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Corps sans repos, voix en errance

Moulages raciaux et masques surmodelés dans des collections muséales et des interventions artistiques, en France et en Allemagne

Lotte Arndt
Ecole supérieure d’art et design de Valence

citation

Lotte Arndt, "Corps sans repos, voix en errance Moulages raciaux et masques surmodelés dans des collections muséales et des interventions artistiques, en France et en Allemagne", REVUE Asylon(s), N°15, février 2018

ISBN : 979-10-95908-19-7 9791095908197, Politique du corps (post) colonial, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1405.html

résumé

Cet article se concentre sur les corps morts, plus précisément sur les restes humains d’origine coloniale dans les collections ethnographiques et dans les musées d’histoire naturelle en Europe. La question de ces collections sera abordée par le biais de stratégies artistiques à leur égard et d’expositions qui interrogent leur statut dans le présent. Je me concentrerai pour cela sur deux exemples : l’exposition itinérante What we see. Images, sons, représentation. A propos de la critique d’une collection anthropométrique de l’Afrique australe, conçue par la chercheuse allemande Anette Hoffmann et montré au Cap, à Bale, à Vienne, à Osnabrück, à Windhoek et à Berlin, entre 2009 et 2013 ; ainsi que sur le travail que l’artiste néozélandais Luke Willis Thompson a mené au Weltkulturen Museum Frankfurt en 2013 et en 2014.

Restless bodies, Wandering voices. Human remains in ethnographic collections of Europe and artistic performances

This paper addresses the problematic issues of human remains in ethnographic collections and museums of natural history in the Europe that come from former colonial empires. It focuses on two examples : the travelling exhibition What we see. Images, sons, représentation. A propos de la critique d’une collection anthropométrique de l’Afrique australe of the german researcher Anette Hoffman and shown in the Cap, Bale, Vienna, Osnabrück, Windhoek and Berlin between 2009 and 2013 ; and the work the artist Luke Willis Thompson brought to Weltkulturen Museum Frankfurt in 2013 and 2014.

Dans les collections ethnographiques et dans les musées d’histoire naturelle en Europe sont conservés des milliers de restes humains dont l’acquisition a eu lieu en partie en contexte colonial. Leur acquisition s’est faite en grande majorité sans le consentement des personnes sur lesquels ils furent prélevés, souvent dans des situations de pouvoir asymétrique qui incluent le pillage des tombes, le commerce sous contrainte ou les exterminations en masse. Les objectifs de ces collectes n’étaient pas moins problématiques car elles contribuaient à perfectionner les taxonomies fondées sur une conception évolutionniste de l’humanité, l’assomption raciste de différences biologiques et une hiérarchie entre les humains [1]. Les débats autour des restitutions de restes humains d’origine coloniale (et des artefacts pillés) témoignent du poids bien plus que symbolique que leur maintien dans les collections représente aujourd’hui – un prolongement d’une dépossession historique.
Comment peut-on aujourd’hui être solidaire de ces corps morts ? En quelle mesure est-ce qu’ils peuvent participer à délégitimer des injustices historiques et actuelles ? Quel rôle peuvent occuper les travaux artistiques à cet égard ? Après l’introduction d’une notion élargie des restes humains, je discuterai ici plusieurs expositions ou interventions artistiques cherchant à rompre avec les modes de monstration et conservation hérités de paradigmes racistes et culturalistes. L’article ayant été écrit à des moments espacés entre 2012 et 2017, il rassemble des exemples dans des musées en France et en Allemagne, et fait état d’un débat en cours.

Dans de nombreuses collections médicales et dans celles des muséums d’histoire naturelle sont conservés jusqu’à nos jours des restes de corps humains acquis pour alimenter les études anthropométriques qui ont atteint leur apogée au XIXe siècle. Prenons l’exemple du Musée de l’Homme à Paris qui indique dans la rubrique des « restes humains modernes » de disposer de « plus de 1000 squelettes dont 360 articulés, [ainsi que de] 18 000 crânes [2] » dans ses collections. Ou encore celui de la Charité, hôpital universitaire berlinois qui réunit l’une des plus amples collections de crânes et squelettes humains [3], en partie acquis pendant la période coloniale. En 2010, un projet de recherche a été initié à la Charité afin de retracer la provenance et l’histoire de ces collections, visant à préparer des restitutions futures et un travail critique sur l’histoire de l’institution [4].

Prouver des différences raciales entre les humains cessait d’être la finalité des recherches anthropométriques suite aux déclarations de l’UNESCO en 1950 et 1952 [5] sur la « Question de race » et le racisme [6], déclarations motivées par les crimes national-socialistes. En revanche, les principes scientifiques élaborés dans ce cadre sont loin d’avoir cessé d’être opératoires. Étudier l’histoire des collections anthropométriques conduit au cœur de la formation des sciences modernes, basées sur l’épistémologie positiviste qui inscrit une classification raciale et sociale dans ce qui apparaît comme l’ordre naturel des choses [7]. La chercheuse Waltraud Ernst constate à ce sujet que « l’élévation du discours scientifique au statut d’un composant majeur de la conception occidentale des connaissances a contribué aussi bien au développement des hiérarchies raciales qu’à la création du mythe persistant de la science comme une activité impartiale, pure et sans jugement de valeur, qui serait supérieure à d’autres manières de penser » [8]. J’argumenterai ici le fait que d’accepter les restes humains d’origine coloniale, tels quels, dans les collections des musées et les institutions de recherche maintient la continuité avec les épistémologies qui ont été façonnées à partir de ces restes considérés comme des matériaux scientifiques [9].

Après des décennies de silence, d’oubli et de désarroi à l’égard des collections de restes humains, dans de nombreux pays européens, celles-ci sont devenues le sujet de controverses, initiées notamment par des demandes de restitution. En France, la restitution de la dépouille et des moulages de Sarah Baartman à l’Afrique du Sud en 2002, celle de plusieurs têtes tatouées au musée maori Te papa en Nouvelle Zélande, en janvier 2012, et la restitution du crâne du chef kanak Ataï en 2014 ont donné lieu à des décrets spéciaux pour permettre de les déclassifier. Un grand colloque au sujet des restes humains s’est tenu en 2008 au Musée du Quai Branly. Or, bientôt dix ans après, une législation qui donne un cadre légal et définit une responsabilité juridique demandant un rôle proactif aux institutions détentrices de restes humains tarde à être introduite. En attendant, plusieurs initiatives mettent aujourd’hui en cause le statut quo : la République du Bénin réclame la restitution d’une partie des biens culturels provenant de son territoire [10] ; une initiative menée par l’écrivain et journaliste Brahim Senouci qui s’emploie à contester le maintien dans les collections du Musée de l’Homme de crânes d’Algériens décapités lors de la bataille de Zaatcha en 1849 alors qu’ils résistaient à la colonisation française [11] ; une chercheuse basée à Casablanca enquête sur les crânes de Malgaches décapités dans les collections du Musée d’Histoire naturelle [12] ; et des voix critiques s’élèvent face à l’exposition de moulages raciaux dans la nouvelle exposition permanente du Musée de l’Homme [13].

En Allemagne, l’association Deutscher Museumsbund e.V. a publié en septembre 2013 les Recommandations pour la prise en charge des restes humains dans les musées et les collections [14]. Ce texte, élaboré par un comité scientifique de professionnels des musées, a défini les restes humains comme « all physical remains belonging to the biological species Homo sapiens. They include : all non-processed, processed or preserved forms of human bodies and parts thereof. This covers particular bones, mummies, bog bodies, soft tissues, organs, tissue sections, embryos, foetuses, skin, hair, fingernails and toenails (the last four even if they originate from living people) and cremated remains. And all (ritual) objects into which human remains as defined above have been knowingly incorporated » [15].

