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Politique de diversité ou politique de diversion ? Du paradigme public de lutte contre les discriminations à sa déqualification juridique

Olivier Noël
Olivier Noël est sociologue à l’ISCRA, France.

citation

Olivier Noël, "Politique de diversité ou politique de diversion ? Du paradigme public de lutte contre les discriminations à sa déqualification juridique ", REVUE Asylon(s), N°4, mai 2008

ISBN : 979-10-95908-08-1 9791095908081, Institutionnalisation de la xénophobie en France, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article764.html

résumé

La période 2001-2003 de mise en œuvre de la politique de prévention et de lutte contre les discriminations est marquée, malgré le nouveau cadre normatif apporté par loi du 16 novembre 2001, par une nuée de procédures, sans référence stable, aux dénominations multiples, chartes, contrats, pactes, accords, conventions qui mêlent des réalisations immédiates et des effets d’annonce, des obligations juridiques et des engagements de nature plus proprement politique. Outre l’extension des missions confiées au GELD et le renforcement de l’arsenal juridique, force est de constater que c’est la logique de compromis social et de requalification du problème (atténuation de la logique de lutte juridique, élargissement des critères et élargissement des domaines d’action) qui va prédominer.

Une politique prudente de sensibilisation de l’ensemble des acteurs [1] placée sous le signe de l’expérimentation (2001-2003)

La période 2001-2003 de mise en œuvre de la politique de prévention et de lutte contre les discriminations est marquée, malgré le nouveau cadre normatif apporté par loi du 16 novembre 2001, par une nuée de procédures, sans référence stable, aux dénominations multiples, chartes, contrats, pactes, accords, conventions qui mêlent des réalisations immédiates et des effets d’annonce, des obligations juridiques et des engagements de nature plus proprement politique. Outre l’extension des missions confiées au GELD et le renforcement de l’arsenal juridique, force est de constater que c’est la logique de compromis social et de requalification du problème (atténuation de la logique de lutte juridique, élargissement des critères et élargissement des domaines d’action) qui va prédominer.

Une logique de déploiement et d’expérimentation : l’exemple de l’emploi

Les intermédiaires publics et privés de l’emploi sont fédérés, au niveau national, autour de deux programmes européens : ESPERE et LATITUDE. Afin d’organiser les actions du Service Public de l’Emploi et initier une logique expérimentale au niveau territorial, un projet intitulé ESPERE (Engagement du Service Public de l’Emploi pour Restaurer l’Egalité) est mis en œuvre, dès 2002, dans le cadre du programme européen EQUAL. Par ailleurs, la DPM, le FASILD et la société d’intérim ADECCO engagent un projet intitulé Latitude, associant aussi la société d’intérim ADIA ainsi qu’un club d’entreprises IMS (Institut du Mécénat Solidarité dénommé aujourd’hui IMS-Entreprendre pour la Cité) dont nous montrerons, par la suite, que l’IMS va jouer un rôle important dans le processus de déqualification d’une approche du problème public dans les termes d’une lutte juridique contre les discriminations ethniques et raciales alors que le groupe ADIA va participer (en collaboration étroite avec le professeur de sciences de gestion Jean-François AMADIEU, spécialiste des discriminations en raison de l’apparence physique [2]) au processus d’élargissement de l’approche discriminatoire, diluant ainsi sa spécification initiale autour de la question ethnique et raciale.

Afin que l’ensemble des composantes du marché du travail (partenaires sociaux, entreprises, chambres consulaires…), prenne conscience de l’importance de cette question et soit en capacité de produire un discours construit et cohérent, plusieurs déclarations ou chartes ont été signées au niveau régional ou départemental par les partenaires sociaux (notamment en Rhône-Alpes où un projet Equal intitulé LUCIDITE – LUtte Contre l’Ignorance et les DIscriminations au Travail et dans l’Entreprise - et réunit la CFDT et la CGT). Par ailleurs, le développement de formations des cadres syndicaux à la lutte contre les discriminations fait partie depuis fin 1999 des priorités assorties à l’aide financière que la DGEFP accorde aux organisations syndicales pour la formation de leurs militants.

