les « mariages forcés », et donc le seul sexisme ainsi visibilisé, a été celui des populations issues de l’immigration post-coloniale, occultant celui du reste de la société française.

Par ailleurs, cette mesure est sans grand intérêt dans le cadre de la lutte contre les mariages forcés. Certes, les mariages des mineures sont dorénavant interdits en France, mais ils pourront toujours avoir lieu en dehors du territoire français [27]. Et cela d’autant plus que l’abrogation des « accords bilatéraux » signés par la France avec ses « anciennes » colonies n’est pas à l’ordre du jour. Soumises en France à la loi de l’hexagone, les femmes étrangères, ainsi que celles qui sont binationales se voient en effet appliquer, dans « leur pays d’origine », la législation [28]de celui-ci. En outre, parmi les femmes menacées ou victimes de mariages forcés, compte nombre de femmes majeures pour lesquelles cette mesure ne sera nullement protectrice.

En réalité, en dépit de la construction sociale de la lutte contre les mariages forcés comme une grande cause nationale au cours de ces dernières années, il n’y a eu aucune volonté de l’Etat français pour empêcher ce phénomène. Et cela, ni à court terme, en mobilisant des moyens financiers pour offrir, en cas d’urgence, une protection a minima aux jeunes femmes menacées ou victimes, ni à plus long terme, en prenant en considération les discriminations spécifiques que subissent les femmes issues de l’immigration post-coloniale et qui les privent considérablement des moyens de résistance à une contrainte matrimoniale éventuelle. Le budget octroyé à la Délégation Régionale aux Droits des Femmes pour la région Rhône-Alpes, afin que puissent être menées les deux considérables missions dont elle est chargée, à savoir l’égalité salariale et la lutte contre les violences envers les femmes, atteint annuellement à peine 150.000 euros. A l’intérieur de cette enveloppe [29], les deniers consacrés à la lutte contre les ’’mariages forcés’’ ne peuvent être que dérisoires. Parce que ce sont très souvent des jeunes femmes, mineures ou majeures, qui ne disposent pas des moyens leur offrant une autonomie, relativement à la famille ou au conjoint, qui sollicitent l‘aide des associations, ces dernières sont très souvent confrontées à la question du logement. Expérimenté dans la région de Montpellier, l’hébergement dans « des familles d’accueil » a ensuite été retenu comme une « solution » également dans d’autres départements. Les présupposés implicitement racistes sous-jacents à l’adoption d’un tel choix, à savoir l’infantilisation des femmes issues de l’immigration post-coloniale, demeurent impensés. Par ailleurs, la violence symbolique de l’expérience raciste à laquelle cette « solution » expose parfois les femmes concernées ne l’est guère plus. Les membres des associations et acteurs sociaux ont trop souvent tendance à expliquer les changements dans les décisions des jeunes femmes, qui sont nombreuses à préférer finalement retourner vivre dans leur famille, exclusivement par leur attachement à leurs liens familiaux. Or, il faudrait également y voir l’effet de l’expérience raciste, vécue dans « les familles d’accueil blanches » et dans le reste de la société française « blanche », quand le cadre familial d’origine leur offrait au contraire un espace préservé de la domination raciale.