On peut considérer ces recommandations comme la première étape d’un processus nécessaire de travail sur ces collections. Toujours est-il que la définition citée ci-dessus est relativement étroite et induit un certain nombre de problèmes : les moulages de corps humains ou de leurs parties, les masques mortuaires, les enregistrements sonores de voix humaines, les photographies anthropométriques, les objets accompagnant les enterrements, etc. en sont exclus. Le texte privilégie une définition physique des restes humains. Privilégiant une conception biologique de l’identité, celle-ci résonne avec la montée en force des analyses basées sur l’ADN afin d’identifier la provenance géographique de personnes. Il n’est pas anodin que ce procédé soit employé pour attester l’identité des migrant.e.s sans papiers dans le but de les expulser, ou encore pour vérifier la parenté biologique d’un enfant et contester la légitimité des personnes qui l’accompagnent. Il est question d’un ensemble de mesures mobilisées afin de contrôler les circulations transfrontalières de personnes et confirmer une conception de parenté qui privilégie la biologie au détriment des responsabilités réellement assumées. Ironie de l’Histoire, ces méthodes héritées de l’anthropométrie physique sont également utilisées aujourd’hui dans certains processus de restitution des restes humains pour identifier les origines des ossements.

Les Recommendations introduisent néanmoins une notion clef : le « contexte d’injustice » dans lequel les restes humains ont été appropriés et étudiés [16]. Ici, ce n’est pas leur matérialité mais leurs histoires, la violence physique et symbolique qui a été faite à des personnes vivantes ou décédées et qui joue un rôle central. La direction introduite par cette formule, celle des « collections sensibles », proposée par la chercheuse berlinoise Britta Lange [17], est salutaire pour sortir du danger d’un biologisme contenu dans les recommandations citées [18]. Plutôt que de suggérer qu’on pourrait trouver une identité véritable à partir du code génétique d’une personne (ce qui exclut les questions biographiques, celles du style de vie, de l’orientation sexuelle, du rôle social, etc., donc des aspects hautement individuels et inséparables des aléas de l’histoire), le terme de « collections sensibles » met l’accent sur les enjeux culturels.

Lange souligne qu’il « s’agit […] de l’histoire antérieure des objets [et restes humains, L.A.], des stratégies de collectes qui les ont conduits dans les lieux de conservation actuels – le plus souvent des dépôts. En effet, ce n’est pas tant la relation présente aux objets que la manière dont ils ont été conçus et fabriqués qui est sensible. Les « objets sensibles » ne sont en général pas parvenus dans les musées avec l’assentiment des personnes concernées, mais à la suite de vols, d’extorsions, de marchandages malhonnêtes, de fouilles effectuées en secret puis de leur exportation. Ce sont donc leurs histoires qui font d’eux des collections sensibles. Ce n’est pas seulement la relation à ces objets, la manière de les présenter qui est aujourd’hui sensible, mais encore leur provenance, leur transfert, leur circulation, leur décontextualisation qui, finalement, les constituent en objets de collection. Aussi la collection ne saurait-elle être seulement considérée sous l’angle d’une réserve d’objets dans un musée, des archives ou un dépôt, mais plutôt comme le résultat d’un récolement, d’un processus d’acquisition d’objets [19]. »

Si on part ainsi du contexte de leur appropriation, on peut élargir la notion des restes humains et y inclure des photographies anthropométriques, des objets ou des enregistrements sonores de voix au même titre que des ossements. En ce sens, les restes humains dans les collections de musées peuvent être décrits comme des objets liminaux ou boundary objects [20], dans la mesure où ils brouillent les frontières entre humain et non-humain, nature et culture, objet et sujet [21]. Ce sont les histoires qui les ont amenés au musée qui entrent ainsi en vue, et qui peuvent être travaillées au présent. C’est en ce sens que la matérialité des collections est constitutive : à l’heure où de nombreuses institutions proposent des programmes de numérisation, généralisent la visibilité des collections sur le net ou encore recourent à des impressions en 3D qui permettent aux doubles de voyager pour répondre aux critiques faites à leurs collections, il reste à constater qu’aucune solution technique ne pourra remplacer le travail des institutions sur leurs histoires et les responsabilités à prendre.

Multiplier les versions d’une histoire

C’est dans cette optique qu’a opéré l’exposition itinérante What We See, conçue par la chercheuse allemande Anette Hoffmann et montrée au Cap, à Bâle, à Vienne, à Osnabrück, à Windhoek et à Berlin, entre 2009 et 2013 [22]. What We See prenait son point de départ dans la collection que l’artiste allemand Hans Lichtenecker avait constituée en 1931 en Namibie, colonie allemande jusqu’en 1918 et à l’époque sous mandat de l’Afrique du Sud [23]. Lichtenecker avait poursuivi, au début du XXe siècle, l’idée de constituer une archive des « races en voie d’extinction » et partait en voyage avec des commandes de chercheurs allemands. Ainsi, Eugen Fischer, futur personnage clé de la médecine raciste des national-socialistes, lui demandait de prendre des photos des habitant.e.s de la ville de Rehobot (réputés pour leurs spécificités ethniques). Et Erich Moritz von Hornbostel, directeur de l’archive phonographique de Berlin, commandait des enregistrements de voix [24].
Le contexte d’injustice ressort clairement dans la démarche de Lichtenecker : c’est le régime raciste de l’Afrique du Sud qui lui permettait de mener ses études. Les populations étaient ségrégées, vivaient dans des homelands et se voyaient sévèrement contrôlées dans leurs déplacements. Lichtenecker pouvait en conséquence les convoquer à la station de police afin d’enregistrer les voix et effectuer les moulages faciaux.

Fig. 1. Une femme réagit effrayée au masque qu’un des collaborateurs de Lichtenecker lui montre (Image : Namibian Scientific Society, Windhoek, mise en page : Hoffmann 2009, op. cit., p. 11).

L’archive de Lichtenecker comprend une particularité rare dans les collections ethnographiques. Comme Hoffmann le montre, en faisant les enregistrements, l’équipe allemande s’intéressait uniquement à la voix en tant que telle et non au contenu des paroles prononcées. À partir de 2006, la chercheuse a pu initier la traduction des enregistrements : sur les cylindres en cire, les commentaires des personnes étaient préservés et pouvaient donc être écoutés. La chercheuse a supposé qu’il s’agissait peut-être des seuls enregistrements connus jusqu’alors à partir desquels les Africaines et Africains expriment leur point de vue sur cette pratique qui les réifient en types raciaux [25].
L’exposition What we see se structurait à partir de ces commentaires et cherchait à ne pas reproduire le caractère spectaculaire de la collection en l’exposant. Bien que montrer les originaux aurait mis en évidence la brutalité des méthodes d’obtention des moulages et des enregistrements, elle aurait aussi remis en scène l’abaissement des personnes impliquées. La commissaire constatait que les moulages ne sauraient de surcroit représenter les personnes car ils montrent des types et des caractéristiques raciaux qui ignorent l’individu. En conséquence, ni les moules, ni les moulages raciaux étaient exposés. Par ailleurs, l’exposition n’incluait presque pas de portraits photographiques de femmes, pour la raison qu’elles étaient contraintes d’enlever leurs foulards au moment du moulage alors que celui-ci constituait un élément fondamental de la production performative de ce qui faisait d’elles des femmes, des personnes disposant d’identités culturelles spécifiques. En leur ôtant les foulards, elles étaient réduites à des objets purement physiques [26].