Cette période est marquée par une logique de démultiplication des accords-cadres entre le FASILD, la DPM et les acteurs économiques privés. En direction des entreprises, des enquêtes internes financées par les pouvoirs publics (elles n’en seront pas pour autant rendues publiques) sont commandées à des cabinets de consultants. Par ailleurs des actions de sensibilisation et des sessions de formation sont lancées avec le concours du FASILD, notamment au sein du groupe ADECCO, mais également auprès du groupe EIFFAGE-Construction et de cadres de Direction des Ressources Humaines, avec l’appui de la Fondation Agir Contre l’Exclusion. Enfin, un nouvel accord-cadre (2002-2005) est conclu avec l’Assemblée Permanente des Chambres de Métiers pour prolonger le plan de prévention et de lutte contre les discriminations dans l’accès à l’apprentissage des jeunes issus de familles immigrées [3].

Une imputation de responsabilité aux lignes managériales et décisionnelles

L’engagement dans une voie de professionnalisation des intermédiaires du marché du travail, par la formation, va prendre son essor à cette période. Les évaluations des sessions de formation des agents intermédiaires de l’emploi (que ce soit dans le cadre du catalogue national de formation du FASILD, des programmes européens EQUAL en région, tel SOLIMAR (Marseille), ou encore les dispositifs expérimentaux auprès des intermédiaires de l’apprentissage ou du SPE) vont, toutes, souligner, avec insistance, l’absence de clarté du positionnement des lignes organisationnelles (managers, chefs de service, directeurs) et institutionnelles (direction nationale à l’ANPE, conseil d’administration dans les missions, artisans élus dans les chambres de métiers). Nous avons montré dans nos travaux [4] que les intermédiaires ont, à titre personnel, tout intérêt à ce que les pratiques discriminatoires disparaissent ou tout au moins s’estompent, car ils sont au cœur des contradictions d’une configuration discriminatoire qui les met professionnellement en difficulté. Cela permet de mieux comprendre le caractère exceptionnel, voire engagé, que prend le positionnement du conseiller de la Mission Locale de Paris, François MASSON, lorsqu’il met au jour (avec l’appui d’une de ses collègues, puis de l’association SOS-Racisme sous le regard des caméras de télévision de France Télévision) les pratiques discriminatoires du Moulin Rouge. Le Moulin Rouge sera condamné par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 22 novembre 2002 [5]. Le Conseil National des Missions Locales signe le 26 novembre 2003 (soit 10 ans après que le problème professionnel ait été soulevé par la Mission Locale du Gard-Rhodanien en révélant l’existence de codifications ethniques et raciales dans les offres d’emploi [6]) un protocole d’accord avec la DPM, la DGEFP et la DIV pour « favoriser, par le renforcement de l’action du réseau des missions locales et permanences d’accueil, d’information et d’orientation (PAIO), une meilleure insertion professionnelle des jeunes des territoires de la politique de la Ville et des territoires ruraux, notamment immigrés et issus de l’immigration, et prévenir les discriminations dans leur accès à l’emploi et à la formation  ». Nombre d’éléments nous autorisent d’ores et déjà à faire l’hypothèse que l’action publique précède la politique publique.

Une période de reconfiguration du répertoire d’action publique

Le forum de communautés de la politique publique de lutte contre les discriminations, comme lieu où se fabriquent les recettes des problèmes publics, va, durant ces années, contribuer à préciser la dimension cognitive du référentiel désormais étayé par la dimension normative, et participer à une recomposition du jeu d’acteurs. Notamment il va conduire à dépasser la seule cible des professionnels, intermédiaires de l’emploi, alors que la question des discriminations soulève des enjeux organisationnels (les managers), institutionnels (les décideurs publics) et politiques (les élus, les partis politiques) et déterminer le niveau de responsabilité des responsables économiques.