Le contraste est donc saisissant entre la construction sociale de la lutte contre les ‘’mariages forcés’’ comme une préoccupation publique et politique majeure d’une part, et d’autre part les très faibles moyens financiers qui sont effectivement mis en œuvre pour offrir aux jeunes femmes menacées ou victimes une protection a minima, tel un logement. A plus long terme, rien n’est non plus envisagé au niveau de l’Etat pour garantir aux femmes issues de l’immigration une autonomie économique que pourrait leur procurer un emploi stable, indispensable pour négocier avec leur entourage familial le refus d’un mariage non désiré. La focalisation sur le seul « sexisme de leur milieu d’origine » occulte en effet l’imbrication des dominations racistes et sexistes vécues par les femmes issues de l’immigration post-coloniale, en particulier dans l’accès à l’emploi. Ainsi, « objet d’un plébiscite qui ne s’est jamais démenti jusqu’à l’affaire du voile » [30]bien que bénéficiant d’une image médiatique positive relativement à celle de leurs frères, les femmes descendantes de migrant-e-s en provenance du Maghreb n’en sont pas moins surexposées au chômage, à l’inactivité et aux formes précaires de l’emploi. Si les discriminations racistes qui les frappent sont moins élevées pour elles que pour les hommes appartenant au même groupe racialisé, celles-ci n’en sont pas moins considérables. [31]Ariane Pailhé [32]a récemment mis en évidence comment les femmes issues de l’immigration « maghrébine » sont doublement pénalisées, en France, pour accéder à l’emploi. En mobilisant les données de l’enquête INSEE « Étude de l’histoire familiale » couplées à celles fournies par le recensement de 1999, l’analyse quantitative permet de montrer que si, pour entrer sur le marché du travail, les discriminations racistes sont plus fortes pour les hommes descendants de l’immigration « maghrébine » que pour les femmes appartenant au même groupe racialisé, ces dernières sont toutefois également très élevées : une fois neutralisés les effets potentiels tout à la fois du diplôme, de l’âge, du statut matrimonial, du nombre d’enfants, du taux de chômage de la région de résidence et de la catégorie socioprofessionnelle des deux parents sur le risque d’exposition au chômage, la probabilité de se retrouver sans emploi pour un homme issu de l’immigration « maghrébine » est deux fois et demie plus fort que celui d’un homme ‘’descendant de natif-ve-s’’ [33]. Pour une femme descendante de migrant-e-s « maghrébin-e-s », ce risque est 1,8 fois plus élevé que celui d’une femme ‘’descendante de natif-ve-s’’. Par ailleurs, en prenant en considération les discriminations liées au genre, la combinaison des inégalités raciste et sexiste réduit de 3,7 les chances pour une femme issue de l’immigration « maghrébine » de trouver un emploi, cette double pénalisation s’exerçant à son encontre quel que soit le niveau de diplôme [34]. L’effet de l’imbrication des discriminations raciste et à l’encontre des femmes descendantes de migrant-e-s en provenance du Maghreb est également considérable sur leurs taux d’activité et leur relégation dans les formes précaires de l‘emploi (CDD, intérim, emplois aidés, etc.) [35].

Si les mesures adoptées au nom de la lutte contre les mariages forcés risquent de n’avoir aucun impact positif sur les femmes qu’elles prétendent aider, celles qui sont envisagées pourraient même aggraver la situation de celles qui sont menacées ou victimes. Officiellement défendues au nom de l’égalité entre les sexes, à l’instar de celles qui entourent la législation sur la polygamie [36], elles pourraient toutefois être mobilisées pour réduire les droits des hommes etdes femmes migrant-e-s.

Le rapport « Femmes de l’immigration » daté de mars 2005 propose plusieurs réformes législatives pour faire obstacle aux mariages forcés.

D’une part, il préconise la mise en place d’un groupe de travail sur la rupture du lien entre le mariage et l’acquisition de la nationalité française. Est-ce que cette pénalisation concernerait seulement le conjoint de la femme française victime d’un mariage forcé ? Rien n’est moins sûr quand on observe les pratiques actuelles : « Des jeunes filles se voient refuser ou retirer la nationalité française en raison d’un mariage avec un étranger conclu au cours de la procédure de naturalisation…d’autres ont été accusées de fraude pour ne pas avoir déclaré le mariage au moment de l’avis favorable émis par le Ministère chargé de l’intégration et pour cette raison, la nationalité française obtenue leur est retirée » (MFPF, CIMADE LR, CICADE, 2005), sans considération particulière de la détresse spécifique dans laquelle se trouvent les femmes victimes de mariages forcés et de la grande difficulté qu’éprouvent certaines d’entre-elles pour faire les démarches nécessaires à la déclaration, en bonne et due forme, d’un mariage qui leur est imposé. Enfin, alors que la médiatisation et politisation de la lutte contre les « mariages forcés » est très forte, celle-ci intervient dans un contexte de restriction considérable des droits des étranger-e-s, mais sans que soient prises en compte les situations particulières de celles qui sont menacées ou victimes d‘une contrainte matrimoniale [37].

D’autre part, un projet de loi prévoit d’instaurer le délit de contrainte au mariage. Cette loi serait censée protéger les femmes menacées ou victimes de mariages forcés en condamnant les responsables, autrement dit leurs parents. Or, « la décision des jeunes filles de s’opposer à un mariage est un choix douloureux, généralement vécu dans une grande culpabilité… Les victimes, souhaitent très rarement porter plainte et sont généralement déterminées à préserver leurs parents… » (MFPF, CIMADE LR, CICADE, 2005). Par conséquent, la pénalisation des parents n’apparaît pas comme une mesure appropriée pour lutter contre le phénomène des mariages forcés. Non seulement cette mesure n’aidera pas la plupart des femmes concernées mais elle risque de renforcer leur sentiment de culpabilité et de condamner certaines d’entre-elles au silence.