Par contre, Hoffmann avait choisi d’inclure les éléments qui permettaient de voir les réactions et d’entendre les commentaires des personnes. Plusieurs photographies montraient les spectatrices et spectateurs lors de la prise des moulages, alors que d’autres s’intéressaient au regard des personnes au moment où ils écoutent les enregistrements (dont ils comprennent les paroles, contrairement aux Allemands qui ne maîtrisaient pas les langues qu’ils enregistraient). Ainsi, Hendrik Ludwig dit sur le cylindre 33 : « Je ne suis pas d’accord, à quoi ça sert ? Nous, qui parlons Nama, mais à propos de quoi ? Je n’ai certainement pas une bonne vie, mais je suis en vie dans ce monde. C’est tout ce que j’ai à dire. Les choses sont ainsi. Je ne sais pas qui ils sont mais je suis ici, sur cette caisse. Je ne sais pas ce qu’ils veulent faire de nous. Tout ça m’étouffe, c’est comme ça pour moi  » [27].

L’exposition se fondait sur le concept du versioning [28] qui aspire à multiplier des images, des textes, des commentaires et des narrations différentes qui peuvent aussi se contredire. Cette démarche cherche à déjouer l’idée de pouvoir donner une présentation véridique des personnes décédées. Elle montre par contre des représentations possibles et renvoie la spectatrice constamment à son propre regard [29]. Tout était fait pour déranger LA vérité produite dans l’archive anthropométrique.

Outre des installations de sons, des textes et des entretiens vidéo avec des témoins, l’exposition comprenait également une partie artistique contemporaine. Sur la base des photographies, des enregistrements d’entretiens et de documents historiques, cinq artistes y proposaient des portraits de personnes moulées ou enregistrées par Lichtenecker [30]. La critique de son archive se faisait ainsi dans une mise en perspective de versions différentes de cette expédition. Le regard des personnes sur elles/eux-mêmes ainsi que les commentaires qu’elles/ils font au sujet de l’Allemagne des années 1930 sont au centre de cette approche sans pour autant s’ériger dans un discours prétendument authentique.

Au niveau sonore, c’étaient notamment les bruissements qui accompagnaient les enregistrements et qui rappelaient les conditions de transmission de ces voix sans corps qu’on peut, en tant que collection sensible, considérer comme des restes humains, des traces d’expressions forcées d’individus à qui toute subjectivité a été déniée [31]. L’aspect matériel des supports était très présent : l’exposition mettait en avant la dégradation sonore due aux conditions d’enregistrement et au vieillissement des cylindres en cire. Ce bruissement mettait en évidence la partialité de l’archive, rappelait le parcours de sa transmission et faisait allusion aux nombreux commentaires qui n’y figurent pas.

Musée de l’Homme

Quand en automne 2015, après une période de fermeture pour travaux et une conception renouvelée de l’exposition permanente après le départ de grandes parties des collections au Musée du Quai Branly (ouverture en 2006) et au MUCEM à Marseille (ouverture en 2013), ouvrait le nouveau Musée de l’Homme au Trocadéro, on s’attendait à une mise en pratique de questionnements sur les collections et leur exposition contemporaine. À quoi sert un Musée de l’Homme ?, demandait par exemple l’anthropologue Benoît de l’Estoile dans un livre publié par l’institution à l’occasion de l’ouverture [32]. De fait, sur des grandes affiches publicitaires dans la ville entière, le musée annonçait visuellement de faire « peau neuve ».

Fig. 2. Affiche Réouverture du Musée de l’Homme, Paris, automne, 2015.

Or, comme plusieurs analyses de l’exposition permanente l’ont montré, le Musée de l’Homme reconduit les conceptions anthropocentrées, androcentrées, et universalistes d’un humanisme moderne « héritier des Lumières et ancré dans la tradition hellénique, judaïque et chrétienne, [qui] se veut universaliste, sans être pour autant universellement partagé [33]. » Je vais ici moins me concentrer sur les nombreux restes humains compris dans les collections du musée [34], et dont le sort reste incertain, mais analyser une station prééminente de l’exposition : le grand dispositif de bustes d’humains qui me paraît être un exemple saisissant de la nécessité de comprendre ces collections sensibles comme des artefacts demandant une attention et une responsabilité singulière.

La station nommée « Des êtres pluriels » se compose d’une grande structure métallique horizontale, puis ascendante sur laquelle sont accrochés des dizaines de moulages de bustes humains réalisés sur le vif, et peints par la suite. Ils proviennent en grande partie de la collection du phrénologue et médecin Pierre-Marie Dumoutier, et remontent jusqu’en 1838. La collection est acquise par le Muséum dans les années 1870 et progressivement élargie. Sont ici réunis des traits d’individus, mais non pas pour dresser leur portrait mais pour les montrer comme les représentant.e.s d’un groupe, racial, ethnique, territorial. Bustes fabriqués par des moulages faciaux, les personnes moulées ont en conséquence les yeux fermés.

Placées sur la même structure se trouve un céphalomètre, instrument de mensurations crâniennes datant du XIXe siècle. Autour de cet instrument, d’autres bustes sont exposés, cette fois-ci en bronze et produits par le sculpteur Charles Cordier. Alors que leur forme est différente – il ne s’agit pas de moulages, les yeux ne sont en conséquence pas fermés, et le visage est façonné par Cordier – la finalité du procédé n’est pas éloignée : il s’agissait de produire des types idéaux, sur la base d’une étude comparée d’un grand nombre, pour composer ainsi un représentant d’une « race » dans sa forme la plus pure [35].

Fig. 3. Vue d’exposition du Musée de l’Homme, novembre 2016. Photo : Élise Berimont.

L’intitulé de la section de l’exposition interprète les moulages pour en faire des éléments d’une humanité multiple. Elle passe sous silence leur production dans le cadre d’une science raciste ; plutôt elle essaye d’y remédier par des gestes de substitution. Ainsi, la scénographie choisie pour la nouvelle exposition permanente cherche à déjouer l’histoire raciste des moulages et sculptures par deux opérations : l’une consiste à les disposer pêle-mêle sur la structure, et de créer ainsi une grande famille de la diversité ; l’autre attribue à certains des moulages des stations sonores, permettant d’écouter une voix à la première personne raconter des éléments de son histoire.

On peut se demander si l’attribution d’une voix aux personnes moulées, relatant des informations biographiques sur la base de recherches menées par le musée, ne substitue pas leur parole absente par celle de l’institution ? Au lieu de devoir se confronter à la présence problématique des moulages dans ses collections, le musée cherche à adoucir, par recouvrement, l’histoire des sciences racistes en y superposant des témoignages fictifs. Or, c’est justement l’absence de la voix qui fait des bustes des objets problématiques. Faire semblant de pouvoir leur conférer une parole comble trop rapidement une lacune qui ne peut disparaître par un tel acte volontaire. Faute de reconnaître dans la conception de l’installation l’asymétrie établie par la taxonomie raciste, qui fait des moulages des objets sensibles, celle-ci est au contraire prolongée. En disposant les moulages dans une nouvelle narration unilatérale, la déclaration humaniste d’unité produite par le musée ne permet pas d’engager des échanges sur le devenir de chacun des moulages et ne peut aboutir [36].