Si le processus d’européanisation de la politique a eu l’intérêt de donner un cadre clair et légitimant aux acteurs qui ont véritablement la volonté de mettre en œuvre une politique d’égalité de traitement, son intégration dans les dispositifs publics nationaux comme locaux va procéder de reconfigurations largement dépendantes des rapports de force. La question des discriminations devient l’objet d’enjeux politiques. Aussi, lorsque les deux responsables de la politique de lutte contre les discriminations raciales, dans le domaine l’emploi, soulignent, à juste titre, début 2004, qu’« au-delà des chartes et déclarations formelles, les partenaires sociaux, notamment le patronat, se sont peu impliqués sur ce sujet et le déni reste encore très fort  » [7], ils ne mesurent sans doute pas pleinement la portée de leurs mots. En développant une logique partenariale avec le monde économique, par le biais de l’Institut du Mécénat Social : « le projet Latitude a permis d’envisager une collaboration nouvelle avec IMS qui souhaite avec le soutien du FASILD, développer en interne ses propres compétences pour accompagner les entreprises adhérentes désireuses de s’engager dans un travail autour de la diversité culturelle ou la lutte contre les discriminations. Il a été ainsi convenu la création d’un groupe de travail regroupant les entreprises suivantes : Air France, Axa, Bayard Presse, Casino, EDF-GDF, Eiffage Construction, Védior-Bis, Ford, l’Oréal, la Poste, Linklaters, la RATP, la SNCF, Gras-Savoye  » [8], la direction formation-emploi du FASILD et le bureau emploi de la DPM vont contribuer à dessaisir l’Etat de sa fonction de régulation par le droit pour lui substituer, au moins partiellement, une logique de régulation propre au Marché. Dans cette configuration de compromis social, la reconnaissance des discriminations va dès lors prendre une forme intermittente, son caractère massif et diffus ne permettant plus de l’écarter de l’espace public et son caractère illégal l’interdisant, il va s’agir de la déqualifier, à défaut de pouvoir désormais la disqualifier : « avec le discours sur l’égalité des chances, c’est la réalité des discriminations qui s’estompe ; avec l’institutionnalisation de dispositifs indifférenciés, c’est leur caractère racial que l’on gomme » [9].

L’apparition et l’imposition d’un paradigme de substitution : diversité et égalité des chances (2004-2007)

Après une période de mise en cause des acteurs économiques par le gouvernement de Lionel JOSPIN (1998-2001) et une période de recomposition du jeu d’acteurs (2001-2003) sans doute favorisée par l’élection présidentielle du président, Jacques CHIRAC en 2002, l’année 2004 va voir s’opérer une superposition référentielle opacifiant ainsi une action publique de lutte contre les discriminations ethniques et raciales qui commençait seulement à définir clairement son objet et sa cible. Là encore, nous pouvons souligner l’importance du processus d’européanisation de la politique : la campagne d’information lancée en 2003 pour présenter les orientations européennes est « éloquemment baptisée « Pour la diversité. Contre les discriminations  » [10]. Les lobbies économiques européens, pris de court au moment du vote de la directive de 2000 [11], ont entre-temps joué leur rôle en défendant leurs intérêts.

L’émergence du référentiel « diversité » comme réconciliation de la rhétorique politique et économique (2004)

En France, un glissement subtil et efficace de référentiel s’opère, à partir de 2004. À la politique d’égalité de traitement et de lutte contre les discriminations se substitue une politique de « la diversité » par le truchement de la notion consensuelle d’« égalité des chances ». Ce tournant est largement accompagné et suscité par le lobbying d’un « think tank » pionnier en France, l’Institut Montaigne. Le rapport de Yazid SABEG et Laurence MEHAIGNERIE [12] qui paraît en janvier 2004 [13] en est un élément fondateur. Leur rapport insiste sur le « risque d’éclatement communautaire  » vise à « rendre égales des situations qui ne le sont pas » par la mise en œuvre d’une « action positive à la Française afin d’encourager de façon volontariste les entreprises à refléter dans leurs effectifs la diversité ethnique, à mérites et compétences égaux ». Dans le prolongement de ce rapport est préconisée la mise en place d’une Charte de la diversité destinée « à favoriser le pluralisme et rechercher la diversité au travers des recrutements et de la gestion des carrières (…) et devant contribuer à la lutte contre toutes les formes de discriminations » [14]. Le développement de la Charte de la diversité est assuré par l’Institut du Mécénat Social [15].