En définitive, les différentes mesures envisagées par l’Etat risquent d’aggraver la détresse des femmes menacées ou victimes de mariages forcés et de conduire certaines d’entre elles à se taire. En revanche, elles seront particulièrement efficaces pour rendre plus difficile encore le séjour des migrant-e-s sur le territoire français ou y faire obstacle.

Ainsi, le dévoilement des représentations qui étaient et la perception commune et la politique publique sur les « mariages forcés », donne à voir que la mobilisation de l’Etat sur cette question participe - contre la volonté consciente des acteurs et actrices mobilisé-e-s mais avec la collaboration active de leurs représentations- d’une « racialisation du sexisme » [38]qui renforce le stéréotype du sexisme archaïque des hommes issus ou descendants des « anciennes » colonies et fait courir, aux femmes issues ou descendantes de l’immigration post-coloniale, le risque d’un sexisme accru. Cette stigmatisation contribue à exclure durablement les immigré-e-s post-coloniaux (ales) et leurs descendant-e-s du corps symbolique légitime de la nation française, laquelle est désormais définie essentiellement comme respectueuse de l’égalité entre les sexes. D’autre part, la mise en évidence des intérêts que servent, in fine, les actions envisagées officiellement pour juguler ce phénomène, montre que ces dernières sont loin d’être profitables aux femmes menacées ou victimes de « mariages forcés » mais contribuent en revanche efficacement à d’autres perspectives. Non seulement les mesures législatives votées ou envisagées auront peu d’effets positifs sur le phénomène des mariages forcés mais elles risquent d’aggraver la détresse des femmes qui en sont victimes. Enfin, en compliquant considérablement le séjour des migrant-e-s sur le territoire français, elles viennent renforcer la politique de l’Etat français en matière de lutte contre l’immigration post-coloniale.

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SAID Edward, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident. Éditions du Seuil, 1980.

TISSOT Sylvie, « le ‘’repli communautaire‘’ : un concept policier », 2004 : http://lmsi.net/article.php3?id_article=322

NOTES

[1] Produit par une instance officielle, le Haut Conseil à l’Intégration, où prédomine la figure de ‘’l’expert’’, ce qui lui confère un gage de ‘’sérieux’’ et de ‘’scientificité’’, il a été repris par tous les journaux, de droite comme de gauche. Le 30 mais 2002, L’Humanité a ainsi titré l’un de ses articles : ‘’Mariages forcés : 70000 adolescentes concernées’’.

[2] Voir l’analyse de Fabienne Vansteenkiste dans la lettre d’information de Pénombre n° 44, novembre 2006.

[3] BOZON Michel et HERAN François, 2006.

[4] DELPHY Christine, 2003.

[5] BOZON Michel et HERAN François, 2006.

[6] Sur l’intervention de l’entourage familial dans la formation des couples chez la grande bourgeoisie, voir Michel PINCON et Monique PINCON-CHARLOT, 1989.

[7] Pour la déconstruction de ce terme qui, de l‘extrême- gauche à l‘extrême- droite, s’est imposé comme une véritable machine de guerre idéologique contre les populations issues de l’immigration post-coloniale, voir TISSOT Sylvie (2004) et LEVY Laurent (2005).

[8] BOZON Michel et HERAN François, 2006.

[9] Les mariages forcés : résultats d’une enquête menée dans le département du Rhône entre février 2004 et juin 2005 , DRDFE Rhône-Alpes, 2006.

[10] Sur les mutations des modes de formation des couples dans les pays arabo-musulmans et en particulier l’affaiblissement du rôle direct de la famille dans le choix du conjoint, voir BESSIS Sophie et BELHASSEN Souhayr (1992) ainsi que ROUSSILLON Alain et ZRYOUIL Fatima-Zahra (2006).

[11] Les grilles d’analyse culturalistes sont présentes jusque dans certains travaux de sciences sociales, où un sens commun savant relaie le sens commun ordinaire et lui apporte une caution scientifique. C’est le cas de NEYRAND et al, 2007. Tout en rappelant, en citant les travaux de Nacéra Guénif-Souilamas, que le contrôle de la sexualité et de la conjugalité de leurs filles par les migrants originaires des pays du sud doit être replacé dans le cadre des rapports de dominations symbolique et économique qu’ils subissent, c’est la grille de lecture culturaliste qui est en dernière instance mobilisée pour tenter d’apporter une « explication » aux « mariages forcés ». Sont ainsi mises en opposition deux « cultures » dont l’une- la culture « française »- serait caractérisée par une courbe ascendante vers l’égalisation des relations intra-familiales et l’autre, celles des migrant-e-s en provenance des pays du Sud, par le maintien de rapports de pouvoir à l’intérieur de la famille. Cela revient à accréditer l’idée d’un « retard culturel » des populations issues de l’immigration post-coloniale et à reprendre les représentations enchantées des relations intra-familiales dans la société française, qui seraient devenues de plus en plus démocratiques.