L’effet de l’organisation non hiérarchique des moulages sur la structure métallique est tout aussi inopérant. Son intention est un égalitarisme universaliste. Le petit livre accompagnant l’itinéraire du musée apprend au visiteur que « si, au cours de notre histoire, nous avons pu nous croire très différent, nous savons aujourd’hui que nous formons une seule humanité, une et indivisible, composée d’êtres pluriels. […] C’est un portrait en mosaïque de l’humanité qui se dessine, composée d’êtres si différents, et en même temps si semblables [37]. » On peut s’interroger sur le « nous » présupposé dans ces phrases. Une humanité parlerait-elle d’une seule voix, depuis laquelle les divisions raciales, genrées, de classe, causées par les crimes coloniaux, les exploitations, et les représentations dénigrantes auraient disparu, pour laisser la place à un « nous » harmonieux [38] ? Placée entre les escaliers et traversant tout le musée sur deux étages, la structure verticale rappelle pourtant à tout moment la logique évolutionniste, menant du bas vers le haut, du temps reculé vers le présent, du géographiquement éloigné vers le proche. Les moulages ont beau être disposés sans répéter cet ordre, la structure métallique ascendante sur laquelle ils sont montrés l’évoque puissamment. Bien que le multiculturalisme égalitaire fasse le vœu pieux d’une unité humaniste, celle-ci n’est pas donnée a priori [39]. Elle peut être la finalité d’un travail de réparation, mais ne peut pas être décrétée par l’institution [40].

Un an après la réouverture du Musée de l’Homme, j’ai travaillé avec l’artiste californienne Candice Lin sur une exposition à Paris [41]. Celle-ci comprenait une vidéo intitulée The Beloved (Le Bien-Aimé, 2017, 12 min en boucle) qui s’intéressait dans une perspective transhistorique, en acceptant parfois volontairement des anachronismes, à la production de l’altérité raciale, sexuelle et genrée. Les dispositifs muséaux parsèment le film, et pointent de façon ludique ou tragique comment ces formes de monstration mettent des individus ou groupes culturels à la vitrine. À un moment, un dessin de l’installation des bustes du Musée de l’Homme part en flammes. Il n’en reste qu’un petit bout de papier brulé, montré dans l’exposition.

Fig. 4. Candice Lin, The Beloved, 12 min en boucle, vidéo, couleur, 2017.


Geste d’un effacement violent, Lin dénonce l’image dénigrante des bustes arrangés de façon décorative, presque plaisante sur la structure métallique. La voix off du film qui s’exprime à la première personne, change fréquemment de perspective, de siècles, de corps. Elle fait surgir les échos entre des histoires éloignées dans le temps et l’espace, mais qui évoquent des connivences, une condition partagée, la douleur d’une discrimination subie. Au moment où la caméra erre dans les images de l’avenue de Flandres dans le 19ème arrondissement parisien, qui a hébergé fin 2016 les demeures précaires de milliers de personnes demandant l’asile, la voix se demande « ce que cela veut dire que d’être véritablement en vie [42] ». Les moulages sont ici mis en lien avec les vies précaires de personnes en migration, refoulé.e.s par les États de la zone Schengen. Résonnent ici les interrogations de Giorgio Agamben sur la vie nue, et celles de Judith Butler sur la précarité constitutive des vies et leur séparation en des vies qui sont dignes d’être pleurées et celles qui en sont exclues [43]. Le dessin des moulages raciaux est précis, soigneux, une observation exacte, une appropriation de l’image par le trait. Puis, le geste artistique est prolongé, le dessin brulé : la destruction symbolique pointe le potentiel destructeur de la permanence des moulages dans l’exposition. L’artiste y participe, observe les vitrines et les dispositifs de présentation pour aussitôt en récuser la continuité, et pour refuser de s’y inscrire. Dans l’exposition, seul demeure un petit bout de papier brulé, un indice d’une longue histoire des effacements racistes sans noms ni sépultures.

À fleur de peau : le reenactment comme zone de contact

Dédiant une importante partie de leur travail de recherche aux collections sensibles, les chercheuses Margit Berner et Britta Lange engagent de multiples alliances pour mettre en œuvre leurs interrogations. Dans une collaboration avec l’artiste Kerstin Stoll et le responsable des ateliers des moulages de Berlin, Thomas Schelper, elles se sont interrogées sur la mise en lien symbolique comme une alternative à la présentation muséale d’artefacts issus d’appropriations non consensuelles dans le cadre d’une science raciste. Leur point de départ était un moulage corporel conservé dans le département anthropologique du musée d’histoire naturelle de Vienne. Retraçant la provenance du moulage, Berner et Lange ont montrées qu’il avait été façonné par l’anthropologue Felix von Luschan dans une station de contrôle d’identité à Johannesburg, en 1905 [44]. Neuf copies du moulage avaient été fabriquées par la suite. Leurs recherches permettaient aux chercheuses de retrouver le nom de la personne jusque-là anonyme. Les notes de mensurations historiques indiquaient : „N’Kurui etw. 60 J. 1371 mm hoch, Transvaal“ [45]. À partir de là, les quatre participant.e.s ont progressivement mis en place un reenactement du moulage, qu’elles/ils décrivent à quatre mains dans un texte coécrit [46]. Le responsable de l’atelier des moulages en plâtre à Berlin, Thomas Schelper, contribue à la description du moulage intégral d’un corps humain : il s’agit d’un processus long, d’une durée de deux à trois jours, physiquement et psychiquement éprouvant, et qui demande beaucoup de confiance à la personne qui est moulée [47]. Il est évident que cette confiance n’était pas donnée dans le cas des moulages produits dans des stations de police, sous contraintes, souvent par des personnes qui ne parlaient pas la langue de celle qui était soumise au moulage.

Fig. 5. Moulage facial de Britta Lange. Image reproduite de Berner et. al. 2016, op. cit. p. 180. Photos : Kerstin Stoll, 2013.

Dans sa description du projet « Die verlorene Form/La forme perdue », l’artiste Kerstin Stoll observe le déroulé du reenactment du moulage historique, en plein air, mené sur plusieurs jours d’affilés et accompagné par les interrogations des participantes, qui avaient opté pour une inversion des rôles : dans le cadre du projet, ce fut Britta Lange, une chercheuse blanche et européenne, qui était moulée. Les rôles historiques étaient donc inversées [48]. Ce n’était pas le chercheur occidental masculin qui moulait une personne dans des conditions de contrainte, sans consentement et sans connaissance de la finalité du moulage. Elle choisit délibérément de participer, de se soumettre au processus pour expérimenter pendant la durée du reenactment les effets du moulage en plâtre. Si elle y devient objet de l’étude, elle s’engage librement, et ne perd pas sa parole de chercheuse pour autant. Toujours est-il qu’elle est physiquement impliquée dans la recherche, et qu’une observation distanciée devient ainsi impossible. Par la démarche, le groupe brouille la frontière entre la chercheuse et son objet, puisque Lange se trouve des deux cotés : elle est objet et sujet de la recherche, son corps y est autant engagé que sa réflexion, un savoir supposément désintéressé est impossible. Lors d’une conférence à Paris en 2016, elle a décrit la vulnérabilité qu’elle ressentait en faisant face à sa propre figure en plâtre, son « double » moulé [49]. Avec l’équipe, la chercheuse décide de contrôler étroitement la circulation des images de ce moulage corporel, pouvant évoquer les moulages scientifiques, mais aussi les sculptures grecques en marbre, où la récurrence du modèle féminin vu par un artiste ou médecin masculin [50]. Dans les cas mentionnés, le corps féminin est soumis à des regards et critères qui lui sont extérieurs et qui le réifient, le fixent sous forme d’objet. Face à cette dépossession, le reenactment insiste constamment sur les émotions, le ressenti, les réactions physiques qui mettent la personne moulée et son vécu du moulage au centre. Kerstin Stoll, qui documentait le processus par la caméra et en menant des entretiens avec les participant.e.s, décrit en détail la réaction du corps au plâtre froid et durcissant, les traces de l’angoisse, de l’ennui, des muscles tendus ou relâchés dans le moulage du visage. Elle retrace comment la forme négative est détruite au moment de faire émerger le moulage positif – d’où l’intitulée « la forme perdue ». S’il s’agissait bien de mieux comprendre ce que le processus des moulages impliquait, il n’était pas question de simuler l’expérience historique des personnes moulées dans des circonstances très différentes, et non consensuelles.