À ces travaux, produits dans la perspective d’une résolution néolibérale du problème des discriminations, vient faire écho le rapport public de Claude BEBEAR « Les entreprises aux couleurs de la France  » remis en novembre 2004 au Premier ministre, Jean-Pierre RAFFARIN. La même année, la secrétaire d’Etat, Dominique VERSINI, remet un rapport [16] sur la « Diversité dans la fonction publique  » dont le cadre d’analyse est clairement inspiré du rapport de l’Institut Montaigne.

Largement soutenu par les pouvoirs publics, ce modèle de la diversité ou de « la discrimination positive à la française » séduit en peu de temps de nombreux acteurs du monde de l’entreprise et des institutions publiques : « Cette initiative a, depuis, fait son chemin …. Le ministre délégué à l’égalité des chances, Azouz BEGAG, qui fait de la diversité dans l’emploi une priorité, soutient le déploiement de la Charte de la diversité sur l’ensemble du territoire, notamment auprès des PME » [17]. Il nous paraît important de pointer que ce glissement sémantique de l’égalité de traitement vers l’égalité des chances vient se greffer y compris dans la mise en œuvre de la HALDE pourtant fondée pour lutter juridiquement contre les discriminations. Le discours du Président de la République, Jacques CHIRAC, lors de l’installation de la HALDE, est à cet égard significatif : « Les discriminations concernent, en réalité, des millions de personnes ( …) plus que jamais, le combat pour l’égalité des chances est la clé de notre unité et de notre avenir (…) Il faut garantir à chacun le respect de sa dignité et de ses droits - c’est tout le sens de la lutte contre les discriminations ; il faut conquérir de nouveaux espaces pour l’égalité des chances (…) La lutte contre les discriminations est un combat pour la justice et pour le respect. C’est un combat pour la République. C’est un combat qui se gagnera par l’affirmation et la défense des principes républicains (…) La Haute Autorité a aussi pour mission de faire évoluer les esprits, de contribuer à changer les mentalités, en permettant de mieux appréhender les phénomènes de discrimination, qu’elle soit directe ou indirecte » [18].

En mai 2007, l’invitation à signer la charte de la diversité figure en première page du site du ministère de la promotion de l’égalité des chances. Et il y est indiqué que « la charte a une valeur morale. Elle n’est en aucun cas un contrat ayant une quelconque valeur juridique. Elle vise à témoigner de l’engagement des entreprises en faveur des questions de diversité, de lutte contre les discriminations et d’égalité des chances » et comme pour rassurer et motiver les futurs signataires, il y est indiqué la question suivante : « Peut-on être inspecté par la HALDE ?  » et le site du ministère répond « Non, la HALDE ne mène aucune action spécifique de suivi des entreprises signataires. Le pôle « promotion de la diversité » assure simplement des actions de communication pour valoriser les bonnes pratiques, et inciter les entreprises à rejoindre la dynamique  ». La fuite en avant de la rhétorique de la diversité fait ainsi diversion et s’accompagne d’une fuite en arrière juridique que le site du Premier ministre [19], lui aussi promoteur de la charte de la diversité, vient confirmer par des témoignages de chefs d’entreprises déjà signataires de la charte : « Appréhender la diversité, ce n’est pas faire de l’humanisme déplacé, c’est une approche orientée « business » qui fait prévaloir une logique de compétence  » (Sitou GAYBOR, SERVIA, 35 entreprises, Lille, site du Premier ministre, mai 2007). Si besoin était, nous ne pouvons ici que souligner la radicalité du changement de paradigme qui en parlant « d’humanisme déplacé  » nie les fondements philosophiques mêmes de la lutte contre les discriminations (les droits de l’homme) pour leur substituer une autre philosophie de référence incarnée par une logique économique néolibérale : « une opération orientée business  ».