[12] DELPHY Christine, 2003.

[13] HAMEL Christelle, 2005.

[14] Pour la mise en évidence du caractère transversal des violences envers les femmes à l‘ensemble des populations présentes sur le sol français, violences qui ne sont l’apanage ni des classes populaires, ni des immigrants post-coloniaux et de leurs descendants, voir JASPARD Maryse (dir.), 2005.

[15] Concernant le caractère sexuellement différencié des prescriptions, normes et pratiques dans le domaine de la sexualité, voir BOZON Michel, 2002.

[16] Loin de nous l’idée de véhiculer une représentation racialiste du social en utilisant ces termes. « Blancs » et « non-Blancs » sont des constructions sociales, non des données biologiques- cela relève pour nous de l’évidence -qui remontent aux périodes esclavagistes et coloniales et qui ont servi à légitimer la domination des Européens sur les peuples dominés. La réalité sociale dans la France contemporaine continuant d’opérer une distinction entre « Blancs » et « non-Blancs », à savoir entre descendants de colonisateurs d’une part et descendants d’esclaves et de colonisés d’autre part, il ne nous est pas possible de dénoncer autrement le traitement social discriminatoire que « la République » inflige à ceux de ses enfants qui n’ont pas la « bonne » (celle des « Blancs ») « origine », « patronyme », « religion » ou « couleur de peau ». Nous estimons que la non-utilisation de ces termes participe au contraire de l’occultation de la valeur que la société accorde dans les faits massivement à ces « différences ». Nous pensons aussi que ne pas nommer le groupe « blanc », dominant, toujours invisibilisé parce que constituant la norme non-dite, et ce au contraire des groupes dominés-ceux qui sont incessamment catégorisés et racialisés comme étant des « Blacks », des « Noirs », des « Maghrébins », des « Arabes », des « Nord-Africains », des « Africains », des « Musulmans »- contribue à la perpétuation des privilèges des « Blancs ». Toutefois, des précautions épistémologiques et discursives s’imposent, raison pour laquelle nous employons ces termes entre guillemets, qu’il s’agisse de désigner le groupe dominant ou les groupes dominés.

[17] SAID Edward, 1980.

[18] HAMEL Christelle, 2005.

[19] La lutte contre les ’’mariages forcés’’ est certes officiellement inscrite par la Délégation Régionale aux Droits des Femmes parmi les autres violences sexistes : ainsi, la personne chargée de mission sur cette question l’est également pour les autres formes de violences, telles les violences conjugales. Mais comme dans les discours politiques et médiatiques dominants, la grille de lecture ‘’culturaliste’’ et ethniciste est très largement mobilisée au sein du comité de pilotage contre ‘’les mariages forcés’’.

[20] GUENIF-SOUILAMAS Nacéra et MACE Éric (2003).

[21] Contre les approches substantialistes de la déviance, nous mobilisons ici le paradigme interactionniste et en particulier la définition qu’en a donnée le sociologue américain Howard Becker : « ‘’la déviance n’est pas une qualité de l’acte commis par une personne, mais plutôt une conséquence de l’application, par les autres, de normes et de sanctions à un ‘’transgresser’’. Le déviant est celui auquel cette étiquette a été appliquée avec succès et le comportement déviant est celui auquel la collectivité attache cette étiquette ». in BECKER Howard, p.33.

[22] Nous empruntons cette expression à Saïd Bouamama (2004).

[23] Sur la manière dont les comportements ultra-virilistes des « garçons arabes » peuvent être analysés comme la conformation au sexisme que les discours dominants leur imputent, et comme la performance de genre d’un groupe racialement et socialement dominé, voir GUENIF-SOUILAMAS Nacéra et MACE Eric, 2004. Un raisonnement analogue pourrait être appliqué aux violences sexistes que sont les « mariages forcés ».

[24] Dans l’argumentaire du projet de loi, la question des « mariages forcés » occupe les trois quarts du texte. Celui-ci peut être consulté en ligne : Sénat, « Proposition de loi relative au mariage des mineurs » : http://www.senat.fr/leg/ppl04-227.html

[25] Le 30 mars 2005, Le Nouvel Observateur titrait ainsi : « MARIAGES FORCES : le Sénat relève l’âge du mariage » et le 24 nov. 2005, L’Express : « un plan contre les mariages forcés ».