Intervenir dans le musée

Poursuivant leurs collaborations, Stoll et Lange ont mises en pratique leur travail sur les collections sensibles par une intervention dans une exposition existante. Du 14 octobre 2016 au 14 mai 2017, le Deutsches Historisches Museum à Berlin montrait une grande exposition sur le colonialisme allemand [51]. Période très peu prise en compte par l’historiographie et la discussion publique en Allemagne pendant des décennies, la réflexion autour du colonialisme et ces effets contemporains fut notamment déclenchée par des revendications de réparations namibiennes, à l’approche du centenaire du génocide (1904-1908) et rendu possible par l’indépendance tardive du pays (1990) [52]. Depuis les années 2000, l’histoire de la colonisation allemande connaît une attention grandissante et l’impact de la critique postcoloniale se fait sentir par moments dans les décisions muséales. Ainsi, l’exposition pose la question de la possibilité de prendre en compte la perspective des colonisé.e.s alors que l’écrasante majorité des archives constituées à l’époque coloniale témoigne de la perspective dominatrice et impériale. Elle s’intéressait aux agents impériaux ainsi qu’aux résistances exercées face à eux. Ses chapitres comprenaient l’histoire de l’anthropométrie et la question des modes de son exposition y était posée. Dans le parcours se trouvait ainsi une partie qui montrait des moules permettant la duplication des moulages faciaux, qui avaient été façonnés par le médecin Otto Finsch. Ce docteur avait voyagé à partir de 1879 en Nouvelle Guinée, Australie, Nouvelle Zélande, à Java, aux Carolines et de nombreuses petites iles de la région, pour y rassembler des matériaux permettant l’étude des « races ». Ces collectes ont été menées dans le cadre du paradigme de la sauvegarde car les empires coloniaux craignaient la disparition de la supposée pureté des « peuples indigènes » et de leurs pratiques culturelles avec l’avancement de la colonisation [53]. Lange montre dans ses analyses des rapports de Finsch que celui-ci se voyait dans l’incapacité de confirmer l’existence des types raciaux qu’il recherchait sur le terrain. « Toutes ces caractéristiques : taille, couleur, bouche, nez etc. sont tellement variables que je ne peux pas y fixer des caractères raciaux, même si cela se lit bien beau dans les écrits de Waitz, Meinicke ou Peschel » [54]. Elle décrit la résistance des personnes réquisitionnées pour les prélèvements que Finsch rencontrait fréquemment face à ses tentatives de faire des moulages, prendre des échantillons de cheveux, ou encore de déterrer clandestinement des ossements. L’ensemble de ces descriptifs rend compte de la violence physique et symbolique exercée sur les populations locales qui étaient traitées par les voyageurs impériaux comme un pur matériau d’étude scientifique, plus au moins facile à apprivoiser [55].

Quand Finsch est revenu de son voyage, il ramena plus de 200 moulages en plâtre, 300 crânes, et plus de 200 échantillons de cheveux [56]. En 1884, il publiait dans la revue de l’ethnologie (Zeitschrift für Ethnologie) un catalogue de ces moulages réalisés sur le vif, qui comprenait noms, âges, origines géographiques, et d’autres informations à caractère physiologique. Ce sont ces informations que Britta Lange et Kerstin Stoll ont interrogées quand elles ont préparé leur intervention au musée en 2016. Comme mentionné précédemment, le Deutsches Historisches Museum avait décidé de ne pas montrer les moulages, donc de ne pas exposer les visages de personnes soumises au processus de façonnage de leur traits dans du plâtre et contre leur gré. En revanche, l’exposition contenait six moules, donc les formes négatives faites par les ateliers de plâtre pour pouvoir répliquer les moulages. Dans ce choix muséal, l’accent a été mis sur les conditions de production, plutôt que sur l’exposition des moulages. Bien que ce choix peut être considéré comme une décision muséographique cherchant une forme respectueuse pour montrer des collections sensibles, les légendes qui accompagnaient ces formes négatives numérotées incluaient uniquement les informations générales des lieux de provenance géographique. Les traces éparses des personnes qui avaient été moulées en étaient absentes. En comparant les documents de l’atelier des moulages et les textes de Finsch, Britta Lange a retrouvé les noms associés à chacun des six moules. Quant à elle, Kerstin Stoll a identifié la typographie des légendes de l’exposition et, le 6 décembre 2016, les deux femmes ont clandestinement substitué les légendes par de nouveaux contenus. Action réussie, leurs légendes sont restées en place pendant le reste de la durée de l’exposition.

Fig. 6. Extrait d’affiche montrant la substitution des légendes des moules en plâtre permettant la réplication des moulages raciaux réalisé par Otto Finsch. Action clandestine réalisée par Kerstin Stoll et Britta Lange le 6 décembre 2016 dans l’exposition « Deutscher Kolonialismus », au Deutsches Historisches Museum, Berlin. Affiche : Kerstin Stoll, 2017.

Alors qu’il s’agissait de reconnecter des histoires permettant de comprendre la deshumanisation mise en place par l’anthropométrie coloniale, Lange et Stoll ont conscience que cette histoire ne se répare pas par de telles actions, que les noms ont pu être mal transmis, mal écrit, et que les informations provenaient de sources impériales. Mais l’action a mis en place une tentative d’approche des personnes historiques, en rappelant leurs noms dont l’importance avait été minimisée par les études et les expositions successives des moulages [57]. Elle a pu investir une « zone de contact » symbolique, qui n’a cependant pas fait disparaître les asymétries de pouvoir et d’expropriations délibérées dont les collections sont issues. Elle a permit de les rendre palpables, d’évoquer la hantise des personnes dont la subjectivité avaient été niée par l’application des appareillages contraignants des sciences racistes, dont les moules sont les vestiges matérielles.

Inverser la logique de la collection

Pour finir, j’aimerais analyser ici le travail intitulé Museum in Reverse, réalisé par l’artiste néozélandais Luke Willis Thompson, lors de sa résidence au Musée des cultures du monde (Weltkulturen Museum) à Francfort-sur-le-Main. Entre 2010 et 2015, alors qu’elle était dirigée par la commissaire, auteure et anthropologue, Clémentine Deliss, cette institution avait mis en place un vaste travail sur les collections, principalement conduit par des artistes accueilli.e.s en résidence, disposant du soutien des conservatrices et des curatrices dans le but de sortir les objets des réserves, de mener des recherches sur ceux-ci, et de développer des expositions à partir de ce travail dans le dit « laboratoire des cultures du monde ». La configuration historique était ici inversée : à la fin du XIXe siècle, le musée ethnographique de Francfort-sur-le-Main (Völkerkundemuseum, renommé par la suite) était dédié aux objets accumulés par les ethnographes, explorateurs, missionnaires et collectionneurs amateurs dans les contrées colonisées par l’Europe. L’objet d’étude était alors les populations lointaines et leurs cultures matérielles. Sous la direction de Deliss, au contraire, les collections devenaient le sujet de la recherche afin de comprendre la constitution du savoir impérial en Occident portant son regard sur le « reste du monde ». Il s’agissait de favoriser des échanges entre artistes, curatrices, chercheuses et chercheurs et de proposer de nouvelles lectures en permettant un regard autoréflexif sur l’histoire de la collection ethnographique, afin de faire advenir un musée post-ethnographique. Foreign Exchange, or The stories that you wouldn’t tell a stranger constituait l’exposition de 2014 (commissaires Clémentine Deliss et Yvette Mutumba) [58] dans laquelle le travail de Luke Willis Thompson était exposé. Ce titre exprime très précisément le lien entre les intérêts commerciaux liés aux collections ethnographiques pendant leur constitution et la consolidation de paradigmes de connaissances s’établissant sur leur base.