Une inscription de la diversité dans une politique publique d’égalité des chances qui déqualifie juridiquement le problème

La transformation, en septembre 2004, des CODAC (Commissions d’Accès à la Citoyenneté) créées par le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre CHEVENEMENT en janvier 1999 en COPEC (Commission pour la promotion de l’égalité des chances) participent de la même évolution paradigmatique. Elles ont pour objectif de fédérer les initiatives départementales en matière de lutte contre les discriminations et se fixent comme missions prioritaires la mobilisation de la société civile, l’insertion professionnelle et la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Ce dispositif départementalisé est complété par la création de la HALDE, Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité par la loi du 30 décembre 2004. L’autorité administrative indépendante avait été initialement refusée par les partenaires sociaux et le gouvernement puis mise en œuvre dans le cadre de la transposition en droit français de l’article 13 de la directive 2000/43/CE. Elle est placée, pour signifier cette réconciliation entre le monde économique et politique sous la présidence de Louis SCHWEITZER (ex directeur de cabinet de Laurent FABIUS et ex-PDG de Renault) et actuellement président d’honneur du MEDEF international. Et pour mieux rassurer les milieux économiques, la secrétaire générale de la charte de la diversité, Alexandra PALT est nommée directrice à la promotion de l’égalité de la HALDE. Il est, d’ailleurs, tout à fait significatif de constater, en septembre 2007, que parmi les bonnes pratiques répertoriées par la direction de la promotion de l’égalité, en matière d’emploi, sur le site de la HALDE que : 81 initiatives référencées concernent des grandes entreprises engagées dans la promotion de la diversité contre seulement 7 qui concernent des pratiques favorisant un traitement juridique des discriminations, portées par le service public de l’emploi, les associations ou les syndicats.

Le FASILD qui a joué un rôle du moteur dans la reconnaissance publique des discriminations, va adopter, lui aussi, une position de plus en plus ambivalente. Les Assises du FASILD contre les discriminations organisées en septembre 2005 incarnent cette évolution et signent la fin d’une période. La journée voit la superposition du point de vue de chercheurs, qui ont participé à la reconnaissance et l’analyse du phénomène (anthropologue, sociologues, démographe, juristes), avant que la matinée ne soit « conclue » par la ministre déléguée à la Cohésion sociale et la parité, par un discours empreint d’une approche en terme d ‘intégration : « le soutien à l’intégration, qui passe par l’apprentissage de la langue, des valeurs républicaines et des droits et devoirs de chacun, consiste aussi à lutter contre les discriminations » [20]. L’après-midi est une succession d’initiatives mêlant des approches en terme de diversité (Claude BEBEAR de l’Institut Montaigne, Pierre FONLUPT du syndicat des entreprises de travail temporaire) ou d’intégration (Blandine KRIEGEL du HCI) avant que la journée ne soit conclue par le ministre Azouz BEGAG, érigé en chantre de la diversité et de l’égalité des chances : « L’égalité des chances vient d’être déclarée grande cause nationale 2006 ! Que 2006 soit l’année d’un grand feu d’artifice pour la diversité ! Que 2006 soit une année-charnière après laquelle la France sera autre  ». De « lutte contre les discriminations », il n’est plus vraiment question dans les discours ministériels, aussi pour mieux accompagner ce changement de mots, il importe de souligner le changement des acteurs. Nous pouvons ainsi pointer le jeu de chaises musicales au sein du FASILD : le directeur général du FASILD, Olivier ROUSSELLE, qui a piloté toute la politique de conversion du FAS en FASILD sera « remercié » chaleureusement lors des Assises par la ministre déléguée à la Cohésion sociale et à la parité avant d’être démissionné quelques jours seulement après les Assises.