[26] Elle remonte au Code napoléonien.

[27] Cette question, sur laquelle se mobilisent pourtant un certain nombre d’associations de femmes immigrées et issues de l’immigration depuis plusieurs années, réclamant l’application de la loi du pays de résidence, souffre d’un grand déficit de visibilité publique.

[28] Fixé, après les modifications apportées ces dernières années aux codes du statut personnel, à 18 ans pour les femmes et les hommes dans les trois pays du Maghreb (Tunisie, Algérie, Maroc), le mariage peut toutefois- c’est le cas au Maroc malgré la réforme du Code de la famille en 2004- avoir lieu à partir de 16 ans seulement pour les femmes.

[29] Ce montant illustre à lui seul la faible détermination de l’Etat à engager une véritable politique correctrice des inégalités de genre sur deux questions qui ont pourtant, grâce à la mobilisation des associations féministes, fait l’objet d’une certaine politisation ces dernières années.

[30] GUENIF-SOUILAMAS Nacéra (2003), p.24.

[31] Fondée sur la méthode du test en situation, l’enquête effectuée par le Bureau International du Travail (CEDIEY et FORONI, 2006), dans six grandes agglomérations françaises (Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Paris et Strasbourg), a permis de constater que la discrimination raciste à l’embauche est très forte à l’encontre de tou-t-e-s les candidats, tant de sexe féminin que de sexe masculin, appartenant à des groupes racialement infériorisés, d’origine « noire africaine » ou « d’origine maghrébine ». ‘’Toutes choses égales d’ailleurs’’ (entre deux curriculum vitae identiques ne se différenciant que par un patronyme évoquant une « origine maghrébine »), les employeur-e-s ont eu tendance, lorsque les candidat-e-s étaient des hommes, à favoriser en moyenne dans trois cas sur quatre celui appartenant au groupe racialement dominant. Lorsque les candidat-e-s étaient des femmes, la discrimination raciale saisie à l’encontre d’une descendante de migrant-e-s du Maghreb a été moindre, mais significative. Les employeur-e-s ont eu tendance en moyenne à favoriser dans deux cas sur trois la candidate identifiée comme appartenant au groupe dominant. En termes de discriminations racistes, il s’agit pourtant du « meilleur taux enregistré dans toute l’enquête », p.110.

[32] PAILHE Ariane, 2008.

[33] Les catégories statistiques construites par Ariane Pailhé sont élaborées à partir du lieu de naissance des parents.

[34] Si la détention d’un diplôme du supérieur diminue pour les femmes issues de l’immigration maghrébine le risque de se retrouver au chômage, ‘’leur investissement éducatif ne les protège pas de la permanence d’un taux de discriminations (racistes et sexistes) très élevées‘’. Lorsqu’elles ont obtenu un diplôme du supérieur, elles sont trois fois plus exposées au chômage que les hommes descendants de natif-ve-s et pour un même capital scolaire, p. 102.

[35] Ibid, pp. 102-107.

[36] Voir à ce propos LOCHAK Danièle (1998).

[37] Les femmes sans papiers victimes de violences conjugales ont certes bénéficié de conditions particulières qui à première vue pourraient les aider à se soustraire de la violence de leur conjoint. En réalité, l’inscription dans la loi sur l’immigration du 20 novembre 2007 du droit aux femmes sans papiers à une carte de séjour temporaire en cas de violences conjugales, dispositions dont l’effet d’annonce a été largement exploité par l’actuel président de la République, Nicolas Sarkozy, a amplement contribué à masquer les autres mesures prises au détriment des migrant-e-s, hommes et femmes. Or s’il est trop tôt de dresser un bilan de cette loi, ses effets prévisibles seront d’aggraver le sort de toutes les femmes migrant-e-s sans papiers, y compris celles qui sont victimes de violences conjugales. Dans un contexte d’inflation draconienne des conditions générales d’obtention d’un droit de séjour, les préfectures ont tendance à exiger des postulant-e-s à un titre des preuves souvent difficiles à fournir. Il est à craindre que l’application très restrictive de droits déjà très largement rognés ne soit celle qui va être privilégiée également pour la situation particulière des femmes sans papiers victimes de violences conjugales. On a donc, comme pour les mariages forcés, une forte médiatisation de mesures législatives prises officiellement pour protéger les femmes de violences, mais adoptées dans un contexte de très fortes restrictions du droit au séjour, elles risquent de n’avoir aucun effet positif pour les femmes- ou certaines d’entre celles- qu’elles entendent protéger, le sort de ces dernières risquant même de se détériorer.

[38] HAMEL Christelle, 2005.