Fig. 7 Vue d’installation de Luke Willis Thompson, Weltkulturen Museum Frankfurt/Main. Photo : Wolfgang Günzel, 2013.

L’installation de Thompson juxtaposait deux groupes d’objets dans une salle peinte en blanc : dans une vitrine au milieu de la salle, l’artiste montrait un masque crânien mélanésien surmodelé, c’est-à-dire un masque fait sur la base d’un crâne et modelé par-dessus. Il était montré couché sur fond blanc, à coté de chaînes d’esclaves du Cameroun, ainsi que plusieurs chaînes en provenance de l’Asie du Nord. Des photographies de format moyen et en couleur montrant des scènes de famille, des intérieurs de maison, des enfants et des adolescent.e.s étaient accrochées, accompagnées d’une lettre, du côté droit du mur, concluant la série. Datée du 13 février 2013, le document est adressé à monsieur Moustafa Shahin, vivant à Francfort. On apprend que M. Shahin est le fondateur de la première mosquée anglophone de Francfort où il est imam [59]. La lettre atteste la réception d’une somme de 1.500 euros transférée par l’artiste à M. Shahin. Il s’agit, pouvait-on y lire, du budget de production dont disposait Thompson pour l’exposition. La lettre stipule que la somme devra être destinée à une famille qui souhaite rapatrier l’un de ses membres décédé à Francfort, dont la dépouille sera transférée dans le pays où la famille souhaite que la personne décédée soit enterrée – supposément le pays de naissance. Elle précise par ailleurs qu’il serait préférable que ce pays fasse partie de ceux représentés dans les collections du Weltkulturen Museum. Le texte prévoit que, dès que la famille sera trouvée, M. Shahin en informerait l’artiste et la curatrice Yvette Mutumba. Les trois signataires (Mutumba, Thompson, Shahin) assurent que l’argent sera versé en liquide, et qu’une totale discrétion sera garantie quant à l’identité de la famille et à celle du décédé.

L’installation laisse les visiteurs et visiteuses face à des nombreuses questions : au départ, la juxtaposition semblait consister en une confrontation de la dépossession des morts mélanésiens avec la restitution actuelle du corps d’une personne – une tentative d’établir une symétrie et d’inclure le présent. De fait, le masque crânien surmodelé avait été collecté et amené à Frankfort par Carl Gerlach en 1879 et se trouve dans la collection du musée. Il fait partie des objets liminaux dont non seulement la préservation mais aussi l’exposition suscite la question du traitement respectueux des restes humains. Il paraît pour cela surprenant que Luke Willis Thompson décide de le montrer de manière aussi décomplexée.

L’une des raisons, pourrait-on continuer à spéculer, consiste à rappeler la dépossession historique dans le but d’établir le lien avec les situations actuelles qui empêchent des personnes en migration, disposant souvent de peu de ressources économiques, de décider du sort futur de leur dépouille. Masque historique et personne récemment décédée se regardent dans un face-à-face qui les lie à travers les décennies et qui les sépare dans une histoire partagée. La présence des chaînes d’esclaves, qui rapprochent le masque de l’histoire de la déportation massive d’Africain.e.s, durcit cette hypothèse. Face à l’impossibilité de restituer les restes humains de la collection, dans le cadre de ce projet de courte durée, l’artiste opère une traduction. Il met les ressources limitées qui lui sont fournies par le musée afin de réaliser son travail au profit d’une famille qui souhaite enterrer un proche dans son pays natal. Le masque, retenu dans le musée, est ainsi connecté au transfert d’un corps [60].

Si, dans un premier temps, on conclut que les personnes sur les photos devrait donc être les membres de cette famille, on est mis en garde par la lettre qui garantit « toute la discrétion » à M. Shahin de conférer l’argent aux personnes de son choix. « Le corps et l’argent voyagent dans un sens, alors que les objets qui fonctionnent comme des mémoriaux voyagent vers le musée » [61]. Dans le travail de Thompson, les identités des personnes sur les photos restent tout aussi mystérieuses que celles de la famille en cours de rapatriement d’un de ces membres. La lettre laisse dans le flou à savoir si les destinataires du versement ont déjà été trouvés et si le rapatriement a déjà eu lieu ou non. L’installation recèle d’ambiguïtés : elle montre des photos de personnes dans leurs espaces intimes (maisons, chambres), et semble ainsi exposer leur sphère privée dans le contexte public du musée, à l’inverse de ce que le titre Museum in Reverse annonce. Or, rien ne permet de reconnaître les lieux, d’identifier les personnes et de comprendre les situations sur les photos. L’apparente lisibilité des images brouille les pistes du versement de l’argent, et protège son transfert en faisant écran : espace de projection mais qui réserve l’opacité sur ce qu’il recouvre.

Pareil pour la lettre qui listait minutieusement les étapes à suivre pour déclencher le paiement, et décrivait le transfert d’argent de façon protocolaire et surveillé par l’institution. Mais il n’en reste pas moins que M. Shahin disposait de la somme en liquide et en contrôlait entièrement le versement. Si le musée possède donc la valeur symbolique de la pièce (et l’artiste en profite également) celle-ci repose en grande mesure sur un jeu de brouillage des pistes, dans lequel aucun lien ne se fait directement.

Il reste l’usage que Thompson fait du masque crânien en l’exposant. Dans le contexte en question, la pratique culturelle du surmodelage de crâne précède la relation coloniale. Alors que la diffamation de cette pratique comme un acte de barbarie faisait partie de la rhétorique coloniale, Thompson ne prolonge pas cette argumentation civilisatrice mais se concentre sur le pillage et l’exposition des masques dans le musée ethnographique, faisant ainsi du contexte d’appropriation le problème central.

En Europe, la sensibilisation des publics et professionnels des musées aux enjeux de l’exposition des restes humains en est toujours à ses débuts. Pour cette raison, l’exposition du masque crânien pensé par Thompson comme une rupture d’un tabou, peut facilement demeurer illisible. Les visiteurs/ses, averti.e.s ou non à l’exposition de restes humains, restent quant à elles/eux sur des pistes incertaines qui ne sont pas explicitées : rendre le masque présent fonctionne comme un écran recouvrant tout un réseau de liens qui se déploient en dehors du musée.

Si les collections sensibles ont intégrées les dépôts et vitrines des musées ethnographiques en Occident, il s’agissait de représenter et de définir, par des objets matériels, des personnes et des sociétés vivantes, souvent géographiquement éloignées. Contester et transformer le rapport de force doit aujourd’hui inclure de mobiliser les collections en les mettant en lien avec les luttes liées à la migration, et en faisant du musée un espace stratégique pour favoriser les droits des personnes qui en ont besoin. De cette manière, les restes humains deviennent des alliés et participent symboliquement ou matériellement à une revendication libératoire prospective.