Le dernier élément qui vient confirmer ce nouveau basculement de référentiel politique est le vote de la loi pour l’égalité des chances (loi n° 2006-396 du 31 mars 2006) présentée comme une réponse ambitieuse, globale et à la hauteur des enjeux soulevés par les émeutes urbaines de novembre 2005. Pour autant cette loi ne vient pas bouleverser le dispositif juridique et institutionnel de lutte contre les discriminations. Elle lui apporte certes quelques touches éléments complémentaires (octroi d’un pouvoir de transaction pénale à la HALDE, introduction du testing comme moyen de preuve légal dans le Code pénal et inscription du principe du CV anonyme dans le Code du travail) mais elle témoigne, selon nous, plus fondamentalement, d’une volonté de requalifier le discours public sur les discriminations. Le recours à la figure rhétorique de l’égalité des chances a l’avantage indéniable d’être connoté positivement, mais il a le lourd défaut de n’avoir aucune substance normative et juridique. La loi pour l’égalité des chances voit notamment la transformation du FASILD (dont les missions avaient été transformées par la loi principale de lutte contre les discriminations du 16 novembre 2001), principal acteur en France de la mise en œuvre d’une politique de lutte contre les discriminations en ANCSEC (Agence nationale de cohésion sociale et d’égalité des chances). Ce changement d’appellation s’accompagne d’une minimisation de sa mission en terme de lutte contre les discriminations « en particulier par la mise en place d’actions visant à l’intégration des populations d’origine immigrée  » au bénéfice d’autres missions : la participation aux actions en faveur des habitants des quartiers en difficulté ; la mise en œuvre du service civil volontaire ; la lutte contre l’illettrisme [21]. Ainsi, en octroyant à l’Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des Chances un domaine d’intervention large, visant tour à tour, l’intégration et la lutte contre les discriminations, l’insertion sociale et professionnelle, la lutte contre l’illettrisme ou encore le service civil volontaire, le dispositif ne fait que requalifier la rhétorique publique sur l’insertion des jeunes, sur l’intégration des immigrés et de leurs descendants, relativisant par là-même la spécificité d’une approche juridique de la lutte contre les discriminations, en la cantonnant à une approche possible parmi beaucoup d’autres. La lettre du FASILD n°66, qui succède à celle présentant les assises nationales contre les discriminations sous le titre « Assises : comprendre pour mieux lutter contre les discriminations  », titre en juin-juillet 2006 : « Notre diversité fait notre force, conférence nationale pour l’égalité des chances  ».

Pour conclure, nous pouvons dire que les notions de promotion de la diversité et l’égalité des chances si elle présentent l’avantage indéniable de séduire les acteurs les plus réticents à la prise en compte des discriminations incorporées dans notre société (notamment les entreprises et les élus politiques), sont critiquables sur au moins trois points. Le premier c’est que la notion d’égalité des chances est « un pseudo-concept, véritable obstacle épistémologique et politique à tout ce qui s’avance comme réformes voire refondation du système sociétal […] C’est un jeu à somme nulle où ce que l’un gagne l’autre le perd […] Comme le dit Albert JACQUARD les gagnants sont des fabricants de perdants  » [22]. Le second c’est qu’en substituant les principes de diversité et d’égalité des chances, appuyés sur les principes de l’économie de marché, à une politique de lutte contre les discriminations appuyée sur les principes de l’Etat de droit, le caractère délictueux des pratiques discriminatoires est relativisé sinon dissout. Le troisième c’est le risque de participer à une forme de « mensonge institué » et d’occulter à nouveau la souffrance quotidienne et le respect de la dignité de personnes qui sont les victimes permanentes d’une forme « d’extermination sociale » pour reprendre l’expression du psychanalyste Fethi BENSLAMA. C’est donc un enjeu de société fondamental qui ne peut se contenter de substituer aux vertus supposées de la République (le modèle de l’intégration républicaine) les vertus supposées du Marché (le modèle de l’égalité des chances et de la promotion de la diversité) qui relèvent tous deux de la même logique performative. Nous ne pouvons que constater (et regretter) aujourd’hui que la réponse des acteurs politiques, associatifs et syndicaux ne soit pas à la hauteur de cet enjeu fondamental sur le chemin d’une égalité à moins que nous assistions à une consécration néolibérale du républicanisme [23]. Derrière le glissement sémantique, se cache un enjeu éminemment politique.

NOTES

[1] Pour une présentation exhaustive, il faut se référer à AUBERT Patrick, BOUBAKER Nourredine, La politique de lutte contre les discriminations raciales dans le domaine de l’emploi, Note n°50, ministère de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion Sociale, DPM, Mai 2004

[2] AMADIEU Jean-François, Le poids des apparences : beauté, amour et gloire, Odile Jacob, 2002.