Outlook

Comment être en solidarité avec celles et ceux qui ne sont plus, et qui ont fait objet de traitements historiques dénigrants ? Comment le travail des conservatrices et conservateurs peuvent prendre en compte le caractère sensible de nombreux vestiges matériels de l’histoire coloniale exposés dans les musées ? Aujourd’hui, une démarche systématique, obligeant les musées et les institutions en Occident à rendre compte de la provenance de leurs collections, à déclencher des processus de restitution ou d’enterrement et à les accompagner par des programmes d’échanges, tarde à s’appliquer. Imposer aux musées à prendre la responsabilité de leurs collections, de telle sorte que leur charge deshumanisante soit reconnue et que l’institution soit contrainte à ne pas la reconduire par leur conservation et leur exposition, serait une étape majeure dans le renversement de la charge de la preuve [62]. Elle pourrait prendre pour modèle la déclaration de Washington par laquelle des musées s’engageaient à garantir de ne pas conserver des œuvres pillées à leurs propriétaires juifs et juives [63]. Les expositions et interventions artistiques, dont il est question dans cet article, montrent bien que les vestiges de l’histoire de l’anthropométrie et de l’ethnographie coloniale nécessitent une prise en charge systématique par les institutions pour respecter leur caractère sensible, retracer les provenances, favoriser un retour autoréflexif sur la constitution des collections, et engager un processus proactif de restitution.

En attendant qu’un cadre normatif soit défini, permettant d’aller au-delà de l’action muséale sans désintégrer les collections, des artistes, chercheuses et chercheurs engagent des collaborations et des expérimentations pour interroger et déplacer les collections sensibles, en tenant compte de leurs charges historiques. Intervenir dans les dispositifs de monstration, introduire sa propre vulnérabilité de sorte à ce que la division entre sujet-chercheur/se et objet de recherche soit bousculée, inscrire son désaccord ou le performer par des effacements symboliques, et chercher des liens avec les combats migratoires et les asymétries à l’échelle globale, font partie des stratégies mises en place pour se solidariser avec les morts, pour inscrire les vestiges médiatiques de leurs corps dans le geste du soin et des luttes émancipatrices du présent.

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NOTES

[1] Cf. pour une histoire du racisme scientifique en France, et les musées : Alice L. Conklin, Exposer l’humanité. Race, ethnologie, et empire en France (1850-1950), traduit de l’anglais par Agathe Larcher-Goscha, Muséum de l’histoire naturelle, Paris, 2015 ; Laure Cadot, En chair et en os : le cadavre au musée. Valeurs, statuts et enjeux de la conservation des dépouilles humaines patrimonialisées, Paris, 2009 ; Laurent Berger, « Des restes humains, trop humains ? », La vie des idées, 26 septembre 2008, [en ligne] [URL : http://www.laviedesidees.fr/Des-res...].

[2] http://www.museedelhomme.fr/fr/coll..., consulté le 10 octobre 2017. Alain Froment, médecin et anthropologue, responsable des collections d’anthropologie biologique au Musée de l’Homme, parle 30 000 pièces ou lots de restes humains, appartenant à 23 000 individus. http://www.lemonde.fr/sciences/arti..., consulté le 10 octobre 2017. Pour une perspective proche des ambitions de conservation institutionnelle, cf. Laure Cadot, « Les restes humains : une gageure pour les musées ? », in La Lettre de l’OCIM [En ligne], 109 | 2007, mis en ligne le 17 mars 2011, consulté le 11 octobre 2017. URL : http://ocim.revues.org/800

[3] Sammeln, Erforschen, Zurückgeben ? Menschliche Gebeine aus der Kolonialzeit in akademischen und musealen Sammlungen, sous la direction de Holger Stoecker, Thomas Schnalke, Andreas Winkelmann, Ch. Links, Berlin, 2013.

[4] https://anatomie.charite.de/en/hist...

[5] UNESCO, Declaration on Race (1950) and Statement on the Nature of Race and Racial Differences (1952).

[6] Chloé Maurel, « La question des races - Le programme de l’Unesco », in Gradhiva, musée du quai Branly,‎ mai 2007, pp. 114-131.

[7] À ce sujet, il est instructif de lire la récente traduction française du texte Le corps et l’archive d’Allan Sekula. L’artiste démontre consciencieusement comment la photographie rend possible et se fait complice de la constitution de nouvelles classifications sociales, telles que les classes dangereuses ou les criminels récidivistes. Allan Sekula, Écrits sur la photographie 1974-1986, Beaux-Arts de Paris, Paris, 2013.

[8] Waltraud Ernst, « Introduction : Historical and Contemporary Perspectives on Race, Science, and Medicine », in Race, Science, Medicine, 1700-1960, sous la direction de Waltraud Ernst et Bernard Harris, Londres, New York, Routlegde, 1999, p.3.

[9] Dans quelle mesure – pourrait-on demander – une exposition itinérante à succès mondial comme Body Worlds de Gunther von Hagen, montrée depuis 1996 partout dans le monde, ne repose-t-elle pas seulement sur l’idée que l’être humain pourrait s’expliquer essentiellement par le corps et les cycles de vie par l’anatomie ? Concevoir l’être humain comme une série d’organes interchangeables établit un lien direct entre l’anthropométrie et le commerce actuel d’organes humains, commerce souvent soumis à des asymétries économiques. La question de la provenance des corps et du consentement des personnes mortes et exposées a constamment été posée par les critiques de l’exposition Body Worlds. Cf. Elizabeth Stephens, Anatomy as Spectacle. Public Exhibitions of the Body from 1700 to the Present, Liverpool University Press, Liverpool, 2011.

[10] Marie Royer, « Le Bénin réveille la notion de biens culturels mal acquis », Le Point Afrique, 2 aout 2016, http://afrique.lepoint.fr/culture/l... 2058565_2256.php

[11] Rosa Moussaoui, « Algérie : les crânes de l’amnésie », L’Humanité, 12 juin 2016, http://www.humanite.fr/algerie-les-...

[12] Klara Boyer-Rossol, « Le Muséum d’histoire naturelle abrite-t-il le crâne d’un roi malgache tué par la France au XIXe siècle ? » Le Monde, 12 aout 2016, http://www.lemonde.fr/afrique/artic... 3212.html#mr1AAYjR3lbhW5xD.99

[13] Voir les articles de Nathan Schlanger, « Back in Business. History and Evolution at the New Musée de l’Homme », in Antiquity, aout 2016, Vol. 90, no. 352, pp. 1090-1099 ; et Olivier Vayron, « Le nouveau Musée de l’Homme », manuscrit non publié, 2016.

[14] Deutscher Museumsbund e.V., Recommendations for the Care of Human Remains in Museums and Collections, avril 2013.

[15] Ibid., p. 9.

[16] Ibid., pp. 9-10.

[17] Britta Lange, « Collections sensibles », Ramper, Dédoubler. Collecte coloniale et affect, sous la direction de Mathieu K. Abonnenc, Lotte Arndt et Catalina Lozano, B42, Paris, 2016, pp. 288-317.

[18] Pour un commentaire ironique sur ces approches, voir la vidéo d’Hito Steyerl, Leipniz Skull (2011). L’artiste questionne, dans un contexte où les restes humains acquièrent un statut de témoin dans des instructions de crimes, le régime de vérité qui leur est attaché. L’approche de la vidéo est ludique : interrogés par l’artiste, une pasteure et un anatomiste discutent de l’authenticité d’un moulage en plâtre du crâne de Leibniz, philosophe et mathématicien du 17ème siècle. Il s’agit ici de révéler les incertitudes des méthodes forensiques d’identification qui suggèrent qu’il serait possible de déterminer l’identité du philosophe par le moulage de son crâne.

[19] Lange 2016, op. cit, p. 295.

[20] Susan Leigh Star et James R. Griesemer, « Institutional Ethnology. Translations’ and Boundary Objects. Amateurs and Professionals in Berkeley’s Museum of Vertebrate Zoology, 1907-39 », [1988], in The Science Studies Reader, sous la direction de Mario Biagoli, New York, Londres, 1999, pp. 505-524.