[3] NOËL Olivier, « Idéologie raciste et production de systèmes discriminatoires dans le champ de l’Apprentissage », In : Lise Gaignard (Coord.) dossier : racisme et travail, Travailler, n°16, 2006 , pp.15-35.

[4] NOËL Olivier, « Intermédiaires sociaux et entreprises : des coproducteurs de discrimination ? », Hommes et Migrations, 1999, pp.4-17.

[5] MINE Michel, « La discrimination raciale à l’embauche devant le juge pénal (à propos de la décision Moulin Rouge), Droit ouvrier, n°270, juillet 2003.

[6] NOËL Olivier, « Révéler les situations de stigmatisation : un enjeu de citoyenneté », Agora Débats-Jeunesse , n°6, 1996, pp.69-82.

[7] AUBERT Patrick, BOUBAKER Nourredine, Op. cit., 2004, p. 8.

[8] AUBERT Patrick, BOUBAKER Nourredine, Op. cit., 2004, p. 9.

[9] FASSIN Didier, « Du déni à la dénégation. Psychologie politique de la représentation des discriminations » in FASSIN Didier, FASSIN Eric, De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, La Découverte, 2006, p.140.

[10] CALVES Gwénaëlle, Renouvellement démographique de la Fonction publique de l’Etat : vers une intégration prioritaire des Français issus de l’immigration ?, DGAFP, La documentation française, 2005, p. 42.

[11] GUIRAUDON Virginie, « Construire une politique européenne de lutte contre les discriminations : l’histoire de la directive « race », Sociétés contemporaines, n°53, 2004, pp.11-32.

[12] L’INSTITUT MONTAIGNE CREE FIN 2000 PAR LE PRESIDENT DU CONSEIL DE SURVEILLANCE DU GROUPE AXA, M. CLAUDE BEBEAR, SE DEFINIT COMME « UN LABORATOIRE D’IDEES, UN THINK TANK INDEPENDANT ET PIONNIER EN FRANCE, DEPOURVU DE TOUTES ATTACHES PARTISANES (…( IL REUNIT DES CHEFS D’ENTREPRISE, DES HAUTS FONCTIONNAIRES, DES UNIVERSITAIRES ET DES REPRESENTANTS DE LA SOCIETE CIVILE ISSUS DE TOUS LES HORIZONS (…) CES RECOMMANDATIONS RESULTENT D’UNE METHODE D’ANALYSE ET DE RECHERCHE RIGOUREUSE ET CRITIQUE. ELLES FONT ENSUITE L’OBJET D’UN LOBBYING ACTIF AUPRES DES DECIDEURS PUBLICS ».

[13] SABEG Yazid, MEHAIGNERIE Laurence, Les oubliés de l’égalité des chances. Participation, pluralité, assimilation… ou repli ?, Institut Montaigne, 2004.

[14] Extrait de la Charte de la diversité.

[15] L’institut du Mécénat Social (ou de Solidarité) créé en 1986 est présidé par le président du conseil de surveillance du groupe AXA, M. Claude BEBEAR.

[16] VERSINI Dominique, Rapport sur la diversité dans la fonction publique, ministère de la Fonction publique et la réforme de l’Etat, Décembre 2004, 107 p.

[17] Citation extraite du site de l’Institut Montaigne, www.institutmontaigne.com

[18] Discours prononcé par Jacques CHIRAC lors de l’installation de la Haute autorité le 23 juin 2005 au palais de l’Elysée.

[19] Document

[20] FASILD, Actes des Assises nationales du FASILD contre les discriminations, 26 septembre 2005, Paris, p. 38

[21] Rubrique « actualité » en septembre 2006 du site de la Halde, www.halde.fr

[22] MATTEI Bruno, « L’imposture de l’égalité des chances », Libération, 7 novembre 2006

[23] JOBERT Bruno (sous la direction de), Le tournant néo-libéral en Europe, idées et pratiques gouvernementales, coll. Logiques politiques, l’Harmattan, 1994.