[21] Voir à ce sujet le dossier en ligne « Afterlifes ». Darkmatter. In the Ruins of Imperial Culture, sous la direction du groupe artefacts : http://www.darkmatter101.org/site/c...

[22] Pour l’introduire je m’appuie sur la présentation que Hoffmann fait de l’exposition dans le catalogue. What We See. Reconsidering an Anthropometric Collection from Southern Africa : Images, Voices, and Versioning, sous la direction de Anette Hoffmann, Basel, Basler Afrika Bibliographien, 2009.

[23] Ibid., p.18.

[24] Ibid., p.19.

[25] Pour une analyse détaillée Julia T.S. Binter, « Unruly Voices in the Museum. Multisensory Engagement with Disquieting Histories », in The Senses & Society, Vol 9, Issue 3, 2014, pp. 342-360.

[26] Cf. Hoffmann 2009, op.cit., p. 24.

[27] Traduction du nama par Memory Biwa, transcription Levy Namaseb, p. 25 (traduction en français : Lotte Arndt).

[28] Esther Peeren, « Versioning. Seeing More (Hi)Stories : Versioning as a Resignificatory Practice in the What We See Exhibition and the Work of Sanell Aggenbach and Mustafa Maluka », in Hoffmann 2009, op. cit, p. 27.

[29] Ibid., p. 28.

[30] Mustafa Maluka, Alfeus Mvula, Sanell Aggenbach, Mduduzi Xakaza, Lonwabo Kilani. Ibid. p.28.

[31] Cf. Britta Lange, « Sensible Sammlungen », dans Sensible Sammlungen. Aus dem Anthropologischen Depot, sous la direction de Margit Berner, Anette Hoffmann, Britta Lange, Fundus, Vienne, 2012, p.20.

[32] Benoît de l’Estoile, « À quoi sert un musée de l’Homme ? Vies et destins d’une utopie », dans Le musée de l’Homme. Histoire d’un musée laboratoire, sous la direction de Claude Blanckaert, Musée de l’Homme, Paris, 2015, pp. 238-259.

[33] Ibid. p. 257.

[34] Cf. à ce sujet par exemple Nélia Dias, La mesure des sens. Les anthropologues et le corps humain au XIXe siècle, Aubier, Paris, 2004 ; Conklin 2015, op. cit.

[35] Charles Cordier, « Types ethniques représentés par la sculpture (6 février 1862) », in Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, 1862, n° 3, p. 65.

[36] Gayatri Spivak, Righting Wrongs, Diaphanes, Zurich-Berlin, 2008.

[37] Le Musée de l’Homme. Itinéraire, Musée de l’Homme, Paris, 2015, p. 60.

[38] Cf. également Nathan Schlanger 2016, op. cit.

[39] Homi Bhabha, « The Multi-Cultural Question », Unsettled Multiculturalisms. Diasporas, Entanglement, Transruptions, sous la direction de Barnor Hesse, Zed Books, Londres, 2000, pp. 209-241.

[40] Lotte Arndt, « Le renversement de la charge de la preuve comme levier postcolonial », 36 Short Stories, sous la direction de Mélanie Bouteloup, Paris, 2016, p. 69-78.

[41] Candice Lin, A Hard White Body/Un corps blanc exquis, Bétonsalon. Centre d’art et de recherche, Paris, 6 septembre-23 décembre 2017, commissaires d’exposition : Lotte Arndt et Lucas Morin.

[42] Candice Lin, The Beloved, 12 min en boucle, vidéo, couleurs, 2017.

[43] Judith Butler, Frames of War. When is Life Grievable ?, Verso, New York, 2016.

[44] Margit Berner, Britta Lange, Kerstin Stoll und Thomas Schelper, „Verlorene Form. Eine künstlerisch-wissenschaftliche Auseinandersetzung mit sensiblen Sammlungsbeständen“, in, Casting. Ein analoger Weg ins Zeitalter der Digitalisierung ? Ein Symposium zur Gipsformerei der Staatlichen Museen zu Berlin, sous la direction de Christina Haak et Miguel Helfrich, arthistoricum.net, Heidelberg, 2016. DOI : 10.11588/arthistoricum.95.114.

[45] Berner et. al. 2016, op. cit. p. 176.

[46] Ibid.

[47] Ibid., p. 178.

[48] Ibid., p. 183.

[49] Dans le cadre de la présentation de Britta Lange et Kerstin Stoll lors de l’événement Objets inquiets, minants les chosifications, 26 novembre 2016, Villa Vassilieff, Paris, http://www.villavassilieff.net/?Eve...

[50] Un procédé qui peut laisser penser au travail de l’artiste états-unienne Martha Rosler, Vital Statistics of a Citizen, Simply Obtained, 1977, 39:16’, anglais, colleur, vidéo. Dans ce travail, deux médecins vêtus de blanc prennent les mesures du corps nu de l’artiste, pendant que la voix off commente des idéaux de beauté, des standards corporels, et la discipline exercée sur les corps, féminins avant tout, pour correspondre à ces idéaux.

[51] Deutscher Kolonialismus. Fragmente seiner Geschichte und Gegenwart, 14 octobre 2016 au 14 mai 2017, Deutsches Historisches Museum, Berlin.

[52] Cf. Peter H. Katjavivi, « From Colonialism to Bilaterality. Challenges of the Namibian-German Relationship », Dierk Schmidt. The Division of the Earth. Tableaux on the Legal Synopsis of the Berlin Africa Conference, sous la direction de Lotte Arndt, Clemens Krümmel, Dierk Schmidt, et. al., Walter König Verlag, Cologne, 2010, pp. 91-93.

[53] Voir Britta Lange, « Prekäre Situationen. Anthropologisches Sammeln im Kolonialismus », dans Sammeln, Erforschen, Zurückgeben ? Menschliche Gebeine aus der Kolonialzeit in akademischen und musealen Sammlungen, sous la direction de Holger Stoecker, Thomas Schnalke, Andreas Winkelmann, Ch. Links, Berlin, 2013, p. 47.

[54] « Überhaupt sind alle diese Charaktere : Größe, Färbung, Mund, Nase u.s.w. so variabel, dass ich darauf keine Rassencharaktere basieren kann, so hübsch sich das auch bei Waitz, Meinicke oder Peschel liest. » Otto Finsch 1882, cité d’après Lange 2013, op. cit, p. 47 (traduction ici : L.A.).

[55] Pour une analyse en détail, voir Lange 2013, op. cit.

[56] Ibid., p. 57-58.

[57] Cf. affiche retraçant l’action, réalisée par Kerstin Stoll en 2017.

[58] Cf. le catalogue Foreign Exchange (or the stories that you wouldn’t tell a stranger), sous la direction de Clémentine Deliss et Yvette Mutumba, Diaphanes, Zürich, 2014.

[59] Luke Willis Thompson, « Museum in Reverse », Foreign Exchange (or the stories that you wouldn’t tell a stranger), sous la direction de Clémentine Deliss et Yvette Mutumba, Diaphanes, Zürich, 2014, pp. 242-245.

[60] Sophie Von Olfers et Luke Willis Thompson, « Out of the Gallery », Mousse, no. 41, décembre 2013, pp. 122-125.

[61] Thompson 2014, op.cit., p. 243.

[62] Voir Arndt 2016, op. cit.

[63] Les Principes de Washington ou bien les Principes de la Conférence de Washington applicables aux œuvres d’art confisquées par les nazis ont étés signés par 44 Etats et concernent la restitution des œuvres d’art confisqués par le régime Nazi avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale. La déclaration a été publiée en marges de la Conférence de Washington sur les biens confisqués à l’époque de l’Holocauste le 3 décembre 1998. http://www.culture.gouv.fr/document...